29/04/2020
La si difficile convergence des buts
J'ai eu longuement ma soeur en colère au téléphone aujourd'hui. "Ma soeur" et "colère" sont des termes que vous entendrez à peu près aussi souvent associés que "Patrick Balkany" et "probité". Oui, mais voilà, ma soeur est instit en petite section de maternelle et on lui demande de faire son retour en classe dans des conditions qui auraient alléché Jarry, car la suite d'Ubu était toute écrite... Passe sur le nombre, personne ne sait combien de mômes il y aura en cours. Le hic, c'est que le rectorat et l'inspectrice exigent explicitement que les enfants ne bougent pas de leurs tables toute la journée. 4 ans. 6h sur place. Tous les jours. Je pense que même Villani ne pourrait résoudre l'équation...
Et la colère sororale fut toute d'un bloc, toute d'un monologue soulignant la si difficile convergence des buts. Car impossible de faire cours dans ces conditions, pas comme ça. Pas tant pour des raisons sanitaires que d'exercice du métier. Si certains en doutaient, rappelons que personne n'entre à l'Éducation Nationale pour faire fortune. Plutôt car on aime son métier. Et qu'on aime bien le faire. Et que là ça ne sera pas le cas. Et que ça mine.
Elle sait tout ça, mais en même temps, elle sait que le droit de retrait, la non réouverture n'est pas une option. Pour les mômes étouffé.e.s chez eux, pour les parents étouffé.e.s par les mômes. Pour les commerces, les échoppes, les boutiques, étouffés par l'absence des parents étouffés par les mômes... Tout le monde peut exiger un droit des retraits face à un virus. Et si les logisticienn.e.s, les chauffeur.e.s routiers, les caissier.e.s et autres l'avaient fait, nous aurions l'air finaud depuis six semaines à manger les couvertures de nos livres ou à faire chauffer les jaquettes des DVD...
Face au bordel, va falloir rester solidaires, que celles et ceux qui peuvent éviter le métro ne le bondent pas, pour laisser les places et fassent du vélo. Que celles et ceux qui télétravaillent avec leurs mômes à côté sans souci pour raison de place et de calme les garde encore pour permettre à celles et ceux qui n'ont pas ce luxe de pouvoir avoir un répit grâce à l'école... Le confinement exacerbe les inégalités, ça a été suffisamment souligné. Il faudra voir plus loin que son cas pour apaiser un maximum de personnes.
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28/04/2020
Tout le monde n’a pas la chance de mourir d'une balle dans la nuque
Pour ceux qui ne se réjouiraient pas de cette issue, on peut proposer le crash d'une voiture contre un platane ou encore le décès en milieu de Méditerranée sur un canot orange avec 150 autres rescapés. Dans tous ces cas, l'origine de la mort ne fait aucun doute. Et vous serez rangés dans les boîtes d'assassinats, d'accidents ou de noyades par les autorités compétentes. Quand bien même vous auriez aussi été porteur d'une tumeur cérébrale grave qui vous condamnait à l'échéance de quelques semaines, peu importe. Et c'est bien normal. Des morts nettes, une comptabilité sans bavure. Voilà ce qu'on aime : pouvoir ranger des morts dans des cases.
Hélas hélas hélas, dans les vies capricieuses qui sont les nôtres, il arrive souvent que l'on ne sache pas de quoi on meurt. C'est très ennuyeux car nous sommes dotés de machines d'une puissance de calcul inimaginable capables de savoir combien il faut de feuilles A4 mises bout à bout pour relier la terre à la lune ou combien de petit pois on peut mettre dans un cratère d'obus, mais qui est mort de quoi, on ne sait pas toujours. Ballot.
Peut-être parce qu'ils ont voulu oublier cette vérité éternelle, ceux qui rapportent le nombre de morts du COVID sans mettre des guillemets, des doutes sur leur décompte sont d'une malhonnêteté insigne. Je vois bien l'intérêt qu'ils ont à faire ça, à légitimer la vie en mode Daisy Town, à hurler à la terreur ; 23 000 morts ! Rien que de lire le chiffre, on est pétrifiés. En quelques semaines, seulement, quelle angoisse ! Tout est à l'avenant "les morts en réanimation sont pires que prévus", "de nouvelles formes graves, sévères apparaissent". Tout cela est vrai. Mais le Covid est une toile de Signac et il faut prendre du recul au lieu de regarder les 2 ou 3 points qu'on nous montre sans cesse et qui ne disent pas tout de cette maladie.
Tout les soirs, on annonce le nombre de guéris. Un nombre faible, très faible, car on annonce les guéris sortis d'hospitalisations. On nous parle de 45 000 guérisons pour 23 000 morts. Je comprends que ça foute les chocottes. 2 pour 1, pas bézef. Mais les mêmes nous disent en susurrant que 4 millions de personnes en France ont contracté le Covid. Le nombre de guéris est donc en réalité de 3 977 000 personnes. Ça rassurerait, mais on ne le dit jamais. Encore une fois, prenons le Charles de Gaulle, 1046 positifs, 4 hospitalisations. On compte 0 morts et 4 guéris quand on devrait dire 1046. Un ratio de 1 à 250, mais à part ça il n'y a aucun récit de panique ! Pour l'instant, 99,5% des gens qui ont contracté le Covid ont survécu et parmi les cas les plus sévères nécessitant hospitalisations, 16% sont décédés, c'est quand même pas la même histoire...
Quant aux morts. Le décompte est celui de Tchernobyl, quelque chose comme "ils ont été irradié par le Covid et morts foudroyés". Ha ? Presque la moitié des morts sont morts en EHPAD. Je ne sais pas si vous avez déjà visité des EHPAD, mais moi, hélas, un certain nombre. Un peu pour le boulot, un peu par aléas de l'existence. Le Covid n'est pas le seul meurtrier dans ces lieux. Dans les années 80, on y restait environ 2 ans et demi avant d'en sortir, direction cimetière. Pour tout un tas de raison (coût très élevé, envie des personnes âgées de rester chez elles ou des familles de ne pas les envoyer), cette durée est tombée à peu près à un an. Un an. À ce stade de fragilité, une sale bronchite peut vous tuer. La grippe saisonnière aussi. Une chute. Le Covid étant plus agressif que tous les cas précités, il fait plus de ravages, mais chez des personnes qui de toutes façons, avaient, biologiquement, "fait leur temps".
Encore une fois, quand j'écris ça, ça n'est pas de la sécheresse de coeur. Si Manuel Valls aime l'entreprise, j'aime les vieux, figurez vous. J'en ai dans mon entourage qui me sont très chers et j'ai peur qu'ils défuntent du Covid. Car ça serait une mort foudroyante, sans pouvoir dire au revoir à celles et ceux que vous aimez, sans que les mêmes puissent tous venir aux funérailles. Je sais tout cela, je ne minimise nullement et d'ailleurs j'incite ces personnes à la plus grande prudence. Mais si elles et ils veulent sortir, ils et elles ont le droit de prendre le risque.
Au-delà des EHPAD, nombre de personnes très fragiles avec des pathologies associées, décèdent. Faites un peu parler les gériatres que diable ! Il y a des vieux qui meurent dans leur sommeil, mais beaucoup meurent de viellerie sans qu'on sache laquelle des saloperies qu'ils avaient les aura emporté. Comme écrivait très justement Pierre Sansot "les vieux, ça ne devrait jamais devenir vieux". Le Covid joue comme une faucheuse et abrège les souffrances, certes. Mais si on veut être honnêtes il faudra voir en 2021 la mortalité totale pour voir si le raz de marée chez les plus fragiles est là, ou si le Covid a "juste" ôté quelques mois d'espérance de vie aux plus fragiles. Encore une fois, je ne minimise pas, mais ce sont des réalités médicales infiniment plus nuancées que les récits qui sont faits où on l'impression que l'armée des morts face à Arya Stark et Jon Snow de l'hôpital...
La peur est mauvaise conseillère dit-on. En l'occurence, elle nous invite à la tétanie, à l'immobilisation, à la distanciation de toute chose. A vivre sous bulle. Si on prend les recommandations sanitaires à la lettre, il ne faut plus jamais aller chez le coiffeur, se faire masser ou masser quelqu'un, ne pas ramasser un enfant qui tombe dans la rue sans gants...
Quand Damasio, quand les militant.e.s écologistes rappellent qu'on meurt beaucoup plus de la pollution, de cancers environnementaux et autres que du Covid, ils ne "mélangent pas des choux et des carottes" ils rappellent seulement que nous sommes fragiles et qu'il faut trouver un degré raisonnable de protection. Tout le monde n'ira pas vivre dans des endroits déserts pour échapper à la pollution, aux plastiques, mais on peut construire, par des normes, des pratiques, des actions, un monde moins dangereux à cet égard. Mais vivre !
A toutes celles et ceux qui veulent prolonger le confinement sans fin, je recommande "l'enfant bulle" un film de 76 avec Travolta sur le cas rare d'un de ces enfants né sans aucune défense immunitaire et vivant dans un environnement stérile car le moindre virus le tuerait. C'est une histoire atroce et on voit bien que le môme trouve que c'est d'une injustice folle. Nous ne sommes pas, fort heureusement, dans ce cas. Le genre humain ne va disparaître à cause du Covid, mais l'humanité faite de relations, d'empathie, de contacts, de confiance à l'avenir, elle est clairement menacée.
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26/04/2020
Des chiffres et des actes
Je vire monolithique, j'assume, mais la question qui m'obsède est simple : pourquoi ces chiffres là, ces morts-ci, ont ils soudainement arrêté presque toute la planète ? On peut se féliciter que notre tolérance à la mort diminue et plus la médecine progresse, plus l'exaspération devant ce qu'on ne peut soigner s'accroît. Ok. La plus grande victoire de l'histoire de l'humanité, c'est évidemment la diminution sans précédent de la mortalité infantile. Au XIXème, quand tout le monde perdait 1 ou 2 enfants sur les 8 de sa lignée, on était habitués. Ca restait triste, évidemment, mais accepté. Aujourd'hui, la mortalité infantile est stabilisée depuis dix ans à 3,7 pour 1000 enfants de moins d'un an, en France et chacun de ces cas est un drame. Evidemment. Au point parfois de se retourner en justice contre l'hôpital...
Père d'une jeune enfant, je vois bien qu'il n'y a rien de précieux, de plus angoissant, que la vie d'un enfant. Que celui qui n'a pas failli faire un AVC parce qu'il n'entendait pas son enfant respirer me jette la première pierre.... Et je comprends qu'on ait beaucoup investi pour éviter ces morts, c'en est miraculeux. Mais justement, si on peut se mettre d'accord là dessus, et je pense qu'on peut, alors nous devrions être en guerre nucléaire contre le paludisme qui tue chaque année 450 000 personnes. 450 000 personnes que l'on pourrait en grande partie préserver, en envoyant tout le matériel de pointe, en donnant des moustiquaires, en agissant en amont pour éviter les eaux stagnantes où les moustiques pullulent et surtout en coordonnant des efforts en amont pour produire des vaccins. Dans la lutte contre la Covid, toutes les initiatives sont les bienvenues. Contre le palu, seul Big Pharma à le droit de citer, La Fondation Gates (actionnaire majo chez Gllaxosmithkline) investissant massivement pour désavouer les publications en faveur de l'artemisia et faisant pression sur l'OMS pour que cette plante soit discréditée. On pourrait donc faire beaucoup mieux et pour de basses raisons de concurrence économique, on ne le fait pas. Pourtant on parle de 450 000 personnes par an, dans leur écrasante majorité des enfants, et pour 93% des victimes, des africains. Je n'ose évidemment croire qu'il y aurait un lien de cause à effet puisqu'on me serine que toutes les vies se valent et qu'on doit essayer de tout sauver, tout le temps. Les 450 000, donc, une idée ? Ne me dites quand même pas que ça serait au motif que ce sont des bébés africains ? ...
Evidemment, non. La réponse de la rationalité épidémiologique ne tient pas. On ne s'arrête pas de vivre à cause du nombre de morts où de la saturation des systèmes hospitaliers. On s'arrête de vivre parce qu'on s'auto-alimente dans un hubris très mal placé selon lequel on pourrait anihiler le Covid, comme ça, d'un coup. La manière dont on parle des morts est, de ce point de vue, insane et dangereuse tant elle nous auto-alimente dans la claustration. On a l'impression que ces centaines de morts quotidiens pourraient tous être annulés, qu'on pourrait les faire disparaître et on instille dans la tête de chacune et chacun une espèce de thermomètre personnel de responsabilité.
Rester chez soi sans bouger un orteil ou aller bosser par obligation = citoyen.ne modèle. Sortir avec un masque et autorisation = circulez, vite. Sortir à plus d'un km de chez soi sans autorisation = terroriste bactériologique... C'est cette logique là qui nous monte les uns les autres et nous rend fous. Cette logique qui nous fait hurler sur la moindre ouverture, de coiffeurs, de kiné, de fleuriste... On en vient à dire que toutes celles et ceux qui vivent sont suspects, nonobstant la prudence. Et alors, les superlatifs pullulent en dépit de toute raison. Le Brésil, par exemple, est un pays qui déconne franchement, ils ont viré leur ministre de la santé parce que ce dernier prônait la distanciation sociale, ils maintiennent des rassemblements pour faire plaisir aux évangélistes même Moro le juge anti Lula a foutu le camp, écoeuré par la gestion amateure de Bolsonaro. C'est inconséquent, sans doute, criminel, aussi. Mais les mots employés dans les articles du Monde qui parle de "barbarie", ça va pas non ? 4 000 morts selon le Brésil, admettons que ça soit le double, que sais-je le triple, 15 000 morts sur un pays de 200 millions d'habitants, sans terroriser les familles autour, sans détruire le pays, "barbarie". Le Yemen vient d'avoir la pire catastrophe humanitaire, 100 000 morts, des millions de gosses dénutris, des villes rasées, sans parler de la Syrie et là, quoi alors ? Il faut reprendre un peu de raison, on vit une pandémie on traverse une catastrophe sanitaire comme il y a des catastrophes naturelles. Pas plus qu'on ne va arrêter un ouragan avec les mains (seul Chuck Norris le pourrait) on ne pourra bloquer un virus qui circule dans l'air. Faut quand même revenir à ce principe un jour ou l'autre.
Autour de nous, on connaît tous des gens qui ont fait très gaffe et qui l'ont chopé en allant faire les courses. C'est un virus, il circule, nous ne pouvons pas l'arrêter, seulement le limiter au maximum. Un jour viendra le traitement, peut être le vaccin (les précédents sur les autres coronavirus rendent peu optimiste), en attendant, mieux vaut arrêter de se faire un ulcère à épier toutes les brèves, tous les faits divers de personnes en pleine forme fauchées par le virus.
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