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08/06/2013

L'économie en mode ATP

images.jpegC'était un soir sans eau. L'ami avec qui j'éclusais patiemment des bières m'entreprit sur une théorie : l'économie de l'édition vu par le prisme du circuit ATP, qui régit les tennismen professionnels. Pour reprendre sa formule bien française (le type est par ailleurs un grantécrivain comme on dit dans les gazettes) "plus t'es de la win, plus t'es de la win". Il parlait des droits d'auteurs ; qui augmentent proportionnellement à mesure que les ventes augmentent. 1 euros par livre en dessous de 10 000 ventes, plus de 2,5 euros au delà de 100 000, grosso modo. Peu de monde concerné, mais lui rentre dans cette catégorie des rares élus.

Le parallèle avec le circuit de tennis est frappant : ce sport est celui qui a poussé le plus loin le grotesque (je regarde quand même, mais bon) pour protéger et orchestrer son petit suspense. En gros, mieux vous êtes classé, plus on vous paye juste pour venir sur un tournoi, même si vous prenez une branlée au premier tour. Mieux, si vous faites partie des têtes de série, les joueurs les mieux classés, en somme, vous pouvez être exempté de premier tour. Pauvre petit champion qu'il ne faudrait surtout pas fatiguer, ne pas prendre le risque qu'il rate la finale. Ce qui m'a frappé récemment au moment du tirage au sort de Roland Garros, c'était les lamentos accompagnant la perspective de retrouver Nadal/Djokovic en demie-finale. Comme si le match était sincèrement gâché de n'être pas une finale. Je ne comprends pas. Le match eu lieu hier, 5 sets, 4H40. Les amateurs de suspense et de spectacle pouvaient être rassasiés. Ce qui me chiffonne c'est de lire encore que la finale eut lieu avant l'heure. Je suis sûr au contraire, que le même duel de chiffonniers (assez doués avec une raquette) aurait tenu les mêmes promesses au premier tour. Mais peu importe cette évidence, pour les promoteurs, il s'agit de s'assurer, de maximiser, de forcer le destin pour que coûte que coûte, les choses se déroulent comme prévu. Il avait même été envisagé de changer le règlement pour que Nadal puisse être tête de série numéro 1 à Roland Garros et éviter de croiser Djokovic avant la finale.

Il faudrait un livre et non pas une note de blog, mais il faut imaginer l'économie mondiale fonctionner selon les mêmes ressorts, favorisant sans cesse les favoris, les plus forts et enfonçant les autres, les cantonnant à d'obscures matchs de qualification... Ce ne serait pas à proprement parler une révolution au sens marxiste, mais juste, appliquer les mêmes règles à tous serait une utopie concrète très appréciable.

07/06/2013

Molto grande bellezza

grande_bellezza.jpgMon ami Bruno Humbert aime à dire qu'il est difficile de définir un entrepreneur social, mais que lorsqu'on en croise un, on le sait de suite. Sans doute en va t'il de même avec les chefs d'oeuvre au cinéma. En tout cas c'est ce que j'ai ressenti en regardant la grande bellezza de Sorentino.

J'avais entendu, ça et là, quelques mauvaises critiques : un peu mièvre et moralisateur, quelques chromos égarés. Bon. Plusieurs personnes dont j'aime à suivre le goût m'avaient en revanche convaincu d'aller voir ce film "très beau". Je l'ai trouvé admirable. Drôle le plus souvent, fort et entraînant parfois; émouvant, toujours. Rarement la charge contre les parasites de l'époque n'a été aussi juste. Les dialogues claquent parfaitement, les scènes les plus loufoques s'enchaînent.

Le pitch tient, comme souvent, en une ligne : le roi des mondains romains, 65 ans, réalise qu'il serait peut être temps de se remettre à écrire, lui qui avait publié un roman salué par la critique il y a 40 ans. Evidemment, il n'écrira pas une ligne, mais continuera à promener son élégante silhouette dans des bacchanales où se mêlent toujours artistes conceptuels, filles de joie et noblesse ecclésiastique. Et il lève parfois le nez de la cocaïne pour réfléchir au temps qui passe, au néant qui l'entoure. Il ne s'épargne pas, lucide au possible sur sa condition. Erudit désabusé, il ne méprise par la faune qui l'entoure car il leur ressemble, va chez le même chirurgien esthétique (hilarante scène) fréquente les mêmes fêtes où il se retrouve dans les mêmes chorégraphies. Il se rachète une conscience auprès des humbles (sa femme de ménage, une religieuse) mais pas au point de mener une vie dépouiller non plus. Ce grand débauché très digne ne sait pas ce qu'il veut, mais met tout en oeuvre pour que rien ne change ; fors sa garde-robe. Mon dieu que ce mec est bien sapé !

Au delà du scénario quasi insignifiant, le film frappe par la beauté de ses plans, touche par la justesse des acteurs et émeut grâce au message de fond. Le fond ? Le temps qui passe, la vanité des choses qui brillent et dans le même temps, l'impossibilité de s'y soustraire car le courant est trop fort dans le tourbillon des mondanités. Evidemment, on pourrait opposer qu'il y a trop de scènes plaquées ou de personnages un brin caricaturaux, mais c'est toujours fait avec humour et une émotion trop puissante pour être malhonnête. C'est une réflexion virtuose sur ceux qui refusent le temps qui passe et veulent coûte que coûte continuer de danser jusqu'à ce que les morts les prenne par surprise. Continuer de danser pour ne pas voir la folie ou le malheur qui les entoure. Encore une fois, en un mot : admirable.

06/06/2013

Le blues précoce des businessmen

cover_244010_200.jpgC'est l'histoire de 12 000 jeunes, qui s'étaient donné rendez-vous dans 10 ans. Sociologiquement, ils étaient programmés pour devenir des grands hommes. Bac+5, passés par des écoles de commerce, ils devaient 10 ans après leur sortie d'école être les nouveaux conquérants de l'époque. Et l'histoire est finalement moins belle que dans la chanson de Patrick Bruel. Ils trouvent qu'ils ont des vies de con. Voilà le résultat d'une vaste enquête du CEREC.

Les dirigeants d'école de commerce hurlent. Comme les racistes, ils se trompent de colère "seuls 2% d'entre eux sont au chômage, ce qui en période de crise est exceptionnelle". Comprenez par là : caprices de gosses de riches, circulez y a rien à voir. Cette conception dualiste du monde est dépassée et les dirigeants d'école ne le voient même pas.

Leurs indicateurs sont périmées, obsolètes et désuets. Bien sûr que des jeunes formés cinq années après le bac sont moins au chômage que les autres, souvent ils gagnent mieux leur vie dès lors que lesdits diplômes sont ceux attendus par les entreprises. Mais 21% d'entre eux déçus par le contenu de leur vie professionnelle et cela ne fait pas réfléchir les formateurs. Inquiétant. D'autant plus dramatique que les "marginaux", ceux qui ne se reconnaissent pas dans les pauvres points et autre fichier excel à longueur de journée ont bifurqué loin avant le cap des 10 ans et s'ils ont été interrogés n'appartiennent pas à ces 21%. Ils ont trouvé satisfaction dans une autre vie professionnelle, plus soucieuse de l'intérêt général.

C'est peu de dire que nous sommes à un tournant. La part d'étudiants déçus ne cessent de croître. Via la superbe assoc' Pro Bono Lab, j'ai pu rencontrer des dizaines de jeunes désireux d'esquiver tout de suite les affres de l'ennui. En face, les entreprises sont conscientes de ce risque de spleen précoce chez leurs plus grands talents. Mais si elles mettent en place de nombreuses initiatives d'engagement (tutorat de jeunes, soutien à des assoc, mission pro bono) aucune d'entre elles n'a encore eu l'audace de changer le coeur du réacteur en faisant en sorte que le coeur de l'activité soit moins pénible pour les salariés. Les entreprises sociales échappent toutes à ce problème (elles en ont d'autres : surcharge de travail pour les cadres, rémunérations trop faibles...) et les plus grands aigrefins l'ont bien compris en tentant de se repeindre en vert et rose (même s'ils n'ont pas lu Stendhal) comme ces maquignons souriants de Michel & Augustin...

Faut-il attendre dix années de plus que la proportion dépasse les 50% pour que l'on s'interroge sur ce blues généralisé ?