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16/09/2011

Rat des villes dortoirs, rat des champs-élysées...

5c6212b3.jpgBon, alors ce matin, je pense que tout le monde doit commenter le premier débat sur la primaire qui avait l'air vibrant d'intensité, vu ce qu'en disent les gazettes. Quand je pense que j'ai raté ça en buvant sottement des coups. Le principe, quand même : s'affronter sans avoir le droit de se contredire. Les fleurets mouchetés ça va à 6 ans après on fait de l'escrime. Quel intérêt si personne peut dire à Valls "ta gueule Marcellin !" ou à Royal d'aller voir dans une secte si ils l'attendent... Donc, bon, je me rattraperais au deuxième débat, ils finiront bien par se foutre sur la gueule...

En attendant, un autre truc à retenu mon attention. Les médias sont parfois un peu caricaturaux dans leur traitement des banlieues, mais les politiques ne sont pas exempts de reproches, et puis, globalement, un peu tout ceux qui n'y mettent jamais les pieds mais balancent entre compassion stérile et haine irrationnelle contre d'invisible masses. 

L'autre truc qui me chiffonne donc, c'est un tic de langage. Encore un. LA banlieue. Ce non sens intellectuel, mental, géographique. LA banlieue. Non mais est-ce qu'on parle de LA ville ? Si je dis ça, c'est que sur le réseau social bleu, j'ai pu lire ça : "DJ Medhi est mort mardi et certains déplorent la mort "d'une figure de la banlieue". Le pire c'est que la personne qui a écrit cette aberration est-elle même élue de banlieue, mais vit à Paris. Je passe sur la vision démagogique qui consiste à montrer qu'on peut être élu balnc et hyper au courant de la scène underground - comme pour un certain nombre d'idoles de Libé et des Inrocks, jamais autant entendu parler de ce DJ Medhi que depuis sa mort - ça, ils le font tous. 

Mais "UNE FIGURE DE LA BANLIEUE ?". Comme Zidane, Djamel ? Insupportable concentré de préjugés et de raccourcis: Modiano et Rollin sont des figures de Paris, les autres de LA banlieue... Sans doute d'ailleurs Modiano est-il né dans LA banlieue... Pourquoi s'évertue t'on à vouloir désigner par LA banlieue toutes les villes dortoirs qui craignent et souligner avec force compassion les 3 DJ et sportifs de haut niveau ? 1/ Neuilly, Bucq, St Germain en Laye sont également des banlieues qui coûtent plus cher désormais que Paris car elles se barricadent pour rester entre nantis. 2/ Biarritz, Nantes, Clermont-Ferrand et même Brive ont des banlieues, ça ne veut rien dire.... Faut-il parler de '"périphérie". 3/ Mais parle t'on de LA ruralité ? De tous les autres territoires...

Ce faisant, avec des tics de langage, nous construisons à une vitesse supérieure à celle de nos meilleurs TGV, un inconscient collectif opposant les rats des champs Elysées et les rats de banlieue, pour qui nous oscillons entre vindicte, haine ou compassion débile. M'est avis qu'ils veulent juste la norme. Les mêmes chances d'être ingénieur, comptable, agent EDF, entrepreneur ou artiste peintre (pas forcément graffeur...). Le candidat à la primaire qui s'engage à parler ainsi sans distinction, qui ne sera pas Valls (mais moi des white, des blancos dans ma ville de banlieue) aura toute ma sympathie...  

14/09/2011

Limonov vs Freedom. France 1 / Etats-Unis 0

9de0922f49ed6eba2bf396a3a5d4aa8d.jpgPour l'illustration, les amateurs de tennis reconnaîtront la victoire de Forget et Leconte sur Sampras et Agassi en 91, à Lyon. Le parallèle vaut avec cette rentrée littéraire où le français est présenté comme le petit poucet face à l'Ogre et grand écrivain américain : Emmanuel Carrère contre Johnatan Franzen. 54 contre 52 ans, presque le même nombre de livres derrière eux et là, un petit 500 pages pour Carrère, 700 pour Franzen. Cela semble important pour les commentateurs d'aujourd'hui qui pèsent la littérature au trébuchet. Dans les deux extrêmes d'ailleurs. 

Pour être sérieux, nous disent les critiques, produisez une somme ou au contraire un haïku. Les pavés de 1000 pages impressionnent toujours ceux qui ne les lisent pas mais invoquent souvent les Karamazov (qu'ils n'ont pas forcément lu d'ailleurs) avant de s'extasier devant les 15 pages de Stéphane Hessel ou les 20 (mais écrit plus gros) de Jean d'Ormesson sur Napoléon. 

Pour être sérieux, aussi, il faut avoir quelque chose à dire sur l'époque. Or, et c'est là où ça devient fou, on nous annonce que Franzen "embrasse 40 ans d'histoire de la société américaine" et bah il a mis la langue, mais pas le style, hélas ! Carrère, lui a produit une sorte de biographie romancée d'un écrivain star des cénacles germanopratins mais inconnu dès qu'on franchit le périph et devenu dirigeant d'un groupuscule national-bolchévique mi SS, mi amateur de goulag et "plus compliqué que cela".

Sur la balance donc, en termes d'ambition, de projets, de "pitch" il n'y a pas photo. Franzen arrive nimbé d'un succès critique outre atlantique délirant. En France, une de Libé où l'on brûle de l'encens sous la photo du nouveau grand témoin de l'époque. Bon. Je ne dirais pas que Freedom est un mauvais livre. Mais un chef d'oeuvre, en revanche, qu'il me soit permis d'en douter. Le succès de la critique s'explique: c'est un livre fait pour la critique. Des personnages à rebours des habituels héros: un homme bon à la tête d'une fondation écologique au lieu du trader, son fils qui vire conservateur et pas Che Guevara, une mère alcoolique au lieu du père et une rock star qui ne sombre pas dans les paradis artificiels. Bien. Ajoutez à cela 15 premières pages magistrales, ciselés, dégoulinantes d'intelligence, de luxe de détails sur ce qui va suivre et. Bah rien. La magie cesse d'opérer après 15 pages. Ensuite, on comprend tout et surtout qu'il n'y a pas eu d'éditeur pour dire au Grand Ecrivain Franzen, "coupe, coupe, coupe, ne cherche pas à tout mettre !!!". Mais Franzen n'écoute pas, il veut dans un même roman dénoncer le star system, l'écologie, le féminisme, l'adultère, la lâcheté des hommes, la bêtise des jeunes, l'intelligence des jeunes, le cynisme... Bref, n'en jetez plus, c'est étouffe goy au possible.

Le plus surprenant est que ce foisonnement ne suscite pas une saturation, mais au contraire une exaspération devant l'ennui qui s'élève de ce livre: à vouloir tout croquer, il ne saisit rien. Et nous glissons sur les fameuses 700 pages avec un ennui constant qui ne cesse qu'au point final.

En face, donc, le petit Poucet. Emmanuel Carrère, le challenger qui débarque après un excellent combat, d'autres vies que la mienne. Et il frappe encore plus fort avec un principe génial de construction: la biographie d'un contemporain qu'il ne connaît pas. Traditionnellement, on biographie les morts, ou interviewe sans fin les vivants pour faire un livre document. Depuis trois livres, Echnoz met en roman des morts avec malice (Ravel, Zatopek et Volta) mais les vivants sont souvent des politiques ou des pamphlets sur Houellebecq. Limonov innove donc pour notre plus grand bonheur. Il n'a vu ce personnage picaresque que 2 ou 3 fois et pour le reste, il a juste réécrit les livres de Limonov qui s'est raconté dans ses 10 romans. Mais Carrère les réécrit infiniment mieux, infiniment plus juste. Limonov (le vrai) n'est pas Hémingway, il ne manie pas la mythomanie avec grâce, c'est un peu drôle, mais souvent lourd et plein d'oeillades ce qui explique son succès dans les cénacles. Carrère, lui, trouve la distance, les phrases, les accroches pour retranscrire toutes les anecdotes folles de la vie de Limonov. Très vite, on oublie que l'homme peut exister et nous sommes dans le roman. Gorbatchev, Eltsine et Poutine se succèdent, mais nous sommes dans le roman et pas n'importe lequel, dans ceux que l'on referme avec l'assurance de lire le prochain de l'auteur. 

 

 

11/09/2011

Ne pas aimer lire tue

mouton-433958.jpgJe sais bien que les dirigeants de tous les pays se tiennent la main en regardant les indicateurs économiques de tout bord - aussi pertinent que les destructions de carrosseries de voitures - et que la dernière étude qui m'a miné ne les atteindra pas, mais quand même. 

On parle souvent des problèmes de riches pour évoquer l'obésité ou les dépressions quand il n'y a pas, comme bramait le chanteur socialiste, "de psychiatre en plein désert ou d'overdose à Kinshasa". Nous devons en gérer une de plus : le reflux massif de l'amour de la lecture. Les chiffres qui évoquent les lettres sont sans appel : leur compte est bon, il est fait...

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2011/09/09/01016-... 

Nos jeunes de 15 ans aiment moins lire que leurs homologues albanais. Je doute pourtant que ce soit la qualité des rayons des bibliothèques publiques ou des librairies de Tirana qui explique la différence... Nous sommes derrière la Pologne, le Canada, ou le Brésil qui pourtant met l'accent dans ses politiques publiques sur la transmission de la culture par l'oralité et où la musique est omniprésente. Malgré cela, les jeunes Brésiliens ont plus le goût de la lecture que les Français... Le sociologue Bernard Lahire, auteur de sommes sur la question de "la consommation culturelle des français" défend les jeunes en disant qu'ils lisent, mais différemment. Les optimistes diront aussi que l'étude se limite au papier. Biais acceptable pour le Japon ou les Etats-Unis, où ce que l'on trouve à lire en ligne est d'excellente facture, mais en France, l'étendue du catalogue et surtout sa consultation (on trouve les Misérables et le Neveu de Rameau gratuit en ligne mais les clics ne s'affolent pas plus que pour un discours de Dupont-Aignan à la Nation...) rendent caduc l'argument de "mais ils lisent en ligne".

Ce reflux de plus de 15% en 10 ans, j'en suis le témoin pas plus privilégié que d'autres, mais inquiet. Former des journalistes ou des communicants qui n'aiment pas lire, qui paressent, c'est inquiétant. Surtout, cela rend le discours plus compliqué et oblige à repenser largement la pédagogie car au-delà de la lecture c'est la réduction du socle de références communes qui nuit aux échanges. Lorsqu'il faut mettre des sous-titres en parlant d'Orwell, de Rawls, de Mc Luhan: lorsque la baie des cochons ou la conférence de Bandung sont des noms de restos exotiques, la transmission part sur une base différente. Sans être catastrophiste, on peut s'inquiéter de cette chute ultra rapide de l'envie. Car si nous n'avons jamais autant été dans l'âge de l'accès pour le dire comme Rifkin, nous faisons face à la crise la plus grave de la connaissance car elle touche au fondement : l'envie. Le challenge technologique est aisément résolvable, quelques investissements bien sentis peuvent réduire la fracture numérique, un redéploiement des crédits peut relancer l'égalité des chances face à la culture, mais s'ils n'ont plus envie car on les a trop stimulé, gavé comme des oies de mauvais capitalisme libidinal comme il y a du mauvais cholestérol, on fera face à une armée de chapons culturels... 

L'étude rappelle pourtant que la lecture, contrairement à ce que déplore les pessimistes, reste un facteur de réussite social. Il existe des intellos précaires et par dizaine de milliers, mais ceux qui manient la lecture sont toujours plus en situation de se défendre que les autres. De là à dire qu'une élite cynique préférera affronter un nouveau lumpen ayant perdu le goût de lire il y a un fossé que je me garderai de franchir en triple saut. Mais quand on voit ce qu'on voit et qu'on entend ce qu'on entend dans les journaux sous toutes leurs formes écrites, orales, ou visuelles, le doute m'habite. 

Vient alors une question : quelle mesure d'urgence ? Et surtout ou écrire "ne pas aimer lire tue" pour détourner les non lecteurs de leurs autres activités ? Vaste programme de santé publique qui finira par singer l'INPES "pour votre santé mentale, lire une demie-heure par jour ; lisez 50 lignes de fiction ou de non fiction tous les jours". Quand à l'équivalent de "évitez de manger gras, salé et sucré", j'éviterais de tirer sur les ambulances.