20/10/2020
Il y a toujours une alternative, toujours
Ce furent les commentaires de trop. D’abord à un ami à qui je parlais d’un proche qui allait devoir vendre sa maison perdue dans la pampa car il ne pouvait plus en payer les faibles traites, faute de revenus, à cause de Covid et qui me répliqua « ouais, mais bon, faut fermer, c’est la nouvelle norme. Ton pote devrait réechelonner son prêt ». Puis ce matin, un salarié de gros groupe, me disant « je ne vois pas d’autre option au reconfinement ». Partout, un fatalisme prédictif et sur le long terme : il n’y a pas le choix, there is no alternative. Le confinement est un TINA sanitaire…
Une pensée totalitaire, totalisante, me fait évidemment venir des références de dictatures. Soljénitsyne dit en jour de 1974, en substance que « le système totalitaire ne s’effondrerait que lorsque chaque fois que le régime prononcerait une ineptie de plus, il sortirait. Pour les premiers, c’était très dangereux, puis ils ouvriraient la voie ». Dans Si c’est un homme, Primo Levi rappelle comment dans un hangar, il cherche à apaiser sa soif avec un glaçon collé à la fenêtre que le garde lui enlève. Levi demain « pourquoi ? » et le garde de répondre « ici, il n’y a pas de pourquoi ». Et bien il en va de la pensée de la fermeture comme de ces pensées totalisantes et plus le temps passe, plus l’état réel du pays se disloque sans qu’on ait le droit de la dire, plus je deviens fou…
Le premier argument est : « on ferme pour sauver des vies ». C’est faux. Faux, re faux, archi faux. La Suisse a eu moins de morts en 2020 qu’en 2019 et la France aussi (j’ai pas retrouvé la source, mais elle est sur Statista). 33 000 morts du Covid, c’est terrible, mais 700 000 morts par an dans le pays, eu égard à l’âge des morts du Covid on voit bien qu’il n’y a pas de surmortalité, simplement des personnes fragiles qui meurent plus tôt. Est-ce que c’est choquant ? Oui. Oui, c’est choquant, plus nombreux que les seuls AVC, les accidents de la route (en baisse, grâce au confinement), mais c’est, hélas, le lot des épidémies que de frapper large. Encore avons-nous la chance qu’elle emporte moins de 1% de ceux qu’elle touche, contrairement à la peste, je dis ça puisqu’on nous propose la même solution… Non seulement on ne sauve pas de vies, mais on va causer des morts en pagaille : pas seulement des morts possibles, de stress, de désespoir ou de solitude (les psys ont leurs agendas remplis jusqu’en 2032) mais aussi d’incurie, d’opérations repoussées qui auraient vraiment dû avoir lieu, de dépistage de cancer. « Sauver des vies » ne tient pas.
Le second, qui s’entend plus, est : « nous n’étions pas prêts ». C’est vrai. Et il est également vrai qu’on ne peut pas recruter comme par magie des réanimateurs, ni en faire venir de l’étranger car tout le monde se coltine le virus. C’est vrai que ça va être très coton pour les soignant.es dans les mois à venir et que des applaudissements, une médaille et autres breloques n’est pas à la hauteur. Il faut plus 3000 euros que 1 500, et des augmentations massives jusqu’à ce que les renforts arrivent, bien sûr. Ils payent 30 ans d’abandon de l’hôpital et que LR ferme sa gueule car c’était violent sous Bertrand/Castex et que le PS ferme sa gueule, le plus gros plan social du quinquennat Hollande, étant l’hôpital public… Mais on ne peut pas faire payer à des millions et millions de français, l’incurie de nos néolibéraux sur les soignant.es. Lesquel.les seront en première ligne pendant encore plusieurs mois d’une crise sanitaire.
Le dernier est de dire « on confine, mais on sauve l’économie quoi qu’il en coûte » c’est encore plus faux. Certes, l’État assure, le chômage partiel a temporiser les dégâts mais d’abord ça n’empêche pas nombre de plans sociaux, de carnets de commande en déroute face à l’incertitude. Ensuite, il y a des « trous dans la raquette » et on parle pas assez : 25% des français se sont appauvris cette année. 25%. 1 sur 4. Et parfois des cas dramatiques. Des gens qui ont faim, qui sont expulsés ou sur le point de l’être, qui ont perdu leur boulot et aucune chance d’en retrouver… Cette lecture sociale ne prend pas 2% du temps d’antenne consacrée à regarder les courbes de contaminations.
Il fut un temps où la gauche ne pensait qu’à eux. Ou sont-ils ? Les salarié.es, privé.es comme public, ne parlent pas assez de celles et ceux qui sont en train de tout perdre. Personnellement, je ne me plains pas, j’ai des filets, mais d’avoir vu mes revenus fondre à 500 euros par mois pendant quatre mois quand mes cotisations continuaient m’a mieux fait voir comment tout pouvait se retourner très vite. Et je ne pense qu’à eux. A ces musiciennes bourrées de talents, mais privées de cachets qui doivent réduire réduire réduire leurs lendemains immobiliers. A cet autre musicien qui va devoir déménager, à cette traiteure qui va vendre son appartement faute d’autre roue de secours. A ces jeunes, toujours chez leurs parents, voire rentré.es chez leurs parents comme cette chanteuse aux Etats-Unis qui sait déjà que toutes ses dates sont annulées jusqu’en septembre 2021 ; à ce fleuriste de génie qui a perdu les défilés de mode et qui maintenant ne peux plus vendre le petit bouquet offert pour un dîner. Les restos qui ferment les uns après les autres, les échoppes, les boutiques. Il n’y aura pas de place pour tout le monde, à la reprise et j’enrage qu’on ne les laisse pas vivre…
Je pense à ces étudiant.es qui se lancent à distance, sans se faire d’ami.es, sans se faire de réseau, sans se façonner l’esprit critique. Je pense à ces séniors qu’on ne laisse plus aller au théâtre, leur dernier plaisir : regardez Louis la Brocante ou Hanouna…
Si Lénine était là il demanderait « que faire ? ». Et bien tout ouvrir, n’en déplaise aux tenants du TINA sanitaire qui ne peuvent pas donner de date de fin à leurs tours de vis qui torture des vies sans en sauver…. Ouvrir en faisant gaffe, évidemment. En ouvrant les fenêtres partout (pas au point de choper des pneumonies non plus, même au bureau, on bossera en doudoune. En se lavant les mains, en mettant des masques, évidemment. Évidemment qu’il faut essayer de limiter au maximum la propagation, mais pas en empêchant aux gens de vivre. Que celles et ceux qui peuvent bosser à distance et rentrer avant 21h n’oublient pas qu’ils ne sont pas des role models inspirants comme on dit en start up nation…
Je suis allé voir mes parents cet après-midi, je ne les ai pas embrassé ni me suis approché. C’est déjà suffisamment lourd, suffisamment non naturel, vient un mot où il faut cesser d’ajouter de la douleur à la douleur. C’est une crise sanitaire, sanitaire, acceptons la comme telle. Prenons nos précautions pour nous, soin des autres, mais cessons de penser que la réclusion est un projet de société. Ça ne l’était pas en mars, ça l’est moins que jamais. Il y a toujours une alternative, surtout à la politique de l’autruche.
18:42 | Lien permanent | Commentaires (5)
17/10/2020
C'est quand qu'on regarde ou ?
Hier, en rentrant d'une délicieuse soirée passée portables coupés, dans le carrosse nous ramenant avant minuit, un coup d'oeil aux nouvelles et un sentiment de sidération absolue. "Décapité". "Assassiné parce que prof, parce que liberté d'expression, parce que caricatures de Mahomet". Des mots réservés à Games of Throne où aux territoires de l'État islamique. En France, à Conflans Ste Honorine.
Ce matin, alors que nous devrions être dans le soutien aux 800 000 profs, à toutes celles et ceux qui vont passer des vacances hantés par l'idée de la reprise et des débats interdits, de l'auto-censure, de la trouille, faire bloc autour de celles et ceux qui ne pensaient pas que cela pourraient arriver un jour, des voix nous hurlent d'ouvrir les yeux et d'agir. Comprenez par là, agir de manière préventive, très forte, avant que ça ne se reproduise. La première question posée à Marlène Schiappa ce matin était "faut-il durcir le texte sur le séparatisme ?".
Rhétoriquement, l'échec et mat n'est pas loin. Est-ce que la gauche a trop souvent regardé ailleurs sur ces questions ? Sans doute. Sans doute possible. Il y a trop de collusions acceptées, tolérées entre élus locaux et implantations d'associations non républicano compatibles. Surtout, il y a trop de non dénonciation. D'incidents en cours, de pressions de parents d'élèves, de grands frères à la sortie du lycée... C'est un mal endémique qui ne concerne pas que les quartiers populaires, d'ailleurs.
Dans "la tyrannie des parents d'élèves" (Fayard) Anna Topaloff montrait très bien ces lâches soulagements dans des bahuts déjà frappés de mille maux, où l'équipe de direction préférait chercher des fonds pour des excursions et des activités sportives et musicales, que de dépenser de l'énergie à affronter ces coups de pression qu'ils jugeaient inexorables. Mais elle dénonçait aussi les bataillons d'avocats qui attaquaient les profs des lycées huppés qui avaient commis le crime de lèse majesté de mettre des notes sous la moyenne aux bambins de la haute, empêchant toute perspective de classes prépas et grandes écoles. Je ne mets pas les deux sur un pied d'égalité, je dis juste que l'école en tant qu'institution est de moins en moins protégée et respectée. Que partout, on se permet de rabaisser, de diminuer les profs, on les laisse se démerder. Résultat, le nombre de postulant.es aux concours d'enseignement chute d'année en année et je doute que le drame d'hier ne crée un boom des vocations.
Le drame d'hier est une horreur absolue, il y aura un avant et un après pour l'École, c'est certain. Pour autant, le 16 octobre n'est pas le 11 septembre. Sombrer dans une hystérie accusatrice, marteler la République, la République ! et exhiber des caricatures de Mahomet de partout, hisser les drapeaux et faire chanter la Marseillaise ne résoudra rien. Mais alors rien. Ni hystérie, ni relativisme : il n'y a rien à fouiller dans la biographie de l'assassin qui puisse justifier un tel acte. Rien à dire sur les conditions matérielles de certains territoires non plus. Rien ne peut justifier ce qui a eu lieu hier. Rien. Mais on ne peut pas instiller le poison de la présomption de culpabilité permanente sur les habitants des quartiers populaires musulmans comme le font Darmanin, Zemmour et Bouvet. Dire que le premier séparatisme est avant tout social est une réalité chiffrée incontestable qui n'absout en rien le bourreau d'hier. Avancer sur deux jambes pour résoudre la crise, regarder des deux côtés avant de foncer vers l'ennemi...
L'idée selon lequel il y aurait un continuum de radicalisation qui commence par de faux certificats d'allergie au chlore pour empêcher les petites filles d'aller à la piscine, qui déboucherait sur une volonté de ne pas se mélanger, de piquer des colères à la cantine si jamais il y a du porc qui finirait, mécaniquement, par des massacres, cette petite musique est prégnante et très sonore. Elle instille l'idée qu'on sait où regarder. Au fond, tous ces gens sont d'accord avec Steve Bannon qui répondait au rédac chef du Jyllands-Posten, premier à avoir publié les caricatures de Mahomet et cherchant à comprendre pourquoi tout ce déluge de haine avec les extrémistes religieux. Il avait raison. Bannon lui a répondu : "le problème, c'est pas l'islamisme, c'est l'islam. Sans islam, pas d'islamisme". Éradiquer l'obscurantisme ne passe pas par une guerre de civilisation.
Au lendemain des attentats, un slogan fleurissait sur les murs : "il va falloir beaucoup beaucoup d'amour". C'est toujours vrai. Il faudra aussi beaucoup beaucoup de courage pour que les profs puissent enseigner sans arrières-pensées permanentes.
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15/10/2020
Extension du domaine de la résignation
Sur France Culture mardi, Michaël Foessel rappelait fort à propos que "les nouvelles restrictions de libertés ne revenaient pas sur les anciennes, quand bien même leur utilité n'a pas été démontré. Ainsi du port du masque en extérieur, dont on sait désormais qu'il ne sert quasiment à rien et que l'on maintient pourtant, ajoutant de la tristesse à la tristesse ambiante". Je doute qu'en écoutant Macron hier il se soit désavoué, fort au contraire. Nous sédimentons des restrictions, et peu à peu, nous nous résignons à l'idée de pouvoir reconquérir nos libertés passées, quand bien même ce passé est si récent... Et ainsi donc, nous voici repartis pour six semaines de couvercle, mais comme nous avons connu la cuisson à l'étouffée du confinement total, on se dit que ça n'est pas si grave.
Aujourd'hui, je pense d'abord aux jeunes. Quand Nizan écrivait "j'ai 20 ans et je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie", on a envie de lui dire qu'il a pas connu les restrictions du Covid (bon, il a connu la guerre et il est mort d'une balle dans la tête à 35 ans, on peut considérer qu'il a payé un lourd tribut à sa liberté...). Je détesterai tellement avoir 20 ans, aujourd'hui. Personnellement, dans ma vingtaine, je n'ai pris qu'une cuite mais elle a duré de 20 à 30 ans... Pendant cette décennie comme beaucoup, je suis beaucoup sorti sans regarder l'heure (Cendrillon avait la perm' de minuit, maintenant c'est 21h, quelle lose), j'ai bu (trop) j'ai chanté (faux) et dansé (mal). Si on m'enlevait tout ça pour m'obliger à regarder du foot, les débats entre Gabriel Attal et Bruno Retailleau ou un film de Nakache et Toledano, je crois que j'aurais des envies d'implosion...
En plus de la réclusion chez ces jeunes qui vivent seul.es, qui vont dormir seul.es et trinquer sur Zoom, il y a l'extension du halo de la précarité. Nombre d'étudiant.es choisissent des jobs nocturnes pour avoir leur journée pour travailler. Restos du soir, bars, théâtres et cinémas, voilà comment ils gagnent leurs (maigres) sous. Double peine pour eux et quand la précarité grandit, comment bachoter sereinement ? Quelle guigne...
Je pense évidemment à l'autre côté du temps de la vie. Toutes celles et ceux que la société appelle pudiquement les "séniors". Elles et eux qu'on met sous cloche, dans du coton, eux à qui on rappelle matin et soir que 9 personnes sur 10 qui meurent du Covid ont leur âge. En plus d'être au courant, ils et elles sont prié.es d'attendre chez eux, de ne plus faire de plans quand tout ce qui leur reste, c'est un peu de temps, un peu de projection, la perspective d'un théâtre, d'un ciné, d'un spectacle ou d'un dîner avec leurs proches. On leur dit de s'enfermer pour leur bien et en récompense, ils auront une bûche de Noël partagée, tu parles d'un marché de dupes...
Je pense enfin à toutes celles et ceux qu'on contraint à ne pas bosser en leur promettant le chômage à 100%. Pour un gouvernement qui vante la "valeur travail" et méprise les assistés, c'est pour le moins cocasse. Je pense à mes ami.es comédien.nes, musicien.nes, saltimbanques en tous genres grâce à qui la vie est plus douce, plus belle, plus profonde. Prière de rester chez vous et de ne ressortir que pour faire vos courses de Noël et là on espère que vous cramerez à mort pour relancer le pays. Si vous ne le faites pas, au motif spécieux que vous êtes fauchés (70% de la fameuse épargne étant détenue par les 20% les plus riches, 25% des français se sont appauvris, en 2020 alors eux la bûche et la dinde aux marrons... ).
Je pense à nous tous, qui nous esquivons joyeusement. Quand ma fille, qui n'a pas encore deux ans, voit une figure connue ouvrir la porte de la maison elle lui saute au cou et lui fait un câlin. Personne ne lui a jamais appris, mais c'est autant le propre de l'homme que le rire. Alors bien sûr, protester, si c'est pour être aux côtés du fan club de Trump et Bolsonaro, des illuminati, non merci. Bien sûr qu'il n'y a aucun courage ou héroïsme à enlever son masque et aller postillonner sur les autres. Mais le débat ne se pose pas en ces termes. Hier encore, Macron disait qu'il fallait "apprendre à vivre avec le virus". Une vie qui s'arrête à 21h, ça n'est pas une vie.
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