12/08/2017
Relire "les Choses", entre plaisir gourmet et effroi glacé
Par phobie de ne pas avoir le temps de découvrir et presque par principe, je ne relis jamais rien. Et puis, un ami m'offrit les oeuvres complètes de Perec en Pléiades. Il y aurait eu quelque chose de grossier à ne pas redécouvrir cet auteur dont j'ai à peu près tout lu (je m'en vais rapidement combler les lacunes) il y a maintenant quinze ans. Et parmi tous les romans, je voulais commencer par "les Choses" petit bijou de style et d'observation, dans ma mémoire. C'est bien plus que ça.
"Mais le plus souvent, ils n'étaient qu'impatients : ils se sentaient prêts ; ils étaient disponibles : ils attendaient de vivre, ils attendaient l'argent". Tout le livre est à l'avenant, puissant et elliptique à la fois. Un style très serré qu'on ne lâche jamais. Après, le vrai génie de ce livre, c'est le choix des personnages. Ni rentiers, ni crève la faim, ni Rastignac, ni en marge, ni très diplômés ni cancres : tout le monde pourrait être Sylvie et Jérôme. C'est en cela que la critique de la société de consommation est si forte. Tous les romans qui mettent en scène des types partis de rien et devenus milliardaires mais sentant toujours le vide sous eux, ça peut être grisant, mais l'identification est faible. Idem pour ceux qui campent des révoltes contre les exploiteurs. Fort, empathique sur le moment, mais ça ne reste pas...
Là, ce que Pérec dit de nos pulsions consuméristes, des vies que l'on s'invente si jamais on avait plus d'argent, résonne en chacun de nous. Et son roman des années 60 n'a pas pris une ride. Les personnages ont une peur de la rigidité bourgeoise de la carrière. Peur de perdre leur vie à essayer de la gagner. Évidemment , c'était plus simple lors du plein emploi d'alors, mais les free lance volontaires d'aujourd'hui vivent la même chose (je veux bien témoigner). Pareil pour les rêveries de vies partagées entre le travail à Paris et la cocagne dans l'Yonne ou le Loiret. Beaucoup y songent, peu sautent le pas. L'exil pour une chimérique amélioration matérielle, idem. On remplace Sfax par Singapour et l'herbe verte ailleurs est un myyhe toujours vivace. Relire "les Choses" c'est un plaisir de gourmet car la grandeur du style la dispute à la finesse de l'analyse. Mais cela vous saisit d'effroi, aussi, car Pérec se garde bien de juger hâtivement ses personnages, il se garde bien de se moquer de ceux qui voudraient faire carrière, il ne se lance pas non plus dans un inepte panégyrique des artistes. Il n'oppose pas, comme trop souvent hélas, les damnés complices du capitalisme aux résistants créateurs. Au fond, le plus terrible nous dit Pérec, c'est que la société de consommation fait de nous des êtres velléitaires. Voudrions, pourrions, serions... Relire Pérec c'est s'auto admonester une sacrée gifle et s'assurer que l'on mène une existence mue par des idéaux plus hauts que de reflèter ce que l'Express considère comme une vie réussie.
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10/08/2017
chronique d'une mort de France annoncée
Le village où je passe mes vacances comptait plus de 1000 âmes il y a deux générations, moins de 150 aujourd'hui. Au coeur du village, le gros bâtiment communal prouve que l'école a accueilli beaucoup de monde, fut un temps. Une taulière de restaurant me montre une photo jaunie ; la rentrée des classes de son grand frère : 54 garçons, autant de filles dans la classe voisine. Aujourd'hui, les 4 enfants toujours en âge d'être scolarisés prennent le bus pour aller au village voisin, là où une école demeure, en sursis. Si, dès le plus jeune âge, on vous explique que les strucures essentielles à la vie ne sont pas chez vous, à quoi bon rester ? Ainsi va la mort annoncée des lieux trop petits pour survivre à l'ère du global. Et encore, ce village se meurt à petits feux grâce à la saisonnalité : épicentre de chemins de randonnées, abritant une rivière délicieuse, il attire assez de touristes l'été pour faire vivre quelques commerces et leurs familles. Donc les commerçants restent, les aînés aussi qui sont nés et veulent mourir là. Les actifs le sont la moitié de l'année, ou agents communaux. Mais ils ne travaillent pas plus loin, faute d'opportunités. Il y a un autre village distant de quelques kilomètresa doté certes d'une école mais guère plus. Si l'on veut trouver le reste, il faut faire 20 kilomètres. Outre l'absence d'école, préjudiciable pour les jeunes et leurs parents, qui voudrait s'installer dans un désert médical d'une telle ampleur ? Je ne parle pas d'hôpital : pas un médecin ou même une pharmacie à moins de 20 kilomètres. Et pas de transports... Repeupler ce village est une chimère, mais ne doit pas éluder les débats inhérents à notre urbanisation galopante. Tout le monde ne pourra, ne voudra, ne devra vivre dans les grandes villes. Si l'on veut se nourrir correctement, entretenir un patrimoine gastronomique, architectural et culturel qui fait notre renommée mondiale, il faut se donner les moyens. Sans doute pas en essayant de sauver cette merveille de paysage où je demeure (ébahi), pour laquelle il est déja trop tard, mais les villes moyennes de quelques milliers d'habitants jusqu'à 30 000. Pour celles là, ne rien lâcher de l'offre de transports en commun, toujours plus d'attractivité scolaire et médicale, des espaces mis à disposition des travailleurs nomades, il faut le faire. On nous dira que ça a un coût, mais doter convenablement la France de transports de proximité coûte infiniment moins que notre folie TGV. Inciter les médecins à s'implanter là, leur faire "un pont d'or" permet une politique de prévention bien moins onéreuse que traiter l'incurie à l'hôpital... On ne peut pas continuer cette hypocrisie consistant à encenser l'hexagone des villages lorsque les caméras du Tour de France le filme et le saigner budgétairement dès que l'écran passe à autre chose. Un peu de cohérence : ça n'est parce qu'on meurt en silence sous nos yeux qu'il faut laisser faire. Ca reste de la non assistance à territoires en danger.
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08/08/2017
Sport partout, plaisir nulle part
2 images s'entrechoquent dans mon début de vacances. D'une part, un enfant de 2 ans qui apprend à taper dans un ballon. Le plaisir sans pareille que cela lui procure d'être en interactivité avec un autre et de s'échanger un objet en se dépensant. D'autre part, sur Facebook comme sur Instagram, une flopée de photos et de # vantant je ne sais quel accomplissement, je ne sais quel exploit, je ne sais quel dépassement physique d'épreuve inventée par des types qui avaient manifestement lu Sade, avec en gros toujours ce bon vieux mythe du "sky is the limit". L'emprise sportive et le culte de la performance, ça n'a rien de neuf. Alain Ehrenberg l'a magistralement montré dès les années 80 avec la convergence de valeurs en toc dans le sport, la politique et l'entreprise, triple washing réunis par la success story de la décennie dans les 3 domaines : Bernard Tapie. Depuis, l'extension de la bulle sportive s'accroît et vire à l'injonction : impossible d'être reçu en école de journalisme sans potasser les résultats de Ligue 1 et du Tour de France, impensable de ne pas aller au Stade pour qui veut être élu, pas un grand dirigeant qui ne confesse aimer la boxe, l'escalade ou la plongée... Ad nauseam. Nauseam, car on prend le pire du sport : l'ultra compétition, les records, la frime, la haine de l'autre, et la performance comme seule finalité, jusqu'à oublier tout le reste ; règles, autres concurrents, beauté du geste... les sportifs amateurs se blindent d'applis pour suivre leurs résultats quotidiens qu'ils exhibent sur les réseaux et suivent un régime alimentaire pour ne pas lâcher face à l'impossible à atteindre et qu'ils se sont eux mêmes assigné. Tu parles d'une pratique amateur... Le récit qui en est tiré est à l'avenant : on demande aux champions leurs secrets mentaux, culinaires, de sommeil... On optimise tout, on chiffre tout, on marchandise tout. Exit plaisir, échanges, apprentissage commun. Et on ne fait plus de différence entre des champions et sportifs lambdas qui s'imprègnent de cette pédagogie mortifère de la performance à tout prix. Comment attendre de ceux qui passent leur temps à se shooter pour repousser leurs limites, qu'ils puissent entendre l'incapacité ou pire, l'ambition de buller, de ceux qui les entourent ? Ces managers surbookés trouvent 10 ou 12h par semaine pour assouvir leur passion de l'extrême et deviennent insensibles à la demande de celui qui veut partir à 18h pour ne pas se sentir asservi par le boulot... Dans la sphère professionnelle, ce culte de l'égo, de la performance individuelle (les discours sur "le collectif" en entreprise par analogie avec le sport sont à pleurer d'hypocrise, c'est du tout pour ma gueule ripoliné...) sans autre finalité, fait des ravages. Quand on fait mine de s'interroger sur l'explosion du burn-out, réfléchissons deux secondes à notre fascination malsaine pour les records à battre dans tous les domaines... Maintenant qu'on va encore accélérer dans l'hystérie pro JO pendant 6 ans, il faudrait repenser à cet enfant de deux ans. Le sport peut beaucoup : c'est un excellent outil d'éducation, de partage, d'échange et d'intégration. Si on le prend pour ce que c'est : un jeu. On part de ce plaisir qu'on a en nous et on s'en sert au quotidien pour faciliter le dialogue, l'échange, le partage. Le plaisir pour les sportifs et le stade pour les champions. Comme pour les banques de dépôt et de spéculation, il est urgent de séparer deux univers qui n'ont rien à voir : sortons de ce culte performatif avant de mourir d'une overdose, comme un mauvais perdant complexé qui aurait vidé l'armoire à pharmacie avant son prochain combat qui n'aura jamais lieu...
15:57 | Lien permanent | Commentaires (25)