04/02/2013
L'Etat de droiche
J'aurais aussi pu titrer "L'Etat de gaute", mais c'eut été une faute. Pas que de goût. Donner la primauté lexicale serait encore accorder trop d'importance à la gauche dans ce qui se trame à l'heure actuelle. L'éditorialiste le plus réaliste et le plus sévère n'a pas changé depuis 15 mois, même si les élections nous ont apporté de nouveaux dirigeants.
Pour le dire clairement, j'ai revu ce film génial, "L'Exercice de l'Etat" qui m'avait déjà emballé la première fois et j'en avais dit du bien là. Vu sous Sarkozy, vu sou Hollande près de 9 mois après son élection et il est bien improbable de dire comme s'égosillait l'ineffable Jack Lang que nous sommes passés de la nuit à la lumière. Nous sommes restés dans l'ombre angoissante, sentant une espèce de bouillie neigeuse sous nos pieds et sans voir le chemin qui nous sortira de là.
Dans le film, bien malin qui peut dire où penche le gouvernement. A première vue, on serait tenté de dire à droite au motif qu'il veut privatiser les gares. D'accord. Mais ils ne le font pas par idéologie absolu, mais par contrainte. On voit les tensions, les scissions même au sein du cabinet du ministre des transports comme d'autres membres du gouvernement. A la sortie du film, de nombreuses voix n'avaient pas souhaité s'exprimer, mais certains initiés comme Martin Hirsch avaient eu l'honnêteté de reconnaître que ce qui se passe dans le film est exactement conforme à la réalité.
Que se passe t'il exactement ? Une soumission au PR et au premier ministre absolu. Ce sont eux qui nomment les cabinets et directeurs de cabinets, impose les nominations et les feuilles de routes. Dès lors, le poids des ministres se limite à leurs capacités à créer des oukases en direct à la radio et gérer la crise. Ce sont d'ailleurs les mots clés du Président à Olivier Gourmet qu'il promeut ministre de l'emploi "ton maître mot, désamorcer, désamorcer, désamorcer". Cette réalité à minima incarne au mieux la mort du clivage : la droite désamorce avec l'auto-entrepreneur, la gauche avec les emplois d'avenir, dans un cas un curseur libéral dans l'autre social (même si ce sont des emplois précaires) mais dans les deux cas, pas de gouvernail.
La même impression que la première fois, d'ailleurs. Le climax du film est cet échange entre Michel Blanc et Didier Bezace, deux énarques à la croisée des chemins qui ferraillent sur le pouvoir public et privé. Les ors du pouvoir sont du côté de Blanc, qui joue à domicile au ministère. Mais la capacité de pouvoir et la vista du côté de Bezace... A l'heure où les députés font des nuits blanches à l'Assemblée sur le mariage pour tous, la justesse du film est troublante : philippiques vivaces pour bien marquer les oripeaux du pouvoir, mais quelle vision ? Le fait qu'Ayrault, depuis Phnom Penh, conteste Dominique Bertinotti souligne l'absence de vision globale même sur des questions sociétales. Avec ce genre d'approximations, le contraste avec la droite n'est pas flagrant et on sent bien que le grand lendemain social attendra au moins jusqu'à après-demain...
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03/02/2013
Chantier politique interdit aux amateurs
Le calendrier est connu : après le mariage pour tous, les autres réformes sociétales seront l'euthanasie et le droit de vote des étrangers. Ce dernier sera un non-événement, 56% des français sont contre, la gauche n'a pas la majorité des 3/5 pour modifier la constitution dont on cognera du menton pour donner des gages à la gauche sans penser pour autant faire vraiment changer la loi. Non, le prochain débat qui nous fera vraiment marrer car il sera plus confisqué, biaisé et maquillé que tous les autres concernera le cumul des mandats.
Attention, débat de tartuffes à venir ! Les élus et en première ligne les sénateurs, vont nous expliquer la main sur le coeur (l'autre sur le porte monnaie) que la défense de l'intérêt général exige le maintien du cumul des mandats. On connaît les arguments des tenants de ce cumul. "Le besoin d'enracinement", le fait d'être "connecté à la réalité du pays" ou le plus honnête de l'ineffable JF Copé qui dans un moment de lucidité décomplexée s'était exclamée : "si on se limite à ceux qui se contentent de 5000 euros par mois. On aura que des tocards". Rappel : seuls 6% des français gagnent plus 4500 euros par mois (donc sans doute 5% pour 5000). L'argument pécuniaire de JF Copé signale qu'il ne sélectionne ses ouailles que parmi 5% du peuple français. Que pour lui les salaires des profs, même agrégés et en fin de carrière, se contentent de sommes de tocards. Idem pour les juges (jusqu'à 40 ans), les infirmières et une myriade d'autres métiers au service de l'intérêt général.
Copé d'une part, tous les barons de l'autre, on voit bien le barrage des élus contre cette réforme. Pour ceux qui passent leur temps à fustiger les corporatismes des français, cocasse de remarquer que leur attitude sur ce coup là ne relève pas d'autre chose. Pourtant, selon une batterie de sondages, 9 français sur 10 seraient pour la fin du cumul. Pas une infime minorité type victoire à la présidence de l'UMP, non une écrasante majorité favorables à un changement de fond. Des 60 engagements du Président Hollande, ce serait donc celui qui ferait le plus consensus, celui que tout le monde appelle de ses voeux pour redonner de l'air à une vie politique nationale viciée par le professionnalisme et le carriérisme.
Malheureusement, les socialistes aujourd'hui au pouvoir ont une pratique qui ne plaide pas pour une vision plus simple et citoyenne de la politique. Lorsque l'on songe au pataquès autour de cette histoire de taxe à 75%, comment résister à la tentation du procès en amateurisme ? Dès lors, on vous explique que la politique est un métier, qu'il faut du temps, que cela s'apprend et on referme le piège en plaidant doctement sur l'impossibilité, en période de crise, de s'ouvrir aux dilettantes. Et le chantier reste fermé entre soi.
Il y a peu, j'écoutais une émission où l'on expliquait que ce début de XXIème siècle, ressemblait à la fin du moyen âge. Avec ses châteaux forts, ses baronnies, ses luttes serrés et viriles. A cette période a succédé la Renaissance où l'on a su comment exploiter la créativité nouvelle que l'on envisageait comme de l'oisiveté la veille encore. On sent ce bouillonnement dans la sphère des nouvelles technos, de la culture et autres nouvelles entreprises dans le domaine de l'énergie avec des collaborateurs/contributeurs. Ces nouveaux modèles décentrés, sortis d'une logique bêtement tubulaire pour muer vers l'horizontal, voilà ce qu'il faudrait importer à notre classe dirigeante. On peut toujours rêver, ça ne coûte rien, donc on ne nous reprochera pas d'aggraver la dette avec...
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01/02/2013
Jours de pouvoir
Comment un homme de lettres aussi fin et exigeant avec son texte a-t-il trouvé le temps de se perdre en politique ? J'exagère à peine, tout, dans le dernier opus de Bruno le Maire nous confirme ce que l'on a pu voir dans ses précédents livres: c'est un homme de l'écrit. Qu'il s'agisse de ses récits, Le Ministre, Des hommes d'Etat, son essai Sans mémoire, le présent se vide ou son roman sur Carlos Kleiber, Bruno le Maire fait mouche.
Quiquonque réfléchit deux secondes à l'existence de ce livre voit bien qu'il ne peut être un vrai politique. Deux ans de journal, même avec une mémoire d'éléphant, vous vous isolez une heure tous les trois jours pour écrire à tout berzingue vos anecdotes que vous remettrez en forme plus tard (ce garçon a un emploi du temps qui s'est singulièrement allégé depuis mai dernier). Et je parle des écrits hebdomadaires, mais le miel du livre ce sont les comptes rendus géniaux de réunions avec Sarko, Jupé ou Villepin (il fréquente peu Morano et Lefevbre) dont il retranscrit les saillies. Et cela, il faut le faire dans les 48h, quand c'est frais. Or, ni Chirac, ni Sarko ni -surtout- Copé ne prennent deux heures par semaine pour écrire le récit de leurs vies politiques. Chirac est un homme de l'oral à l'ancienne, Copé et Sarko en version moderne, toujours un téléphone à la main. Ils font partie de ceux qui ne s'isolent plus qu'en fermant une porte. Qui prenait le temps de s'exclure du réel politique pour aller en territoire de fiction ? St John Perse, peut être, mais il était diplomate. De Gaulle quand il était militaire ou en traversée du désert, idem pour Mitterrand. Quand on est dans l'action, on n'écrit pas. D'ailleurs, à tout prendre comme pari aujourd'hui, je miserai plus sur Bruno le Maire prix Goncourt que Président...
Le plus délicat dans ce genre d'exercice est bien évidemment celui de la distance avec soi. De façon presque confondante -et ce n'est pas un conseil de communicant, ou alors le plus con d'entre eux- le Maire ne s'épargne pas. Pratique courante chez les écrivains mais inexistante dans cette proportion chez les politiques. Il confesse ses erreurs, ses naïvetés et autres erreurs. Il avoue que Baroin a bien joué le coup pour avoir Bercy. Il dit qu'il n'a pas de poids ce qui l'empêche de faire passer le projet UMP. C'est proprement fascinant : il n'y aucun masochisme puisqu'il ne mésestime pas son intelligence ou autre, mais à sacraliser une certaine idée du politique, il avance dans la carrière la tête en l'air et passe le temps à se cogner dans des adversaires plus terre à terre.
Au-delà de lui et de son rapport au temps - cet homme passe sa vie à faire des footings ou à se déplacer en avion et en train- ce sont ces échanges avec les grands de ce monde et de ce pays qui font de ce livre un monument de mémioraliste. Il a tout archivé, tout consigné, tout vu. L'obstination de Sarkozy a croire qu'il va gagner est proprement saisissante, même exténué, il y croit. Et il fait taire les sarcasmes. On lit aussi la montée du Front National, le mépris pour la gauche sauf pour Hollande qui comme Mitterrand "a des racines de droite" et le besoin de ménager Mélenchon pour ne pas recentrer le PS... On voit surtout sa vie défiler à tout berzingue et le peu de temps dont il dispose pour tout : pour ses enfants dont le 4ème qui vient de naître, sa femme, ses électeurs de l'Eure, les intellectuels à qui il demande conseil (bel hommage à Marcel Gauchet) l'Europe qu'il aime mais qui se refuse à la France et tous les autres sauf Nicolas Sarkozy vers qui il revient toujours. Cette fièvre calendaire se ressent dans l'écriture, syncopée (et pas Saint Copé, le pauvre Jean-François apparaît dans le récit comme un arriviste premium) et alerte. En refermant les 430 pages on en reprendrait. Je doute qu'il poursuive son rôle de diariste dans l'opposition, mais pourquoi pas un nouveau après Kleiber ? Je serai preneur...
Pour finir, le héros du livre à nouveau, Nicolas Sarkozy: "J'ai essayé de changer Balladur, je lui ai fait ses discours, donné des idées, dit ou aller, quoi faire, rien n'y faisait. On ne change pas les rayures d'un zèbre. La vérité, c'est que Balladur, c'est Balladur, Fillon c'est Fillon et Sarkozy, c'est Sarkozy". Il a beau se peindre, se grimer, se changer, rien n'y fait, Le Maire c'est Le Maire, un écrivain égaré en politique. Que je préfère infiniment lire qu'écouter.
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