12/11/2013
Hier tirailleur, aujourd'hui tu te tires ailleurs ?
Hier a marqué le coup d'envoi de célébrations qu'on va nous infliger ad nauseam. Même l'ineffable Jean-François Copé se fend d'un risible livre sur la Grande Guerre (feuilleté en librairie, bien ri, reposé sagement). Tous les symboles vont y passer et seront disséqués dans la presse : quelles sont nos tranchées aujourd'hui ? Qui sont les valeureux taxis de la Marne que nous pourrions réquisitionner pour trouver l'issue ? Les chinois sont-ils les nouveaux allemands ? Ou s'agit-il plutôt des barbus musulmans ? Qui serait encore prêt à donner sa vie pour la patrie ? C'est ainsi, on va en prendre pour un an, en convoquant des symboles, des mots-valises et autres concepts flous. Chaque élu local, tel un chef de rayon de supermaché, tiendra à sa petite cérémonie solennelle pour dire à tous ses administrés qu'il tient lui aussi au devoir de mémoire.
Hier, le message a été brouillé par une palanquée de trous du cul, qui, outre qu'ils ne respectent pas les commémorations, sont suffisamment mal élevés pour confondre un rassemblement privé et un moment officiel. Le groupement hétéroclite d'admirateurs de Dieudonné (quenelles en stock) du commandant Cousteau (avec leurs pathétiques bonnets rouges Made In Scotland) et de Nabila ou Loana (bref, des pouffes botoxées en manteau de fourrure) et de Frigide Barjot (qui pourrait rentrer dans la catégorie précédente, mais je faisais là référence aux crétins de la Manif pour Tous) faisait encore plus peine à voir que leurs déplorables insultes. Du coup, la presse s'en empare et croit lire là l'expression d'un rejet du Président...
Je ne dis pas qu'Hollande est porté au pinacle par le peuple. M'enfin, imagine t'on un commentaire de la popularité de Sarkozy à l'aune de 3 jeunes à capuches lui susurrant l'idée saugrenue de forniquer avec sa propre maman ? Evidemment non. Ce sont de sales racailles, pouvait-on lire. Pourquoi ne dit-on pas la réalité simple à propos de ces "manifestants" : ce sont de sales petites racailles. De droite, j'en sais rien. Je ne pense pas. Trop cons pour ça...
Surtout, ce qui est pénible avec ce lumpen prolétariat bling bling est qu'il nous empêche d'avoir le nécessaire débat sur l'intégration en écho aux célébrations du centenaire. Comme un certain nombre de voix l'ont rappelé dans des films, des documentaires, des débats, la 1ère guerre mondiale devrait nous faire réfléchir à ce que nous demandons aux immigrés, comparé à ce qu'ils nous donnent. Songeons à tous ces tirailleurs qui donnèrent leur vie en échange de quoi ? D'aucune considération puisque pendant des décennies, ils restèrent considérés comme des sous hommes. Bien sûr, aujourd'hui, nous avons dépassé ce jugement immonde. Mais franchement, qui oserait dire qu'ils sont considérés sur une base égalitaire aujourd'hui en France ? Qu'un immigré sénégalais a les mêmes chances de pouvoir trouver un logement, un boulot (à compétences égales) ? Pire, aujourd'hui les voix s'élèvent avec de plus en plus de virulence pour leur dire qu'ils comptent moins que les autres et que "derniers arrivés, premiers à partir". Hier tirailleur, aujourd'hui tu te tires ailleurs. Ca ne tient pas plus debout que de traiter de racailles des petits cons délinquants et d'applaudir comme des résistants des gros cons délinquants... Pourquoi parle-t-on "d'émeutes" dans un cas et de nobles "jacqueries" dans l'autre. Je ne suis toujours pas -moins que jamais- un thuriféraire d'Hollande, mais tant de bassesse dans les attaques a de quoi faire vomir.
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10/11/2013
Grandes réflexions sur des petits blancs
J'aime les petits blancs, surtout à l'apéro. Bien fruités. Quelle déception de ne pas trouver une seule fois mention de ce type de boutade dans le livre d'Aymeric Patricot. Je plaisante, bien sûr, car une bouffée de rire libérateur est essentielle avant une plongée en panée dans un univers noir de noir. Chez les petits blancs. Ceux de la France d'en bas, dit le sous-titre en couverture.
J'avais lu du même auteur le très beau, car très juste, Autoportrait du professeur en territoire difficile, où l'auteur racontait sa vie de prof de lettres en ZEP. De prof de lettres blanc dans des classes très colorées. Une langue d'une justesse remarquable et un ton toujours distancié sans être froid. On retrouve ces qualités précieuses dans le nouvel opus.
On connaît la sentence de Camus, "Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde". Une exigence particulièrement nécessaire dans le cas des enquêtes portant sur les sujets sensibles des rapports sociaux. Rien de plus vomitif que la langue pleine de clichés d'un Rioufol ou d'un Zemmour qui perdent toute crédibilité avec une surenchère verbale et catastrophiste. Les quartiers populaires sont ainsi des "zones de non droits" ou "la mort rôde, tenus par des caïds" etc etc... Mais dans le même temps, les écrivains et autres artistes plein de bons sentiments qui encensent la pauvreté par mauvaise conscience de leur propre situation sont aussi ridicules et desservent la cause qu'ils défendent. Patricot, lui, dépeint la violence sociale et morale sans pathos ni mensonge enjoué.
Le livre est un OVNI scientifique. Ni édito libre, ni véritable étude sociologique, il se présente comme un recueil de fragments de vies, de vies brisées ou amères de ne pas être ce qu'elles pourraient être. Et où la couleur de peau joue un rôle dans cette amertume, en plus ou à côté de la condition sociale. A cause de ces péchés originels formels, le livre est attaqué par les scientifiques doctes qui ne voient pas d'échantillonage crédible. Il est évidemment accusé par les belles âmes de faire le jeu du Front National (cette expression...) et par les purs de chez purs de dévier le problème social qui, seul, explique tous les maux. Je ne me situe dans aucune de ces catégories. Je ne comprends pas les détracteurs d'un livre à la force tranquille, aussi douce que le sujet est âpre.
Patricot raconte des gueules cassées, humiliées parfois, mais pas haineuse. Personne n'appelle au meurtre des noirs et des arabes, mais hurle le fait de ne jamais être entendu. Les témoignages ruraux sont parmi les plus émouvants. Les jeunes ne sortent pas car il n'y a rien, pas d'offre culturelle ou de programme spéciaux quand il y en a beaucoup dans les quartiers populaires. Christophe Guilluy montre cela dans "Fractures françaises" sur les inégalités d'investissements folles. Une analyse corroborée par Laurent Davezies dans "la crise qui vient" où l'auteur montre que les quartiers périphériques bénéficient des investissements colossaux des métropoles. Même si cela reste insuffisant, impossible de dire qu'il n'y a rien. D'autres témoignages sont violents, non pour le malaise social, mais le gouffre culturel qui séparent ces petits blancs des autres. Ceux qui n'aiment pas le rap et font semblant, ce garçon fluet qui rêve d'aborder une fille black mais explique que ça ne marchera jamais car elles projettent toutes des envies de mecs musculeux comme dans les clips de rap. Ces deux écorchés vifs de la Beauce, qui voudraient être intellos mais n'ont pas passés leurs examens de sociologie car ils ne voyaient pas l'intérêt. Leur histoire m'a ému aux larmes. Ils vomissent leur haine des "bouseux" autour de chez eux et vont à Paris où ils ne maîtrisent pas les codes et s'aventurent vers les quartiers qu'ils imaginent pour eux, plus bohèmes. Ne pas être adoptés d'emblée, ne pas ressentir de fraternité artistique les irritent et ils font des conneries.
Il y a encore ce témoignage d'une fille qui dit que sa famille a toujours refusé les HLM auxquels ils avaient le droit "car être logé par l'Etat c'est pire que tout. C'est bon pour les bougnoules". Gloups. Il y a ce jeune homme à la licence de marketing qui préfère vivre de RSA plutôt que de bosser. Même plus amer "on peut vivre ici. Pas dans les zincs mais avec de l'alcool low cost où on finit à poil. Le corps exulte. Si on fait un coma et qu'on a tout oublié, c'est parfait, ça veut dire qu'on s'est vraiment lâché". Re gloups.
On referme le livre en ayant envie d'écraser un parpaing sur le prochain politique qui vient vanter le "vivre-ensemble" en méprisant toute une culture populaire traditionnelle, celle de ces petits blancs à qui personne ne parle et qui se sentent humiliés. L'une des personnes qui a bien voulu répondre à Patricot dit cela aussi. Elle n'a plus de haine, mais veut aller en Australie. Là où on ne la jugera pas. Merci à ce livre d'avoir donné la parole à ceux que personne n'écoute, mais qui disent si bien le besoin d'égalité réelle.
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08/11/2013
La larme du doute
Les grands patrons, quand on en a vu un, on les a tous vus. Voilà, en somme, ce que je pensais avant d'interviewer des dirigeants. A la base, cela devait me permettre d'évacuer toute pression, la martingale voulant qu'on les imagine en sous-vêtements peut lasser. Pour étayer l'affirmation au-delà de la démagogie, on conviendra qu'ils sont déjà tous - dans le CAC 40 - des hommes, formés aux mêmes écoles, avec les mêmes réseaux et capables de passer d'un groupe à un autre. Pour un Christophe de Margerie, un Jean-Paul Agon et un Frank Riboud (ça fait 3...) on compte de nombreux managers passant de MCDO à Accor comme d'autres sautent de lianes en lianes. Un grand patron a donc souvent le même profil socio-culturel.
Pour autant, résumer leurs différences aux boutons de manchettes et à leurs coiffures serait une erreur colossale. Je passe sur l'efficacité de certains et les limites d'autres, je ne veux pas ici parler de stratégie. Pas plus que je ne commenterais leurs caractères, même si certains me donnent du "comment va vieux ?" en me tapant dans le dos quand d'autres me salueraient avec des gants s'ils pouvaient. Là n'est pas la question. Ce qui me taraude, c'est plutôt leurs convictions de fond sur la société inclusive qu'un nombre croissant de voix appellent de leurs voeux. Il y a certes le développement constant de l'entreprenariat social, de l'ESS, mais il est illusoire de croire à un changement de société si ces pionniers réparent avec énergie ce que d'autres cassent. Ces capitaines de navires gèrent encore des dizaines de milliers d'emplois et surtout passent des contrats avec une myriade d'autres acteurs. Je veux bien entendre le discours sur leur développement qui passe par l'international et leurs marges aussi, ils n'empêchent que leur impact en France est toujours colossal et qu'ils ont donc un rôle central. Nul autre pays d'Europe n'a le même nombre de grands groupes que nous, dont on peut penser ce que l'on veut, mais choyés par le politique qui y place souvent ses hommes (droite et gauche confondus, une consanguinité record) ces groupes peuvent changer la donne en matière d'emplois. Et au-delà des postures globales, les décisions individuelles de ces PDG sont à juger à l'aune de leur moelle. Le gros mot est lâché mais ce que m'a évoqué ma rencontre récente.
Je venais animer un lancement de club solidaire pour un ami entrepreneur social. Au programme, avant des expériences pratiques présentées en binôme par des représentants d'entreprises, une discussion entre le sociologue Norbert Alter (je renvois à la lecture de tous ses livres! ) et le PDG d'Axa, Henri de Castries. HEC, ENA promotion Voltaire, PDG d'un assureur du CAC 40, quelle mouche avait donc piqué les organisateurs pour venir choisir ce parangon des élites parler des plus fragiles, des plus délaissés ? Je ne voyais pas en quoi il pouvait différer de XX ou YY sur ces questions de publics qu'il ne connaît qu'en pur abstraction théorique, parce qu'il lit sans doute les journaux.
Bon, le cliché est minuscule et plongé dans l'obscurité, mais on devine l'attention dont est capable le monsieur, à gauche (sur la photo). Surtout, au moment ou Norbert Alter s'est lancé dans un exposé précis j'ai vu un truc inouï : de Castries pleurait. Littéralement. Les yeux d'abord rougis, puis mouillés, j'imagine qu'un sursaut de surmoi lui faisait retenir ses larmes aux coins des yeux et évitait qu'elles ne roulent sur ses joues. Il n'empêche. Je devinais là toute la complexité sincère du personnage qui croit sincèrement au besoin d'inclure les fragilités. Qui a, tout aussi sincèrement donné de son temps, prêté son amphithéâtre et offert le petit dèj à 200 personnes sans sourciller, dit qu'il faut faire plus et d'ailleurs son groupe s'implique. Mais dans le même temps, il sait que son board lui rétorquera qu'il n'y a pas de place dans le bilan de fin d'année pour la ligne "fragilité". Les 2 forces s'entrechoquent comme des bouquetins se chargeant front contre front. Bien sûr, la logique libérale fait que les plus fragiles trinquent toujours. Il ne faut pas se voiler la face. Mais dire qu'ils sont tous des salopards sans conscience ne fait guère avancer le schmilblick. Tant que je verrais cette larme du doute, et j'étais suffisamment près pour savoir qu'elle n'était pas de crocodile, je croirai que le changement peut aussi venir de ces grands patrons.
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