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06/11/2013

Resminables

Lors d'un discours pour les lauréats du service civique, Martin Hirsch citait une belle fulgurance de St Exupéry : "on ne peut pas être à la fois responsable et désespéré". La force de cette saillie ne s'est pas démentie avec le temps. Aujourd'hui, nous sommes désespérés justement parce que nous ne sommes plus face à des responsables politiques. Les crises actuelles, par leur caractère dérisoire, souligne cruellement la nature du désarroi du régime. Une adolescente sans-papiers de 15 ans, des ouvriers en colère se ralliant à leur panache rouge et d'improbables pétitionnaires ne représentants qu'eux-mêmes, partant à l'assaut des symboles du pouvoir avec, souvent, succès. 

Le plus effarant dans les anicroches aujourd'hui, ce n'est pas qu'elles surviennent, mais qu'elles survivent : les journalistes continuent de demander son avis à Leonarda, comme si ce dernier valait celui du chef de l'Etat. Moscovici a confirmé hier que la puissance publique paierait pour les portiques détruits en Bretagne, s'exposant de plein fouet à de nouvelles dégradations et à l'opprobre publique. 

Les commentateurs aiment à découper l'actualité politique en "séquences", mais l'actuelle pourrait durer encore trois ans (sous d'autres formes) car elle révèle la nature profonde du Président de la République : un irresponsable au sens premier du terme. François Hollande a passé sa vie a être un conseiller, puis un homme de compromis qui le dépassaient. Selon la célèbre formule de Cocteau "puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être l'organisateur". Voilà comment il a manoeuvré sa barque à la tête de Solférino pendant des années. S'il avait été le brillant fiscaliste dépeint par certains éditorialistes sans doute en peine de dîners élyséens, que Jospin ne l'a t'il inclut dans sa dream team de 1997 à 2002 ? Au moins une fois. Ca ne tient pas debout. Hollande n'a jamais rien décidé d'important et cela ressort aujourd'hui avec une cruauté infinie. Hollande est le vainqueur de concours de circonstances, qui a bénéficié du crash de DSK, de la haine de Sarkozy et de la peur de la défaite qui a paralysé les électeurs potentiels d'Aubry. C'est d'ailleurs le fruit du remords qui fait qu'aujourd'hui cette dernière est plébiscitée. Mais Hollande n'en veut pas car ils se haïssent et pour cause, Aubry fera. Elle est responsable. Elle agit et tient sa ligne, que l'on aime ou non. Hollande a la trouille et s'est entouré de veules technocrates qui, comme lui, multiplie les plaintes, les geignardises et reportent la responsabilité sur les autres. Ecoutez Moscovici, Cazeneuve, Sapin, ce ne sont pas des imbéciles, mais des pleutres : ils se défaussent sans cesse sur d'introuvables coupables. L'expression "ça fait le jeu du FN" est bien entendu débile et vaine, mais rappelons que le FN se nourrit historiquement de facteurs constants : les crises économiques, la corruption des élites et la faiblesse des régimes. La IVème République n'a pas connu la montée du populisme car nous étions en pleines 30 glorieuses. Aujourd'hui, nous cumulons cette faiblesse institutionnelle avec une crise économique inextinguible. Ce simple et triste constat vaut bien des sondages...

31/10/2013

Inside joy

smiley_jaune.jpgPleurer n'est pas mon fort. Non que je sois insensible, au contraire, mais ça ne sort pas. Une fois à la mort de mon chat Garfield, mais c'est uniquement parce qu'il ne comprenait pas ce qui arrivait et je trouvais cela d'une injustice révoltante. Hier à nouveau, mes larmes sont restées pudiquement à l'intérieur, mais elles coulaient en un flot si puissant que le champagne que j'éclusais courageusement ne parvenait pas à combler le manque.

Hier soir je me suis rendu à ce que Goffman appellerait un rite d'interaction : la remise des diplômes de mes étudiants. La salle était majestueuse à souhait et les effets techniques déployés étaient si grandiloquents qu'on se demandait si Alexandre Arcady était en régie. La marraine de promo - Mercédès Erra-  fit un éloge de la transmission, du choix du plaisir dans le travail et de l'apprentissage tout au long de sa vie pour trouver sa place. Puis vint le tour pour les pious pious de venir chercher leur parchemin en disant quelques mots.

A cet âge là, les remerciements vont souvent vers les parents qui vous ont ET supporté ET soutenu toutes ces années. La bonne éducation vous pousse à remercier l'école, son équipe, ses profs. La sincérité fait ressortir un éloge de vos potes de taff, de rush, de dernière minutes et nuits blanches. Et figurez-vous qu'à la fin de la cérémonie, la dernière major de promotion a prononcé mon nom dans les personnes l'ayant aidé... Dans quelques années, elle reviendra sur ce jugement hâtif. Pour l'heure, l'idée qu'on lui ai donné 3 cours en relation avec son emploi actuel et passé un coup de fil à ladite employeur pour tout dire tout le bien qu'on pensait de l'impétrante suffit à son bonheur. Et au mien. D'autant que la même promo a eu l'idée potache de me faire monter avec eux sur scène. Une mise en scène un brin légère, mais je me sentais dans ma tête comme sur une estrade ; en lévitation.

Je ne devais pas redescendre. Les heures qui suivirent, je bus des coups avec d'autres diplômés qui me présentaient leurs parents ou venaient tout simplement me glisser un mot sympa/précieux/émouvant (ne rayez aucune mention). Une espèce de shoot interminable de fierté mâtinée de joie enfantine. Je ne suis pas urgentiste, pompier, ou psychiatre. Je ne sauve pas des vies. Mais de pouvoir toucher du doigt un peu d'utilité à ce que vous faites est d'une richesse infinie. Mon boulot consiste la plupart du temps à faire des claquettes (au figuré, j'ai un cul de plomb et un sens de la rythmique incertain) pour des clients que je ne connaissais pas hier et ne verrai pas demain. Parfois, c'est plus durable, mais même là, mes relations professionnelles restent cantonnées au niveau de la prestation bien faite. J'ai la fierté artisanale de me dire que je fais bien ce que je fais et que ceux qui l'achètent ne portent pas réclamation. Bon, mais jamais comme hier je ne me sentais une utilité telle. Tout ne fut pas aussi béatement joyeux, une diplômée à qui il restait manifestement très peu de sang dans son champagne me renvoyait sa hargne au visage en hurlant que le chômage est un fléau inacceptable. J'essayais de lui expliquer que deux mois était sans doute un peu court pour pouvoir tenir un discours aussi désespéré mais promettais de l'aider à trouver. Et vais le faire dès ce matin. Pour elle sans doute, mais à l'évidence pour moi. Parce que leurs réussites sont communicatives et me procurent une joie indicible et difficilement contenue. 

27/10/2013

Le burn out du jogger.

Je ne suis pas un coureur de fond. Enfin, je veux dire ce n'est pas ce que je préfère. Moi, j'aimais terriblement le jeu, le foot et le basket surtout. Malheureusement, des lacunes techniques évidentes m'ont interdit très tôt de briller franchement dans l'un ou l'autre sport. Peu importe, j'y ai joué près de 20 ans. Je m'en tirais suffisamment bien pour faire plus que le nombre, parfois un panier à trois points bien senti, ou une moisson de rebond d'un côté, une frappe en lucarne (involontaire, mais le résultat est là) ou un tacle désespéré de l'autre. C'était bien. C'était chouette. Mais mes amis ont cessé de se lever le week-end, et quand vous avez un trop plein d'énergie à dépenser, vous courez. Surprise, j'étais franchement pas mauvais. Je me suis entraîné avec des aînés, pompiers ou militaires, cadres banquiers et oenologues. Différents rythmes, mais une même incitation au dépassement dans le plaisir. 

J'ai connu une première alerte il y a une dizaine d'années. Après une course bâtarde de 9km bouclée en un peu plus de 31 minutes, je voulais vérifier sur la vraie distance et complétait bien mes 10km en 34 minutes et des brouettes. Et vomissais une fois franchi la ligne. Trois fois rien, de la bile. Mais trois fois trop, la preuve que j'avais dépassé le stade du plaisir (qui n'est donc pas le stade oral, noterait Sigmund). Je cherchais un truc plus serein, moins sous pression et trouvais le marathon. Libération. Mon premier fut ma plus grande joie : bouclé en 3H23 en ayant pour seul objectif de finir, je passais tout le dernier kilomètre torse nu à hurler "je l'ai fait" comme un gosse de 8 ans. Malheureusement, j'ai tué le gosse et entrepris d'aller plus vite sur la même distance. J'ai gagné 10 minutes au prix d'un entraînement sérieux, luxe que ma vie actuelle ne peut plus m'offrir (ou alors il faut moins lire et sortir, et cette pensée m'est insupportable).

Bref, je pensais être revenu à une notion de plaisir simple avec le semi marathon : aucune angoisse de ne pas finir 21km quand on a déjà maté les 42 à plusieurs reprises. Reste à courir vite. C'est là le hic. Quand vous vous entraînez souvent, les 21km ne sont plus un problème dans vos jambes (je vous jure) mais dans votre tête exclusivement. Saurez-vous sans cesse accepter d'avoir le souffle court et relancer l'allure pour éviter que l'Autre, ce salopard, ne vous dépasse ? Quand vous êtes un peu devant, la foule se raréfie et l'autre devient un adversaire. Spirale vicieuse.

Ce matin je me suis élancé pour le semi marathon de Vincennes en me jurant que je n'avais d'autre ambition qu'1H30 (j'ai un record 5 ou 6 minutes en dessous). Alors j'ai suivi le monsieur avec son petit ballon 1H30. Au bout de 2km, j'avais l'impression d'être aussi con qu'un canard suivant l'homme aux miettes de pain. Incapable de libre arbitre, de savoir quel était mon rythme. Je suivais, comme un mouton. Ca vous flingue le cerveau et vous vous mettez à cogiter : le danger absolu pour un sportif. Alors j'ai plongé. Arrivé à mi course et à la fin de mon raisonnement sur la vanité de la performance qui n'a d'égal que la chimérique quête de la taille 36 ou des abdos en plaquette de chocolat, je me résumais le dilemme : soit tu serres les dents, tu risques la contracture de la cuisse, mais tu laisses ces cons 3 minutes derrière, soit tu lâches tout, tu finis en sénateur et tu finis... 3 minutes derrière. Réaliser ça m'a abattu : les enjeux étaient pusillanimes. En quoi ma vie changerait-elle pour 3 minutes d'un côté ou de l'autre ? 15 encore, c'est une chose, mais 3 ? Et encore, le jogger découpe sa performance en temps par kilomètres. 3 minutes, c'est 180 secondes, soit sur 11 kilomètres, quelques 16 secondes par kilomètre. Voilà l'enjeu pour lequel j'étais prêt à souffrir ? Ridicule. Alors j'ai absolument tout lâché. Je n'ai jamais réagi quand les légions arrivaient de l'arrière et me dépassaient, pour la première fois de ma vie, je n'ai pas fini une course au sprint. Je me suis contenté d'avancer comme un canard sans tête vers la ligne d'arrivée, comme par magie, en 1H33.

Je ne renie rien de celui que j'étais naguère, bien au contraire. Je voudrais retrouver ce goût du sport plaisir. Mais avec tous ces chronos partout, tous ces buveurs de red bull qui écoutent du 140 BPM autour, j'ai perdu pied. Si quelqu'un a la solution, je suis rudement preneur. En attendant, je vais mollement flâner vers un brunch, car même en 1H33, un semi-marathon, ça creuse.