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28/03/2016

Universalisme, universalisme

Universal_intro.jpgAu fond, nos débats récents sur la laïcité suivent la mauvaise pente de notre dialogue social. Quand on y songe, la pratique religieuse reflue (heureusement) et 2/3 des français se réclament agnostiques ou athées. Cette mort du religieux exaspère les patrons des 3 principales boutiques religieuses du pays qui, ces dernières années, agitent des causes extérieures à leur business (Mariage pour Tous, conflit au Proche et Moyen Orient) pour tenter de faire revenir du monde dans la boutique. Ca ne marche pas en termes de masse. En revanche, le nombre de clients prémiums a explosé. Les monothéismes se sont décomplexés et foutent le boxon beaucoup plus fort que ce qu'ils ne pèsent...

Le dialogue social subit une crise de la représentation gravissime. 7% de syndiqués chez les salariés et un MEDEF et une CGPME si navrante qu'aucun patron un tant soi peut attaché à la discussion au sein de sa boîte ne peut se reconnaître chez ses guignols. Les représentants du dialogue social représentent eux mêmes avant toute chose. Alors, à chaque texte, on sort le théâtre grand guignolesque mis en scène par Matignon. La loi El Khomri ne fait pas exception : le pouvoir propose un texte auquel il ne croit même pas, mais pour avoir une marge de manoeuvre et une base de réflexion, le lance dans le débat public. Le MEDEF applaudit si largement qu'on sait que ça va ruer dans les brancards. La CFDT hurle pour la forme. On change 4 articles et les rôles : le MEDEF pleure des larmes de crocodile en disant "si vous en enlevez encore, la vie n'a plus de sens", la CFDT serre les poings rageurs "on a gagné, camarades, on a gagné, le gouvernement bat en retraite". Est-ce bien raisonnable ? Ou est l'intérêt général des travailleurs ? Où se situe l'universalisme de nos luttes pour davantage d'égalité ? 

Bien. Reprenons le raisonnement du dessus qui ne sera désavoué par personne, sauf peut être par Philippe Martinez et Pierre Gattaz, derniers à croire qu'ils incarnent le dialogue général. Appliquons-le à nos débats actuels sur la laïcité. Le décalque fonctionne. L'universalisme vers lequel nous devrions tous converger concernerait cette fois la fraternité via une concorde plus grande entre tous les français. Celle-ci a besoin pour se réaliser de davantage d'égalité, raison pour laquelle on devrait pouvoir avoir à nouveau un débat sur la création de mosquées, pour que tout le monde puisse aller vivre sa foi sans faire chier les autres. Après ces quelques aménagements réalisables en peu de temps, on laisse les choix politiques hors de toute considération spirituelle, faute de quoi ces choix se réduiront, comme c'est le cas dans de nombreux pays, à de seules considérations arithmétiques : dis moi combien ta communauté religieuse pèse en termes de voix, et je te dirai ce que tu veux entendre. 

Dans un univers médiatique saturé, la condamnation fine ne passe pas seulement par l'opposition, mais également par le silence. Et ce dernier reprend les postures évoquées pour le dialogue social. Si je partage un article visant les avantages fiscaux indûment accordés à Tsahal, mes amis qui soutiennent Tariq Ramadan et le Parti des Indigènes de la République se joindront aux soutiens habituels de la laïcité pour applaudir et dénoncer Tsahal. Attendons que je partage un article décriant le soutien à des associations fantoches, qui financent en sous-main des organisations de lutte armée en Palestine, et ceux de mes amis qui soutiennent le Printemps Républicain applaudiront. Et alors, les soutiens à Ramandan ou au PIR, auront disparu du concert de soutiens... Et ainsi de suite, chaque tenant d'une religion s'indignant ou s'exclamant quand ça arrange ses intérêts, mais pas de façon universelle... Il y a de l'indignation à géométrie variable dans les querelles sur la laïcité. Le seul garant d'un universalisme, de la lutte contre toutes les inégalités et tous les oppressions ne peut venir que de religieux éclairés ou de politiques éclairés également. J'ai cessé de croire aux premiers depuis longtemps. Il est tant que les seconds reviennent comme ils furent présent au lendemain de la seconde guerre pour bâtir le CNR, un bien commun à tous. 

25/03/2016

Une petite révolution pour en éviter une grosse

red_fist.jpgSi demain la France devait connaître un élan révolutionnaire, une envie sérieuse de renverser la table et de détruire l'establishement, tout indique qu'elle choisirait, malheureusement, le Front National. Dans ces circonstances, on est tenté de répondre avec Bartelby, "I would rather not to". Pour autant, qui peut ignorer ce qu'il y a de juste dans la dénonciation frontiste de la tiédeur, de la lenteur, de l'inertie de certaines de nos réformes. Il y a sans doute plusieurs explications à cela. La composition sociologique de notre Assemblée en est sans doute une, les modes de scrutin, la professionnalisation des élus et autres ; toutes choses qui peuvent concourir à ce sentiment de France bloquée. 

Mais je vois une autre piste : l'incommensurable force d'inertie de la très haute fonction publique et les directeurs d'administrations centrales. Dans son très beau livre Les hommes d'Etat, Bruno le Maire alors directeur de cabinet du 1er ministre Dominique de Villepin relate à la perfection l'exaspération de Fort Matignon. Les hommes de Matignon, retranchés dans leur travail du matin au soir, persuadés d'avoir sauvé la France et qui constatent, déconfits, que l'intendance ne suit pas... Bien sûr, quand une loi aussi normative que le mariage pour Tous, les 35 heures, la réforme de l'autoentrepreneur est votée, dans les quelques mois suivants sa promulgation, les Français peuvent voir, vivre, faire l'expérience de ces changements. Mais souvent, nombre de dispositions législatives sont plus sinueuses, moins évidentes. Elles nécessitent des décrets d'applications et au-delà de cela, de l'intelligence collective. Les deux sont essentiels car, comme l'écrivait fort justement notre grand sociologue des organisations Michel Crozier "on ne gouverne pas par décret". 

Ce qui me subjugue, par rapport à cette très haute fonction publique, c'est à quel point elle fait consensus... contre elle. Cette hypocrisie française voulant qu'ils sont "au service de la nation" et par définition, par substance "apolitiques" est une hérésie complète. Combien d'amis conseillers ministériels, de droite comme de gauche (plus de gauche, d'accord...), m'ont donné des exemples concrets de directives passées et de blocages purs et simples derrière. Des ministres de bonne foi (ça existe) interpellés par des quidams sur le "mais quand ferez vous bouger les choses ?" et répondant "mais je l'ai fait !" avec la foi du charbonnier contredite par quelque obscur zélateur qui a décidé d'adopter la stratégie de l'huitre... Le problème tient évidemment aux contrats des uns et des autres, CDD vs CDI "vous, vous passez" répondent les hiérarques aux ministres médusés de découvrir qu'ils sont impuissants. 

Bien sûr, un surcroît de pouvoir ministériel pourrait augurer des décisions plus radicales et déplaisantes. Si vous donniez la possibilité à François Fillon d'appliquer vraiment et totalement son programme, il y aurait de quoi avoir des suées. Et après ? C'est bien de cela qu'il s'agit : restaurer notre démocratie si mal en point, c'est bien permettre à ceux qui sont élus d'appliquer leurs programmes. Le politique a sur ce sujet le pouvoir même si cela gronderait quelque peu : une petite révolution s'impose, renouveler l'ensemble de la très haute fonction publique à chaque changement de majorité. Une réforme franche pour réhabiliter un peu nos élus, leur redonner de la crédibilité et leur permettre d'aller au bout de leurs idées. Cela ne tranchera pas les problèmes de lobbys, de conflits d'intérêts, de lâchetés corporatistes, ça n'est pas une solution magique, mais je gagerai volontiers que cela nous sortirai quelque peu du désenchantement généralisé. 

 

22/03/2016

Le mauvais jour sans fin

It_s_Groundhog_Day_all_over_again___.jpgEn 1993, un film avec Bill Murray avait beaucoup amusé les critiques, "le jour sans fin" en VF "the groundhog day" en VO, "le jour de la marmotte" eut été un titre plus juste. Le pitch, comme on dit lorsqu'on emmerde le CSA, c'est un homme qui revit sans cesse la même journée. Il vit un cauchemar et se croit perpétuellement bloqué, incapable de dépasser ce stade angoissant, incapable de rallier le lendemain de cette journée pourrie. Et puis il réalise, enfin (Bill Murray est un peu con. Enfin, pas Bill Murray, je n'oserai pas, mais le personnage qu'il campe) qu'il ne se sortira de là que lorsqu'il aura fait autrement. Et mieux. Et le bien autour de lui. Une fable, en somme. Une bluette.

Depuis quelques temps, nous sommes confrontés à la même fable, version côté obscur de la force. Après un attentat, nous nous réveillons en larmes et conservons la même attitude : martialisation du discours, improvisation de nouveaux dispositifs chimériques de sécurité partout, fichage, flicage, traquage. Et repatatras. Nous nous réveillons en pleurant avec les mêmes événements. Et nous sommes encore plus cons que Bill Murray car nous ne tirons aucune leçon. 

Ces dernières années ont vu plusieurs sortes de catastrophes déstabiliser les régimes. Soit l'apocalypse totale, avec l'EI, soit les guérillas urbaines avec volonté de déstabiliser des gouvernements en place, avec des commandos haineux mais pas prêts à mourir. En Tunisie, au Mali, au Kenya, toutes les attaques de musées et d'hôtels sont le fait de bandes armées qui n'entendent pas mourir les armes à la main, mais bien faire un carnage et partir. Et puis il y a ce que nous avons vécu en novembre dernier, qui a touché la Belgique ce matin et la Turquie a de multiples reprises depuis quelques mois : des terroristes avec une vision millénariste du monde, au-delà de nos schémas de pensées, prêts à se faire sauter pour nous porter un coup fatal. A cela, il n'y a rien à faire dans l'immédiat. Même les israéliens, avec leurs moyens démesurés eu égard à la taille du territoire, ne peuvent empêcher toutes les attaques suicides sur leur territoire. Mais au lieu de suspecter les femmes enceintes qui pourraient avoir un ventre fantoche et une bombe à l'intérieur (c'est arrivé) il faut réduire la violence sociale qui secoue ses pays. Nous ne pouvons pas continuer à pilonner nombre de pays, piller les matières premières, réduire les aides au développement et à l'amélioration de la santé et de l'éducation, piller les talents de ces pays et fermer les frontières sur la misère qui veut juste survivre. 

Dans un monde globalisé où l'émotion domine tout, nous ne pouvons mettre des frontières à l'intérieur de nos pays. Rien n'excusera jamais ce qu'on fait Merah, Abdeslam et les assassins monstrueux de ce matin. Rien. Mais ne pas chercher à comprendre pourquoi nous sommes encore tellement perçus comme des oppresseurs et en tirer les conséquences en changeant radicalement notre modèle de répartition (au sens très large, bien au delà de l'argent) et en essayant de nous redonner un élan commun, nous condamne à ne pas connaître le dénouement joyeux du Groundhog day. Nous voilà réduits, tels des Sysyphes malheureux, à nous réveiller éplorés sans fin.