20/11/2011
Sous les neiges du Kilimandjaro, la France coupée...
Jusqu'aux dernières vingt minutes, les neiges du Kilimandjaro est un bon film. La presse plus que timorée qui a accueilli le dernier Guédiguian doit forcément tenir compte de cela. Ils l'ont descendu pour cette fin trop sirupeuse, ce qui se comprend ; mais il ne faut vraiment pas bouder son plaisir pour l'heure et demie qui précède.
Personnellement, la fin me dérange car elle revient à saborder le film en trichant avec la réalité alors que la grande force des 90 premières minutes est d'être d'un réalisme social saisissant. Tout commence par un tirage au sort pour décider des 20 Dockers qui seront licenciés. Darroussin, leader syndical, tire son nom et s'en va, pas de privilège dit-il (bon, clairement, entorse à la réalité, mais passons). Par la suite, Daroussin et sa femme obtienne un petit pactole en liquide pour faire un beau voyage comme Ulysse, mais comme Sysiphe, alors que l'ouvrier laborieux approche du sommet, tout s'effondre. Une agression sauvage et traumatisante, le grisbi en liquide s'envole et les larmes se répandent. Les larmes de sang redoublent de rouge, celui de la honte quand il découvre que l'agresseur est un prolo comme eux.
Pour les laborieux, syndiqués, ayant lutté toute leur vie (ils approchent la soixantaine) contre les nantis, les nababs armateurs et autres mondialisateurs sauvages (il suffit de quelques minutes pour changer la nationalité fiscale d'un chantier naval...) en lisant et relisant leur Jaurès comme on s'infuse d'un missel, les mauvais, les agressifs, les vilains, sont forcément ceux d'en haut. Le coup ne peut venir de la France d'en bas. Les lacaniens qui atterrissent sur ce blog par accident y verront la genèse du coup bas. Or, ce film dit bien ce que toutes les enquêtes sociologiques disent depuis une dizaine d'années sur la peur de l'enclavement et la volonté de s'extraire de certaines zones où la paupérisation ne peut rien de bon. Surtout, des enquêtes de chercheurs fins (qui conseillent Hollande, d'ailleurs, on peut rêver qu'il les écoute) montre comment tout ceux qui sont entre les 10% et les 50% de français les plus modestes ont une vraie haine montante contre les 10% les plus pauvres. Plus de compassion pour ceux qui sont en dessous, mais la peur, mauvaise conseillère, les accablent de tous les maux.
Bon, ça n'en fait pas nécessairement une batterie d'arguments cinéphiles, mais ça permet aussi de comprendre comment une Marine le Pen qui ce matin encore, demande le rétablissement de la peine de mort, repart en force. Ca permet de montrer la dangereuse montée en puissance de la compassion dans la société française, de la mise en avant de la justice aux tripes comme il y a une littérature à l'estomac. Dernière illustration en date, http://www.institutpourlajustice.com/ ce lobby manifestement proche du FN et qui fonde ses revendications sur une histoire au parfum de manip comme le dit Maître Eolas, http://www.maitre-eolas.fr/ mais cette histoire a obtenu en 48h à peine plus d'un million de personnes qui faisaient circuler la vidéo. La, pour le coup, on peut parler de vidéo virale... Dans le même temps, l'autre appel à l'insurrection de ceux qui s'en sortent tout juste contre ceux qui souffrent plus encore vient d'un camp censé être plus républicain. Laurent Wauquiez, entre son cancer de l'assistanat, ses HLM pour ceux qui bossent et autre "être malade et payé ça n'est pas responsabilisant" est en plein dans une logique humainement dégueulasse mais électoralement payante: les archi précaires, résignés, ne votent plus. CQFD...
Donc, plutôt que de lire des journaux bavards, allez voir le Guédiguian et partez un quart d'heure avant la fin pour profiter de ce délicieux froid sec qui invite à la ballade...
18:41 | Lien permanent | Commentaires (2)
19/11/2011
L'étrange cri du CRIF
"Nuits des longs couteaux à Solférino". A en croire Richard Prasquier, le président du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) au célèbre "tout le monde sont juifs" de Desproges pourrait bientôt succéder un "tout le monde sont antisémites à gauche". Si ce n'est que Desproges était volontairement, et avec quel acharnement encore, comique. Chez Prasquier, toute déclaration rigolote l'est bien à son insu.
Ce pauvre Prasquier, donc, voit dans les récents accords entre le PS et EELV des relents d'antisémitisme ou peu s'en faut (il se "garde de franchir la ligne" mais avance tellement d'arguments pour exprimer sa colère qu'on n'est obligé de constater qu'il la franchit un peu quand même) dans l'éviction de quatre députés d'origine juive en Ile de France. Il s'en explique là dedans (je vous passe les articles Atlantico ou le Figaro) :
http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/articl...
Bon. Donc, si on suit Prasquier le délitement des valeurs de gauche en Ile-de-France s'annonce parce que ces 4 élus étaient les représentants des valeurs de combats, de lutte et d'ouverture de la communauté juive qui a un poids historique dans la région et il faut le conserver... Et Prasquier d'en rajouter une bûche au cas où certains seraient tentés de dire que Richard pousse le bouchon un peu loin "on voit bien les réflexes antisionistes et la détestation d'Israël chez EELV, incarnée par Yves Contassot, député connu pour ses prises de positions violemment antisionnistes". Les bras vous en tombent, non ?
Heureusement, nombre de membres du CRIF dotés d'un cerveau comme Patrick Klugman se sont éloignés de ces déclarations, mais certains des députés évincés avouent "recevoir des coups de fils inquiets et éprouvés d'électeurs"; dans une République laïque ? En quoi la judéité d'un député est-elle importante ? Plus que sa bretonnitude ou son auvergnatisme ? Les élus n'ont pas à nous encourager à effectuer le shabbat (putain, maman, pardon, je me sers de l'électricité un samedi...) et doivent venir travailler pour Kipour et autres fêtes, ou alors ils posent des RTT comme tout le monde... Tient pas debout son truc... "Le PS aurait dû le savoir" dit encore l'ineffable Prasquier. Mais savoir quoi ? Les seules questions qui vaillent portent sur le bilan de ces élus, le profil de ceux qui les remplacent et les projet de chacun, le reste c'est de la littérature égarée entre Gobineau et le Morand de "Doulce France"...
Par ailleurs, chers amis du CRIF (pour les élèves de lycée qui atterrissent ici en cherchant Justin Bieber et en l'orthographiant Justin Beaver, ceci est une antiphrase) cessez d'instrumentaliser l'antisionisme à tous vents. D'accord, quand Dieudonné fonde un parti antisionniste, on peut douter du caractère ouvert et constructif du mouvement. M'enfin, le sionisme, le vrai, celui de Théodor Hertzel était quand même classé comme un mouvement raciste jusque en 1991 (pourquoi plus depuis ? Les suites du Glasnost ? Si quelqu'un a la réponse...) donc l'antisionisme peut être fondé; je connais même nombre de juifs qui sont antisionistes et ils ne sont pas honteux ou dans la haine d'eux mêmes où je ne sais quelle connerie...
Bref, Prasquier a encore perdu une occasion de se taire et renforce ce sentiment lancinant et obsédant depuis quelques années: celui que les tenants d'un certain pouvoir (politique, économique, syndical ou autres fonctions de représentations) ne parlent que de leur petit point de vue et ne représente qu'eux mêmes... Quand on est juif et qu'on entend Prasquier, on peut penser comme pour Charlie Hebdo "c'est dur d'être soutenu par des cons"...
10:19 | Lien permanent | Commentaires (6)
16/11/2011
Les sondages, ces grumeaux de la démocratie
Ce livre ne vous fera pas vous sentir mieux. Ce livre ne promet pas de perte de poids. Pourtant, avec un taux de 100% et sans marge d'erreur, on peut néanmoins affirmer que ce livre est de salubrité publique.
Salubrité publique car, pour des raisons que les auteurs expliquent très bien, la critique sur les sondages n'existent pas. La complainte, l'expectoration, l'éructation, oui. Une tendance générale au ronchonchon face aux sondeurs, mais qui ne s'accompagne jamais de mesures cohérentes: à lire l'énervement d'opposants aux sondages, il serait de bon ton de les limiter. Mais on ne le fait pas et on musèle la vraie critique en les traitant de "bourdieusiens" avec des accents de "staliniens" lancé par les jeunes cons des jeunesses rocardiennes très sûrs d'avoir définitivement déconsidéré leur adversaire.
Premièrement, je veux bien me faire traiter de bourdieusien ; ensuite, la critique ne tient pas debout, elle se contente de répéter à l'envi le titre provocateur d'un article, sans l'avoir lu, l'opinion publique n'existe pas. Bon, mais fors ça ils disent quoi les sondeurs quand on leur montre par A+B+C jusqu'à Z qu'ils mentent ? Rien, ils recroquevillent la tête dans les épaules et ils avancent doucement contrairement à leur chiffre d'affaires qui avance sereinement.
Car si l'on ne peut savoir combien de sondages se commandent en France, il n'est que de voir les chiffres d'affaires des instituts pour voir que tout va bien pour eux, merci. Une augmentation quantitative du chiffre d'affaires qui croise une ligne qualitative qui suit la même pente forte, mais en sens inverse... Le livre démontre cela avec une netteté pas encore lue jusque lors. Nous montrer, non pas que les sondeurs se plantent souvent, ça on le sait ; mais comment ils mentent de plus en plus, prennent de plus en plus de largesses avec la réalité en monétisant qui plus est leur enquête (ce qui va à l'encontre de l'expression "donner son opinion" avez-vous déjà entendu "vendre son opinion" autrement que pour Eric Besson ?). Au final, le livre nous montre que les sondeurs relève aujourd'hui plus des chiromanciens ou des rebouteux que es scientifiques. Manuel anti-sondages la démocratie n'est pas à vendre (écrit par Richard Brousse et Alain Garrigou, tous 2 sociologues et tous les 2 responsables d'un site de vigilance citoyenne http://www.observatoire-des-sondages.org) ; le titre prend là tout son sens. Et la contre critique des sondeurs s'effondre. Car, comment reprocher à des sociologues de ne pas aimer les enquêtes d'opinion ? Ils vivent pour cela ! Mais les enquêtes sérieuses, avec un terrain, des enquêteurs formés qui passent du temps avec des répondants volontaires. Or, le livre montre bien comment le téléphone et plus encore Internet tue la scientificité des sondages, comment on incite à répondre pour de l'argent comment on force la main avec des push polls ces enquêtes aussi fiables que la morale de DSK... Dans un très bon sketch, les Guignols proposaient déjà cette lecture assez proche de la réalité pour qui (comme le Castor) a déjà fréquenté cette étrange faune des spécialistes ès sondages, http://www.youtube.com/watch?v=64XKWP4nseQ. Guère complexe de maquiller la réalité pour qui a les moyens. Malheureusement, le sketch ne déforme même pas la réalité...
Je ne crois pas que le Grenelle de l'Environnement faisait état de la pollution mentale, mais si elle y figurait en premier lieu, il faut dépoussiérer nos pensées de ces sondages qui relèvent de la pensée magique. La presse, en premier lieu, doit retrouver le courage de l'opinion. La sienne, celle du peuple telle qu'elle la ressent, pas cette infâme pensée qu'on lui vend pour trop cher. Pour 14 euros et deux heures de lecture, on peut définitivement se sevrer de ces béquilles pour incompétents de l'extrapolation, pour asséchés de l'imaginaire, pour raccourci de la vision du pays. Avoir des idées libres, ça n'a pas de prix.
18:45 | Lien permanent | Commentaires (0)