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03/06/2020

Crever l'abcès

La France n'est pas les États-Unis. Là-bas, la violence y est endémique bien au delà de la police :  30 000 morts par balles par an au pays de la NRA, moins de 1 000 chez nous. Cinq fois plus à population constante. Pour les violences policières, l'écart est encore plus vertigineux ; les Pandores Yankees tuant plus de 4 000 personnes chaque année, quand selon l'Observatoire des Libertés Publiques (indépendant), la police française a assassiné entre 500 et 1000 personnes en 40 ans. 10 à 15 par an. Le rapport à la violence, à la mort, ne peut être mis sur un strict plan d'égalité. Pour autant, la mort d'Adama Traoré diffère-t-elle de celle de George Floyd ? A l'évidence, non. Le déni orchestré, concerté, des assassinats policiers, l'euphémisation des violences, tout cela fait croître un abcès désormais proche d'être hors de contrôle.

En 1986, quand Malek Oussekine était tué par la police de Pasqua, son secrétaire d'État à la sécurité, Robert Pandraud, avait parlé comme Castaner aujourd'hui :  La mort d'un jeune homme est toujours regrettable, mais je suis père de famille, et si j'avais un fils sous dialyse je l'empêcherais de faire le con dans la nuit. Le corps policier, déjà, se défendait et avec succès, en justice, évitant l'incarcération aux flics qui furent tout de même condamnés et sanctionnés professionnellement. Le corps social, en revanche, condamnait unanimement, prenait unanimement la défense des jeunes en général et d'Oussekine en particulier. Devaquet retirait son projet de loi et démissionnait. Pasqua baissait d'un ton. Nous n'avons jamais retrouvé cette dignité après un drame. Chaque fois, nous faisons un pas vers les flics. Nous avançons à tâtons, par à coups, mais toujours dans la même direction, celle de l'excuse des violences policières. Une exception, tout de même, quand Debré donna l'ordre d'attaquer l'église St Bernard à la hache. Mais sinon ? La mort de Zyed et Bouna, tellement terrorisés par ceux qui les pourchassaient qu'ils périrent dans un transformateur électrique... Leur faute, fini par trancher le tribunal médiatique, lassé des nuits de révoltes à répétition qu'ils grimèrent en "émeutes" comme procès en illégitimité. 

La mort de Rémi Fraisse ? Non lieu pour les lanceurs de grenade. L'acceptation du sang se répand d'autant plus vite que nous sommes entrés, depuis 2015, dans un État d'urgence permanent qui donne toujours des prétextes foireux au moins avouables des contrôles préventifs, des arrestations arbitraires, des espionnages indus. Depuis la transformation de ce dispositif exceptionnel en abus permanent, les premières victimes sont des militants politiques. Écologistes, zadistes, lanceurs d'alerte, protecteurs des migrants, tous sont victimes de violences et d'intrusions policières dans des proportions qui dépassent l'entendement. Et les responsables politiques laissent faire et encouragent. Il y a une extension du blanc seing aux exactions policières. Nous acceptons globalement que la police déconne car on nous dit que cela préviendra de tout risque de nouvel attentat.

Parmi les dérives policières, la dérive raciste est sans doute la plus patente. Contrairement aux États-Unis, il n'y a pas de statistique ethnique, chez nous. Débat vieux comme la seconde guerre, donc laissons Godwin profiter de la réouverture des terrasses et continuons sans lui. Le Conseil de l'Europe, Amnesty International et le Défenseur des Droits, pour ne rester que sur des organisations non partisanes, parlent de discrimination systémique des policiers français. Voile pudique de nos gouvernants. Contrôle au faciès, arrestations arbitraires, les inégalités d'abus sont légion et pas seulement étrangère. Le confinement a exacerbé ces inégalités avec des habitants de Seine Saint-Denis victimes d'amende en nombre bien plus importants que les autres franciliens. Il y a des blancs en Seine Saint-Denis. Étaient-ce eux que l'on contrôlait systématiquement ? Mystère et boule de mauvaise foi...

55% des flics de France votent pour le Rassemblement National. 55%. Plus du double de la proportion de la population française. Un sondage peut se planter, évidemment, mais quand, étude après étude, de cabinets différents, d'organismes différents, de chercheurs différents (on pense aux travaux de Fabien Jobard, par exemple), on retombe sur les mêmes proportions, le doute n'est plus permis.

L'abcès des violences policières grossit comme un Moloch qui détruit peu à peu le corps social, qui ruine notre unité. Il est pourtant loin d'être invulnérable. Il suffirait d'appeler un chat un chat et un meurtre policier un meurtre policier pour que les choses s'apaisent un peu. Cela ne ramènera pas une situation juste, demain, mais amorcerait un changement de cap à 180°. La police à des droits, bien sûr, mais aussi des devoirs faute de quoi nous sommes, irrémédiablement, dans un état policier. 

31/05/2020

L'assaut final, terrassons cette crise !

Par un malicieux clin d'oeil à Jacques Lacan, la survie de ce qui fait l'essence du pays - les bars et les restos - passera donc par l'extension de leurs terrasses. Lacan ajouterait qu'il faudra faire preuve de convivialité car ça n'est pas seul qu'on descend les bouteilles, mais ensemble qu'on les co-vident. 

Mardi, les bistrots vont rouvrir pour la plus grande joie de toutes et tous, mais il ne faut pas se mentir, ils sont en guerre. Économiquement, aucun secteur n'a été autant touché. Le 14 mars à 20h, les restaurateurs apprenaient leur fermeture pour minuit. 15 000 euros de produits frais perdus, donnés aux banques alimentaires pour la nourriture et même jetées pour les fûts de bières... Jeté dans aucun gosier, des images plus insoutenables que Manuel Valls face à son téléphone lors d'un remaniement ministériel. 15 000 euros perdus, des assureurs aux abonnés absents et une réouverture fortement entravée, la faillite est proche pour beaucoup beaucoup de ces établissements. On parle, pour une écrasante majorité, de TPE sur la brèche, loin des chaînes comme Starbucks ou McDo qui harcèlent et fliquent leurs salarié.e.s et fraudent le fisc. On parle d'échoppes familiales, d'affaires de potes, de "projet de vie" pour employer une expression qui paraît désuète face au cynisme de la start-up nation, mais qui correspond à une réalité sociologique. C'est dans ce secteur que l'on retrouve des "maisons" présentes depuis des décennies, voire des générations (salut à toi, Chartier), où les taulier.e.s sont immuables. Avouez que dans un monde du travail où votre conseiller.e bancaire change tous les 18 mois, comme votre assureur, la personne à l'accueil de votre club de sport... Un peu de stabilité ne gâche rien. Sans repère, le monde se vide.

La vieille Europe est une vieille Europe des cafés, le monde entier vient ici pour cela. Aux États-Unis, vous vous rappelez sans doute de sympathiques fêtes privées, dans des jardins, autour d'un barbecue. En Europe, vous vous souvenez vaguement d'être rentré.e.s en titubant sur une piazza toscane, d'avoir déambulé de guingois dans des rues espagnoles et évidemment de vous être entraîné pour le marathon Blondin, en France, où l'on remplace les 42 kilomètres par 42 bistrots, avec un verre dans chaque. Inutile de dire que contrairement à l'épreuve joggante, celle buvante à un taux de finisseur.euse.s très faible.... Le grand auteur n'était pas myope, mais avouait ne pas pouvoir se passer des "verres de contact" et il ne les éclusait pas chez lui. Récemment, France 2 a rediffusé "un singe en hiver" où Gabin et Belmondo se mettent une muflée homérique, pendant 48h. Une cuite qui changera leur vie, dans le bon sens. Les soirées où l'on ne se souvient pas de tout sont pourtant les plus mémorables....

Mardi, les terrasses rouvriront et il y aura peu de places. Dans cette guerre, le sabotage sera ce petit café siroté pendant 2H. Ca n'est pas illégal, mais pas solidaire : 2 euros de chiffre pour 2h de présence, c'est la mort annoncé des échoppes. Le temps est venu d'être solidaires avec les bistrotiers. Muriel Pénicaud incite les français à sortir et consommer. Ha ? Consommer quoi ? Des produits superfétatoires, des emballages superflus, des gadgets pour armoires déjà trop pleines ?  Nous avons deux fois plus de vêtements que dans les années 80, la priorité ne peut être celle là... Les gadgets technologiques à l'obsolescence annoncée avant de sortir ? Itou. Aller en terrasse, c'est soutenir ce qui fait le sel de la vie, c'est retrouver des moments rares avec celles et ceux qu'on aime, c'est faire gonfler notre compte épargne souvenirs, celui qu'on ouvre en fin de vie en se disant qu'on peut partir tranquille. 

Nous sommes en guerre, il faut choisir ses résistant.e.s, une bande façon affiche rouge, rosé et blanc, sans oublier l'orange Spritz. J'ai nombre de gars sûrs à qui je ne demanderais même pas si on reprend la même, nombre de copines qui, sans en avoir l'air, garde toujours les pieds des mouettes au sec. Tous ces paris que l'on a fait avant les municipales, il faut en honorer les dettes avec rab de conso. Par charité, je ne donnerai pas les noms, mais mon ami qui m'a juré que jamais Hidalgo ne serait maire et celui qui m'avançait que Benjamin Griveaux serait le futur locataire de l'hôtel de ville peuvent raquer sans attendre le 28 juin, car ça urge. Les fonds sont bas. Alors dès le 2 juin, lançons-nous tous dans la plus délectable et joyeuse des batailles et trinquons d'un ironique "santé" jusqu'à la fermeture. 

25/05/2020

Griveaux / Dussopt, le monde à l'envers

Une semaine déjà que Médiapart a sorti un article sur Olivier Dusspot, exempt de tout conditionnel, avec aveux du forfait par le ministre en exercice. Aucune reprise média, aucune réaction politique même, cela ressemble à un enterrement en temps de Covid, à l'abri des regards. 

Il y a trois mois seulement, Benjamin Griveaux se retirait de la course à la mairie de Paris moins de 24h après des révélations sur une vidéo sans doute dispensable, mais en rien illégale. 

Nous ferions bien de méditer ce monde à l'envers, cette morale mal placée. Eu égard au sujet de la vidéo de M. Griveaux, je n'ose dire que nous sommes dans le deux poids, deux mesures, ce d'autant que je ne dispose d'aucune information à ce sujet concernant M. Dusspopt...

Plus sérieusement, les faits sont accablants : deux lithographies de Garrouste, un des artistes français les plus prisés, offert par le dirigeant de la SAUR, après que celui-ci a gagné le marché de l'eau locale. La SAUR reconnaît, Dussopt concède "une maladresse" pour des faits qui remontent à il y a 10 ans... Ce garçon a la reconnaissance tardive... Suite au marché, le prix de l'eau avait explosé pour les administrés, +77%. Socialiser les dépenses, privatiser les toiles. Pour se défendre, les accusés avancent que ces lithographies valent "2 500 euros" et personne n'y trouve rien à redire. C'est acceptable, 2 500 euros, un peu mesquin ! Et personne ne songe à vérifier en interrogeant quelques experts, quelques commissaires priseurs sérieux, on parle d'un ministre en exercice, cela en vaut la peine !

Nous sommes sur une affaire Guéant inversé : pour maquiller un virement de 500 000 euros son compte, l'ex ministre de l'intérieur avait dit que cela provenait de la vente de deux toiles de maître hollandais, en réalité évaluées à 20 000 euros maximum... Un rapport de 1 à 25. Ca vaudrait la peine de vérifier pour Dussopt, parce que 1 200 euros pour une lithographie de Garrouste, artiste ultra prisé, mécéné et lui même mécène, reconnu en France et à l'étranger, je tousse un peu. Ca prendrait quelques heures d'avoir une vérification sérieuse : si les toiles valent 50 000 euros, nous sommes tout de même en présence d'une corruption très importante. 

Lors de ces trois années aux affaires, Griveaux aurait dû être emmerdé sur son rôle dans l'opposition au moratoire contre l'extension des centres commerciaux, décision entachée par un gigantesque conflit d'intérêts avec ses dernières fonctions exercées avant 2017, directeur du lobbying d'Unibail Rodamco. Ça n'intéressait personne et ce genre d'infraction aurait pu continuer des années. Il est tombé d'un coup, et sans doute pour toujours, pour avoir eu une attitude puérile en diable et être tombé sur des aigrefins numériques qui aiment à se faire passer pour Robin des Bois. Je comprends qu'on se moque de lui, qu'on le vanne, qu'une telle séquence puisse entamer sa crédibilité publique, mais cela mérite 1000 fois moins la fin de sa carrière publique que ses hors jeu répétés en fonction des bétoneurs.

Selon toute vraisemblance, après les municipales, un remaniement aura lieu. Si Olivier Dusspot figure toujours au gouvernement, nous pourrons nous dire que nous avons atteint le pire selon Charles Péguy. Que nous nous serons habitués à la corruption endémique. Je laisse le mot de la fin à l'auteur : "le pire, c'est d'avoir une âme endurcie par l'habitudeSur une âme habituée, la grâce ne peut rienElle glisse sur elle comme l'eau sur un tissu huileux... Les honnêtes gens ne mouillent pas à la grâce" .