24/06/2013
7100 nouvelles raisons d'être inquiets
Ils partirent 8000, mais par un prompt renfort, se virent 15 000 en arrivant au port et faillirent monter dans le bateau. Avant d'entendre tous le monde pleurer sur la montée des eaux troubles électorales en moulinant des mots clés pour ne rien dire "République, République", je suis parti voir les scores en termes de voix pour se calmer. On sait que dans une partielle, la participation est en berne et que cela fausse le jeu, notamment parce que les électeurs du FN surinvestissent l'élection et vont voter.
Effectivement, le 10 juin 2012, il y a un an à peine mais un an déjà, la candidate FN rassemblait 7566 voix sur son nom. Son remplaçant, Etienne Bousquet-Cassagne faisait tout juste mieux au premier tour. 8000 et quelques. Pas d'onde de choc, pas de contexte, pas de cataclysme. Bon, le contexte Cahuzac et la désertion des urnes le propulsait au second tour par accident, un peu comme JM le Pen en 2002. Nous étions encore dans un étiage traditionnel du FN et il n'y avait pas péril en la demeure ou pas de quoi crier. Crier plus que d'habitude, s'entend. En revanche, les résultats du second tour sont proprement déprimants. 46%, mais surtout 7100 voix supplémentaires. Malgré une participation en hausse, qui d'ordinaire dessert le FN, le total d'électeurs a quasiment doublé. Et j'avoue une certaine incompréhension mâtinée de désespoir.
Que s'est-il passé dans la tête de ces 7100 personnes ? Une détestation de l'UMP si viscérale que les nostalgiques de Cahuzac soient allés voter FN pour le plaisir de foutre le boxon ? Un ras le bol général contre un système vicié et une classe politique faisandée, stipendiée ? Les abstentionnistes du premier tour qui se sont pris par la main pour aller mettre le système dehors ? Peu importe la réponse, au fond : les faits sont déjà là : il n'y a plus de digue, de barrage ou de frontière républicaine dans l'imaginaire collectif. Marine le Pen est en passe de réussir son tour de bonneteau sur l'inconscient du FN en substituant habilement l'indigne à l'acceptable et pas encore testé. Ne nous y trompons pas : la montée des périls, c'est maintenant.
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23/06/2013
Dominique Reynié : On se fait un confusion call ?
Cher Dominique Reynié, nous avons un point commun : nous n'aimons pas le parti socialiste. Ca n'est pas très original, comme inimitié. Mais ce qui nous sépare, c'est que je n'entretiens pas d'odieuse confusion et assume mes convictions. Je vote Front de Gauche, le parti socialiste me navre par son manque de courage social. Vous êtes de la droite libérale la plus absolue, la plus américaine. Cela fait de vous un chantre de l'immigration, quand elle permet de baisser le coût de la main d'oeuvre, un défenseur de la prostitution, de la dépénalisation du cannabis ou encore de l'ouverture du mariage au couple de même sexe, au nom de la liberté. Mais vous êtes surtout pour la liberté de tout déréguler, de casser tous les codes sociaux, les lois protectrices et voulez permettre aux riches de s'enrichir. Il suffit de regarder un peu les travaux de votre Fondation pour l'Innovation Politique (que je suis de près) pour lire des propositions affolantes d'injustice sociale, notamment en matière d'éducation. Bref, plus libéral que vous, c'est délicat, Philippe Nemo peut être, mais même Madelin ne vous suit pas sur vos positions. Vous dites aussi vouloir pourfendre les populismes et élever le débat. Bon. Charité bien ordonné commence par soi même, monsieur le professeur à sciences-po.
Or, vous venez d'écrire un petit papier nauséabond pour la démocratie dans le Huffington Post, qu'on peut lire ici . Que nous dites-vous ? Que Paris est une ville saturée de millionnaires, que les classes populaires ont quasi complètement disparu et que les jeunes ne peuvent y étudier sauf s'ils sont des héritiers. Ce n'est pas complètement faux. Mais là où c'est proprement infâme, c'est lorsque vous faites de Bertrand Delanoé le responsable de cette banqueroute égalitaire. A un an des municipales, le procès d'intention est d'une habileté éléphantine. Certes, le prix du m2 à Paris dépasse les 8000 euros et le nombre de demandeurs de logements sociaux n'a jamais été aussi nombreux...Mais Paris compte aujourd'hui 200 000 logements sociaux dont 60 000 (donc 30% du total !) financés sous les mandats de Delanoé. Les demandes ont explosé à cause de hausses lénifiantes de loyers liés à un marché non régulé, celui là même que vous appelez de vos voeux. Le résultat de cadeaux fiscaux pour les propriétaires et promoteurs effectués par les gouvernements précédents qui, à ma connaissance, ne soutenaient que modérément l'édile socialiste. Pour les étudiants, on peut considérer que cela est très insuffisant, mais l'équipe Delanoé a construit de nouvelles résidences étudiantes et propose d'autres projets dans les futurs tours du 18ème, si elles voient le jour. Oui, Paris a été victime d'une gentrification ultra rapide comme toutes les grandes métropoles occidentales. Les classes populaires ont été relégué dans des périphéries lointaines et même les entreprises ont du mal à se maintenir en centre-ville. Mais tout cela résulte d'un système national, voir international, archi libéral. Le nouveau gouvernement entend bloquer et réguler les loyers. La fronde des acteurs de l'immobilier contre Cécile Duflot est d'ailleurs signe qu'enfin les choses pourraient bouger sur ce dossier crucial : la part que les français consacre à leur logement a quasi doublé en trente ans pour s'établir à 19% en France et souvent plus de 30% sur Paris. Mais encore une fois, cher Dominique, sans doute par pudeur, vous ne voulez pas voir que les ravages sociaux qui frappent Paris sont le résultat de vos idées. Et le populisme que vous pourfendez se retrouve dans chacune des lignes de votre tribune. Nous n'aimons pas le parti socialiste, mais cela ne m'aveugle pas pour autant. Et même si je trouve qu'Hidalgo fait une campagne d'une mollesse infinie, j'espère que les électeurs parisiens ne seront pas abusés par vos arguments fallacieux. Post scriptum (pour éviter PS) : quand on déplore le manque de civisme des français et qu'on a vos fonctions, on évite de se livrer à ce genre de mensonge qui nourrissent largement les vrais populisme d'extrême droite. Peu cordialement.
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22/06/2013
Benchmark ou crève
L'article du Monde Diplomatique m'avait donné envie de lire un essai qui n'était pas à charge, mais chargé. Armé. Lesté d'une rhétorique agressive sur un sujet qui m'interpelle : la vision comptable du monde. Au Panthéon de mes citations favorites, nombre d'entre elles concernent les statistiques: "Les statistiques, c'est comme les bikinis, ça cache le plus important" (Alfred Sauvy) ; " Il y a 3 façons de ne pas dire la vérité : les mensonges, les gros mensonges et les statistiques" ou encore "je ne crois les chiffres qu'on me donne que si j'ai au préalable pu les truquer moi même" (Churchill). Mais, je répète, pas à charge. L'idée n'est pas d'assassiner le benchmarking par réaction ou idéologie réactionnaire, mais plutôt de déconstruire les mécanismes de comptabilité pour montrer que si c'est un outil neutre, Madoff est aussi désintéressé que St Martin.
Les benchmarks ont diffusé les médias, les entreprises et les politiques depuis cinquante ans. Le livre retrace une généalogie diffuse, avec de nombreux pères parmi lesquels les patrons de Xerox et certains margoulins des médias qui comprirent avant d'autres tous les bienfaits en termes de vente qu'ils pourraient tirer d'une lecture chiffrée du monde. Qui ne voudrait pas vivre dans la ville la plus sympa, se soigner au bon endroit, étudier dans la bonne fac ? Internet prolonge ça gratuitement avec des sites d'utilisateurs qui vous classe vos hôtels, vos restaurants, voir les gens à rencontrer selon un barème d'une neutralité forcément helvétique. Ce que les auteurs montrent de façon jubilatoire, ce sont les conflits d'intérêts évidents entre ceux qui commandent et ceux qui mettent en oeuvre, ceux qui décident des critères d'impact et ceux qui s'en servent ; bref, l'idéologie du benchmarking est encore plus suspecte que celle des sondages. Et qu'on le veuille ou non, elle est omniprésente dans nos politiques publiques avec de nouveaux acronymes tous plus entraînants les uns que les autres : LOLF, MAP, RGPP... Tous convergent vers une standardisation de politiques utilitaristes et libérales où les détenteurs de la puissance publique ne semblent plus bien souvent se demander pourquoi ils font tout cela, au fond.
Les 3 exemples choisis à la fin par les auteurs sont accablants pour les tenants du livre: la police, l'hôpital et l'université sont 3 entités, 3 corps sociaux, 3 secteurs d'activités, comme on veut, littéralement gangrenés par cette logique comptable. Ainsi que les premiers chapitres le prouvent, le choix des indicateurs biaise les politiques prônés. Si les flics interceptent beaucoup de petits dealers et pourchassent beaucoup de sans-papiers, c'est parce que leur hiérarchie l'exige d'eux, ceci ne change rien au problème global du trafic de drogue ni ne permet d'avancer sur les flux migratoires.
Au final, le livre nous rappelle une vérité profonde sur laquelle tous les citoyens devraient réfléchir : le benchmarking est un outil destiné aux politiques ayant renoncé à changer le monde, mais souhaitant montrer le petit bout de la lorgnette sur lequel ils agissent en espérant que les citoyens soient dupes....
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