06/01/2013
Affaire Harry Quebert : coke en toc.
Les palinodies des critiques littéraires devant le succès constituent pour l'observateur que je suis un ravissement sans fin. Lorsque Joël Dicker a publié son conséquent (650 pages) roman "la vérité sur l'affaire Harry Quebert" les recensions étaient plutôt bonnes, sans plus. Premier temps de la valse.
Deuxième temps, après que les libraires ont fait part de leur étonnement devant l'empressement du public pour ce livre, nombre de voix de ceux qui ne veulent être en reste, crièrent au génie. L'auteur a 27 ans, une belle gueule, le roman est touffu et plein de références américaines comme on les aiment. Les parallèles les plus élogieux se mettent en place : il dépeint l'Amérique déshumanisée de Hopper, aime les affres des grands auteurs comme Philip Roth... N'en jetez plus, c'est le nouveau deus ex machina des lettres. On lui donne alors un prix de prestige (Académie Française) et un prix du public (Goncourt des lycéens).
Et puis, pêché suprême et début du troisième temps : Joël Dicker est devenu numéro un des ventes. Et pas qu'un peu... Il flanque littéralement une correction à Ferrari avec son Gonvourt des grands ou à Deville. La curée peut commencer. Elle vient de toute part. Des critiques qui se renient comme du public qui hurle à l'arnaque dans la caisse de résonance chic qu'est le Masque et la Plume. On nous aurait menti, ce livre est sponsorisé par France Télécom, tant les noeuds de l'intrigue sont des câbles. Tous les clichés sur les best-sellers et la haine des livres à succès y passent.
Cette nouvelle controverse de Valladolid littéraire comme on adore en France a piqué ma curiosité. Coup de bol, une âme bienveillante m'offre le livre au 1er janvier, alors que je m'apprête à faire quelques heures de train, lieu idéal pour entamer ce genre de pavé. Sans vouloir me réfugier dans une posture Modem type "ça ne vaut ni tant d'éloges ni tant d'indignité", un peu quand même. Plutôt du côté "pas tant d'indignité", les 50/100 premières pages sont vraiment sympathiques. Il tient la voix de son narrateur et la relation avec le mentor. Hélas, tout ça se délite fort vite pour laisser place à 550 places niaiseuses avec une espèce d'abécédaire des trucs à éviter pour un premier roman : ne pas prendre son lecteur pour un con en imposant 34 rebondissements inattendus à la fin, ne pas faire revivre 3 fois la même scène par trois paires d'yeux différents pour découvrir trois vérités diverses, ne pas abuser des personnages secondaires qui ne tiennent que par une idée cliché (le policier débile et véreux, la serveuse ex pom pom girl qui se fane) et ne pas délayer les mêmes analogies sur 500 pages (il doit y avoir une quarantaine de références à la boxe comme exutoire et discipline pour l'écrivain sans qu'il nous décrive jamais un combat en plus). Ajoutez à cela, comble de l'énervement, une fin plus niaiseuse que du Céline Dion (j'avais trouvé les livres, j'allais chercher l'amour. Désolé pour ceux qui n'ont pas fini) et vous obtenez un truc largement en dessous de la moyenne.
Je ne vois donc, vraiment, qu'une explication : nombre de lecteurs des 100 premières pages ont décrété que c'était génial sans lire la suite. Les lecteurs qui ont acheté le livre sont allés plus loin. Ceci explique peut être leur courroux.
Demain, nous nous remonterons le moral avec le nouveau roman de Jeffrey Eugenides "le roman du mariage" dont les 60 premières pages sont emballantes. Mais méfiance oblige désormais !
15:53 | Lien permanent | Commentaires (3)
04/01/2013
De la lâcheté amicale
C'était un dîner de fin de cycle, après les fêtes, ventres encore repus et yeux torves d'excès. Nous étions une dizaine qui, à trois exceptions près, nous connaissions depuis plus de dix ans. La discussion devisait aimablement sur des choses insignifiantes comme dans un salon de thé. Et puis, peu à peu, est monté un brouhaha immonde. Un rire sordide sur la faiblesse des uns. Un rire de dominant décomplexé. Ca n'a pas fait rire mon amoureuse. Elle l'a fait savoir. Moi non plus, mais je n'ai rien dit. Enfin, si, pire j'ai bredouillé quelques pistes techniques pour essayer de dédouaner mes amis tout en disant qu'ils allaient trop loin. Or, le principe de base face à une attitude inhumaine est de ne pas rentrer dans le débat, mais bien essayer de montrer à leurs auteurs ce que leurs propos ont de dégueulasse.
Le lendemain matin, rétrospectivement, je ne m'explique pas (ou ne m'explique que trop) comment j'ai pu rester silencieux. A mesure que je m'avance dans mon activité indépendante, je m'affranchis des convenaces hiérarchiques pour gueuler. Les différends idéologiques trop forts se règlent à coups de décibels en hausse ou de porte claquée. Pour la moitié du quart du tiers (bonne résolution 2013, ramène l'incongruité stylistique précédente à un pourcentage) je me suis maintes fois emporté, traitant à l'emporte pièce les coupables des phrases de "connards" de "fascistes" et autres "pourritures libérales". Je ripostais oralement ou par écrit, parfois longuement s'il le fallait. Je pouvais avoir la rancune tenace. Et là, rien.
Je me suis alors dit que le courage qui m'a manqué n'étant en rien lié aux propos ou à la situation, mais à moi même. Je ne voulais pas, en désavouant trop fortement certaines personnes que je connais, que je fréquente depuis 15 ans, me renier. Cette histoire continuera longtemps à me tarauder jusqu'à ce que j'en tire les conséquences qui s'imposent, ces choses là se décantent lentement. Mais plus largement, cela m'a fait réfléchir à la lâcheté par cause d'amitié. Ou au moins par connivence. J'ai choisi en illustration une photo où les mecs ne sont pas potes, mais puisque ces accords sont restés dans l'histoire sous le titre de "lâche soulagement", je me suis dit que ça collait. Combien de lâches soulagements, de reniements, d'incohérence personnelle sont prises par faute de trop d'endogamie ? Hollande le révolutionnaire ne renie pas toutes ses idées de gauche par surfréquentation de ses copains de la promo Voltaire ? La liste pourrait se poursuivre ad lib, je ne tiendrai pas ce procès ici. Je me dis juste qu'au titre de bonnes résolutions 2013, à part aller voir Soulages à Lyon (c'est fait), j'essaierai de me tenir à la même franchise avec tout le monde. Vaste programme sans doute, mais ça vaut le coup d'essayer.
08:24 | Lien permanent | Commentaires (6)
31/12/2012
Langue complètement étrangère mais très vivante !
On m'a offert Théorème vivant pour des raisons professionnelles. En dépit de cette double incitation à le lire, il est resté sur une table basse pendant plusieurs semaines avant que je ne l'entame. Comprenez-moi: le livre retrace l'histoire de la résolution d'un théorème mathématique par un de nos plus prometteurs chercheurs en la matière, puisqu'il a récemment reçu la Médaille Fields. Pour les scientifiques, c'est sans doute un teaser amplement suffisant. Pour moi qui aurait du mal à aider un enfant de 4ème à faire ses devoirs de maths (pourquoi je mens, soudain ? "pour moi qui ne saurai aider un enfant de 4ème à faire ses devoirs de maths) l'argument est peu bandant.
Et puis l'obligation professionnelle s'est évaporée. Le forum pour lequel je projetais de faire intervenir le surdoué se tient en une date incompatible avec son agenda de ministre. C'est donc débarrassé de tout intérêt que j'ai accordé sa chance au bouquin. Comme on mise la monnaie de sa poche sur un billet de Loto. Et fort bien m'en pris puisque je suis ressorti plus riche d'un incroyable plaisir de lecture. Non que le style vous transporte, mais incroyable dans la mesure où j'ai dévoré 250 pages d'un récit où je n'entravais rien sur le fond de ce qui se passait, mais où les émotions passaient parfaitement. Un peu comme si j'avais été touché au plus profond par un ballet et que le chant superposé dessus avait été en allemand (et je ne pourrais aider un élève de CM1 à faire ses devoirs d'allemand...). Car Villany, au-delà d'être mathématicien, est chercheur en mathématiques. Et le doute, la foi, la rage, le désespoir et la vieillesse ennemie du chercheur sont intemporels et universels.
Lire Théorème vivant, c'est aussi pour cela avancer en ayant confiance. Savoir que l'auteur veut nous faire partager plus que ses élucubrations, intelligibles pour quelques dizaines de tarés des dérivés (sans doute pas le bon terme, vous voyez l'idée) et amateurs de géométrie comme lui. La forme du livre est de ce point de vue très didactique : il a inséré au milieu de son journal de bord avec récit de conférences diverses, sa correspondance par mail avec le jeune chercheur qui l'assiste, souvent à quelques milliers de kilomètres de distance. On y lit leurs doutes partagées, leurs espérances fulgurantes, leur collaboration. On lit une autobiographie sans fausse pudeur, d'un type partagé entre humilité devant ses maîtres en mathématiques et certitude de sa valeur puisqu'il pense pouvoir obtenir la médaille Fields. En l'occurence, il l'obtient. On devine aussi les limites à la normalité d'un tel parcours. S'il prend toujours le RER B et la navette de nuit, qu'il monte même en stop après un concert des Têtes Raides, sa vie familiale très présente dans le livre est dans le même temps réduite à la portion congrue. Sa femme, qu'il présente comme une grande chercheuse en devenir, mais quelque peu prisonnière de ses choix de carrière, passe beaucoup de temps à s'occuper des poutchous auquel lui même ne peut consacrer que les interstices de sa vie de fou. Ce disant, je ne lui jette pas la pierre, il semblerait que tous les autres mathématiciens soient bien plus barrés que lui. Sa description de Princeton en ce point, est terrifiante et attendrissante à la fois : des déambulations de génies incapables de parler d'autres choses que de leurs découvertes scientifiques, vivant sous bocal. Terrifiantes car l'on peine à comprendre comment ces gens vient, mais si attendrissantes car ils ont l'air étrangers à l'orgueil au sens classique, aux honneurs et à l'argent (peu présent dans le livre, tout juste une contingence matérielle). C'est reposant et rassérénant de voir toutes ces intelligences supérieures uniquement préoccupés par leurs recherches. Au milieu des récits d'intrigants, ça fait un bien fou. Au milieu d'une rivière de démesure, je ne comprends rien à la vie de banc de poissons filant à contre-courant, mais ils ont toute ma sympathie.
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