Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/01/2015

J'ai entraîné mon peuple dans cette aventure

14414_aj_m_109.jpegJe ne sais pas vous, mais je n'ai pas réussi à lire depuis le 7 janvier. Quelques centaines d'articles, quelques dizaines de tribunes, de points de vue, de désintox et de décentrages; beaucoup trop de cette infobésité qui nous a submergé, englouti, sans que nous puissions nous en détacher. J'ai essayé, en vain. J'ai lu un livre sur les luttes des intermittents du spectacle, mais un livre de travail, Stabilo en main et notes à venir. Aisé. Mais s'échapper avec de la fiction, impossible. J'ai bien tenté de suivre le grand Ian Mc Ewan, mais ce livre que j'ai fini mardi dernier m'a filé entre les doigts. D'un point de vue technique, on peut considérer que je l'ai lu puisque j'ai atteint la dernière page, mais il n'en restera rien. Qu'il me pardonne.

Et puis je suis tombé sur le livre d'Aymeric Patricot. Ces deux derniers livres étaient des essais, où l'on trouvait par petites touches sombres des pans de l'horreur actuelle. "Portrait du professeur en territoire difficile" parlait notamment des tensions dans certains quartiers, des tensions ethniques, sociales surtout, identitaires. Un livre sans excès qui n'en était que plus fort. Puis les "petits blancs", une plongée passionnante dans la France hors caméra où l'on avait assimilé, à tort, Patricot a un émule de Zemmour. J'imagine que comme pour Charlie, ça doit être dur d'être aimé par un con. Et que cela lui a donné l'envie de s'évader. 

Après avoir terminé le roman, j'apprends qu'il s'agit d'une histoire en partie vraie. Il y a vraiment eu une île d'Océanie devenu la plus propsère au monde grâce à la richesse de ses roches, pleines de phospate. Cela m'a vraiment surpris, non que ça ait existé, mais que Patricot s'en soit inspiré tant ce texte souffle l'évasion et la liberté fictionnelle. Un vrai roman. Et ça fait du bien. 

Un vrai roman avec un protagoniste pauvre et humble, mangé par l'envie d'échapper à sa condition, à ses shorts déchirés. Il y a des figures pleines de vies, mentor économique, opposant politique, la femme et la maîtresse, tous vivent parfaitement, mais autour de ce protagoniste, Willie, passionnante figure. Passionnant car il incarne la traduction la plus absolue du bon type au bon moment. Quand il arrive sur l'île, il s'agit d'un rocher sans intérêt. Et l'économie débarque sans coup férir, comme dans la fable de Lordon (j'ai oublié le titre, mais c'est bien et dans la République des Idées). Ils avaient des carrières, ils se découvrent nababs et aspirent au consumérisme. Willie a de l'ambition et va négocier pour tout. Classiquement et en accéléré, l'obésité succède à la malnutrition. Tout va trop vite mais personne ne se pose pour réfléchir, comme l'écrit Patricot "les salaires ont doublé. Même les oisifs vivaient de ce que leur transmettaient familles et amis. Les inégalités s'accroissaient, mais l'euphorie générale gommait tout ressentiment". Quel parfait résumé des 30 glorieuses. Plus dur fut la chute que l'on vit de façon factuelle avec l'arrêt des pelleteuses, et métaphorique avec la déchéance de Willie, prostré, interdit devant une déchéance qu'il n'a pas vu venir, grisé qu'il était par les courbes sans cesse en hausse.

Parce que ça se lit comme un roman et que ça donne à réfléchir sur l'absurdité de la matrice dominante avec un décentrement géographique suffisant pour ne pas y voir un roman à clé, "j'ai entraîné mon peuple dans cette aventure" fait beaucoup de bien à l'âme. En ce moment ce sont les soldes, période pendant laquelle pour 18 euros on ne parvient pas à se procurer du bien être. Pour le même prix, on peut s'offrir ce livre, sans doute une bien meilleure affaire. 

13/01/2015

Une absence kippaspa

salon-2012-carre-noir-img.jpgHier, quatre heures de cours d'analyse de l'actualité. Deux fois deux heures, deux fois vingt cinq jeunes. Contrairement à de nombreux enseignants de lycées en proie à des difficultés, je sais que je serais épargné par les commentaires sur l'insolence coupable des dessinateurs de Charlie. Licence 3, dans un établissement supérieur privé, on joue sur du velours. Parce que les faits sont trop graves, parce que je veux leur faire dire des choses, parce que je veux que tout le monde s'exprime, je demande à chacun de me résumer les événements des jours derniers en une phrase, un élément qui l'a marqué. Nous prenons le temps. Les deux fois, les jeunes font preuve de bon sens et font ressortir des tas d'éléments : "folie de l'information en direct", "chefs d'Etats inappropriés", "union nationale", "stigmatisation, amalgame", "représailles, islamophobie"... Et ainsi de suite, le tableau se noircit vitesse grand V. Ils ont tout. Sauf un mot. Les deux fois. Une absence qui m'interpelle. Je leur signale et par deux fois, ils sont interpellés et vaguement en désaccord. Pourquoi donc leur parle-je d'antisémitisme ? 

Alors, refaire de la pédagogie par la base. Les flics ont été tué parce que flics, parce que l'Etat. Les dessinateurs pour leurs caricatures. Les otages d'Hypercasher parce que juifs. Pas autre chose. On me relance, ne vais-je pas stigmatiser ? On parle de Charlie, de l'unité, donc pourquoi parler de la religion des morts ? Ils sont morts, paix à leur mémoire. Aucune agressivité mais un refus poli de parler de cette douleur. Pire, la crainte que raviver cette singularité serait la vraie menace à l'unité nationale, Dieudonné que personne n'avait sonné, reviens dans la discussion : lui, il prend cher quand il dit des conneries alors que Charlie font ce qu'ils veulent. Ca prouve vraiment qu'il y a des gens à propos de qui on ne peut pas plaisanter. Frisson glaçé le long de mon dos.

Je me retrouve renvoyé à des paradoxes personnels. J'ai toujours pensé que le fait de s'appeler Jacob était moins entravant pour trouver un logement ou un boulot que s'appeler Mohamed. Litote. Ceci plus le fait que les discours de nos ministres de l'intérieur n'ont jamais soupçonné les arrières salles des falafels d'abriter des complots, font que j'ai du mal à parler d'antisémitisme d'Etat. Ce sentiment reflue même en partie. En revanche, depuis quelques années, d'Ilan Halimi à Merah, de Créteil à vendredi dernier, les seules personnes à mourir en raison de leur religion, sont juives. Et je m'étonne, suis même éberlué, qu'on ne puisse pas s'accorder là-dessus. Bien sûr Hollande s'est rendu à la grande synagogue dimanche soir. Mais les adresses et repentir ont été très localisés, les tribunes les plus alarmées sont le fait de juifs comme Lanzman dans le Monde, hier. Mais le soulèvement des goyim, pas pour cette fois. Impensable d'imaginer Charlie avec une kippa. Décidément, le communautarisme est une belle saloperie retorse... 

10/01/2015

Ce sera dur de marcher avec des cons

aff_1856.jpgNombre d'arguments abondent pour ne pas aller à la marche d'unité nationale, demain. Le plus faible d'entre eux me semble être celui de la "récupération politique". Qui peut sincèrement croire que le PS et l'UMP, affaiblis comme jamais, profitent de cela pour glaner un peu de respectabilité électorale ? Pas sérieux. Après, il est vrai que défiler aux côtés de Mariano Rajoy et David Cameron m'enchante modérément... Aux dernières nouvelles, Bibi Netanhayou hésiterait à venir. De mieux en mieux, ma foi... 

Mais même cela ne devrait détourner personne d'une marche décrétée spontanément dès mercredi. Après, que d'aucuns éprouvent le besoin de se mettre en avant, voire d'agiter quelques drapeaux, grand bien leur fasse.

Le seul argument qui m'a fait vacillé fut proféré par un ami très cher au beau fond anarchiste. On pourrait le résumer par clin d'oeil à Charlie en soupirant que ce sera dur de marcher avec des cons. Demain, il n'y aura pas, et c'est heureux, de questionnaire à l'entrée du cortège. Tout le monde viendra comme bon leur semble, pour les raisons qu'ils jugent bonnes. Pas d'examen de conscience, de badge à brandir, de certificat de bonne morale. Ce serait dangereux. Quelque part, d'aucuns dont Julien Dray ont voulu se lancer là dedans en excluant le FN au motif qu'il n'avait rien à faire là. Evidemment, un parti qui a attaqué Charlie en justice, qui en parle comme d'un journal "nul et ignoble" n'avait sans doute rien à foutre là. Mais, si on commence par là, qu'est-ce qu'un Elkabbach, responsable d'une grande part de la stigmatisation dont font l'objet 4 millions de musulmans français, viendra défiler ? Qu'est ce que Valls, qui n'a cessé de critiquer les musulmans aussi, vient foutre là ? Et tous ces anonymes qui divisent, qui veulent limiter les libertés des uns, des autres, qui ont défilé contre le mariage pour tous, qui dans leur vie quotidienne sont l'anti Charlie, viennent défiler ? Pour la liberté d'expression, pardi. Ha bon... Pour les victimes atroces des islamistes, aussi ! Ha... Vous allez marcher pour les 150 filles tuées par l'Etat Islamiques parce qu'elles ne se sont pas converties, alors ? Non, hein. Juste demain, comme ils étaient allé défiler le 1er mai 2002 sans en avoir tiré aucune conséquence dans leur vie.

Finalement, c'est mon amoureuse qui m'a convaincue. Elle m'a rappelé que nous nous étions rendus à la République mercredi, spontanément, parce que nous semblait évident et important. Sans regarder autour de nous et en espérant qu'il y aurait du monde. Et aussi qu'on aurait regretté de ne pas y être allé. Dont acte et dont rebelote demain.