15/12/2014
Impasse d'un monde ancien
Après une très grosse période de turbin, où j'avais notamment délaissé honteusement ce blog, j'ai eu la chance de m'offrir une escapade en Toscane. Pour y rejoindre des amis cherchant un lieu hors des écrans radars. Nous voilà donc à une heure de Florence, dans un village aux deux restaurants, Radiconoli. Et encore, notre maison est à l'écart, vraiment perdue. Hier matin, nous empruntons un chemin à peine dégagé qui part de chez nous, direction l'autre village voisin, Belforte. Wikipedia nous apprend qu'il s'agit d'un fief médiéval, érigé au XIIIème siècle et connu pour la beauté de ses rues.
Effectivement, c'est beau. Beau comme un village encaissé, avec une multiplicité de belvédères. Beau aussi, comme des rues fièrement pavées et tout cet alignement de maisons anciennes en briques rouges, aux fenêtres et toits homogènes, à peine entachées par la modernité d'un emblème postal ou d'un sigle de tabac. Au sommet du village, un café restaurant du temps perdu au néon crépitant. On s'approche, deux septua ou octogénaires tiennent le comptoir de guerre lasse. On imagine que les enfants n'ont pas voulu reprendre l'affaire. La faim est un peu présente mais l'immense réfectoire complètement vide incite à prendre un café. Un mot laissé sur la porte indique que le café n'ouvre ses portes que le samedi et le dimanche pour les six mois d'hiver. L'été, les touristes viennent gonfler la voilure comme par enchantement. Dix fois plus d'habitants. Mais nous sommes l'hiver et le restaurant sonne creux.
Nous nous engouffrons dans l'artère principale, déserte. Même l'église est fermée, un dimanche matin. On se croirait dans Daisy Town, à peine croise-t-on deux enfants qui sortent, sans doute attirés par le bruit des pas. En levant la tête, on aperçoit un panneau "vendesi", de la photo ci-dessus. Puis deux, trois, et une infinité d'annonces similaires transformant la rue en une impossible braderie. Au bout de l'allée, de belles berlines sont garées devant de luxueuses maisons. Ceux-là ne partiront pas. Pour les autres, c'est l'exode qu'ils désirent. Triste chronique d'une ruralité trop enclavée pour un monde ultra urbain et désertification ordinaire. Sans doute cette fois-là cela m'a t'il plus serré le coeur que d'habitude. Non que je manque de chauvinisme, mais je ne trouvais pas de charme particulier à ces bourgades françaises à l'abandon. Là, nous parlons bien de bicoques érigées et préservées alors que Dante écrivait sa Divine Comédie. Le village se vide, personne ne se presse pour le remplir (renseignements pris, les maisons sont à vendre une bouchée de pain). J'ai aperçu quelques bambins, leurs vélos et la motocross d'un ado et je me suis demandé ce que c'était de grandir dans un lieu à la disparition annoncée. Sans doute tous ont ils l'envie de tourner le dos à ce trou perdu, comme les enfants des patrons du café restaurant qui n'ont pas repris l'affaire. Des saisonniers s'organiseront peut être pour faire tourner le village l'été. Avec une ou deux bonnes applications internet, on doit pouvoir surveiller tout cela l'hiver, toiletter l'ensemble du village en une semaine à l'orée de l'été, aérer les maisons, faire les poussières, changer les draps et relancer la cuisine. Ainsi pourra-t-on donner tout de même vie à ce village musée qui dominait le monde il y a sept cent ans.
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02/12/2014
La société cadenassante
En marge d'une rencontre organisée le 4 décembre au Conseil Economique, Social et Environnemental, un sondage déprimant a paru sur le thème du sacro-saint "vivre-ensemble", sous titre "entre unité et diversité. On peut le trouver en entier là. Il ressort que la crise économique est le premier facteur augmentant le sentiment de fracturation de la société française. Banal. Que les extrémismes religieux menacent le Pacte Républicain. Classique.
En revanche, ce qui est plus confondant, c'est que deux tiers des français pensent que ce qui les divisent est plus fort que ce qui les rassemble. Emmerdant. Et une moitié des français seulement se sentent français. 15% se sentent français (repli sur soi) 14% européens (dandysme ou ultra conscient) 22% citoyens du monde (tendance). Pourquoi ne pas placer tout simplement le sentiment d'être français d'abord ET angevin, berrichon ou autre ET citoyen du monde parce qu'avec de la famille à Dakar, à Oran ou à Moscou et ainsi de suite...
L'incapacité à penser l'identité comme un oignon, avec une multitude de couches, est un drame. Le temps passant cadenasse le pays. On pourrait dire que les 61% de français pensant que l'augmentation des inégalités de revenus éloignent le plus les gens n'ont pas tort, et on voudrait que le politique s'engouffre la dedans. Qu'il cogne à nouveau vraiment sur les rentes et nous amène, apaisés, vers une société où l'on jalouse moins son voisin car on ne pense pas que sa richesse supérieure soit indue. Rêvons.
Mais ce sondage qui me donne vraiment l'impression d'une société cadenassée m'a aussi frappé par l'incapacité à nous trouver à jamais un référent commun. Et ça n'est pas forcément grave. Ce n'est pas parce que tout le monde ne connaît pas Brassens que le monde court à sa ruine, mais à condition d'ouvrir ses tuyaux pour avoir des références connexes et ainsi des choses à dire, à partager, avec différentes strates. Le fait que les jeunes n'aillent pas sur Facebook n'est pas grave, en soi, ce qui est emmerdant est qu'ils délaissent ce réseau social pour se retrouver plus fortement entre jeunes. Même sur des échanges virtuels et peu engageants, la présence de l'autre, celui qui diffère, m'exaspère. Le début de la fin des haricots, en somme...
Ce soir j'ai eu la chance de m'entretenir avec François Tadei et Florence Rizzo, des génies de l'éducation qui apprennent à désapprendre (le bachotage) pour apprendre mieux la collaboration et l'altruisme. Seuls moyens d'arriver vers une société où les différences ne sont plus érigées, ni estompées, mais enfin, un appel à la curiosité : ils font sauter les cadenas, suivons les !
21:52 | Lien permanent | Commentaires (0)
28/11/2014
A la recherche de temps perdu
De nombreux articles récents se pâment devant l'intelligence de Zuckerberg et Obama qui optimisent le choix de leurs décisions quotidiennes. Bigre ! Ont-ils trouvé une nouvelle méthode de management révolutionnaire, une mécanique de l'âme inédite ? Que nenni. Ils ne perdent pas de temps à choisir leurs fringues. Ha...
Félicitations aux scribouillards qui arrivent à convoquer 5 psychologues et trois experts en management pour commenter ce non choix vestimentaire comme l'épure absolue du leader moderne, la rationalité à l'état brut, le paradis de Bentham, père de l'utilitarisme. Sans déconner...
Ce ne serait pas Obama et Zuckerberg, tout le monde dirait "pauvres mecs". Après tout, le malheureux Thierry Ardisson fait ça depuis plus de 20 ans, l'homme en noir. Et Philippe Merieu, l'homme en blanc ? On se distingue comme on peut... Il y en eut des milliers d'autres dans le passé qui avait compris que l'éducation étant la répétition, l'éducation à l'oeil c'est la répétition d'un visuel. Nos politiques le font tous pour d'autres raisons que celles évoquées par Obama. Mélenchon incruste dans la rétine des téléspectateurs sa cravate rouge sur chemise blanche et veste noire. Sarkozy et Hollande ont les mêmes complets, les mêmes cravates, les mêmes manches trop longues pour l'un et boutons de manchettes trop gros pour l'autre (vraiment complexé, ce garçon). Ca peut s'entendre, après tout ; Superman, Zorro ou Blanche Neige sont avant tout reconnaissable à leurs costumes. Prenez Superman qui déciderait d'arborer un complet pied de poule avec slip sous et non sur le pantalon, on ne le reconnaitrait pas. Mais hormis cela, pas de quoi pavaner à l'idée de ne pas "perdre de temps" à s'habiller.
C'est cela qui est proprement navrant, le culte stupide de l'efficacité où s'habiller serait perdre du temps. Comme perdre du temps à table, lire des romans ou regarder la forme des nuages. Qui a déjà rencontré des inventeurs, des artistes, des défricheurs, des entrepreneurs, tous vous diront que l'étincelle survient toujours au moment où vous ne l'attendez pas. Perdre du temps à s'habiller est un plaisir gourmand. Il y a le délice du moment où l'on s'estime devant la glace en se demandant si c'est bien raisonnable (une veste trop brillante, des baskets trop saillantes, une chemise trop ouverte) et où l'on y va quand même. Ces moments volés à la pure rationalité constituent mes sucreries quotidiennes. Ceux qui ne savent pas perdre de temps ne savent pas vivre ; remercions les quand même de mener le monde en ligne droite et rejoignons les par les chemins de traverse.
09:45 | Lien permanent | Commentaires (4)