Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/07/2020

Non ça n'était pas mieux avant, mais reprenons le progrès au sérieux

Les propagandistes du progrès ne supportent pas qu'on regarde dans le rétroviseur pour chercher des sources d'inspiration. Pour eux, le cours de l'histoire est linéaire et chaque génération jouit de plus de chance que la précédente. Les propagandistes du progrès sont très nombreux.

Il y a les commentateurs ravis de la crèche (Laurent Alexandre) ou à peine plus fins (Steven Pinker), les PDG de la tech persuadés que l'énergie et les ressources, comme le génie humain, sont sans limites (Jeff Bezos en tête, mais tous les patrons de la tech, d'Elon Musk à Xavier Niel, de Tim Cook à Zuckerberg), les PDG apôtres de la transformation en "croissance verte" du monde (BNP au 1er chef et son premier client, Total) et ceux apôtres de la compensation parfaite (Air France, avec ses vols "neutres en Co2 selon le GIEC" a perdu une occasion de se taire), la chimie verte au service d'une croissance verte épaulant un capitalisme vert va nous sauver, en somme. Ajoutez à cela les porte-voix éditorialistes et les dirigeants politiques adeptes des mêmes fadaises et l'embouteillage est patent. Nous risquons clairement la rupture de stock de peinture verte au niveau mondial, tant les washers s'en donnent à coeur joie...

Il serait tout de même de bon ton, face à de telles déluges de niaiseries, mais surtout de contresens scientifiques, de reprendre un peu le progrès au sérieux. Car il ne tombe pas du ciel et n'a rien de linéaire. Dans "C'était mieux avant !" , paru en 2017, le philosophe Michel Serres remet l'église au milieu du village et rend hommage au progrès. Il a grandi dans une époque où, objectivement, chaque nouvelle génération vivait mieux que la précédente, observait-il à l'aune de ses quatre vingt printemps passés, soit quatre générations...

L'hygiène puis les vaccins, l'agriculture intensive et l'énergie, l'eau courante, bien sûr que les progrès sont géants en un siècle et demi. On vit vingt ans de plus en moyenne, les morts violentes connaissent une chute spectaculaire, l'éducation explose. Les bonnes nouvelles sont là, et elles sont nombreuses. Ca n'empêche pas de voir les lacunes gigantesques. 

D'abord le progrès est très, très, très mal partagé. Il suffit de voir que la mort de la mère par accouchement est encore la 3ème source de décès dans certains pays d'Afrique en 2020 quand ce genre de drame est quasiment éradiqué des pays de l'OCDE pour voir ce que le progrès technique nous a apporté. Autre exemple, le vaccin contre la Covid arrivera bientôt, c'est une question de mois ou peut être deux ans maximum. Le paludisme tue plus que la Covid chaque année depuis des décennies et le 1/100ème des fonds n'a pas été mis sur le vaccin, pas les mêmes morts... Par ailleurs, quand on dit qu'on a gagné 20 ans d'espérance de vie, tout dépend du niveau de vie. Depuis 2014, l'espérance de vie globale baisse aux États-Unis, elle stagne voire augmente chez les 1%, mais elle est en chute libre chez les plus pauvres. En Angleterre, aussi, d'ailleurs. A cause des morts de la pollution, la Chine et l'Inde sont sur la même pente et commencent à mourir du progrès en beaucoup moins de temps que nous. Et c'est ça le drame que ne veulent pas voir les chantres du progrès infini : la vitesse des catastrophes du progrès dépasse très largement celle des bienfaits, aujourd'hui.

Dans l'excellent papier consacré à la pensée de Steven Pinker, on voit bien que parler "d'angles morts" est faire trop d'honneur aux failles béantes d'une pensée complètement hémiplégique, passant à côté de l'ensemble des éléments dérangeant la démonstration. Mêmes les propagandistes de Staline étaient plus discrets... 

Les maladies de la modernité, comme l'obésité, l'autisme, l'infertilité, sont en explosion. On peut être infertile de tout temps, obèse car on mange trop et autiste sans qu'on puisse l'expliquer, ces maladies ne sont pas liées uniquement au progrès. Néanmoins, leur explosion gigantesque ces cinquante dernières années ne laisse aucun doute sur le fait que des agents chimiques comme les perturbateurs endocriniens jouent un rôle crucial dans leur apparition. Pour l'infertilité, c'est avéré, en partant d'observation animales et en retrouvant les mêmes malformations génitales, les mêmes troubles des humeurs et des hormones chez les humains. 

Last but not least, le "progrès" a réchauffé la planète plus vite qu'une Jeanne d'Arc chez les britanniques (à l'échelle de l'évolution, la comparaison tient...). Explosion sans fin de l'extraction des ressources, de la consommation d'énergie et surtout des déplacements ineptes nous mette en surchauffe. 

Aussi, quand on parle de relocaliser les industries, les productions, d'éviter des déplacements et des extractions inutiles, ça n'est pas du "souverainisme" ou de la "fermeture", c'est adapter le progrès à la réalité du XXIème siècle pour assurer que la planète soit encore habitable par les humains au XXIIème. 

 

29/07/2020

La justice, le bon combat

En hommage à Gisèle Halimi, hier, France Culture rediffusait une partie de sa plaidoirie du procès de Bobigny lors de laquelle, par un renversement rhétorique parfait, elle demandait ce qui se passerait si 4 hommes devaient détailler leur intimité physique face à quatre femmes, en espérant qu'elles les laissent faire ce qu'ils veulent de leur corps. Nous hurlerions, à raison. L'argument valait un Ippon, un KO technique et une avancée majeure bientôt consacrée par la loi en faveur de l'avortement 3 ans plus tard. 

Dans la série The good fight, où l'on suit les vicissitudes d'un cabinet d'avocats américain, un échange entre trois associés las et harassés par des procès ineptes que leur intentent des soutiens de Trump tourne autour du droit. Adrian Boseman, explique à Diane Lockhart et Liz Roddick qu'ils sont dans un pays de lois et qu'il faut sans cesse se référer à la loi, pour l'emporter. Les deux femmes de dire que cela ne suffit plus, quand les lois sont ineptes et d'invoquer ce qu'il y a au dessus de la loi : la justice. 

C'est une antienne classique en philosophie morale, que de désobéir pour le bien commun. De Thoreau aux voleurs de chaises qui luttent contre l'évasion fiscale ou aux zadistes, l'histoire des désobéissants du bien est longue et ponctuée heureusement de nombreuses victoires. Entre les deux, Luther King trouvait un mantra pour éclairer celles et ceux qui hésitent à braver la loi et se demandent comment savoir si la cause est juste : « sur certaines prises de positions, la couardise pose la question : est-ce sans danger ? L’opportunisme pose la question « est-ce politique ? », et la vanité les rejoint et pose la question « est-ce populaire ? ». Mais la conscience pose la question « est-ce juste ? ». Et il arrive alors un moment où quelqu’un doit prendre position pour quelque chose qui n’est ni sans danger, ni politique, ni populaire, mais doit le faire parce que sa conscience lui dit que c’est juste ».

Ces lignes de Luther King n'ont pas pris une ride. L'évasion fiscale optimisée est légale, dans sa version du "sandwich hollandais" où l'intégralité des profits d'une multinationale sont placés dans un paradis fiscal légal, spoliant les autres nations... Le mécanisme de succession de Bernard Arnault est légal. Si rien ne change, légalement après avoir pillé le pays, il ne lèguera rien à la France et tout son empire ira à ses enfants, spoliant les hôpitaux, les écoles, les tribunaux et le reste du Commun de quelques dizaines de milliards d'euros... Est-ce juste ? Je laisse à la conscience de chacun. 

Gérald Darmanin n'a pas été condamné pour viol. Pour autant, il a reconnu des rapports sexuels avec deux femmes qu'il ne connaissait pas la veille et ne revit jamais mais pour lesquels il écrivit une lettre au Garde des Sceaux pour l'une et plaida la cause d'un logement pour l'autre. Est-ce juste ? Chacun jugera en conscience.

Dans une bataille de feu, contre-feu, on nous enfume avec les mots de la colère mal choisis. Quand le maire de Colombes compare la police française de 2020 à celle de Vichy, il a évidemment raté une occasion de se taire. C'est évident. Lallement n'est pas Papon, les mineurs isolés ne sont pas raflés par milliers grâce au courageux zèle anonyme des voisins... Pour autant, pour autant, pour autant. 65 enquêtes ouvertes pour violences policières, 3 seulement ont abouti. Des preuves qui disparaissent. Des expulsions peu conforme au droit européen. Un lanceur d'alerte sur le racisme dans la police à la carrière finie et à la vie ainsi que celle de ses enfants menacés... Est-ce juste ? Est-ce la conception d'une police Républicaine ? Quand j'entends dire que la police fait un usage proportionné et légitime de la violence, je m'étouffe... 

28/07/2020

La vie liquide, mode d'emploi

"Nul ne sait de quoi l'avenir sera fait" dit l'adage qui prend une dimension paroxystique avec la crise sanitaire. Au moment où Macron déterre le Commissariat au Plan pour le pays, plus personne n'est capable de planifier sa propre vie ou la destinée de son entreprise avec certitude pour les 8 prochains jours. 

Essayez de calculer le nombre de fois où les consignes sanitaires ont changé, ne serait-ce que depuis trois mois que nous sommes déconfinés. Ouvert, fermé, ouvre la frontière, ferme la frontière, ouvre le bar, ferme le bar... Avant l'âge adulte, on dresse les chiens avec des injonctions contradictoires, on fait de même avec nous tant que nous n'avons pas, collectivement, pris le pli de mesures sanitaires élémentaires. 

Qu'on le veuille ou non, il faut vivre avec cette incertitude permanente et continue. Personnelle comme professionnelle. Accepter de ne pas pouvoir planifier des vacances six mois avant avec l'assurance de pouvoir se rendre dans ce lieu ; de renoncer à une formation par incapacité de réunir dix personnes dans une salle ; d'enterrer tel séminaire, telle réunion majeure.... D'oublier cette fête de mariage où, enfin, ami.e.s et familles des deux côtés étaient réunies en un même lieu. 

En septembre, les 900 000 profs ne savent pas encore s'ils seront en permanence devant des écrans ou dans une salle devant les élèves ou encore un mix des deux. Les millions de soignant.e.s se demandent quelle sera la hauteur de la prochaine vague (pour l'heure, le nombre d'hospitalisations et de patients en réanimation est toujours en baisse constante, malgré la hausse des contaminations) sans savoir s'ils pourront poser des congés. Quid de celles et ceux qui attendent un enfant ? Qui voulaient déménager, changer de poste, d'entreprise, de région ? Quid de celles et ceux oeuvrant dans des secteurs sinistrés (tourisme, culture, événementiel, sport business....) pour qui on allume et éteint l'interrupteur en disant "allez y ! Non restez") ? Beaucoup de gens mettent en pause, reportent, délayent et ces ascenseurs émotionnels ne se supportent qu'avec un cocktail whisky prozac... 

Pendant le confinement, l'expression "la vie dégradée" était revenue régulièrement pour désigner ces réunions à distance subies, ces déplacements repoussés, empêchés, ces magasins mal achalandés et ouverts à horaires restreints... Nous sommes désormais tous dans ce que Zygmunt Bauman appelait "la vie liquide", les repères fondamentaux solides (CDI, couple, religion, logement...) changeant de plus en plus souvent. Comme dans les start-up, on pivote, on s'adapte, on change de projet... Dans ce règne de l'éphémère, certain.e.s s'en sortent bien, mais 9 start-up sur 10 disparaissent en moins d'un an, et pour ces 9 neufs là, les lendemains ne sont pas roses.  

Les seuls qui peuvent jouer le contrepoids solide, donner des garanties sur l'emploi avec des plans de relance (pas en sauvant des entreprises déjà existantes comme il le fait, mais en décrétant des plans de rénovation, de recyclage, de réparation, de reconditionnement, des grands travaux sans nouveaux travaux, en somme), avec des garanties intangibles sur les logements, les transports, sur l'école en présence, sur les gardes d'enfants à minima... les seuls, ce sont les acteurs publics. Eu égard aux inégalités de circulation du virus, les acteurs publics locaux. Entre la folie centralisatrice à l'oeuvre qui ne donnent rien aux acteurs locaux et le peu de foi dans le rôle planificateur de la puissance publique de ce gouvernement, nous voilà bien... Face à la vie liquide, on peut nager ou se noyer, hein.