25/11/2020
Il faut s'adapter à la taille de la laisse
En 2019, la philosophe Barbara Stiegler publiait un essai aussi passionnant que stimulant "il faut s'adapter", où elle revenait sur les fondements du néolibéralisme. L'acte fondateur de ce dernier eu lieu lors du colloque Lippmann, en 1938, lors duquel économistes et dirigeants se demandèrent quel rôle donner à l'État après la faillite du libéralisme du laisser faire, en 1929. Et ils trouvèrent ce mantra de l'adaptation permanente.
C'est toujours aux individus de s'adapter à des situations changeantes, il n'y a pas à subir, pas à réfléchir "il faut s'adapter". Invitée sur le plateau de "C Politique" dimanche, Stiegler de montrer comment cette mécanique est démultipliée avec la pandémie. Télétravail, université à distance, contrôle de nos déplacements avec attestation, avec application de traçage, nous nous adaptons en permanence pour cadrer avec la réalité quotidienne du virus.
J'ai repensé à Stiegler, hier soir, en écoutant Jupiter. Nous sommes passés d'1h et 1km par jour à 3h et 20km autorisés... Il faut s'adapter à la taille de la laisse et remercier quand on nous laisse un peu plus de mou, la possibilité d'aller pisser au parc... Quand on se prend des gifles en permanence, on en vient à remercier celui qui glisse un coussinet sur nos joues pour amortir le choc, avant de s'autoriser à penser que ça n'est pas ce genre de progrès que l'on veut dans l'idéal...
Un peu plus loin dans son discours, Macron a livré du nectar de néolibéralisme, de l'elixir de conférence TED : à toute crise, il y a une opportunité. Je crois l'avoir entendu mille fois chez des semi analphabètes sur scène nous dire "en chinois, crise veut dire à la fois "menace" et "opportunité" donc "en même temps", hein ! C'est grotesque et pourtant ça passe, car ça dessine une fin de tunnel. Macron hier de vanter "l'inventivité du télé travail, des cours à distance, de la numérisation des commerces". Voilà, adaptez vous profs et commerçants, au lieu de gueuler sur Amazon et les MOOC. La faute, c'est d'abord vous.
C'est fou, cette amnésie collective. Il y a 8 ans à peine, quand Uber débarquait en France, on psalmodiait (pas moi... jamais) les louanges de l'application "de meilleure qualité, moins cher, plus réactive que les taxis péraves, fachos et cons". Quelques années après, on voyait l'inhumanité d'une boîte qui ne paye pas d'impôts, exploite et licencie ses chauffeurs pour une mauvaise note et les embauches sans entretien et vérification des casiers, ce qui a généré un nombre sans précédent d'agressions sexuelles dans les voitures... Non, il ne fallait pas s'adapter. Pas plus qu'il ne faut adapter un exercice collectif, un cours, en suivi à distance pourri.
Ces dernières semaines, on a commencé à trouver une littérature très abondante et très unanime sur les ravages de l'enseignement à distance : décrochage massif, notamment des élèves qui ont le plus besoin de cours ; dépression des élèves comme des profs, incapacité à se concentrer, perte d'estime de soi, angoisses... Il n'y a rien à sauver, TOUT le monde admet le naufrage et le désastre. La priorité des priorités pour la jeunesse était de rouvrir les facs. En Allemagne, toutes les facs ont des aérateurs pour que les amphis puissent continuer de tourner, la concentration de population n'est pas plus grande qu'un train ou un métro. Seul point, la cantine ? Les étudiant.es sont habitué.es à manger un sandwich, c'est un faux problème... Là, on leur dit au mieux 15 jours après les restos, soit le 5 février, après le commencement du second semestre. C'est une chose de suivre une classe à distance, c'en est une autre de rencontrer une classe par écran interposé. Si Levinas était encore de ce monde, je ne crois pas qu'il adapterait ses "rencontres du visage" à "se rencontrer sur Zoom"....
J'étais déjà dans une colère sourde face à ce sermon moralisateur "on rouvrira petit à petit, mais seulement si vous êtes sages, et comme on peut pas vous faire confiance, petits sacripans, je remets un couvre feu pour que vous alliez pas dîner les uns chez les autres". Non mais le retour du couvre feu bordel !!! Et ça ne fait même pas la une, on l'intègre, on l'accepte, on plie l'échine. Bref, j'étais déjà abasourdi quand j'ai écouté le ciné-club après le film : le décryptage sur France Inter. Les mêmes rengaines aveugles, la même propagande : "beaucoup de progrès, de nouvelles libertés, mais la douche froide pour les stations de ski, on ne sait pas si elles pourront rouvrir à Noël et donc... Impossible de réserver ses vacances". (SIC).
J'ai trouvé cet exemple paradigmatique du problème : les sports d'hiver, jadis accessibles, sont devenus un luxe réservés à une infime minorité, mais dont dépendent toujours les saisonniers des pistes et les hôteliers restaurateurs des stations qui, eux, n'ont rien de privilégiés... Elles et eux ont vécu les annonces d'hier comme un nouveau coup de massue, mais la marquise de la présentation et son complice l'archiduc de la politologie n'avaient pas un mot pour ces dizaines de milliers de personnes, ils s'inquiétaient de leur chalet à Megève...
Aux étudiant.es en dépression, aux profs à bout, aux hôteliers restaurateurs oscillants entre dossier au tribunal de faillite et pensées suicidaire, aux professionnel.les de la culture plus bas que terre, aux ami.es de l'événementiel qui n'ont plus de larmes depuis longtemps, à toutes celles et ceux, si invisibilisé.es que je n'y pense même plus, réjouissez-vous : vous avez le droit au repas de Noël (mais que le 24 !) et à l'avenir, les Restos du Coeur feront sans doute du click&collect...
07:40 | Lien permanent | Commentaires (4)
24/11/2020
Macronistes & Républicains US, même combat
Le parallèle suggéré en titre n'est pas totalement vrai. Il reste pour moi inconcevable d'avoir soutenu Trump en 2016, quand je conçois (malgré moi) qu'on ait pu croire au mirage Macron, en 2017. Mais force est de constater que quelques années après leurs arrivées au pouvoir, le fait que leurs camps les soutiennent aussi fortement à de quoi consterner, voire dégoûter.
Trump a perdu la présidentielle 2020. Ça n'est pas une allégation à discuter, c'est une réalité irréfragable. Pourtant, deux semaines après que la défaite de leur champion a été consignée, achevée, consommée, nombre d'élus Républicains continuent de ne pas reconnaître publiquement la victoire de Joe Biden et soutiennent Donald Trump dans des opérations de recomptage qui virent au grotesque. Ce matin, il accepte d'entamer la transition sans reconnaître l'incontestable, abîmant chaque jour un peu plus les institutions en installant son successeur à contrecoeur... Ces élus sont prêts à toutes les compromissions, à tous les compromis, à tous les reniements, pour un mandat de plus. Et ils savent très bien que l'onction présidentielle est déterminante pour les prochaines échéances. Pour être soutenus, ils restent dans les rangs d'un menteur pathologique ; le Washington Post a comptabilisé l'ensemble de cette oeuvre et l'estime à 13 mensonges ou affirmations trompeuses par jour de mandat, soit un peu plus de 20 000 en 4 ans... Cela va de propos délirants sur les caravanes de migrants qui arrivent aux États-Unis financées par les Démocrates (l'Acmé de la campagne des Midterms de 2018) à l'injection d'eau de javel pour éradiquer le Covid, en passant par le retour au goulag fiscal si Biden passe... Malgré tout cela, ils sont restés, au lieu de quitter le bateau et de laisser Trump se noyer seul, ils ont fait pencher (irrémédiablement ?) le parti Républicain de plus en plus à droite.
Macron n'est pas Trump, la France pas les États-Unis, mais la logique de consécration de l'inacceptable est la même. Surtout, Trump 2016 et Trump 2020 sont les mêmes quand Macron 2020 aux accents autocratiques et aux relents identitaires n'a plus grand chose à voir avec le progressiste à l'américaine de 2017. Pourtant, ses troupes le soutiennent toujours...
On peut penser ce qu'on veut de Nicolas Hulot, mais lui au moins est parti sur un désaccord de fond. C'était en 2018 et ça semble si loin... Sous le quinquennat précédent, Montebourg, Hamon, Duflot ou encore Taubira sont partis sur des désaccords de fond, ont exprimé leur ras le bol quand l'inacceptable (le CICE, l'encadrement des loyers, les roms ou la proposition de loi de déchéance de nationalité) était prononcé. On a beaucoup moqué les frondeurs quand ils étaient au contraire le signe que la démocratie parlementaire vivait encore. Des dizaines de députés qui rappelaient Hollande et Valls à leurs engagements. Sans succès, en raison de la mécanique institutionnel, mais au moins ont ils tenté.
Macron s'est construit en anti Hollande, il veut à tout prix éviter d'avoir ce genre d'oppositions. Et alors qu'il trahi de manière démentielle ses engagements de campagne 2017, il arrive à cadenasser, à maîtriser. Bien sûr, il y a de la perte en ligne, Villani et Fortezza ont emmené quelques députés dans leurs campagne, Orphelin et consorts, mais à peine de quoi faire un groupe, à peine 15 francs tireurs quand ils devraient être cent.
On nous a vendu Blanquer comme un technocrate moderne et anti politique. En réalité, il magouille comme Pasqua et montre son ultra idéologie avec une scolarisation à 3 ans comme un abandon des REP qui sont du pain béni pour les établissements catholiques privés des communes rurales qui récupèrent des subsides comme jamais. On nous a vendu Schiappa comme "la société civile pro communautariste à l'américaine" et la voilà en nouvelle égérie du Printemps Républicain ne mouftant pas au propos de Darmanin. Virage à 180° parfaitement analysé par Médiapart la semaine dernière. Combien de départs face à ces reniements ? Aucun.
Nous sommes piégés par les étiquettes. Macron est techniquement issu du PS, a des alliés au MODEM et quelques transfuges de LR. Cela pousse nombre de commentateurs a en faire une force centrale, et à dire que plus à droite, il y a LR et le RN. C'est une folie... Les actes de ce gouvernement, en 2020, sont infiniment plus à droite que tout ce que proposait le programme de Fillon, en 2017 et il y a match avec le Pen...
Dans les mots, d'ailleurs, les masques sont tombés et le champ lexical de la macronie est d'ultra-droite : "islamo-gauchistes", employés à foison par Blanquer, Schiappa, Darmanin et consorts est un terme de la fachosphère. Ajoutez "l'ultra gauche" (pour parler de Libération, hein, pas d'un nouveau Tarnac), ajoutez "la déferlante migratoire", et vous avez un lexique fascisant recyclé, propret, dans les bouches de notre exécutif. Le minimum de décence, face à ce reniement inouï, serait de démissionner... Ils ne le font pas, les ministres comme les députés s'accrochent comme des berniques au rocher et comme aux US, cette obstination sidérante fait pencher le débat à droite toute.
06:58 | Lien permanent | Commentaires (12)
22/11/2020
Résignation corruptrice ?
En janvier 2017, Emmanuel Macron qui peinait à décoller dans une campagne présidentielle terne dut son envol au classique des classiques en politique : la lutte contre la corruption. Fillon englué dans l'emploi fictif de sa femme, Le Pen gênée par ses assistants parlementaires européens et son financement russe, Macron enfilait les habits du chevalier blanc. Lui Président, il mettrait en place une République irréprochable, foin de népotisme, de cumuls indus, de renvoi d'ascenseurs et autres pratiques vérolées.
Nous sortions d'un quinquennat Hollande riche en abus (Cahuzac, Thevenoud, Benguigui, Arif, Bruno le Roux, j'en oublie forcément des dizaines...) incitant le PS au profil bas, même après cinq ans de Sarkozy riches en crapuleries (Guéant, Joyandet, Dati, Woerth, Tron, Blanc et surtout Sarko lui même, une douzaine de fois), Macron eut le beau rôle... Trois semaines.
Dès le début de son quinquennat, Macron donna le signe qu'il allait laisser Sarkozy et Hollande des années lumières derrière lui en nommant au sein de son gouvernement des membres du MODEM empêtrés dans des histoires de financement troubles de leurs assistants parlementaires. Exit Bayrou, Sarnez et Goulard. Il maintenait, en revanche sa confiance, à Ferrand à la tête de l'Assemblée Nationale alors qu'il avait sur le dos une affaire lourde comme une armoire bretonne...
3 ans après, il ne s'est pas passé un mois sans qu'un scandale de corruption n'éclate. Certains ont abouti à des démissions, comme Rugy et ses homards, Laura Flessel et sa fraude fisclae, ou encore Jean-Paul Delevoye et ses 12 mandats non déclarés à la HATVP dont des conflits d'intérêts gigantesques avec la réforme des retraites qu'il devait mener. Ceux là sont graves, mais au moins, il y a démission, on est dans un fonctionnement normal. Ce qui n'est pas sain est sanctionné
Ceux qui m'intéressent plus sont les cas qui montrent le mépris forcené que Macron entretient avec ces délits. Pour l'ancien banquier d'affaires, où le trafic d'influence se rencontre au quotidien (rappelons que son fait d'armes, chez Rothschild, est une fusion entre Pfizer et Nestlé... yummy), les histoires de gros sous relèvent de la compétence, donc pas de problème. Le cas le plus emblématique fut, l'an dernier, son choix de commissaire européen. Il a poussé la candidature de Sylvie Goulard. Celle là même qui fut évincée à cause des assistants parlementaires. Sortie par la porte, elle revenait par la fenêtre et Macron la défendait vaille que vaille, avant de devoir céder car sa candidature était retoquée (notamment car elle avait perçu 10 000 euros mensuels de l'Institut Berggruen, pro américain). Macron fut furax et ne trouva mieux pour la remplacer que Thierry Breton, patron d'Atos, à la manoeuvre pour la privatisation des autoroutes et président de la Fondation LVMH. On s'étrangle. Pour ne pas désavouer deux fois la France, les membres de la commission laissèrent passer mais chez Anticor, on se pince.
Il y a pire, il y a le recyclage. Bayrou out en 2017 pour les assistants, revient au Commissariat au Plan en 2020. Astuce "il n'est pas à l'organigramme du gouvernement et ne rapporte qu'au Président". Navrant. Ça tombe bien, à l'Elysée, il peut désormais causer avec le nouveau conseiller politique de Macron, Thierry Solère, mis en examen dans plusieurs affaires pour, excusez du peu, "fraude fiscale, trafic d'influence passif et détournement de fonds publics"... En novembre 2020, là, maintenant, son choix pour le conseiller politiquement se porte sur un type plus faisandé que 99,9% des élus du pays. On a échappé à Balkany. Son plus proche collaborateur à l'Elysée, Alexis Kholer a lui aussi une épée de Damoclès judiciaire sur la tête avec des conflits d'intérêts gigantesques. Et puis récemment, l'Élysée à fait pression sur le Drian pour obtenir une lettre mouillant le Quai d'Orsay tout ça pour que Bernard Arnault puisse racheter Tiffany 500 millions d'euros moins cher. Et pourtant, ça passe.
Comme sont passées, cet été, les excuses d'Olivier Dussopt, ministre de la fonction publique chez qui les pandores ont retrouvés deux lithographies de Garrouste valant plusieurs milliers d'euros, offertes par la SAUR (un concurrent de Veolia) après que Dusspot, alors maire, leur avait filé le marché de l'eau locale et augmenté la douloureuse pour les habitants de 77%. Dussopt avait reconnu, il a plaidé l'ignorance et s'en est tiré. C'est toujours notre ministre.
Cette semaine, Transparency International note que deux pays s'opposent à un projet de loi européen pour l'encadrement des lobbys : la Hongrie et... la France bien sûr ! Nous sommes complètement anesthésiés, complètement habitués à ces pratiques qui ne révulsent pas nos dirigeants actuels, au contraire, ils se demandent pourquoi on les emmerde avec ça.
Nous n'avons pas encore touché le fond, ça, ça sera fait si Blanquer reste en place. Dans n'importe quelle démocratie digne de ce nom, il serait parti de lui même avant qu'on lui demande. Des méthodes de barbouze RPR des années 80 : noyauter un syndicat étudiant fantoche pour faire écran de fumée à des réformes moisies... On remplace juste les happenings en AG et les mallettes de billets par des tweets et un virement du ministère de l'éducation nationale, mais tout est là. 60 000 euros versés avec l'intention de nuire, des preuves en pagaille qu'ils ont noyauté, qu'ils connaissaient les dérives financières de ces petits cons... Et Blanquer est toujours là. J'imagine qu'il compte sur la haine suscitée par Darmanin pour échapper à l'infamie. Pour le pays, pour le débat, pour les enfants et les parents, il faudrait évidemment qu'il démissionne, qu'il s'excuse et qu'il disparaisse. Je doute qu'il le fasse et ça ne peut que renforcer le camp du Tous Pourris, qui va de Marine le Pen au Général de Villiers, le Baron Noir qui monte qui monte qui monte...
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