09/05/2013
Les bigottes en terre et les joueurs en plaqué or
Il faudrait un descendant de La Fontaine pour narrer cette fable du XXIème siècle. L'action se passe à Marseille, où toute la ville est acquise à son club de football, l'OM. Toute ? Non, un couvent de religieuse résiste encore et encore à la pression de l'envahisseur. Le couvent de la Serviane, peuplée de religieuses présentes depuis le XIXème siècle se situe sur le terrain de la Commanderie, le lieu d'entraînement de l'OM. Il y a quelques années, le club a posé une offre d'achat pour racheter le couvent et surtout les hectares de terrains qui vont avec. Refus des bigottes. Mordicus. Malgré l'offre à la hauteur de la démesure footballistique : en millions d'euros.
Présent pour le week-end à Marseille, je réside chez une amie qui vit non loin de cette Commanderie. Nous partons jogger et passons devant le couvent d'où les soeurs ne sortent jamais. Elles vivent cloîtrées comme dans la Religieuse de Diderot, hors du temps. A la fin de notre boucle, nous passons devant la Commanderie, immenses logos Adidas et cerbères bodybuildés. Des dizaines de fans se pressent vers l'entrée aussi, posters en papier glacé qu'ils espèrent faire signer par leurs idoles. A l'évidence, ces dévots modernes ne comprennent rien de l'obstitnation des religieuses. Pas plus que les piliers de bars de la ville jusqu'aux politiques locaux. Pourtant, la puissance de la symbolique est plus forte que celle de l'argent : déloger des petites vieilles à grands renforts de caisses de monnaie pour mettre des crétins en shorts ? Impensable. Et la situtation paraît donc bloquée pour des années et des années.
Au-delà de l'aspect anecdotique, j'aime l'idée de cette résistante Orwellienne, au sens où Orwell parle de common decency, de droits humains inaliénables plus puissants que la simple morale de l'argent. Il faudrait imaginer, comme dans Astérix, que le petit couvent puisse triompher de l'empire du mal.
Moralité : rien ne sert de courir sur du synthétique, mieux vaut une vie syncrétique.
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07/05/2013
Je ne veux pas ta photo
Quand je faisais mes études, les profs les plus feignants nous donnaient invariablement des images publicitaires à commenter. Un exercice stimulant au début, qui nous aidait à polir notre esprit critique, puis vaguement lassant, à force. Les pubs reflétaient souvent les hypocrisies de l'époque et puis, les pubards faisaient gaffe donc les affiches devenaient mois amusantes à disséquer.
Je me rabattais bien vite sur les spots et de toutes façons, décidais que je ne passerai pas ma vie à me battre 70 heures par semaine pour convaincre mon client qu'une révolution de la consommation de viande serait en marche une fois qu'il aurait adopté mon idée révolutionnaire "Bravo le veau". Ou la semaine d'après que je libérerais les femmes qui mettent des tampons avec applicateur avec ce slogan de génie "Vous ne tenez pas en place, nous oui !" (authentique, la marque consommateur Monoprix, jamais avare de calembours finauds)... Bref, je devenais peu à peu hermétique à ce petit exercice et indifférent aux créations de l'époque.
Et puis hier dans le métro je suis tombé sur cette nouvelle affiche des Galeries Lafayette. Je passe sur la platitude du slogan (dire Baseline dans les salons sous peine de passer pour un con, pire un provincial -d'ailleurs on ne dit plus la province, mais "les territoires" et ça c'est le progrès. Enfin, il paraît) "L'été vit plus fort". J'imagine sans mal les poings serrés et la lippe avide du directeur créa qui a regardé son client des galeries farfouillettes en lui disant "l'été vit PLUS FORT". Ha, bon très bien très bien...
Mais ici, la pictosphère explose la graphosphère. Ce qui compte c'est cette naïade parfaitement épilée et avec ce qu'il faut de litre de monoï pour bien cramer. Ni black ni beur, ni trop blanche. La perfection faite femme de la diversité sans choquer l'électeur gentiment raciste. Gloire à toi Pocahontas. De quoi s'agit-il ? De vendre un nouvel espace "bain de soleil". Là, l'idiot ou le plouc se dit qu'après Paris-Plage, il y a Galeries Plages. Mais non, triple buse c'est juste un nom plus vendeur pour dire "rayon maillot de bain" une appellation d'une ringardise choquante. Mais revenons à la fille qui garde précieusement le haut de son maillot de bain qui est défait pour suggérer un côté gentiment sulfureux (et en même temps un peu conne car sur le dos, comme ça, il ne risque pas de glisser)... La question est : que fait le bas de son maillot de bain délicatement posé au bout de son pied ? Pourquoi cette réclame pour l'espace maillot de bain fait-il incidemment la réclame des plages naturistes ? Ou des plages pour escorts (on ne dit plus "pute", c'est vulgaire) ? N'aurait-on pas pu se contenter, pour cet espace de vente de maillot de bains, de montre Jojo & JojoE à la plage, tous les deux ? Un homme et une femme puisqu'à priori les représentants des deux sexes achètent souvent des maillots ? Et genre pas à poil ? Pas monoïé à mort ? Un peu comme nous à la plage ou à la piscine, en somme. Et si, amis pubards, la vraie disruption, pour parler comme vous, ce serait de montrer la normalité ?
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06/05/2013
Hannah Arendt
Dans ce genre de films, les regards sont souvent braqués sur l'acteur principal avec une question lancinante : Oscar ou pas (ou César). Daniel Day Lewis dans Lincoln, Oscar, Marion Cotillard dans la Môme, rigolade. Dans les deux cas, deux purges, mais l'histoire oublie ça. Ces dernières années, le nombre de projets bio picisant à explosé : le Che pour que Benicio del Toro sorte ses muscles, Ali pour que Will Smith prouve qu'il n'est pas qu'un bouffon. Chez nous, des films avec nos politiques ou des chanteurs morts. Ha ! Jérémie Reinier en Cloclo... Sinon, la télé s'y met aussi pour notre plus grande rigolade : souvenons nous l'hilarante prestation de Laurent Deutsch en Sartre et Anna Mouglalis en Beauvoir. Certes, rigolade involontaire, mais quelle nullité.
Si l'on résume le dilemme à la question initialement évoquée, c'est râpé. Barbara Sukowa fait le job, mais elle ne nous transporte pas. Pire, vers la fin du film elle tente de surjouer un peu la colère et le subterfuge laisse perplexe. Passons. Si en revanche, on cherche d'autres choses, alors le film est une franche réussite. Dans ce qu'il montre de ce procès hors norme, bien sûr. L'intelligence consistant à glisser de nombreuses images d'archives plutôt que de singer Eichman souligne la volonté de ne pas aller trop loin dans le spectacle et de respecter l'histoire. Les passes d'armes autour des articles de Arendt rendent bien l'atmosphère. Le découpage du film est intelligent, l'image un trop académique avec trop de gros plans léchés (le mégot d'Hannah est le vrai meilleur second rôle). Bien, mais ce qui rend ce film particulièrement intéressant se trouve au-delà. Dans ce qu'il dit de la réflexion critique et autonome et d'un certain rapport au temps.
Jamais Arendt ne se répand auprès d'autres journalistes venus couvrir le procès Eichmann. Elle cogite, seule, imperturbable. Allongée sur sa méridienne ou perchée sur des terrasses, elle avance sa pelote de réflexion, imperturbable au ronron du monde. Quand tous débitent leurs premiers compte rendu, elle reste hermétique et ne se laisse pas contaminer par le reste. Fort. Nous n'avons plus Eichmann mais l'époque récente nous a offert les procès de Sadam Hussein ou de Douch et là, les compte rendus arrivaient quasiment en direct; demain, les audiences des procès de terroristes feront l'objet de live tweets.... Par ailleurs, quand Arendt rend son travail au New Yorker, elle refuse de transiger. Sur les délais, sur la taille du texte rendu et sur la possibilité de montrer des bouts avant. "Je ne délivre pas au compte goutte, Mr Shwaun". Cette quête d'une réflexion absolue, imperturbable par la marche du monde fut pour moi la plus grosse claque du film, songeant aux philosophes cathodiques actuels accrochés à la remorque de la caravane du spectacle... M'en vais fouiller les rayonnages des libraires pour retrouver des penseurs hors champ. En évitant soigneusement les livres faisant le bilan anniversaire d'Hollande.
08:19 | Lien permanent | Commentaires (0)