12/02/2015
Comment j'ai cessé d'être juif
Pas la peine de chercher un titre original à sa note quand celui du livre est aussi parfait. Dans le préambule, l'auteur précise ne pas écrire pour les antisémites "trop incultes" et les racistes primaires "incurables". Il s'agit d'un court livre adressé aux gens de bonne volonté pour aider à se poser des questions. La personnalité de l'auteur est évidement une clé cardinale pour comprendre ses propos : un juif laïc qui vit et enseigne en Israël. Ca c'est au début du livre, puisqu'à la fin du livre (pas de suspense, c'est dans le tire) il est devenu un laïc qui vit et enseigne en Israël.
Il semblerait que ce livre de 2013 ait fait polémique. On a accusé le garçon d'être un juif honteux et autres horreurs proférés par les tenants du savoir. Je m'explique mal ces polémiques. Le postulat de départ est incontestable : "supportant mal que les lois israéliennes m'imposent l'appartenance à une ethnie fictive, supportant encore plus mal d'apparaître auprès du reste du monde comme membre d'un club d'élus, je souhaite démissionner et cesser de me considérer comme juif'.
C'est fin, mordant, juste, plein de force. Si je l'avais lu à sa sortie, en 2013, j'aurais eu une lecture très moyen-orientale et me serait contenté de lire l'impasse dans laquelle les dirigeants actuelles (et je le crains, futurs) d'Israël mène le pays. Avec leur politique ouvertement raciste, leurs adoubements suspects (des immigrés russes plutôt que des arabes citoyens israéliens) et leur glorification d'une religion qu'ils ne sont pas si nombreux à pratiquer, mais qui enflamme des voix extérieures (ceux qui se glorifient d'être encensé par Adler, BHL et autres devraient se poser des questions). Mais je l'ai lu en 2015, après Charlie, après tant de dissensions sur ce putain de poison identitaire.
J'ai été frappé par l'évidence des remarques de l'auteur sur le besoin de révolte contre l'enfermement dans ces identités piégeuses, qui ne peuvent que conduire à la haine de l'autre, à celui qui ne partage pas vos petits commandements, vos petits principes étriqués. Sand donne un très bonne exemple de ces bassesses que Spielberg a gommé dans la liste de Schindler. Dans le film, il fait dire à ses personnages "celui qui sauve une seul personne, sauve un royaume entier", quand les écrits religieux disent "celui qui sauve un fils d'Israël sauve un monde entier". Pour moi, ce sont les monothéismes in a nutshell, aucun universalisme, l'explication de toutes nos emmerdes actuelles.
J'espère qu'un courageux auteur (ça risque d'être modérément bien perçu) écrira "comment j'ai cessé d'être musulman" qu'on puisse reprendre tous ensemble une activité normale, parce que si les jours rallongent, la lumière n'est pas revenue à tous les étages de l'immeuble France...
18:55 | Lien permanent | Commentaires (2)
07/02/2015
Savoir fraisyer
Il y a ce patronage incontestable de Chomsky en exergue, un passage de "Réflexions sur l'université" où le grand penseur américain explique que des jeunes, même libres d'esprits, une fois qu'ils se sont endettés à hauteur de 100 000 $ pour faire leurs études perdent de facto leur liberté car ils auront l'impérieuse nécessité dans leurs vies de très bien gagner leur vie pour rembourser. Imparable.
Juste aussi de souligner le coût total de l'endettement étudiant aux USA : 1260 milliards $ ! Bien plus que la dette grecque... Avec près de 15% des endettés qui ont plus de 50 ans. N'en jetez plus, le système est absurde. Soit. Pour autant, faut-il en déduire qu'exiger un peu plus de responsabilité de la part des acteurs est forcément mal ? Evidemment non, mais selon les auteurs, "d'arrêtons les frais", si. Il faut augmenter les impôts et rendre le système scolaire entièrement gratuit. Voilà. Yakafokon.
Amateur sans réserve de la collection "Raisons d'Agir" dont je partage quasiment toujours les conclusions, j'ai été vraiment désespéré par l'ineptie de ce titre. Tout est téléguidé par des mots clés de détestations et adorations. Philippe Aghion/Elie Cohen : mal. Bourdieu : bien. Sauf que les auteurs (ils se sont mis à plusieurs pour ça...) avaient les conclusions de leur livre avant de commencer à l'écrire et ça, comme pour les tracts, ça n'est jamais bon signe...
Car oui, aussi fou que cela puisse sembler, les auteurs mettent vraiment sur le même plan les frais de scolarité aux USA et en France. Pour eux, augmenter les frais, c'est aller vers l'apocalypse. Ha... Il y a un peu de marge entre 300 euros par pour une inscription en France et 50 000 $ l'année pour les facs d'Ivy League, non ? Non. Bon bon, pardon de m'offusquer. Seconde faiblesse dramatique : l'automacité du raisonnement "hausse des frais de scolarité = baisse des dépenses publiques" au motif plus que spécieux que c'est ce qui s'est passé en Angleterre. Et ça, c'est vraiment navrant.
Car enfin, les auteurs ne parlent jamais du financement total de l'enseignement supérieur en France. Avant de penser à augmenter les impôts (cette rengaine pavlovienne est à vous désespérer de la gauche), peut être pourrait on penser à sanctuariser le budget actuel et augmenter les frais. Pas à l'aveugle, pas massivement. Mais graduellement sur plafond de ressources (ce qui marche pour sciences-po qui, quoi qu'on en dise, est une école plus ouverte que les autres... Pas parfait mais au royaume des aveugles, ils sont aisément borgnes) et avec une hausse plafonnée dans le temps. C'est un double impératif. D'abord pour doter les établissements supérieurs de moyens pour payer leurs profs plus décemment, pérenniser les contrats précaires qui deviennent majoritaires (vacataires) et autres financement en moyens pour les hommes dans les bâtiments (achats d'ouvrages et d'abonnement, financement de voyages d'études). Pour le reste, rénovation des bâtiments et autres, l'Etat doit pallier. Mais c'est aussi un impératif pour les étudiants eux mêmes : un minimum de responsabilisation. Les études supérieures restent le meilleur antidote à leur chômage endémique, les considérer comme une tocade gratuite n'est pas une solution. N'en déplaise aux défenseurs de la gratuité pure et absolue comme principe. L'éducation supérieure, contrairement aux soins, ce n'est pas une nécessité vitale, mais un choix : qui donne des droits, mais exige des devoirs, donc. Et pas seulement sur table...
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25/01/2015
L'hystérie politique des entrepreneurs...
Dans un pays où le sport national reste de fracasser l'Etat, les français ont surtout confiance pour s'en sortir dans les représentants de l'Etat. Je me fous bien de ce que peuvent les dire les baromètres sur les institutions favorites des citoyens au sein desquels les politiques arrivent loin derrière les associations, les patrons de PME, ou les citoyens eux mêmes. Les seuls à s'en sortir à peu près sont les élus de proximité, les maires et autres conseillers généraux. Les responsables nationaux sont tout en bas de la liste, honnis de toutes parts.
Et si l'on pouvait affiner ce baromètre, il ressortirait que les entrepreneurs et autres figures économiques sont ceux qui fracassent le plus l'élite politique. Ils les haïssent, les conchient, les tiennent pour incompétents, éloignés de la réalité opérationnelle, déconnectés de la complexité administrative et ainsi de suite. Une analyse lexicographique ferait ressortir une haine quasi pathologique de la figure du politique. Au-delà du french, c'est à un véritable politique bashing auquel on assiste avec une force sans précédent depuis une dizaine d'années. Dont acte. Pour autant, je reviens à cette phrase de début de note que j'ai entendu récemment lors d'un séminaire de travail sur l'énergie. Tellement vrai. Et là, ma réflexion s'est déportée ainsi : qui, aujourd'hui, est cohérent avec sa haine du politique ? Le statut ultime de la colère étant l'indifférence, ils pourraient au moins avoir l'élégance de s'éloigner, de ne pas prendre parti, d'adopter la posture de Bartelby "I would rather not to", comment, judge... Et là, je n'en trouve pas des masses.
J'en trouve certains, comme Olivier Sadran, PDG fondateur de Newrest, 12 000 salariés, qui s'avoue plutôt social-démocrate mais estime qu'il n'a pas à communiquer son opinion dans la mesure où il ne voudrait pas que les politiques commentent sa stratégie. J'en vois d'autres, comme Virginie Calmels qui critiquaient une façon de faire de la politique, mais pas la politique en soi, ce qui n'a pas de sens. Elle a rallié Alain Juppé à la main de Bordeaux et essaye de changer les choses, à son échelle et avec son idéal. Tout cela est louable. Mais penser à tous les banquiers, tous les petits starts-uppers, nouveau yuppies et autres barbons industriels qui vomissent le politique tout juste en sortant de leur table, qui hurlent sur les décisions de ceux-là même pour qui ils font des pieds et des mains pour s'inviter à leur table ; penser à eux me fait mal. L'incarnation la plus absolue serait sans doute Jacques Attali qui appelle à ne plus écouter les politiques et à les fuir comme la peste, mais qui les invite à ces forums et se met en position d'obtenir rapports et prébendes (c'est un client, ça n'empêche pas de rester lucide...) Aussi, ces nouveaux nihilistes chics et moi on ne se comprend pas. Au début, ils me croient complice parce que le PS est également un objet de colère. Mais chez eux, c'est un punching ball mondain, au fond PS ou UMP, il faut bien critiquer en attendant des avantages corporatistes. Pour moi, c'est la haine de ceux qui déçoivent et trahissent la gauche (l'UMP déçoit la gauche aussi mais elle ne trahit pas grand chose, dans la mesure où elle a rarement promis de réenchanter la sociale...) en laissant pour l'heure en lambeaux la vraie gauche française en attendant qu'un Podemos ou Syriza n'émerge. Nous ne pouvons nous entendre : acquis sans le savoir aux thèses de Zygman sur la modernité liquide, ils évoluent au-delà du politique dans la mesure où ils en contournent les obligations, mais veulent en plus les rogatons monarchistes avec faste et apparat. Personnellement, je garde cette croyance sans doute naïve mais je ne changerai pas à mon âge, que la politique peut changer le monde. Et s'ils ne sont pas d'accord avec ça, alors qu'ils quittent la conversation politique et continue à faire leurs affaires par ailleurs...
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