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05/10/2012

Le bonheur, c'est simple comme un bout de shit

118-1891_IMG-01.jpgNous partîmes à deux, mais par un prompt renfort, nous fûmes 8 pour rentrer à bon port parisien par le tram de minuit. Le volume sonore sur le quai de la gare de Puteaux indiquait que nous étions des citoyens responsables et que personne n'avait eu la mauvaise idée de narguer la maréchaussée avec un taux d'alcoolémie non admis par les éthylotests. 

Dans le wagon désert, nous huit donc et deux jeunes. Vraiment jeunes.

Peu de choses nous séparaient les uns des autres, mêmes jeans et baskets et téléphones prétendument intelligents. Seul l'entémologue attentif notait la différence entre nous à l'aune des signes extérieurs de jeunesse : ils étaient toutes capuches et acné dehors. Leurs yeux plus rougis que les nôtres, leurs gestes plus gourds, la voix plus éraillée et libérée. Surtout, alors que nos réflexes de trentenaires raisonnables nous avaient poussé vers le dernier tram pour regagner nos pénates et nous lever tôt le lendemain. Eux, fondaient vers la Grande Arche avec avidité, la nuit leur appartenait et nous ne leur disputions pas. 

Soudain, ils firent une connerie de leur état plus que de leur âge : passer la tête par la fenêtre. Nous haussions un peu la voix pour les en dissuader, sans trop y croire sachant l'absence de risque vues les gares desservies, mais pour l'exemple quoi. Ils nous répondirent, narquois "mais y a rien à craindre, tu veux qu'il arrive quoi ?". Mais soudain, de derrière nous, survint un homme bien plus inquiété par les facéties des deux godelureaux que nous. Il avançait dans la rame avec la démarche chaloupée de celui qui a éclusé une baignoire de demis à l'apéro. Les ravages d'une consommation peu modérée rendaient difficile de se prononcer sur son état civil, mais sans doute une cinquantaine d'années. Il alpagua à son tour les jeunes avec la même absence de résultats que nous. Il nous regardait, désemparé, et nous ne lui donnions aucune empathie en retour; ingrats que nous fûmes. Alors, il sortit de sa poche de jean une superbe boulette de shit. Pas du shit de Barbès ou de la rue Pia de Belleville, du truc trafiqué à mort. Cette splendide bille brune venait sans doute d'une malette diplomatique ou d'une production artisanale. "Hé les jeunes, si vous arrêtez vos conneries, je partage mon shit" les yeux rougis d'un des deux jeunes sortirent de leurs orbites. Il alarma son compagnon de bamboche et, tels deux rats séduits par le joueur de flûte de Hamelin, ils suivirent, fascinés, le nyctalope fumeux.

Arrivés à la Défense, l'évidence nous frappa au coin de l'anecdote : le malaise des jeunes, l'absence du lien social, l'intergénérationnel, tout cela peut se résoudre d'un bout de shit. On vit, définitivement, une époque formidable.

 

 

30/09/2012

Ces hypers travailleurs asséchés, éloge de l'aération mentale.

assechement.jpg"Non, désolé, je crains de ne pas pouvoir. Je n'aurai pas le temps, trop de travail". Cette phrase, j'ai mis du temps à la prononcer. Trop angoissé de rater l'essentiel, de ne pas accumuler de nouveaux émoluments avant que la grande récession ne survienne. Complètement acquis à l'idée que ce qui s'envole aujourd'hui ne revient jamais demain. Pris par la peur, quoi.

Depuis que je me suis mis à compte, j'ai successivement harcelé les clients pour avoir du boulot, puis entretenu des relations plus naturelles avec offres et demandes réciproques et aujourd'hui, je suis dans cet état béni et joyeux où des gens viennent me demander de bosser par recommandation ou ouïe dire. Problème (de riche), ces nouveaux venus inopinés surviennent parfois alors que mon emploi du temps est déjà bien rempli.

En début d'année, mea maxima culpa, j'ai accepté quand même ce que l'on me proposait, y compris lorsque mon Gémini Criquet intérieur me susurrait de refuser car lorsqu'on prend du boulot à contre-coeur, cela se retourne contre vous. Ce fut le cas, travail bâclé, travail navré... Surtout, j'étais malheureux d'accepter, car ce faisant je n'avais plus le temps de faire ce que j'aime dans la vie. Mon emploi du temps professionnel s'était muré en prison.

Hier, la très belle association Passeport Avenir m'avait demandé de venir témoigner de mon parcours et donné des conseils à ces jeunes méritants et détonants. Ayant entendu deux autres intervenants leur seriner l'importance de ne pas compter ses heures, de se donner à fond et de se défoncer, je me suis senti comme un devoir de prendre le contre pied et de faire un éloge de l'aération mentale, au risque assumé de passer pour un branleur. Comme la maison du même mot, j'aime plutôt à me penser en Dilettante comme la maison d'édition du même nom qui rappelle la définition du Larousse : "Personne qui s'adonne à une occupation, à un art en amateur, pour son seul plaisir. Personne qui ne se fie qu'aux impulsions de ses goûts". Dès que je fais une mission sans goût, je me gâte ou me fane. Au-delà de mon petit cas personnel, j'ai la conviction que ceux qui ne s'aèrent pas et qui s'enfoncent dans le boulot ne seront jamais bons. On pourra me citer des contre exemples de bourreau de travail réussissant admirablement. Soit. Mais on ne m'enlèvera pas de l'idée que la chose n'est pas viable, sur le long terme. On peut toujours se défoncer sur quelques semaines, quelques mois, mais dès lors que l'on est plus concentré jour et nuit que sur son travail, on s'assèche.

On rabâche, répète inlassablement les mêmes bons mots, les mêmes références, avance avec les mêmes certitudes... Dans un monde qui évolue tellement vite, cela ressemble à une aberration absolue de ne pas ouvrir les fenêtres plus souvent pour voir pousser les nouveaux arbres. Laurent Fabius demandait à sa secrétaire, au temps où il était à Matignon, de lui inscrire des rendez vous fictifs dans son emploi du temps tous les jeudis matins. Alors, il recevait des invités ou allait à des expositions ou au cinéma, mais il prenait le temps de couper avec l'enfer de Matignon pour reprendre le titre d'un livre. J'aime ce genre d'anecdotes, apprendre les chefs d'entreprises qui prennent deux heures pour aller visiter les supermarchés des pays où ils débarquent car cela leur en dit plus long sur le pays que les réceptions de l'ambassadeur. Je comprends cela, quand je vois arriver la charge de boulot, la vague de l'urgence, j'en profite pour aller flâner ou prendre un bain avec un bon bouquin. En rentrant de promenade ou en sortant de l'eau, ma productivité en est toujours décuplée.

Selon les standards de la France de 2012, où il est bon de se défoncer 65 heures par semaine, je pourrai à l'évidence animer plus, rédiger plus de rapports annuels ou encore donner plus de cours. Je réponds à chaque interlocuteur qu'on m'en commande trop par ailleurs. Le jour où je cesse de lire, de sortir et de regarder les passants, pour avoir le temps de finir un dossier en plus, secouez moi avant que je me boucane...

(Post écrit alors que je dois rendre un truc charrette demain...) 

27/09/2012

Le complexe de Copé

oedipe-se-creuvant-les-yeux.jpgLe mano a mano qui va donc opposer Copé et Fillon à droite s'annonce effrayant. De l'avis de tous les commentateurs, nous assisterons à un "duel de personnalités", mais les différences sur le fond seraient ténues. A ce rythme, la messe est dit : Copé est mort. Fillon compte sur son CV de premier ministre pendant 5 ans pour l'emporter sur un simple député-maire d'une ville de banlieue qui fut vaguement ministre du budget. Drapé dans sa suffisance, Fillon ne veut pas de castagne : il n'y aura pas de débat télé, pas de pugilat interne. L'excuse invoquée, ne pas déchirer la famille UMP pour préserver la nécessaire unité, préalable à toute reconquête.

Invité sur de nombreux plateaux, Fillon distille avec soin ses phillippiques sur Hollande au sujet de la TVA, de la compétitivité, de l'emploi ou de l'Europe. Chaque fois, il y associe l'aigle de Meaux comme pour mieux l'asphyxier et résumer leur affrontement à un concours de beauté. Habile. Mais Copé sait que l'image c'est plus que cela, c'est du storytelling où l'on peut savamment instiller des valeurs ou des impressions. Copé passe pour un dur, il doit le maintenir. Bébé Chirac, baptisé "Chichihuahua" dans un portrait de Libé il y a une dizaine d'années où l'on apprenait que ses dents "rayent le parquet de l'étage du dessous" Copé a dû son ascension au sein de l'UMP à la méthode Sarkozy: médiatiquement briser des tabous. 

Là, dans son nouveau libre, il est donc décomplexé et veut parler du "racisme anti-blanc". Il écrit ceci : "Ces phénomènes sont impossibles à voir depuis Paris, dans les sphères médiatiques et politiques où la grande majorité des dirigeants sont des Français blancs de peau, nés de parents français. Dans ces microcosmes, le manque de diversité limite la présence de personnes de couleur ou d'origine étrangère", écrit le député-maire de Meaux (Seine-et-Marne). Et d'ajouter : "Mais regardons la vérité en face : la situation est inversée dans beaucoup de quartiers de nos banlieues.". 

Là, je me dis, bien joué Jef. T'es pas tout seul, à penser comme ça... Tu vas y arriver mon gars. Tant pis si ce faisant tu as ouvert les vannes en grand du déconomètre et que les fans de Morano et autres dans ton camp vont parler avec cette élégance ouatée qui a caractérisé le beau débat sur l'identité nationale... Comme Sarkozy en son temps, Copé va mettre Fillon et même la gauche mal à l'aise. Dire que les propos de Copé sont faux, c'est choisir le camp de l'élite, des bobos et des BHL en Berlutti. Attaquer Copé là dessus, c'est renforcer tous les blancs des quartiers sensibles dans l'idée que personne ne s'intéresse à eux, qu'en France impossible de taper sur des arabes, des pédés ou des juifs, mais des bons gros gaulois pas de souci... Copé le sait en jubile. On peut déplorer qu'il ne complexe pas plus.

L'expression du racisme anti blanc, à part chez Jean-Marie le Pen, est ressorti en France au moment des manifs anti-CPE de Villepin, lorsque l'ineffable Alain Finkielkraut s'était écrié que les jeunes bourgeois manifestants dépouillés de leurs téléphones portables et de leurs Ipod par d'autres jeunes moins favorisés (ou plus cons...) l'avaient été au nom du "racisme anti-blanc". Une lourde erreur d'appréciation tant les scènes ressemblaient à s'y méprendre à des Jacqueries, des émeutes très spontanées pour "casser du riche". Et ce qui se passe dans certains quartiers, ce que stigmatise Copé peut évidemment s'y apparenter, en dépit d'une réalité factuelle très différente. Il y a évidemment des blancs très pauvres, mais on les voit pas ou ne les montre pas. On laisse se propager des clichés sur les richesses et pauvreté, pacifisme et violence des uns et des autres. Tout cela finit par un enlèvement d'Ilan Halimi, ce smicard vendant des téléphones portables, torturés à mort car supputé millionnaire puisque "juif". Cher Jean-François, ouvrir les vannes de ce genre de légendes urbaines entraîne ce type de fléau. Que n'es tu plus complexé, parfois...

Dans une actualité sombre où l'on tend à opposer les uns aux autres, je ne suis pas malheureux de partir à Lille avec mon compère en déconstruction de clichés, je suis sûr qu'on nous fera bon accueil...