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22/09/2012

Lutte contre le présenteisme, le train d'avance de la SNCF

deborde-boulot-01.jpgLa nouvelle n'avait l'air de rien, perdu dans le ronron du journal matinal. Au milieu des cris d'orfraie et de la défense vigoureuse de la liberté d'expression, nous apprenions que la SNCF avait signé un accord avec les syndicats pour lutter contre le présentéisme. Coup marketing, de bluff, annonce foireuse ? On verra bien. Toujours est-il que je me suis réjouis de voir une aussi grande entreprise reconnaître le fléau des stéréotypes et ce que cela peut induire de néfaste.

Pour la faire vite, un cadre partant à 17H30 pour chercher ses enfants, en Allemagne, en Angleterre ou aux Etats-Unis est équilibré et sait s'organiser. En France, le pire des branleurs qui "prend son après-midi" selon la fine plaisanterie consacrée... Sauf que cet écart d'horaire induit des graves troubles pour les personnes consacrées par ces horaires difficilement conciliables avec une vie  sociale épanouie. Pis, cela induit des inégalités fortes dans la mesure où à plus de 80% ce sont encore les femmes qui vont chercher leurs enfants et ces horaires fous érigés en dogme promeuvent donc les mâles et les nullipares...

A l'évidence, et les syndicats auront raison de se battre, les charges de boulot sont souvent liées à une hausse constante des exigences de productivité. Soit. Mais pas tant que ça... Nombre de personnes se retrouvent dans ces schémas, préfèrent fuir une vie personnelle par trop chaotique, risquée ou incertaine pour se plonger dans le cocon d'une entreprise rassurante car ils y réussissent. Personnellement, j'en ai vu des palanquées jouer au baby foot ou autres jeux à la con, boire des cafés toute la journée, chatter sur facebook et se déclarer "charette à mort" quand sonnait 18h et que les gens raisonnables reprenaient une activité normale (l'un d'entre eux, et pas le plus fin mais roublard en diable est aujourd'hui directeur de la rédaction du Point). Ce conformisme calendaire débile, qui implique que le travail effectué avant 9H30 n'existe pas puisque personne ne t'as vu le faire est probablement à l'origine de ma démission définitive du salariat pour le free lance. Là, si je bosse à 7h du mat', c'est qu'il le faut, idem pour les coups de bourre post 19H, mais je n'ai à épater ou bluffer personne et quand je sais que le dilemme est entre moi et moi, je tranche en ma faveur et m'accorde ma sieste...

Plus sérieusement, en signant cet accord qui contient des mesures effectives comme l'interdiction des réunions après 17H, mais aussi des bilans plus réguliers pour estimer la charge de travail et ainsi distinguer sur les horaires le bon grain productif de l'ivraie présentéiste, la SNCF prend un train d'avance pour l'égalité homme/femme et montre la voie express à prendre pour tous les groupes où l'on prétend fièrement que l'avenir appartient à ceux qui partent tard...

PS: pas de hacking sévère, trouvé l'illustration là http://www.tibo-illustrations.net/article-5829080.html

19/09/2012

Boulevard le Pen...

c3a9chec-et-mat.jpgNouveauté pour moi en cette rentrée scolaire, je dois donner des cours de rhétorique politique. Nouveauté bis, ce ne sera pas seul, mais en bi voir trinôme avec des cerveaux bien formés et aux opinions très éloignées de miennes. Attendu que mes comparses sont des amoureux du politique et goûtent modérément les petites phrases, tout se passe bien. Nous abordons donc nos travaux pour aider nos étudiants à comprendre comment les politiques s'agitent en invoquant des mots clés comme autant de codes les renvoyant ou les excommuniant de certains partis.

Pour des raisons absconces "travail" est de droite "partage" de gauche et "République" pour tout le monde... Mais ces derniers temps et Sarkozy l'avait fortement bien intuité en 2007, les clivages classiques sont transcendés par les questions identitaires et de ce point de vue, je redoute que Marine le Pen ne soit en train de marquer des points... Bien sûr, les questions économiques seront très présents pendant le quinquennat eu égard à la gravité de la crise actuelle. Bien sûr aussi, un certain nombre d'enjeux sociétaux vont émailler les 5 années à venir : droit de vote des étrangers, mariage homosexuel ou encore euthanasie. Mais les questions identitaires amorcées plus que maladroitement (et sans doute volontairement maladroitement) par le précédent gouvernement vont revenir : la fracture entre vainqueur et perdants de la mondialisation se creuse et Marine le Pen guigne sans honte les bataillons des perdants, fort nombreux. Si elle les rallie tous, elle l'emportera.

Elle ne peut à l'évidence le faire sur les seuls thèmes économiques. Le Front de Gauche fera barrage et est historiquement mieux outillé pour contenir les travailleurs prolétaires, quand bien même les instituts de sondage disent le contraire. Contrairement aux idées reçues sur la campagne, Mélenchon a fini assez haut et le Pen n'a pas fait les 24% qu'elle atteignait un an avant, du temps où DSK était le champion putatif de la gauche. La faute a une orientation de campagne. Le Pen a eu les yeux plus gros que le ventre : elle a voulu tout tout de suite. Mais sa rengaine anti élite européenne et ses solutions économiques n'ont pas pris, elle patinait et commençait à décliner. Son retour aux fondamentaux de son parti, phrases chocs sur l'immigration, "mais des centaines de Mohamed Merah arrivent chaque jour par avion" fit mouche. Elle le sait et elle se pourlèche de voir qu'une irrépressible montée voir accession au pouvoir sur ces seuls thèmes est désormais possible. Un premier signe de ce virage à droite (c'est malheureusement possible) eu lieu lundi matin sur RTL, Marine le Pen était invitée par Apathie qui pensait sincèrement la coincer en lui demandant son avis sur la manif' de l'ambassade américaine en lui faisant confesser que Valls était assez sévère. On peut l'écouter en entier là : http://www.rtl.fr/actualites/politique/article/sur-rtl-ma...

Avouez que dans la série petite phrases, "je préfère un régime totalitaire laïc à un régime totalitaire musulman", dame le Pen fait fort. Surtout quand elle anticipe la réponse d'Apathie et le met KO en disant "oh je sais bien qu'on ne peut dire ça, mais les français pensent comme moi" et à voir les chiffres de vente et d'audimat des nouveaux beaufs et fachos médiatiques, elle marque un point. Et elle risque d'en marquer d'autres de marteler la même stratégie pendant un moment. Dans cette nouvelle guerre froide idéologique opposant occidentalisme et islam, le punch itératif de le Pen fonctionne. Elle n'a qu'à attendre que des faits divers tragiques surviennent partout dans le monde et parfois en France pour relancer ses piques en commentant l'immobilisme des dirigeants politiques. 

Entre une UMP courant après le FN sans succès en singeant la dureté sur le foulard ou les expulsions et un PS mal à l'aise à l'idée de dénoncer les obscurantismes, le Pen peut se frotter les mains. Ce n'est pas demain la veille que nos gouvernants vont changer de discours en essayant de pousser l'ascension de rôle models dans les quartiers et surtout de relancer massivement l'emploi dans ces quartiers. Quand on bosse et qu'on est bien dans ses baskets, on perd moins de temps à regarder les conneries de films qui circulent sur Internet. Eu égard aux derniers chiffres de consommations des médias, télévision au global et audience des sites Internet, m'est avis que le Pen ne va pas trop souffrir pour trouver des arguments pendant 5 ans...

16/09/2012

De la guerre entre démocratie et oligarchie en Amérique

9782213643014-G.jpgSujet majeur aux Etats-Unis, peu débattu en France, la philanthropie se fait rare dans nos librairies. Quelques ouvrages des penseurs du MAUSS, d'associations concernées (ADMICAL) et autres, mais guère de livres majeurs.

Pour l'heure, ce qui fait autorité s'intitule de la culture en Amérique, un ouvrage de Frédéric Martel où il s'attache à montrer le financement privé de la culture américaine. Hélas ! Martel n'a vraiment pas l'intelligence de ses intuitions. Les 40 premières pages sont époustouflantes, on dirait un plan de Kubrick où l'auteur se ballade dans New York et nous fait découvrir, à la faveur de détours urbains, les secrets de ces établissements culturels légendaires (de Broadway au MOMA ou au Guggenheim). Mais passé cet incipit, quelle faiblesse ! Martel décrit en fan émerveillé le fonctionnement des dons privés sans rien chercher à comprendre de l'histoire. Ce brave technocrate nous fait une lecture clinique de la situation aujourd'hui, enthousiasmante et instructive comme un rapport d'activité (où l'on apprend parfois des choses, quand même...). Bref, on referme le livre de Martel sans en savoir tellement plus, mais l'on se dit que l'on voudrait vraiment aller à NYC...

Le titre du livre d'Olivier Zunz place tout de suite l'ambition du sujet. La philanthropie en Amérique, Argent Privé, Affaires d'Etat, interroge avec une intelligence rare les relations entre fonds privés et publics pour le triomphe de certains idéaux depuis plus d'un siècle. Que l'on soit d'accord ou non avec cet historien français vivant aux Etats Unis (il est prof à l'université de Virginie) il me paraît plus que délicat de ne pas trouver son oeuvre passionnante. Car il montre bien à travers sa lecture diachronique que la réalité d'aujourd'hui, celle des Gates et des Buffet n'a rien de celle d'hier. La philanthropie, fait connu, s'est développée aux Etats Unis sous l'impulsion de magnats comme Rockefeller ou Carneggie inquiet de l'image qu'il laisserait à la postérité. Canreggie avait coutume de dire qu'un homme qui meurt riche à raté sa vie et pour éviter cet échec devait donner beaucoup de son vivant. Emergea alors sous l'impulsion de l'économiste Wesley Mitchell, en 1912, un nouveau débat. "Il est facile de dépenser de l'argent, il est difficile de bien le faire". 

L'ambition du livre montre, à rebours des idées reçues sur nos amis américains, comment certains politiques ont lutté pied à pied pour maintenir le rôle de l'Etat et éviter de se faire engloutir par l'évergétisme des plus grandes fortunes du pays. D'abord en empêchant la systématisation de la fraude fiscale : les nababs créaient une fondation à leur nom et s'en servait comme outil d'exil fiscal. Retoqué. En réalité, tout le problème s'ouvre il y a 99 ans, en 1913 quand les Etats Unis s'ouvrent à l'impôt sur le revenu: les plus fortunés se rebiffent contre ce "communisme" et demande des exemptions philanthropiques. Zunz montre comment certaines causes rentrent dans le schéma et pas d'autres. Dès la fin de la première guerre, le pli de la générosité est pris y compris de la part du grand public : les ventes de timbres ou les marches pour des dimes (pièces de dix cents) permettent de collecter des millions. Une tendance jamais remise en cause y compris au moment de la crise de 1929. C'est alors que Roosevelet tente d'augmenter massivement le rôle de l'Etat et d'étouffer le champ d'action philanthropique en intégrant les dons à des programmes nationaux. Reagan retournera ce rapport de forces établis en permettant aux grandes fondations de bénéficier de subsides publics pour soutenir leurs programmes privés. C'est aujourd'hui encore cette option qui prévaut avec, de plus, une confusion entretenue par les grandes fondations qui s'immiscent dans les affaires politiques au-delà du raisonnable.

In fine, l'augmentation de certaines fortunes aux US a rendu la philanthropie incontournable : la fondation Gates a un budget supérieur à l'OMS et ces Etats-Nations privatifs sont désormais à même d'impulser des plans de santé mondiaux que l'on croyait réservés aux Etats. Le lobbying de ces masses d'argent considérables vont généralement dans le même sens : faire émerger et renforcer la démocratie pour empêcher les Etats de basculer dans le communisme hier et dans le fondamentalisme religieux -enfin, non catholique quoi...- aujourd'hui. Si le sujet vous concerne de près ou de loin, foncez, c'est ce qu'il est convenu d'appeler un ouvrage de référence. Après, je ne pense pas que le prix du livre fasse l'objet d'un rescrit fiscal, même si le sort des libraires devrait désormais relever de l'intérêt général...