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05/11/2012

Est-ce encore la démocratie, cette histoire de 2 hommes qui valaient 3 milliards?

bac61735.jpgPuisqu'il paraît que cela sera très serré, je ne vais pas m'amuser à jouer les cassandre et prendre le risque de me rétamer en arbitrant entre Obama et Romney. Encore que, en dépit des scores serrés, il paraît que les bookmakers donnent Obama à 3 contre 1. Dans un pays vérolé où tout se monnaye, cela devrait signifier que ça sent le sapin pour Romney. Mais ça pourrait aussi juste vouloir dire qu'il a des potes qui ont misé très gros, méfiance ! En revanche, on peut d'ores et déjà dire qu'on connaît le grand vainqueur de cette présidentielle américaine 2012 et que ce n'est pas parmi les noms cités: l'argent. 

Vous me direz qu'aux Etats-Unis, c'est toujours l'argent qui gagne à la fin. Plus que dans n'importe quel pays du globe, le billet vert s'affiche. Les candidats en parle, l'arbore, en ont et sont fiers d'en gagner. Ils s'en servent aussi. Soit. Mais surtout ils en usent pour se faire élire. Et de façon démesurée. N'est-ce pas troublant qu'en période de crise, au moment où le déficit public américain atteindra bientôt 20 000 milliards de $ (c'est le titre du bouquin de Tréteau sur ces questions, mais j'ai oublié en quelle année ils atteignaient ce plafond) la campagne présidentielle explose de très loin les sommets de coût avec presque 6 milliards $ ? C'est cinq fois plus qu'en 2008 et le principal responsable en est le président sortant, puisqu'il a fait voter, en 2010, la loi qui a fait sauter tous les plafonds de financements de campagne. Un pur scandale.

Depuis, cela a notamment permis à d'obscurs patrons de casinos de financer ce toquard de Newt Grinwich à hauteur de 20 millions de $... Sans limite et sans forcément se dévoiler. Si les candidats affichent clairement leurs soutiens et le montant total de leurs dons, les donateurs externes peuvent se rassembler au sein de structures, appelés super PAC, plus opaques qui soutiennent et font de la pub pour un camp... Obama et Romney rassemblent environ 1 milliard sur leur nom, soit 5 restants qui sont au sein de ces fameux super PAC dirigés par des types vraiment fiables : le plus puissant d'entre eux, républicain, est gouverné par Karl Rove -qu'on surnommait "le cerveau de Georges Bush- et distille ses messages bien calibrés pour ses lobbys. Ports d'armes, diffusion du gaz de schiste, baisse d'impôt, interdiction de l'avortement.... La publicité politique étant légale aux Etats-Unis, ce sont donc des tombereaux de messages simplistes qui déferlent sur les écrans le tout atteignant des sommets de mensonges : les bureaux de fact checking attestent qu'Obama ment 25% du temps. C'est mal pour un président, mais mieux que les 41% de Romney ou 54% de son colistier Paul Ryan. Déplorable... 

Chez nous, on peut se moquer, mais quand Fillon a adressé une lettre à tous les militants UMP pour tenter de les convaincre au dernier moment de le choisir lui plutôt que JF Copé. Pour ce faire, il a dépensé... 150 000 euros. Même pas le prix qui lui aurait permis de dîner à la table d'Obama dans un des dîners de fund raising organisés par les candidats. Nos campagnes respectives de 2012 n'ont pas dépassé 25 millions d'euros pour Sarkozy ou Hollande. Cela permet l'essor d'une dizaine de candidats alternatifs et évite le matraquage des messages. En outre, alors que chez nous comme aux US le vote n'est pas obligatoire, nous atteignons 80% à la présidentielle quand chez eux, en dépit de l'hystérie médiatique généralisée, la participation n'excède guère 50%...

Obama a péché par ego car en 2008 il a levé infiniment plus de fonds que John Mc Cain. Avec une majorité politique en capilotade, le président sortant a ôté les freins et mis le pied sur l'accélérateur de la fuite en avant mercantile. Quand le grand écrivain Russel Banks dit que si Romney passait les Etats-Unis basculeraient dans la ploutocratie il a tort. Ils y sont déjà.

02/11/2012

Barcelone et l'impasse glocal

Banderas_0.jpgArrivé à Barcelone la tête farcie de clichés médiatiques sur l'Espagne, j'ai en fait retrouvé la ville que j'avais connu et non une ville au bord de l'asphyxie. Difficile de penser autre chose que crise dans ce pays quand on débarque de Paris ou tous les journaux accolent les deux termes "Espagne/crise" sauf quand on parle de foot... Avant de partir, j'avais regardé le taux de chômage en catalalogne, 22%. Plus de 50% pour les jeunes. A peu de choses près la même panade que dans tout le pays.

Evidemment, les crises sont toujours infiniment moins violentes dans les grandes villes qui rassemblent les emplois les plus qualifiés (ceux qui sautent le moins) et où le coût de résidence est si prohibitf qu'il relègue loin de la ville, les victimes de la crise. C'est la première chose qui vous choque en arrivant à Barcelone : les restaurants sont pleins, les enseignes de fringues ne désemplissent pas, la ruche bourdonne à plein avec de nombreuses sonorités non locales (majoritairement françaises, Toussaint oblige, mais pas que) et elle affiche un très bon profil, exit ou presque les marginaux. D'ailleurs, la maréchaussée est encore plus abondante que dans mes souvenirs...

Perplexe, je m'en ouvrais à notre hôte (on est dans un charmant B&B), un trentenaire catalan barbu et souriant. Il n'a pas de mots assez durs pour le gouvernement actuel, puisqu'il compare Rajoy à Franco "sauf qu'il n'en a pas le titre". En creux, je comprends bien vite que mon camarade de petit-déjeuner est un autonomiste. Mais un autonomiste désabusé. Il m'explique cahin caha que dans la situation actuelle, remettre des frontières, changer de monnaie et autres tracasseries administratives, lui semble compliqué pour ne pas dire impossible. Je souris un peu devant ce côté "on veut faire la révolution, mais là tu comprends il faut mettre une deuxième couche sur les fenêtres", mais au fond son désarroi combatif rappelle de nombreuses tensions européennes aujourd'hui.

Toutes les tensions autonomistes aujourd'hui semblent un peu afadies par rapport à la grande époque de la Padanie et autres tentatives d'exclusion, de mise à part, d'autarcie... Bien sûr, on veut toujours une reconnaissance de sa langue, de ses pratiques culturelles locales. Mais d'un point de vue économique (ce qui aujourd'hui bon gré mal gré, fait tout de même société) on sent une masse informe qui nous surplombe, nous submerge, nous dépasse : l'Europe. Et l'Europe attise toutes les colères populistes, tous les pamphlets anti technocrates et autres éructations politiques. Le global prend le pas sur le local car il domine dans l'inconscient des peuples. On sent bien que notre hôte au polo Ralph Lauren, tapant sur son Mac, tenant un Iphone pour vérifier s'il reste des places pour une séance de James Bond craint qu'un repli le prive de tous ces échanges...

En séjourant à Barcelone, je sens à quel point la question identitaire devient quelque chose de crucial, de central pour le politique. Evidemment que la façon dont le précédent gouvernement français a amené cette question au centre du débat était déplorable. Pour autant, qui pourrait nier que les frontières identitaires ont plus bougé en trente ans qu'au cours des deux siècles précédents ? On continue à nous vendre à longueur de journée de l'Etat-Nation, quand les peuples s'intéressent au rond-point encore dans leur champ de vision tout en ayant l'impression qu'il pourra être achevé si Bruxelles donne son accord. Ces injonctions contradictoires deviennent si fortes que politiquement elles risquent de donner des choses nauséabondes, comme 5S en Italie ou des bizzareries indépendistes en Espagne. Si ces mouvements ne gagnent pas encore les élections, ils se radicalisent (l'islam n'a pas le monopole de la radicalisation qu'on se le dise !) de façon funeste. L'indépendance, ce si beau mot lorsqu'il s'agit de vanter un esprit libre a aussi une face fort sombre. Au fond, ce glocal qu'on nous vend comme une route internationale à deux voies pourrait fort bien déboucher sur une impasse...

Bon, en attendant d'avoir trouvé une réponse, il fait beau ici donc après le musée Picasso, m'en irais stocker de la vitamine D au Parc Guell...

 

29/10/2012

Cette phobie du risque finira mal...

ciel-inquietant-257863.jpgIl est parfois malaisé de parler des romans qui vous ont le plus marqué. Pourquoi celui plutôt qu'un autre, on s'abrite toujours derrière les classiques et tranche difficilement parmi ses contemporains. Je ne dirais pas la même chose côté essai.

Classiques mis à part, je peux dire quels sont les 3 qui m'ont le plus marqué ces cinq dernières années, même si l'un des trois a droit à une dérogation pour consacrer son oeuvre entière plutôt qu'un livre en particulier. Bien que je lise beaucoup d'économie, ou de sociologie à vocation économique et sociale, je n'en distinguerais aucun dans cette catégorie; pas même Sen dont la théorie des capabilités m'a pourtant servi d'appui pour écrire des livres. Ces livres restent pour la plupart d'excellents, d'emballants commentaires de photos de la France, ou du Monde. Ceux qui amènent de vrais concepts vous marque autrement : je dirais Accélération d'Hartmund Rosa pour sa réflexion majeure sur le temps, toute l'oeuvre de Zygmunt Bauman sur la modernité liquide et la perte de nos repères séculaires et la société du risque d'Ulrich Beck. Né en 44, ce génie allemand a écrit cet opus magna en 86 au moment de Tchernobyl.

Il y explique pourquoi notre phobie du risque finira mal. Paradoxe apparent dans le contexte tchernobylien et pourtant... Beck prend les exemples de scandales sanitaires majeurs comme la vache folle et autres pandémies liés à l'homme. Il en remet une louche sur les catastrophes écologiques. A chaque fois, sa conclusion est lapidaire : l'homme moderne s'enferre dans une logique de zéro risque. Ce mythe libéral absolu : 0 contact, 0 catastrophe, 0 rapports humains... Beck nous montre comment le champ de la raison, du dialogue, a été détourné pour entrer dans le champ du seul calcul. Abjecte réflexion, mais immense livre. 

Dans l'actualité brûlante, deux événements récents sont venus s'ajouter à la liste déjà longue d'anecdotes glaçantes que je collecte à ce propos. D'abord le procès des scientifiques italiens en marge du drame de l'Aquila. Le tremblement de terre que nous avions tant médiatisé en France à cause du voyage de soutien de Carla Bruni. Les sismologues qui n'ont pas prévu la catastrophe -et pour cause ce genre d'événement étant par essence imprévisible- ont été condamnés à de la prison ferme. Heureux hommes du XXIème siècle ! Les scientifiques qui s'aventuraient hors des sentiers battus quelques siècles auparavant, de Giordano Bruno à Galilée finissaient en barbecue. Je me permets le parallèle pour souligner à quel point la décision du tribunal italien est inique... Et inquiétante : on veut donc une science qui ne se trompe jamais? Plutôt que de déplorer les constructions abondantes en zone sismiques, le bétonnage de zones inondables qui finissent inondées, combattons les scientifiques ? Angoissant... La même logique prévaut pour l'incident de Fukushima : là où la raison voudrait que l'on s'interroge sur l'opportunité de construire une centrale nucléaire sur une zone à la forte sismicité avérée et en bord de mer, on préfère se demander si TEPCO a bien blindé tous les risques... L'idiotie en route. En démocratie, le marqueur dictatorial, c'est la norme. Aussi, pour refermer ces débats pourtant cruciaux, on rajoute de nouvelles normes pour montrer la prise de conscience. Ainsi, Paris est sorti du risque zéro sismique pour passer à 1. Et ainsi, en ayant rassuré les assureurs, on claque la porte. Déplorable...

L'autre événement, évidemment, c'est cette femme qui a perdu son enfant en se rendant à une maternité trop éloignée. Ha la belle affaire ! Ha la lutte contre les déserts médicaux, ha le besoin de gauche ! Et pour une fois Marisol Touraine et François Hollande (et comment ! ça se passe en Corrèze) prennent des accents de lutte de classe et de Gambetta réunis : il faut refaire des égaux territoriaux. Bon, cela confine à l'évidence et après ? Derrière l'émotion suscitée par ce fait divers. Car c'est un fait divers... La femme victime précise bien que c'est ELLE qui a voulu aller accoucher à Brive. Elle refuse que l'on instrumentalise son cas et comprend très bien que, tout dramatique qu'elle soit, son histoire est un accident, et les accidents arrivent, sinon on vit dans Bienvenue à Gattaca... Je ne dis pas qu'il fallait se résigner aux normes du XVIIIè ou XIXème en termes de mortalité infantile, lorsque cela n'émouvait personne qu'une femme perde un ou deux de ses enfants en couche. Mais il faut bien admettre que le risque zéro n'existe pas et que l'on doit parfois remercier les progrès de l'hygiène, de la science et de la prévention plutôt que de chercher à traquer avec rage ce qui n'a pas marché...

Tout cela finira mal : les obèses qui attaquent Mc Do, les cancéreux du poumon qui attaquent Marlboro et les mal plâtrés qui attaquent les hôpitaux... En génétique, on voit ce que l'on cela peut donner d'abject. Cette phobie du risque n'est guère démocratique et même dans des démocraties de régime, peut vite nous faire basculer dans une dérive totalitaire. Et casser cette logique dominante demandera un courage politique inédit.

Demain, on reprendra des lectures plus joyeuses, comme le dernier livre de Martin Hirsch sur les raisons de son engagement...