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16/05/2020

Qu'on s'épargne l'envie

D'ordinaire, des sept pêchés capitaux, l'avarice est celui qui me répugne le plus. Et plus encore, les avaricieux qui se griment en samaritains en donnant un peu à une église en flammes après avoir détourné beaucoup beaucoup beaucoup beaucoup plus du bien commun... Actuellement, je crois que j'ai l'envie encore plus en horreur.

L'envie de son prochain qui essaye juste de vivre, de profiter de l'existence et de ne pas prolonger la période de claustration imposée par une longue pénitence faite de flagellations quotidiennes avec application hydroalcoolique sur les zones touchées, de génuflexion en terre décontaminée et de confessions derrière hygiaphone pour expier ses pêchés de dénonciation.... 

Pendant le confinement, l'envie débordait de temps en temps. Mais une envie acceptable, faite de revanche de classe où tout le monde pouvait dire aux grands bourgeois à manoir de baisser d'un ton sur leur zénitude confinée. Légitime. Mais il y avait aussi de l'envie à celles et ceux qui ne donnaient pas de leçon de sérénité, n'appelaient même pas à goûter la joie simple de relire Sénèque sur un transat, dans leur mas du Luberon. Non, "juste" ceux qui vivaient au grand air, goûtaient  la possibilité de boire des coups avec des voisins ou d'autres avec qui ils partageaient cette période plus ennuyeuse que le Grand Meaulnes. Depuis le déconfinement, cette envie ruisselle de partout, les envieux écument de rage face à ceux qui vivent plus ouvertement.

Mardi, en emmenant ma fille chez le médecin, j'ai aperçu des jeunes qui ne s'étaient manifestement pas vus pendant deux mois et qui immortalisaient les retrouvailles d'un selfie trop serré pour satisfaire aux exigences des gestes barrières. Une septuagénaire, masquée, gantée, chapeautée est passée à leur niveau et a mugi : "Si on reconfine un jour, ça sera de votre faute" avant de partir sans écouter une réponse. Naguère, j'aurais éprouvé beaucoup de peine pour la vie rance de cette personne, pour qu'elle en soit réduite à faire chier les autres pour se sentir vivante. Là, je l'ai maudite et la suite de mes pensées est si immorale que je ne peux les écrire, en un dimanche...

Partout, je vois des harpies dans la rue qui maugréent quand deux amoureux.ses mangent dans la glace l'un.e de l'autre. Qui invitent celles et ceux qui se faufilent entre les ombres pour boire leurs bières sur les trottoirs ensoleillés à s'espacer d'au moins un mètre. En ligne, des commentaires indignés sur les rassemblements dans les parcs, près de la mer. Leur haine de ceux qui vivent n'a évidemment rien à voir avec une attitude non prophylactique, un manquement sanitaire, non non, c'est juste et uniquement la réactivation du vieil adage "si je ne l'ai pas, personne l'aura". Une mentalité de peine à jouir généralisé. Après deux mois d'abstinence, génération bromure, joie...

De ma chambre, je vois une grappe de jeunes dans le vaste appartement d'en face. Un appartement au living assez grand pour faire des noubas endiablées (j'ai décidé, définitivement, de parler français comme dans les années 60, pour ne pas devenir vieux, employer la langue de quand je n'étais pas né me paraît une bonne astuce) et à la terrasse accueillante en diable. Hier soir, ils ont ri aux fracas, les éclats étaient trop timorés pour leur joie de se retrouver à nouveau ensemble autour d'un peu plus qu'un verre. Les frimas sont partis et ne reviendront pas avant quelques mois, la nuit se languit de ne voir personne et se fait plus chaude pour qu'on lui tienne compagnie. En les entendant bien trop fort au moment d'aller me coucher, je priais pour qu'aucun voisin ne les dénonce. Non par masochisme, au contraire : les bruits du bonheur qui coulent me bercent alors qu'une altercation pisse vinaigre me plonge dans une insomnie longue de désespoir sur mes prochains, les envieux. 

Dans une chanson fort célèbre, notre chanteur qui eut droit à des funérailles nationales en l'église de la Madeleine parce qu'il était A/Un grand fraudeur fiscal B/ Un pédocriminel C / Un interprète comme un autre... bramait "qu'on m'enlève ce qui est vain et secondaire, que je retrouve le prix de la vie, enfin". Voilà deux mois qu'on nous a enlevé ce qui est secondaire à la survie, laissez nous retrouver le goût de la vie. 

Envieuses, envieux, si vous n'aimez pas la vie, n'en dégoûtez pas les autres. Merci.  

 

15/05/2020

Paris n'est pas une fête

Au lendemain des attentats du Bataclan, une pimpante septua ou octogénaire avait ému la France en disant qu'on allait fraterniser avec les musulmans du pays qui n'étaient pour rien dans le bain de sang de la veille et qu'on allait donner raison au "Paris est une fête" d'Hemingway. Prophétie ratée pour la lune de miel avec les musulmans, mais réussie pour le reste ; Paris était redevenue une fête. Contempteurs de la capitale, épargnez-nous les critiques, on les connaît : une fête sale, bruyante et chère. Mais si vous n'aimez pas ça, n'en dégoûtez pas les autres, merci.

Paris est surtout une fête, en réalité. Une succession de bars et de restos, aux terrasses trop étroites, trop bruyantes. Une nuit moins folle qu'aux décadentes années 70/80, mais l'animation y est toujours plus forte qu'à Vesoul. Des théâtres partout, des salles de concert, des bars jazz, les nyctalopes aiment Paris qui leur rend bien. C'est aussi une fête pour les amateurs de beautés stockées un peu partout dans un nombre de musées hallucinant. C'est une ville cyclothymique qui compense par un excès de vitalité tout ce qu'elle a de pénible, par ailleurs. Et si nous y restons, c'est que le marché nous convient, on prend tout. 

Lundi, pour le déconfinement, on a ôté les bandelettes du visage de la grande brûlée et on ne le reconnaît pas : Paris n'est plus une fête. Comme pour narguer la ville, un soleil radieux innondait les rues aujourd'hui. Impossible de se poser avec quelqu'un.e, boire un verre. Impossible de s'allonger dans l'herbe, les rideaux sont baissés et les grilles des parcs, relevées. Tout ce qui fait que cela vaut la peine de vivre dans cette ville a disparu. Au loin, on aperçoit les tours de la Défense qui, elles, n'ont jamais cessé de fonctionner, même au ralenti. The show must not go on, business does.

Il y a quelques années, j'avais dîné avec un allemand fort drôle, qui venait de Francfort. Je lui avais demandé de me qualifier sa ville et il m'avait dit "c'est comme la Défense, mais sans Paris à côté". J'en avais été saisi d'effroi pour lui et comprenais ô combien qu'il ait migré chez nous. Je sais bien que cela ne sera pas permanent, on ne peut pas dire que Paris soit morte. Mettons qu'elle est plongée dans le coma. Et c'est pas la fête... 

13/05/2020

Mondialisation inconséquente

Depuis le tournant néolibéral des années 80 avec une baisse spectaculaire des impôts des plus fortunés et des grosses entreprises, le mantra trouvé par les gouvernants pour justifier l'explosion des inégalités est : "les inégalités régressent dans le monde. La mondialisation lutte contre la pauvreté". Et ça n'est que très très partiellement vrai. Les travaux de Branko Milanovic qui font autorité en la matière montrent une réalité plus contrastée : les seuls gagnants unanimes de la mondialisation sont les 1% les plus fortunés et ils ont tellement plié le game que le doute n'est plus permis, ça marche pas.... Partout, pays riches comme très pauvres, ils se sont gavés comme jamais. Les classes moyennes des pays riches se sont assez largement paupérisées quand celles des pays pauvres s'en sont beaucoup mieux sorties, numériquement, ça fait plus de monde qui a accédé au confort, un point pour eux.

Mais quand on regarde les très pauvres, c'est le flou. Pas dans les pays riches : pour eux, c'est pire. Chômage endémique non prévu par les trente glorieuses (et grandement lié à la mondialisation) explosion du coût des biens essentiels (logement, énergie, transports) faisant que les pauvres d'aujourd'hui le sont au moins autant qu'il y a 30 ans, mais surtout n'ont quasiment plus de possibilité de mobilité sociale. Naître pauvre en pays riche, c'est souvent l'assurance de le rester. Dans les pays pauvres, le sort des plus fragiles est plus flou pour deux raisons. D'abord, les statistiques sur l'extrême pauvreté mettent une ligne de flottaison tellement basse (1 ou 2$ par jour) que le moindre renversement conjoncturel, la moindre oscillation des bourses des matières premières agricoles fait plonger des millions de gens d'un côté ou de l'autre. Une telle volatilité montre que, même du bon côté, ceux qui sont statistiquement sortis de la pauvreté le sont encore dans les faits... Ensuite, ces stats ne tiennent pas compte du pouvoir de vivre, du bien être. Sans idéaliser la vie dans les campagnes, évidemment, la vie dans es bidonvilles des implique de devoir gagner beaucoup plus survivre et manger à sa faim, tout en vivant dans de minuscules taudis. Une réalité toujours euphémisée par les tenants de la mondialisation.

Chaque fois que des drames surviennent dans les pays pauvres, on nous explique que la dernière chose à faire est de mettre un frein à la mondialisation "car les pauvres des pays pauvres en ont besoin". En 2013, quand l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh tua plus de 1100 travailleurs dans un des pires drames industriels de ces dernières années, les réponses des travailleurs locaux furent unanimes "ne boycottez pas Primark, H&M et toutes les marques responsables des commandes dans ces entrepôts, nous avons besoin de ces jobs". Le temps, c'est de l'argent et les avocats d'une mondialisation toujours plus forte l'emportent systématiquement au nom de la rapidité : en quelques mois, Uber, AirbnB, Amazon, donnait des jobs de misère à des centaines de milliers de personnes. De misère, d'accord, mais vite. Si vous les retirez par la loi, quels employeurs vertueux pourraient combler les millions de travailleur.euse.s lésées ? Personne.

Avec le Covid, nous vivons une continuation de cette tendance. Les 1% des pays les plus riches s'enrichissent fortement (24 milliards de plus pour Bezos, le fondateur de Zoom est devenu milliardaire....), les classes moyennes risquent de s'appauvrir plus ou moins fortement selon les mécanismes de protection sociale de leurs pays. Quid des ultra pauvres ? Là, pour le coup, le décrochage va être violent : dans les pays riches, le nombre de personnes en situation de grande pauvreté va connaître une hausse sans précédent. Les plans sociaux vont se multiplier dans les semaines à venir avant de voir des faillites en pagailles pour nombre d'indépendant.e.s précaires noyé.e.s sous les impayés. Dans les pays pauvres, on les laisse crever de faim. D'abord littéralement, puisque le PNUD estime que 130 millions de personnes supplémentaires risquent de mourir de faim, au point que nombre de pays pauvres comme le Pakistan ont allégé le confinement pour permettre aux déshérités de travailler pour survivre. Une sagesse plus que de la charité : on ne fait la révolution que le ventre vide... Ensuite, symboliquement : tous nos mécanismes, nos filets sociaux dans nos pays sont absents la bas ? Au Bangladesh, où on a gardé H&M sans trop les faire suer sur la sécurité au travail ou le nombre d'heures hebdomadaires, les commandes ont disparu du jour au lendemain sans donner un euro de compensation. Pourquoi s'ennuyer ? Les malheureux.euses seront toujours là quand nous auront déconfiné et ils se vendront peut-être pour moins encore. 

Les crises révèlent les systèmes plus qu'elles ne les changent : la Covid aura souligné l'inhumanité du système, mais aussi renforcé le chantage pesant sur les plus pauvres, contraints d'acceptés n'importe quoi pour ne pas mourir de faim. #Tamèrelejourdaprès