24/12/2020
Immunisés collectivement contre la honte
«Nous sommes devenus une société victimaire et émotionnelle. La victime a raison sur tout. Bien sûr, il est très important de reconnaître les victimes, de leur donner la parole, nous le faisons. Mais dans la plupart des sociétés occidentales, nous assistons à une forme de primat de la victime. Son discours l'emporte sur tout et écrase tout, y compris celui de la raison». Voilà comment parle le chef de l'État pour justifier le fait qu'il faut aimer Maurras l'écrivain contre le penseur et réhabiliter Pétain malgré l'antisémite. Mais réhabiliter quoi ? Quand bien même on prendrait les propos de Macron au pied de la lettre, sauver quoi ? Le héros de Verdun n'est un héros que pour ceux qui considèrent que faire tuer des centaines de milliers de jeunes gens plutôt que de négocier un armistice est héroïque ? Héros mon cul, oui. Réhabiliter Pétain, Maurras et l'identité nationale sans même un clapotis de contestation. Avec cette énième avatar honteux ne suscitant pas de réactions, je crois qu'on peut scientifiquement avancer que nous sommes collectivement immunisés contre la honte...
J'échangeais à ce propos avec la Reine Mère qui partageait mon incompréhension. Elle était sidérée et me disait avec justesse (pléonasme la concernant) "au fond, il a gagné la dessus. Une horreur chasse l'autre, une outrance chasse l'autre. La première fois, tu gueules, la deuxième aussi. Et puis tu t'épuises. Vous êtes moins nombreux à gueuler. Et puis tu deviens fou à l'idée de gueuler seul, alors tu arrêtes". C'est effectivement un cercle vicieux qui l'a réussi à créer sur une astuce, un tour de passe passe qui est le pêché originel de son élection : moi, ou le chaos fasciste.
Au fond, depuis l'entre deux tours de 2017, Macron joue sur cette seule et unique corde : avec l'effondrement du PS et de LR, l'attaquer, c'est risquer d'avoir le RN. L'affaiblir, c'est potentiellement faire élire le RN. C'est tout. Dans le discours LREM officiel, on dit toujours "les extrêmes" pour mettre sur un strict pied d'égalité Marine le Pen et Jean-Luc Mélenchon avec une élégance et une pondération qui sont la marque des progressistes. Dire cela permet de renvoyer un certain nombre d'éléments non affiliés politiquement (les blacks blocks au premier rang, mais aussi les zadistes, les ONG d'aide aux migrants...) à "l'ultra gauche mélenchoniste". C'est faux archi faux, archi archi faux et pourtant ça passe et ça conforte son électorat qui ne veut ni des uns, ni des autres...
On pourrait remplacer "avec un autre que Macron" pour mesurer l'étendue des dégâts. Avec un autre que Macron, les propos sur Maurras et Pétain auraient fait bondir la LDH, la LICRA, l'opposition. Avec un autre que Macron, Blanquer aurait démissionné pour sa croquignolesque histoire de syndicat ou tout est sur la table (notamment les dessous de table, factures à l'appui). Avec un autre que Macron, Alexis Kholer serait parti depuis longtemps à cause de ses conflits d'intérêts. Jamais François Bayrou mis en examen pour emplois fictifs et ne serai Haut Commissaire au Plan. Thierry Solère mis en examen pour six motifs différents (dont détournement de fonds, fraude fiscale et trafic d'influence quand même) ne serait pas conseiller politique du Président et avec un autre que Macron, enfin, jamais Richard Ferrand mis en examen pour l'affaire des mutuelles de Bretagne, ne serait Président de l'Assemblée Nationale. Mais nous sommes sous Macron et ces quatre personnes poursuivies aujourd'hui encore par la justice étaient à table avec le Président la semaine dernière pour préparer les Régionales. Nous n'avons définitivement plus rien à craindre la honte.
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23/12/2020
Noël, de sueur d'effort et d'effroi
Depuis bientôt 30 ans, je cours à Noël. Fidèle à une médecine médiévale des humeurs, mon père recommandait une importante sudation après les excès du réveillon et m'emmenait se cahoter avec lui que je sois d'accord ou non. Je ne sais plus quand c'est devenu un plaisir, mais le fait est que cette année encore, je n'ai pas dérogé à la tradition (du jogging post réveillon, qui lui s'est invité en avance...) et j'ai cavalé comme un bienheureux. Aussi loin que je fouille mes souvenirs, le jogging du 25 décembre se faisait parfois - rarement- sans gants mais toujours avec une grosse veste et l'équipe des coureurs en short était bien moins nombreuses que celles des coureurs en pantalon de survêtement. Nous courions parfois dans le jardin du Luxembourg, mais très souvent celui-ci était fermé à cause des fortes chutes de neige. Je me souviens d'un matin où mon père m'a mené, à l'heure du laitier, remonter la plus belle avenue du Monde jusqu'à l'Etoile, alors nous avons traversé et fait demi tour sans nous arrêter à cause du gel, mais tout ébaubis devant les deux kilomètres de trottoirs blancs.
Je ne suis plus tout jeune, mais je n'ai pas l'âge d'une crise de la biodiversité, qui s'étalent généralement sur quelques milliers d'années. On a connu cinq en 4 milliards d'années et la sixième, l'actuelle, surpasse ses devancières par son impressionnante célérité. En seulement trente ans, nous avons perdus les moucherons qui venaient se coller sur nos pare brises, le moustique tigre s'est répandu dans toute la France et le frelon asiatique a été aperçu en Seine et Marne.
Voilà à quoi je pensais à l'heure où le soleil se couchait tout à l'heure. Pas de gants, évidemment. J'étais en short, comme tout le monde. Et comme j'avais fait l'erreur de mettre un t-shirt manches longues, je suis revenu à la maison dégoulinant comme en été. Une sueur où se mêlait effort et effroi. Effroi devant la gravité de la situation et la légèreté avec laquelle des xxx (censuré) comme Jérôme Salomon sautent sur l'occasion en incitant à manger dehors pour les fêtes de Noël pour limiter les risques de Covid. Putain de virus comme il y en eut des centaines, putain de zoonoses comme 60% des virus, putain de maladie qui tue moins de 1% de celles et ceux qu'elle touche et on enferme le monde, on change tout, radicalement, on nous prive de liberté, on met des générations à genoux, des secteurs à terre. Et face à la sixième crise, on propose un référendum non coercitif. En ce moment, les salles de spectacles sont à l'arrêt, mais l'esprit de Guignol est partout.
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19/12/2020
Attention, école fragile
Le Président du Muséum National d'Histoire Naturelle, Bruno David, a l'habitude de comparer l'effondrement climatique à celui de la Tour Eiffel. Alors qu'on retire des poutrelles, l'édifice tient bien qu'il soit de plus en plus fragilisé, mais en apparence, il tient. Une poutrelle supplémentaire entraînera l'effondrement de l'édifice qui existera toujours, mais sous une forme fort différente... En voyant le traitement médiatique du suicide de Fouad, lycéenne trans à Lille, je me demandais s'il pouvait en aller de l'école comme du climat et quelle serait la poutrelle fatale.
L'assassinat atroce de Samuel Paty aurait pu être cette poutrelle, il ne l'a pas été. L'école, l'institution scolaire est incroyablement tenace et continue sa mission quoi qu'il arrive. En fait l'Éducation Nationale ne s'effrite pas, elle s'alourdit. L'Education Nationale est un bonhomme qui avance avec un gigantesque sac à dos et chaque nouveau drame est une pierre de plus. Depuis des années, on lui a rajouté tant de pierres qu'il y a de quoi condamner n'importe qui à l'immobilisme mais on attend qu'elle avance toujours au même rythme.
C'est vraiment insupportable de lire "la transphobie à l'école tue" à propos du suicide de Fouad comme il était dégueulasse de lire"l'école capitule face à la liberté d'expression" après l'assassinat de Samuel Paty. C'est comme si l'école était une enclave magique où tout était en état de fonctionner parfaitement et que chaque drame était de sa faute. Nos images en sépia des hussards noirs de la République ne sont pas trompeuses, elles sont mensongères. Non, le niveau ne baisse pas, non ça n'était pas mieux avant.
On ne peut pas comparer l'école d'antan, avec très peu d'élèves, pas de pression liée à la massification de l'éducation supérieure, pas de pression immédiate sur l'employabilité des écoliers (le chômage de masse n'existait pas et ceux qui sortaient de l'école à 14 ans bossaient quand même...), pas d'attente grandiose sur les langues étrangères, avec celle de maintenant. Surtout, auparavant, les attentes de l'école au regard de la citoyenneté étaient nulles : vive l'instruction et l'éducation était laissée aux parents. Bien sûr que l'école pouvait faire plus, mais réalisera t'on un jour la somme de tout ce qu'on demande de nouveau à l'école, depuis trente ans ? Il faut toujours enseigner les bases, lire, écrire, compter (et on est derniers en maths...), mais aussi les langues étrangères, les nouvelles technologies et les risques liés aux écrans, les bienfaits de l'alimentation saine, du sport, de la tolérance, les vertus civiques, la lutte contre le racisme, le dérèglement climatique....
Dans le même temps, mettre en face de ce monceau phénoménal d'attentes, les saccages successifs depuis 15 ans (ce salopard de Luc Chatel étant le premier gros fossoyeur) avec une réduction drastique de la formation des profs quand tout concoure à montrer qu'ils en ont besoin, le gel de leur salaire quand on arrive pas à avoir assez de bons candidats, la dégradation de leurs conditions de travail, les réformes successives et contradictoires, le manque de moyens accordés à la sécurité...
Autant d'attentes nouvelles cumulées à autant de moyens en moins, ça n'est pas possible. Les personnels éducatifs manquent de moyens, et de moyens humains. La longue enquête de Médiapart montre qu'avant de parler de transphobie comme si elle était volontaire, intentionnelle et discriminante, les personnels éducatifs sont souvent démunis face à ces cas nouveaux et en viennent à de la maltraitance institutionnelle, malgré eux. L'école est un joyau, nous devrions tous être conscients de l'immense fragilité et des risques qu'elle encourt aujourd'hui. La priorité pour protéger les enfants, c'est d'abord de protéger l'institution pour lui donner les moyens d'exercer pleinement ses missions et donc de protéger les enfants. Je doute que l'actuel locataire de Grenelle soit le meilleur pour cela, mais y a urgence quand même...
16:17 | Lien permanent | Commentaires (6)