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13/10/2012

Quelques pages chaque jour du journal de Jules Renard

renard_journal.jpgLes voyages servent à découvrir des classiques. Ces sommes que l'on ose pas aborder en temps normal, de peur de ne savoir où caser dans son quotidien le temps d'attaquer une oeuvre considérable. Pour le Vietnam, je partais avec les oeuvres de Duong Thu Huong, régionale de l'étape dont je dévorais "Terre des Oublis", "la ville" de Faulkner car typiquement je me vois mal lire le grand sudiste dans le métro et "le journal" de Jules Renard.

Depuis des années, la tranche verte de la collection Pléiade (fauché avec l'accord tacite dans la bibliothèque parentale) de ce livre me narguait. Certain que cet auteur à l'humanité débordante me transporterait, je me lançais dedans dès l'avion. L'érudit chargé de l'apparat critique au début du livre dit fort justement que la grandeur de Renard est d'avoir, malgré sa rage de n'être pas plus reconnu et estimé, continué jusqu'au bout à tenir son journal. Renard a consciemment accepté d'embrasser un destin d'hommes de lettres: 23 ans (1887-1910) pendant lesquels il a noirci des dizaines de cahiers. Il semblerait que la veuve Renard a privé (ah les femmes...) la postérité d'une partie de l'oeuvre. Son mari avait l'invective très facile et les victimes des coups de griffes de JR étant encore vivant au moment de la première publication, elle voulut le préserver.

On y trouve, à chaque page, des merveilles "des étoiles dans le ciel. Il y a de la lumière chez Dieu'". "Un humoriste est quelqu'un de bonne mauvaise humeur"... Toutes ces perles qui rendent impossible la lecture du Journal de façon continue. Trop riche. Comme même le plus gourmand des enfants ne peut boire un tube entier de lait concentré sucré, la lecture trop continue du journal tourne la tête par la richesse des aphorismes. C'est pourquoi il faut se contenter de quelques pages par jour, laissant l'imposant livre sur la table de nuit ou la table basse près du canapé ce qui permet d'éteindre la télé ou Christophe Barbier et Jean-Michel Apathie demandent en arrivant sur le plateau à l'animateur de service (Calvi, Denisot...) qui est pour et qui est contre quoi...

Outre ses réflexions sur l'écriture qu'il n'envisage qu'exigeante à souhait, ses digressions un brin misogynes sur la vie de couple (en gros un homme doit pourvoir aux finances du foyer et peut, à ce titre, avoir quelques maîtresses) Renard nous emporte surtout par ses descriptions des rencontres quotidiennes. Bory après lui en a tiré un livre admirable sur le regard aux passants, Renard aime l'humanité, le soiffard du bistrot, le facteur, le paysan à côté de chez lui et nous transmet sa bonhommie feignant d'être rosse et misanthrope. Sa vraie haine des autres ne concerne que le mundillo littéraire. La vie littéraire, ses salons, ses ragots, ses espérances et désillusions, occupe une place fort importante dans le recueil. On y retrouve des personnages récurrents, les copains (Daudet, Schwob) les figures (Baudelaire) l'ami perdu par le succès (Rostand) et l'ennemi juré (Barrès). Tout ceci rythme fort agréablement le récit sans que l'on change son avis sur les uns ou les autres (il faut toujours continuer à faire découvrir Schwob et réhabiliter Barrès parce que "les déracinés" s'est quand même admirable).

Après quelques semaines (voir mois), fatalement, la lecture s'achève. On quitte à regret cet univers si plein d'émotions qu'on ne veut pas le secouer comme dirait Calet; peut être, dans quelques années, y reviendra t'on.

09/10/2012

Le bonheur : nouvelle quête du Graal ?

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Et vous, êtes-vous heureux ? Très vite, cette question bête comme chou a pris une importance hypertrophiée dans nos pays riches. Comme pour le nénuphar, on ne se préoccupe pas de la croissance de ce truc qui double chaque jour, mais désormais (et qu'est ce que cela sera demain ?) impossible de passer à côté: l'impératif de tout à chacun est d'aller chercher le bonheur (comme disait Chico).

Les étals de librairie (au rayon économie !), regorgent de livres s'interrogeant sur pourquoi nous ne sommes pas plus heureux. Les journaux, documentaires télés, émissions de radios, conférence et autres colloques, tous nos supports de réflexions sont concentrés sur cet objectif fou : comment être jouasse ? Il est d'ailleurs étonnant que l'on continue de republier Cioran, moins étonnant, en revanche, que Droopy soit de moins en moins connu. Trop déprimé pour l'époque.

Déjà, on pourrait débattre de l'hypocrisie incroyable de la légitimité de ce débat en France, archi recordman du monde de consommation de psychotropes. Il semblerait que la France soit dans le déni de la gueule de bois nationale et préfère se shooter joyeusement dans une gigantesque after qui peut durer des décennies. La chose ne surprend plus personne et peu à peu un business du bonheur s'est crée: il rassemble des coachs, des gourous, des shamans et autres qui écrivent les livres du bonheur, la maison du bonheur, le bonheur dans votre couple, votre assiette, au bureau... Rien de bien neuf, depuis la nuit des lunes les margoulins tentent d'exploiter financièrement nos peurs, la dernière en vogue étant celle d'être malheureux. 

Et puis du neuf, je suis tombé sur ce site : http://www.moodstep.com. Depuis 4 ans, l'animatrice de ce blog est donc "agent de bonheur" et recense sur ce blog tous les chercheurs ou entrepreneurs du bonheur, auxquels elle a fait passer près de 70 interviews vidéos. La présentation de la protagoniste de ce site me dessinait un léger sourire, de ceux qui vous viennent quand vous vous baladez près du rayon "développement personnel" dans une librairie en vous demandant pourquoi ces conneries ne disparaissent pas, puisqu'elles prennent tant de place. Mais d'imaginer l'énergie, l'opiniâtreté qui se cache derrière ce blog, je me suis presque attendri. A l'évidence, il faut être mû par la même flamme que celle qui animait Galahad et Perceval partant chercher le Graal. Eux le faisait sur injonction royale, mais cette jeune fille le fait de son plein gré. Etonnant. En une du site on voit un jeune homme heureux en apparence, Alexandre Jost qui occupait un superbe poste au sein du groupe SOS, une de ces entreprises où l'on "trouve du sens" comme disent les chasseurs de tendances, et pourtant il a tout plaqué pour fonder la Fabrique Spinoza, un think tank du bonheur citoyen. Cet objet d'étude a toute ma sympathie mais de là à chercher à en faire un gagne pain bio, je me dis que le garçon, lui aussi, doit faire partir de ces illuminés qui part chercher le plat magique. 

Alors, devant toutes ces énergies magiques qui s'activent pour un but quasi impalpable, je me dis que Camus avait raison : il faut imaginer Sisyphe heureux. Ils reprendront inlassablement leur quête auprès d'acteurs de l'entreprise ou politique un peu dubitatif devant ces graphiques montrant des courbes du bonheur et ne verront pas les sourires polis de leurs interlocuteurs. Dans leur tête à eux, ces gentils Don Quichotte du sourire permanent, résonne à l'infini la mélodie du bonheur...

07/10/2012

Savoir-perdre

9782081222809.jpgCertains romans nous intimident par l'attention de tous les instants qu'ils exigent de notre concentration. A peine saute t'on une demie-ligne, croyant éviter une description de bouton de porte, que l'amant de la belle-soeur a été trucidé. D'autres ont un style si touffus, une atmosphère si particulière, qu'il faut toujours une bonne demie heure de plongée de lecture pour s'y ressentir bien, comme avec de l'eau trop fraîche.

Heureusement, Savoir-perdre de David Trueba est aux antipodes de cela. Grâce à cette instantanéité d'adaptation, j'ai pu, dans une semaine très bousculée, trouver suffisamment d'interstices de transports et autres attentes de rendez-vous pour avaler les 700 pages de ce prenant roman. Le rythme, tout est question de rythme, dans cette fresque en 4 tableaux qui s'entrecroisent : Sylvia, adolescente en émoi sensuel, Leandro vieil homme qui se perd chez les prostituées quand sa femme se meurt lentement, Lorenzo qui vit dans l'angoisse d'être découvert en tant qu'assassin et Ariel, jeune star du football argentin de 20 ans transféré au Real de Madrid.

Ces personnages se croisent, s'évitent, se retrouvent. Chaque univers est campé avec, au minimum efficacité (les bordels madrilènes dont j'admets ne pouvoir attester de l'exactitude des descriptions) au mieux maestria : j'ignore si David Trueba est journaliste sportif, mais les scènes avec les joueurs du Real sont bluffantes. Loin des caricatures, mais au plus près des excès de ce microcosme, il nous prend par la main et nous emmène dans cette galaxie folle faite de soirées éthyliques, de blagues potaches, de journalistes fouineurs et de galaxie de parasites (agents, famille désoeuvrée, directeur sportif...). Outre le réalisme, le roman nous emballe par son rythme et enfin et surtout par la complexité des personnages. Le vieil homme se ruinant aux putes quand sa femme se meurt n'est pas une ordure, mais une épave à la dérive. La jeune fille et le footballeur vivent une romance plus simple et vraie que nature et l'homme au meurtre non élucidée vit une expérience de rédemption poignante. Aussi, l'envie de continuer à avaler ces quatre destins nous emmène sans détour vers la fin de ce livre sans se retourner. En le refermant, on se dit qu'il fait partie de ces livres qu'on veut laisser en évidence dans sa bibliothèque, de sorte qu'un invité à dîner le renifle pendant que mijote le pot au feu (ce que m'évoque la baisse des températures) et nous demande à l'emprunter. Nous saurons le perdre (les livres prêtés reviennent rarement) avec joie.