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19/12/2018

Un cric ou un RIC pour une démocratie en panne ?

François Bayrou écrivait des institutions que "comme pour le moteur d'une voiture, elles n'intéressent personne alors qu'elles sont essentielles. On ne s'y intéresse qu'en cas de panne et on ne tire jamais les leçons de ces accidents". Je ne saurais mieux dire et mieux écrire et le RIC est pour moi l'énième avatar et l'énième mauvaise réponse à une question cardinale et majeure. 

La crise des gilets jaunes, parmi toutes ces composantes, illustre aussi de façon criarde, blafarde, la déliquescence de nos institutions verrouillées et archaïques. Que la foule se mobilise quand elle a l'impression que le mandat qu'elle a donné au travers d'élections n'est pas respecté, c'est bien légitime. Que des gouvernants abusent de leurs mandats, pour détourner certaines promesses de leur essence, voire prennent des mesures dont ils n'avaient jamais parlé, c'est certain. En outre, le premier symptôme de notre déliquescence démocratique, c'est l'abstention. Si elle est un thermomètre, la fièvre française atteint des sommets inquiétants qui ne va pas retomber avec les élections européennes. Aussi, bien évidemment que la demande de davantage de démocratie est légitime. 

On voit bien, 10 ans après la réforme Constitutionnelle de Sarkozy, que notre pouvoir législatif est toujours aussi vertical. Allez trouver 180 parlementaires et 1/10ème des électeurs inscrits, ça ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval et n'a pas été utilisé depuis. Pourtant, sur bien des points, il serait légitime qu'on puisse discuter, débattre, amender et éventuellement retoquer des projets gouvernementaux qui n'ont aucun assentiment populaire, voire de permettre au peuple de proposer des réformes et charge au Parlement de les voter ou non. Tout cela n'existe pas d'où le blocage. Des ronds points, des textes, de tout. En l'espèce, sans coup de force et malgré une illégitimité galopante, Macron peut faire ce qu'il veut jusqu'en 2022 car jamais sa majorité ne frondera.

Mais je ne vois pas en quoi le RIC changera quoi que ce soit. D'abord, cette idée n'a rien de neuve et elle existe dans des tas de pays où elle traite en réalité de sujets mineurs. Ensuite, l'insupportable sophisme consistant à hurler "le peuple le peuple le peuple" c'est dégueulasse et démagogique. De ce point de vue, le Front ou le Rassemblement National est dans son rôle : ils demandent des référendums pour que la France recouvre sa souveraineté, notamment en matière de contrôle des frontières. On voit le plan "voulez vous que la France continue à ouvrir ses frontières à tous vents, aux islamistes, aux terroristes en herbe et autres esclaves modernes qui prendront vos emplois ?". Suspense insoutenable concernant le résultat...

Ce qui était moins prévisible, mais bien navrant, c'est l'attitude choisi par la France Insoumise qui continue sa mue populiste assumée en faisant le pari du populisme social cher à Chantal Mouffe. C'est Alexis Corbière qui a expliqué hier qu'on pourrait ainsi mettre au RIC le mariage pour tous, pour relégitimer ledit mariage ou alors l'abandonner si le peuple n'en veut plus. La drague à l'extrême droite et aux réacs bien lourde, en somme. Adrien Quatennens assumait le point godwin du sujet : la peine de mort. "Et pourquoi pas ? si le peuple veut en débattre. Faisons confiance au peuple !". Ruffin a embrayé sur les mêmes idées en disant que globalement ceux qui n'aiment pas le RIC n'aiment pas le peuple. Acmé du sophisme. Et là, c'est la négation paradoxale de la démocratie par la stratégie populiste comme le montre parfaitement Yascha Mounk dans "le peuple contre la démocratie". 

Des méthodes qui jouent l'opinion contre le fond des textes. Pour ce faire, on flatte des bas instincts, simplifie des réalités complexes et autres procédés navrants vus partout où des populistes l'emportent. Par ailleurs, les RIC ne permettent pas de régénérer la démocratie en épousant des grands sujets, mais touchent à des vétilles :  Les RIC, en Suisse, portent donc sur des sujets comme la légitimité des minarets et la coupe des cornes des vaches (deux vrais sujets très récents) ce qui amusent sans doute ceux qui rassemblent, mais ne fait pas progresser la démocratie.

Une voiture en panne a besoin d'un garagiste et de cric, pas de RIC pour savoir quelle est l'origine de la panne. Le RIC ne nous mènera pas de bonnes réponses. Quel est le premier mal dont souffre la France en termes de répartition des richesses, et donc de qualité et quantité des services publics ? La fraude fiscale, mille coudées devant les autres sujets. Comment fait-on un RIC sur ce drame, ce crime contre l'Etat ? "Etes-vous pour ou contre que les entreprises pratiquent l'évasion fiscale ?". Une fois qu'on aura obtenu 99% de contre (Cahuzac sera pour...) on sera bien avancé.... Les problèmes complexes n'ont pas besoin de réponses simplistes.

Le RIC aurait une légitimité pour montrer le décalage de certains textes de lois : consultés, jamais une majorité de français n'aurait voté la disparition de l'ISF, le maintien du glyphosate et autres atrocités. Là dessus oui. Hamon proposait le 49-3 citoyen, c'en était l'esprit. Les Insoumis proposait une Constituante et une 6ème République qui a autrement plus d'allure que ce petit RIC qu'ils récupèrent par opportunisme et facilité. "Il ne faut pas ériger son impatience en dogme" écrivait Lénine. Ca n'est pas parce que Macron est illégitime en diable et chancelant qu'il faut chercher à le faire tomber par n'importe quel moyen. Nous valons mieux que cela. 

09/12/2018

Misères comparées, comparaison de misère

"Les français vivent au paradis et se croient en enfer". La vidéo de l'interview de Sylvain Tesson sur France Inter tourne beaucoup en ce moment avec des commentaires louant la sagesse du voyageur qui éclaire les gaulois réfractaires. C'est marrant comme un peu de talent oratoire ou de plume vous absout de vos idées rances auprès d'un grand public. J'ai toujours été gêné par les sourires déclarés par les diatribes anti impôts de Lucchini par exemple, mais comme il le dit avec ferveur et talent, on l'applaudit. Sylvain Tesson écrit très bien, à la hussarde, ou la cosaque dirait-il. Des phrases pleines d'adjectives et sans périphrase. Directes, brutes. Et puis il voyage beaucoup, c'est donc un esprit curieux et humaniste. Il suffit de lire son récit de la campagne de Russie pour savoir que Tesson n'est pas un ami du progrès pour tous et encore moins toutes. Il n'est question dans ses pages que de cuites masculines, de rires et alcools forts où les femmes ne sont que des silhouettes que l'on veut dévêtir. Quand à sa vision de l'étranger, elle se rapproche de celle de Morand, beaucoup de morgue française, de condescendance et de facilité. Bref, Sylvain Tesson c'est la France rance, la France moisie et sa phrase pue l'ancien régime qui trouve les jacqueries indéfendables.

Depuis le début de la crise sociale, les comparaisons fleurissent chez les éditorialistes pour évoquer le fait que la France serait championne du monde des impôts, compterait un trop grand nombre de fonctionnaires et un service public trop important. Comparaison curieuse. On pourrait commencer par rappeler à quoi cela sert à savoir que peu de pays offre une scolarité gratuite ou quasi gratuite depuis la crèche (il en manque, certes, mais tout de même) jusqu'au doctorat. L'hôpital public. Les retraites par répartition. C'est tout de même ce qui explique une espérance de vie en bonne santé supérieure au reste, une vitalité de la démographie, des études et moins de vieux pauvres qu'ailleurs. De cela, on ne parle pas.

L'autre comparaison est en bas de l'échelle, angle choisi par Tesson. Le SMIC est plus haut qu'ailleurs, le chômage plus long etc... Jamais la seule question légitime ne vient "et alors ?". A entendre les amateurs de la comparaison avec les pays plus flexibles c'est comme si le fait de mettre un SMIC à 100 euros et d'abolir les droits au chômage ferait de notre nation un pays de Cocagne. Évidemment, personne ne dit cela, mais leur logique est tout de même d'abolir le SMIC ("un frein") et de diminuer l'allocation chômage dans le temps ("qui désavoue la valeur travail"), donc je pousse leur logique jusqu'au bout, hein...   

Depuis une vingtaine d'années, pire encore que l'avis des français ayant voyagé, celui des expatriés. L'expatriation permet dans 99% des cas d'augmenter significativement son train de vie. Soit des expatriés économiques avec déjà un emploi et pour qui l'employeur fait un effort matériel important pour choyer ses "talents". Soit des diplômés qui partent vers des pays libéraux où les inégalités sont encore plus fortes qu'en France et où les 5% des plus favorisés voient leur rémunération s'envoler. Ils en font partie et veulent juste le gros gâteau. Réalise-t-on quand on leur donne la parole pour qu'ils se lamentent de "ne pas pouvoir rentrer en France car ils perdraient en pouvoir d'achat" que l'on parle uniquement des plus fortunés. Faut-il vraiment pleurer sur le sort des directeurs commerciaux, des data scientist et autres consultants qui sont mieux payés dans les pays anglo saxons ? Indécent et inepte.

Ces comparaisons sont scélérates et misérables. Pour reprendre la phrase de Tesson, ce qu'il ne veut pas voir, c'est le glissement. Notre modèle social a pris les bons choix avec le CNR, mais refuse de les financer. La santé est toujours gratuite, mais on manque de personnels soignants, d'établissements, alors on rogne sur les traitements, les médicaments, la durée des soins pris en charge etc... Sans mutuelles payantes, le service rendu n'est plus optimum. Idem pour l'éducation ou les cours de langue, de soutien scolaire et autres coaching viennent compenser une école qui ne peut compenser toutes les lacunes égalitaires. Sans parler du navire éducation supérieure qui prend l'eau comme jamais, tant les bataillons de nouveaux étudiants n'ont pas le droit aux équivalents de profs et de personnel administratif et étudient dans un environnement dégradé. Quand à nos vieux moins pauvres qu'ailleurs, avec la CSG, ils sentent que ça glisse et ne peuvent se refaire par le travail... Ils vivent dans un pays qui ressemblent de moins en moins au paradis et ils voient bien que si rien ne change, cela sera l'enfer pour leurs enfants, leurs petits enfants. Dans le même temps ils voient le Pin's 1 millions d'emplois pour le CICE, inutile ; l'ISF envolé, injuste et l'évasion fiscale qui galope, insane. 

Cher Sylvain Tesson, permettez moi de reprendre votre phrase : les français vivent un enfer à cause de leurs compatriotes qui squattent les paradis fiscaux. 

 

 

 

 

07/12/2018

Fatigue jaune

Nul ne sait trop ce que cet acte IV va donner, mais on peut dire sans trop se risquer que le grand perdant s'appellera Emmanuel Macron. Soit il y a beaucoup de monde à défiler contre lui et une démonstration de plus de la permanence de l'exaspération sera là. Si moins de monde défile, ce sera uniquement par peur des violences physiques liées aux casseurs et cela sera la preuve que les rues du pays ne sont pas sûres car la police ne peut endiguer une violence folle libérée par le même Macron. Si peu de choses sont cassées, ça sera la preuve que les gilets jaunes sont pacifiques, s'il y a beaucoup de casse, voire des blessés graves (espérons pas de morts), la folie d'un président qui n'aura pas su éviter ce round de plus (de trop ?) alors qu'il avait des cartes en main.

Je n'ai pas changé d'avis sur les gilets jaunes. Je comprends pleinement l'élan, pas certaines formes de leurs actions. Un mouvement qui refuse des règles comme la concertation avec des représentants, une délégation, appelons ça comme on veut, ça n'est pas démocratique. Un mouvement où les journalistes sont molestés, menacés, traités de collabos, ça n'est pas démocratique. Un mouvement dont les revendications hésitent entre Lénine et Poujade, c'est à tout le moins curieux.

Le mouvement se répand sur les réseaux sociaux, outil où la règle quand on est mal à l'aise, c'est le silence et quand on jubile, la publication. On le voit avec ceux qui postent beaucoup sur les sujets ayant trait à la laïcité : rares sont ceux qui dénoncent toutes les atteintes à ce principe. Dis moi si tu dénonces majoritairement les actes antisémites ou islamophobes, si tu parles de tels ou tels fanatiques qui nous menacent, et je te dirais qui tu es. Avec les gilets jaunes, on voit bien comment certains depuis quelques semaines ne mettent en avant du mouvement que ce qu'il compte comme revendications sociales : lutte contre la fraude fiscale, retour de l'ISF, hausse du SMIC, des bas salaires, service public de proximité renforcé, notamment dans le médical. Tout cela est extrêmement louable et c'est assez merveilleux de voir tous ces citoyens souvent abstentionnistes, dégoûtés de la politique, se conscientiser, revenir dans le jeu avec des idéaux de justice et d'équité.

Mais il y a évidemment aussi un dégoût de toute forme d'impôt par essence, alors que nos impôts sur le revenu sont parmi les plus justes et progressifs au monde (contrairement à la TVA où les taxes pétrolières qui touchent Bernard Arnault et le titulaire du RSA à armes égales). Un rejet indifférencié des politiques et de leurs "privilèges" quand un nombre croissant de maires refusent de se représenter ou démissionnent (50% pour les élections de 2020)... Des discours anti fonctionnaires, nombreux aussi, anti aides sociales, minimas, migrants... Sans compter, parmi les boucles les plus actives, les plus diffusées et relayées, toutes les pages cryptos fachos et truffées de fake news venues d'on ne sait où disant que le pacte de Marrakech signé par la France la semaine prochaine participe du "grand remplacement". Les chiffres d'audience existent pour ces pages, on voit bien que ces discours ignobles mobilisent aussi grandement parmi les gilets jaunes et les protestataires du jour. Un discours moins reluisant pour ne pas dire franchement honteux et vomitif qui disparaît de l'écran radar des comptes Facebook de ceux qui ne veulent pas gâcher la révolution qui vient. Prière de ne pas salir le village Potemkine, les gilets jaunes c'est un nouveau mai 68. Jusqu'à preuve du contraire, 68 est déclenché par des étudiants conscientisés à gauche, convergeant avec les communistes, les syndicats de gauche et les mots d'ordres de mobilisation d'alors sont tous sociaux. L'extrême-droite et les nervis sont plutôt dans le camp d'en face. Faut pas refaire l'histoire plus belle qu'elle n'est quand ça nous arrange.  

Je n'ai pas changé d'avis sur les gilets jaunes, mais force est de constater que l'attitude de l'exécutif est de plus incompréhensible et suicidaire. Après avoir mis dans le même sac les gilets jaunes énervés, mais jusque lors pacifiste, avec "la peste brune" Darmanin a planté une banderille. En annonçant un moratoire de six mois sur les taxes, Philippe prend les gilets jaunes pour des demeurés et remet de l'huile bouillante sur le brasero. Ad nauseam.  

Jeudi, les images de la honte de 150 gosses, 150 ados mis à genoux par la police ont fait le tour des réseaux. Difficile de voir une plus belle mèche à deux jours des manifs, les jeunes ont tout ce qu'il faut pour rejoindre le mouvement. Blanquer avait le droit et même le devoir de dire que c'était une honte absolue, des dysfonctionnements incompréhensibles, une dérive solitaire d'un commissaire, que sais-je. Il trouve, c'est son boulot. Mais non, il a assumé l'inassumable. Folie.

Enfin, Macron a théorisé et incarne depuis 18 mois la monarchie présidentielle. Refus de s'abaisser à parler aux parlementaires (dès son congrès de Versailles 2017) mépris des corps intermédiaires syndicaux ou de la rue, le roi ne parle qu'à ses semblables lors des G8 ou 20. Les gilets jaunes l'ont bien compris qui ne veulent parler à personne d'autre, puisqu'il dit décider de tout. Son mutisme et ses coups de menton sont l'essence qui précède l'existence des gilets jaunes. Cette crise, c'est la sienne. Cette colère, c'est la sienne. Qu'il se démerde pour nous en sortir parce qu'on fatigue, là.