03/09/2013
Vers une coercition positive ?
Quand la difficulté des faits devient trop forte, le politique peut toujours recourir à la magie des mots. Il en est un porté au pinacle par la marque Carrefour, qui l'a jadis transformé en verbe pour l'occasion d'une grosse campagne de pub. Un succès tel que le verbe est passé dans le langage courant, des sportifs à tout le moins. Le positif.
La positive attitude, chantée par Lorie et reprise par le premier ministre Jean-Pierre Raffarin. En ces temps de crise infinie, le positif est une denrée rare alors on l'exhibe. Trop de délit de sale gueule ? Vive la discrimination positive. Trop de nuages économiques ? Vive l'économie positive qui fera l'objet d'une mission remise à François Hollande par Attali. Moscovici et consorts nous parle souvent de la dette positive, la bonne dette. Aussi facile à reconnaître en un clin d'oeil que le bon chasseur. A peu de choses près, avec sa "rilance" qui mixait rigueur et relance, Lagarde était sur le point de nous parler de "récession positive". Bon.
A chaque fois, l'idée est de partir de maux trop grands. Il y a dans l'incantation du positif quelque chose qui relève du vaudou, de la cartomancie ou autres techniques haruscpistiques. On se retourne vers ce tour de bonneteau comme on va voir un rebouteux, en se disant que ça ne peut pas faire de mal et on attend que l'effet Placebo agisse.
Contrairement à la hausse des inégalités ou des discriminations qui, toute moralement, éthiquement, fondamentalement, politiquement, sont inacceptables mais peuvent perdurer pendant des décennies, la mutation écologique nous obligera à des changements. Pas "pouvoir", mais "devoir. Le prix de l'énergie, les besoins des populations des autres pays obligera à nous chauffer moins et à consommer plus local. Toutes contraintes que nous ne voulons pas voir, tellement gavés de libéralisme hédoniste depuis le début des 30 glorieuses que nous ne voyons plus le mal à surchauffer l'hiver et surclimatiser l'été et à consommer des produits sans jamais nous préoccuper des étiquettes ou en essayant de se demander quand et comment ça pousse ? La transition écologique, donc, sera un défi sans précédent pour le politique dans la mesure où elle va imposer de la coercition. Contrairement à l'impôt, à l'âge de la retraite ou aux rythmes scolaires, il sera impossible de proposer plusieurs options. Celui qui arrivera à nous vendre la coercition positive je lui paie des fraises. En hiver, évidemment.
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29/08/2013
Absolutely Fabernique
C'est un livre attendu de la rentrée littéraire, dont les premières critiques laissent transpirer une certaine gêne. Les éloges embaument l'admiration pour la personnalité de l'auteur et les philippiques se font rares pour les mêmes raisons.
Tristan Garcia est un surdoué touche à tout. Normalien, docteur en philosophie, il écrit de la fiction, se passionne pour les zombies et les BD, les séries télés ; le tout sans négliger Proust et Faulkner, qu'il lit avec du Wu Tang Clan ou du Snoop Dog en fond. Erudition mâtinée de cool culture. Il a écrit un roman dont un singe est un héros. Porté aux nues par la critique, il a un autre avantage pour les journalistes littéraires : il parle admirablement bien de son oeuvre. Brillant, spirituel et drôle, que demande le peuple ?
J'avais personnellement beaucoup aimé son premier roman, La meilleure part des hommes, roman à 3 voix sur les années SIDA. Je m'étais jeté puis avais jeté le livre dont le singe est un héros. J'y voyais une métaphore de l'auteur, singe savant qui fait des pirouettes pour qu'on lui donne des cacahuètes. Pas bégueule, j'ai acheté le nouvel opus, convaincu de ce que j'en entendais. Et j'ai été emballé... 60 pages.
60 pages pendant lesquels il porte son lecteur vers de folles espérances qui vivent très fort sous son crâne : celle d'un personnage énigmatique, Faber, entouré d'un halo de mystère. Apparemment, il fut un soleil noir dans une vie antérieure, un révolutionnaire, un surdoué des arts et lettres, de la politique et de la castagne. Soyons juste : Garcia vit avec ses personnages. Féru des Etats-Unis et de leur classes de créatives writing, Garcia a bâti une oeuvre très scénarisée, très découpée avec flash backs récurrents, voix alternées et cliff hangers fréquents pour faire monter la tension. Bravo à lui.
Double hélas. Primo, Garcia a trop fréquenté son personnage et s'est persuadé qu'il tenait une bête. Mais le fait de faire revivre sans ellipses le CP,CE1,CE2,CM1.... Jusqu'à la première accumulant les anecdotes sur l'inexorable progression du jeune Torquemada. Ca lasse plus que ça épate. Ca ne prend pas et l'écart grandit entre la fièvre de Garcia et la platitude gelée des faits : il fume des joints et martyrise ses profs. Bon. In fine, il y a un meurtre et une grève dans un lycée. Pas de quoi justifier l'armagedon qu'il est censé avoir déclenché dans sa ville natale.
Second hélas, Garcia ne fait qu'écrire. Ni mal, ni bien. Il écrit. Au kilomètre. Normalien, il connaît le sens des mots et a la délicatesse d'éviter les clichés (encore qu'Eric-Emmanuel Schmit soit normalien, donc l'argument ne vaut pas) et lourdeurs. Mais sa phrase ne dégage rien, elle est vide. Et c'est long, 463 pages de vide. Surtout les 400 dernières.
Quand sortira le prochain Garcia, comme pour un melon, je le humerai longuement avant de le prendre ou non. Pour voir si l'émotion qui fait défaut à celui-ci a éclos comme par enchantement. En attendant je m'en vais lire le nouveau Thomas Reverdy, pour lequel un comparse au goût sûr m'a affirmé que c'était fort bon.
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25/08/2013
Saurons-nous, nous aussi, rester en éveil ?
Je l'admets sans honte aucune, je m'étais franchement planté sur le coup de la loi du mariage pour tous. Qu'un texte aussi anodin puisse susciter des remous façons affaire Dreyfus et inscrire un mouvement de contestation virulent dans la durée me dépasse. Des milliers d'ânes bâtés marchent cet été pour éveiller les consciences. Rue89 a passé du temps avec eux, on croise un ou deux normaliens en crise identitaire, quelques paumés, des refoulés sans aucun doute et beaucoup d'apprentis fachos. Dans une veine mi-mormons, mi témoins de Jéhovah, ils vont emmerder les touristes pour leur dire "franchement, on seraient pas mieux avec un papa et une maman?"
En plus de ce mouvement dit "de la société civile", il y a quelques scories politiques. La femme de Jacques Bompard vient de refuser de marier un couple de lesbienne en sa mairie pour protester contre la loi. D'autres élus UMP ont rugi comme des lions avant de lâcher l'affaire et de déléguer cela à des adjoints pour ne pas se salir... Passons.
Politique fiction : nous sommes en 2017 et en dépit de leur admirable bilan, les socialistes ne sont pas reconduits. Je sais, c'est hautement improbable (le pire, c'est qu'au fond, je parie 2 caisses de ce qu'on veut que Monsieur Petites Blagues repasse. Il a si peu promis qu'il ne peut décevoir) mais essayons juste de se projeter un instant. La droite repasse. N'importe quel canasson : Marine, le Revenant qui a promis de ne pas revenir sauf si la France le réclame, l'Aigle de Meaux, le croque-mort sarthois éternel premier ministre, un des jeunes loups, Plastic Bertrand, bref... Peu importe. La droite repasse. Si elle le fait, ce ne sera pas sur un programme de demies mesures et d'ajustements stratégiques. Mais un programme de surenchère Tatchérienne avec coupes drastiques partout et retour sur quelques réformes emblématiques pour se démarquer de la gauche. A coup sûr, les 35 heures, les retraites et forcément, le mariage pour tous.
Je reste dans une perspective de politique-fiction. En politique réelle la loi ne pourra jamais être abrogée et retoquée. On ne peut pas démarier des couples, pas nier la parenté d'enfants adoptés au motif que du jour au lendemain, ils n'ont plus deux mères ou deux pères, mais un(e) seul(e). Soit. Mais c'est trop confortable de s'abriter derrière le bouclier du Conseil Constitutionnel et des institutions en général pour se rassurer. C'est comme l'inscription de l'abolition de la peine de mort dans la Constitution Européenne. OK, ça nous préserve juridiquement, mais ça n'empêche pas les reflux de volonté meurtrière dans le néo populisme actuel. Donc les fadas reviennent et sabrent la loi Taubira. Une marée humaine descendrait-elle dans la rue pour hurler ? J'en doute. Qui prendrait des jours et des jours, même des semaines ou des mois pour descendre devant les CRS (malheureuses girouettes s'opposant à tous tant qu'on leur demande) alpaguer les élus et mugir ? Quelques militants, mais guère plus. Pourtant, la régression serait bien sur l'abrogation de la loi. Or, le fait d'être englué dans le présentéisme et d'écouter les lénifiants discours libéraux du TINA des années 80 permet d'ouvrir les vannes de la casse sociale. Depuis des années, des coups de canifs de plus en plus gros sont effectués dans la carapace sociale, la gratuité de l'éducation et de la santé sont de moins en moins vraies et pourtant, les millions de personnes lésées ne descendent pas dans la rue. C'est pour cela que le mouvement de la manif pour tous me navre autant : tellement d'énergie dépensée à si mauvais escient...
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