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10/02/2019

Le droit au ni ni

Je pensais naïvement que dans un monde post guerre froide, nous n'étions pas sommés de choisir un camp quand les termes du conflit sont mal posés. Or, à mesure que la crise dure en France, il semblerait qu'un non soutien aux gilets jaunes équivaudrait à un alignement sur l'exécutif et sa cohorte de courtisans... On se pince.

A l'évidence, pour qui a un minimum de conscience de lutte des classes, un minimum d'empathie sociale, impossible de soutenir le gouvernement le plus anti-social depuis 1945, au bas mot... Mépris généralisé pour les chômeurs, les plus fragiles, haine de classe, lois de flicage des travailleurs, contrôle et encadrement des prud'homme, tout dans le rapport travailleur / employeur est vomitif dans ce gouvernement. Tout. De la flat tax pour les profits au suppression à l'aveugle de centaines de milliers de contrats aidés, tout est à gerber et rien n'est défendable. Des dix huit mois précédant la crise à la gestion d'icelle, rien à sauver.

Et depuis 3 mois, il n'y a évidemment rien à saluer non plus : mesures cosmétiques sur le pouvoir d'achat en décembre, faux grand débat ultra encadré sur les thèmes que l'on peut aborder plus show présidentiel digne d'une campagne, obstination sur l'ISF... Plus, évidemment, les violences policières inacceptables avec des centaines de blessés et des dizaines de mutilés. La suite tristement logique des consignes données en termes de maintien de l'ordre depuis 4 ans et l'instauration de l'État d'urgence, initialement prévu pour lutter contre le terrorisme et qui a surtout servi a castagner et défoncer des zadistes, des militants écologistes ou soutien aux migrants... On l'a vu en Italie avec Renzi, notamment, un pouvoir technocratique, coupé de tous les corps sociaux intermédiaires qu'il méprise, cela amène le pire. On voit le film arriver chez nous et il est évidemment impensable de soutenir un gouvernement qui nous rappelle chaque jour pourquoi le proverbe "le pire n'est jamais certain" existe. De "je ne connais pas de violences policières" de Christophe Castaner, à "Jojo le gilet jaune" du Président, chaque jour nous apporte son lot d'essence pure sur brasero... Et les éditorialistes de Barbier à Brunet, d'Elkrieff à Lechypre, qui se font les chantres du régime, flattent l'ouverture du débat présidentiel et renvoient dos à dos les violences policières et celles des manifestants, c'est toujours à désespérer.

D'accord, re d'accord, 1000 fois d'accord, il n'y a rien à sauver dans ce camp. Certes. Pour autant, depuis 3 mois que le mouvement existe, je ne vois toujours aucune raison de soutenir les acteurs du mouvement des gilets jaunes. Je ne dis pas certaines revendications de justice sociale et fiscale. Personnellement, je soutiens la justice fiscale, le partage et le renfort des services publics depuis 20 ans, j'ai soutenu tous les mouvements qui s'en réclamaient. Et là, soudainement, un mouvement qui n'a pas fait descendre plus de 200 000 personnes dans la rue serait "le peuple" serait légitime à exiger le "renversement du régime" et serait surtout le premier à demander de la justice sociale et davantage de démocratie. On se pince devant la prétention et l'outrecuidance de nombre de porte voix du mouvement qui, en 3 mois, n'a pas réussi à engranger de nouveaux soutiens. Pas de jeunesse en masse aux côtés des gilets jaunes, pas de facs bloqués, de menaces dans les usines ou les dépôts de carburants. Le soutien au mouvement est en trompe l'oeil puisque les questions posées sont systématiquement "soutenez vous les revendications contre le gouvernement ?". Or, eu égard à l'attitude répugnante de l'exécutif, tout le monde ou presque est contre, ça ne veut pas dire que vous êtes pour quelque chose qui refuse de se définir autrement qu'en contre. Quadrature du cercle infini...

Je ne partage évidemment pas les critiques contre l'expression maladroite des gilets jaunes (l'article de Vincent Glad sur les commentaires infâmes sur l'orthographe et la syntaxe) ou le fait qu'ils n'emploieraient pas les bons termes pour motiver leurs demandes. Non non. En revanche, trois mois après, ce mouvement est toujours principalement en contre et pas en pour. "Macron démission", "dissolution", "dégagez". Mais peu de revendications concrètes, hors le RIC (mais qui est un fourre-tout) et le retour de l'ISF. Certes. Mais pour le reste, négation des corps intermédiaires, insultes envers les syndicats, agressions envers les journalistes, raccourcis englobant sur "les élites" manque de coordination entre eux... Il y a certes l'AG de Commercy qui essayent de fédérer et converger, mais hormis cela, les doléances ne fusionnent pas et d'ailleurs ils n'en veulent pas. La meilleure illustration de cette absence de représentativité est l'arlésienne de la liste GJ aux européennes qui n'arrivera pas. 

Et pour les grandes figures, entre les déclarations séditieuses d'Eric Drouet, le coming out en faveur du complotiste Asselineau d'Etienne Chouard ou encore de la déclaration d'amour au M5S italien de la part de Maxime Nicolle AKA Fly Rider, on ne peut pas dire que ça transpire le progressisme.

On ne parle pas d'une fascination classique pour l'extrême droite classique au sens raciste et fasciste, bien sûr. Même si les dérapages homophobes, racistes (dénonciation de migrants cachés dans un camion) factieux (bastons avec les GJ d'extrême gauche) et antisémites (le "Juden" sur une vitrine Bagelstein c'est un tag unique, certes, mais un de trop) se multiplient et ne disparaissent pas. On parle plutôt de revendications poujadistes, un discours anti élites, du dégagisme primaire et sans nuance mais aussi une aspiration à un pouvoir fort. Et aussi le relais de millions de thèses complotistes, de fausses infos (1/3 des pages les plus populaires sur les forums des GJ ont été supprimées par la suite, quand les administrateurs des pages ont réalisés qu'ils relayaient des faux grossiers). D'où le fait que sans besoin de discours d'extrême-droite sur les thèmes, c'est bien l'extrême droite qui gagne en popularité et engrange dans les sondages car ils incarnent cette forme d'exercice du pouvoir. Et cela, évidemment, pour pour qui a un minimum de conscience de lutte des classes, un minimum d'empathie sociale, impossible de soutenir cela aussi.

Le droit au ni ni, ça n'est pas de la démission de l'engagement, ça ne fait pas de vous un social-traître. Au contraire. Les revendications sont les mêmes que celles portées par les acteurs sociaux depuis 40 ans. Entre temps, nombre de responsables politiques se revendiquant de la gauche ont trahi, ont abusé de la confiance du peuple qui votait pour eux et s'est, depuis déporté vers l'abstention ou l'extrême droite. Mais jeter le bébé du progrès pour tous avec l'eau du bain du bilan de sociaux démocrates ayant trahi, c'est une folie. Sans cadre et sans convergence, nous sommes contraints à un non choix : soit continuer à soutenir le pire actuel, soit prendre un pari très hypothétique en soutenant un mouvement qui pourrait être pire encore en confisquant littéralement tous les contre pouvoirs. Avouons que pareil dilemme n'est pas sans rappeler la peste ou le choléra et l'on peut vouloir être sain sans être taxé de lâcheté. 

 

 

05/02/2019

Accélération de la décomposition

Il est un point sur lequel Emmanuel Macron a gagné bien au-delà de ses espérances : sa présidence mettra fin aux politiciens professionnels, aux élus à vie. Mais là où le héraut de la révolution libérale espérait que cela se serait fait au gré d'allers/retours volontaires entre public et privé, entre ONG et politique, la valse des départs se irréversible des élus se fait sur fond de dégoût. Et cela ne profite à personne. Les adversaires les plus farouches de la macronie peuvent bien fanfaronner sur la faiblesse du pouvoir en place, ils hériteront de ce discrédit quand ils arriveront aux responsabilités. La dette de confiance sera alors si lourde qu'il faudra s'attendre au même délitement de l'opinion en quelques mois, voire quelques semaines, ou à une reprise en main plus autoritaire, moyen historiquement éprouvé de faire taire les sceptiques. 

Cette crise du renouvellement est visible depuis les premiers besoins de remaniement ministériels où tous ont pu constater la faiblesse du "banc de touche" marconiste. Le remplacement de Hulot par De Rugy est évidemment un drame à l'adresse des écologistes. Idem pour l'intérieur : Castaner en remplacement de Collomb c'était une insulte à l'aspiration macroniste de prendre "les meilleurs à chaque poste, sur leurs compétences". La gestion de l'ordre des manifestations de gilets jaunes par Castaner enfonce le clou. Où sont les champions de la société civile prêt à rejoindre la marche triomphante du progrès ? Ils restent au chaud dans leurs starts-up, dans leurs grandes boîtes, dans leurs hautes administrations, pas folles les guêpes...

Autre signe saillant de la faiblesse du banc de touche : les européennes. On avait annoncé Thomas Pesquet et des tas d'autres noms, jeunes, bankables, frais et pimpants. Patatras. Aux dernières nouvelles, on hésitait vaguement entre Le Drian (qui a refusé) Juppé (itou) et Cohn Bendit... Quand la France Insoumise arrive à débaucher la porte-parole d'Oxfam même pas 30 ans, le contraste d'attractivité est criant, pour ne pas dire cuisant. 

Pour les municipales, Collomb est déjà parti, Darmanin a crânement expliqué qu'il serait candidat à Tourcoing, façon d'anticiper poliment un départ en 2020. Pour la ville de Paris, Macron avait lancé entendre partout qu'il voulait un "Bloomberg à la française", un champion des affaires qui viendrait sans étiquette en politique. Tu parles, les seuls qui vont au feu sont tous des élus de la macronie : Griveaux, Majhoubi, Renson, Villani. Extension du domaine de la castagne, mais pas extension du réseau de la macronie...

A l'Assemblée, outre les quelques défections (7 ont quitté le groupe dont l'ineffable Son Forget, quelques élections invalidées plus l'exclusion de Sébastien Nadot au motif qu'il avait refusé de voter le budget) un nombre croissant de députés ne se privent pas de dire face caméras qu'ils ne feront qu'un mandat. Macron ne voulait pas de professionnels de la politique, il doit être comblé... 

Dernière faiblesse criante, le château. Hier Philippe Granjeon l'a officiellement rejoint pour renforcer une communication décapitée par le départ de Sylvain Fort il y a plusieurs semaines... Le pompier de service a bossé pour Moscovici, Sapin, DSK... Tu parles d'un perdreau de l'année et d'un renouveau. Comment ne pas être sidéré par cette incapacité à recruter ? Pire, dans les refus essuyés par Macron, on compte celui de Franck Louvrier. Un camouflet inouï : d'abord penser que l'homme du renouveau a tenté de débaucher le communicant exclusif de Sarkozy, ça pique. Ensuite, la raison invoquée par Louvrier pour justifier son refus : se concentrer sur les municipales de 2020 à la Baule. Jadis Paris valait bien une messe, aujourd'hui, ça ne vaut même plus une station balnéaire. 

On pouvait évidemment se moquer de tous les planctons qui, pendant 40 ans, se sont accrochés plus forts que des berniques aux rochers. Ravalant leur orgueil défaite après défaite, camouflet après camouflet, ils restaient disponibles pour un poste, un maroquin, une sous préfecture... De Cambadélis à Hortefeux, de Bayrou à Placé et Jean-Michel Baylet, on ne compte plus les notables assis sur des prébendes à vie. Leur inamovibilité a sans conteste causé beaucoup de tort à nos institutions. Evidemment. Si cela peut mettre fin aux carrières publiques, tant mieux. Tant mieux si davantage de femmes et d'hommes décident de s'engager en politique pour servir plutôt que se servir selon la formule consacrée. Mais la noria des départs depuis 20 mois finira par faire passer les nouveaux responsables pour un mélange d'opportunistes (ils saisissent les perches en sortant de nulle part), d'ingrats (ils s'esquivent pendant la campagne) et beaucoup plus graves, d'incapables (ils partent sans avoir eu le temps rien faire). Tout cela ne profite pas à la démocratie. Le réenchantement de celle-ci ne peut passer par des artifices grossiers comme un débat cadenassé et maquillé comme un camion volé. Face à la putréfaction institutionnelle, il faudra plutôt le courage de la vraie transparence. Comme dirait le sélectionneur du XV de France avant d'aller à Twickenham, c'est pas gagné... 

02/02/2019

Qui ouvrira le bal de la contre-révolution fiscale ?

70% des américains soutiennent la proposition d'Alexandria Ocasio-Cortez de taxer à 70% les revenus supérieurs à 10 millions de $ pour financer la révolution écologique. Une proposition sans doute jugée naguère comme "bolchévique" approuvée par une écrasante majorité d'américains et même 54% des Républicains et 52% de ceux qui se déclarent pro Trump. Comment en sommes nous arrivés là ? 

En arrivant au pouvoir en 2016, Donald Trump a initié une révolution fiscale faisant passer Ronald Reagan pour un social-démocrate bon teint. 1 500 milliards $ de baisses d'impôts sur 10 ans. 150 milliards par an, la moitié du budget français en allègements pour les déjà ultra nababs. Parmi le flot hallucinant de chiffres tous plus malsains les uns que les autres, 52 milliards d'économisés par la seule famille Walton (propriétaire de Wall Mart) entre les droits de successions et les impôts sur les entreprises. Se pincer ne suffit plus...

En deux ans, Trump a bouclé la boucle et les USA sont devenus un authentique paradis fiscal comme l'a montré le retour des capitaux cachés d'Apple et d'autres géants du numérique (Google laisse encore son magot aux Bermudes, pour l'heure). Nous pouvons difficilement aller plus loin dans l'indécence, nous avons touché le fond de la piscine, la double question à laquelle nous sommes suspendus est qui entamera la contre-révolution fiscale et quand ? 

Car la contagion a gagné la planète avec une explosion du nombre d'oligarques, de milliardaires. Or, il n'existe pas de milliardaire honnête. Si l'on paye l'ensemble des impôts auxquels on est soumis avec une progressivité forte à plus de 50% au delà du million d'euros de revenus (ce qui était le cas dans tous les pays de l'OCDE avant la révolution conservatrice des années 80) il faut plusieurs siècles pour façonner un milliardaire. Si les tycoons du numérique et des hydrocarbures ont des comptes en banques à 9 chiffres en quelques années, c'est d'abord parce qu'ils truandent le bien Commun. Ensuite, parce qu'ils ne partagent pas les richesses crées. Dire cela n'a rien mais alors de rien d'offensant contre la création de richesses, la réussite, le confort et autres poncifs dégainés par les libéraux dès lors qu'on veut s'opposer aux rémunérations folles. Personne ne réclame le même salaire pour tous. Simplement le retour de la justice et de la modération des inégalités. Non par goût du nivellement, mais pour financer le bien Commun, car les sommes volées par les milliardaires suffisent amplement à financer le bien être en santé et éducation pour tous. 

En France, le Monde a eu l'excellente idée de demander aux premiers de cordée ce qu'ils avaient fait de l'argent "offert" par Macron entre l'IFI a la place de l'ISF ou la flat tax. Résultat des courses ? Les investissements vertueux dans l'économie, c'est de la pipe. Non, ils l'ont dépensé... On trouve des citations folles comme "j'ai récupéré 50 000 euros et j'en ai profité pour m'offrir davantage de voyages. Ma famille n'en avait pas besoin et mes enfants ont déjà plusieurs longueurs d'avance sur les autres entre les voyages, les études et le capital culturel que je leur ai confié". Quand les oligarques citent Bourdieu entre deux rots de champagne, il est peu être temps de s'interroger...  

On ne compte plus les business immondes qui se sont crées ces dernières années : yachts à rallonges, tacos en or, bouteille de vodka plaqué or... Des insultes au bon goût, mais des crachats aux injustices. Ils ne sont pas la maladie, mais l'un des symptômes des dérèglements. Tout ce superflu insane doit disparaître, mais il ne sera ensevelie que par une vague de justice fiscale. Les primaires démocrates américaines qui s'ouvrent actuellement mettent cette thématique en priorité des priorités. Puissent-elles être suivies d'effets et dans les faits et faire boule de neige sur le reste de la planète.