01/09/2012
Houellbecquien en théorie, Franzenien en pratique.
Rapidement, je sentis monter l'urgence de lire ce livre avant qu'il ne soit trop tard. Avant que tous les commentateurs littéraires aient définitivement fait tomber sur l'ouvrage une pluie de satisfecits tels qu'il serait louche de penser autrement. Ou alors au contraire, obligé de prendre le contre-pied, dans la posture dandy du grognon, en criant à l'escroquerie. C'est entendu, Aurélien Bellanger a été désigné de l'index divin de La Critique depuis deux mois, bien avant sa sortie, comme l'Elu de la rentrée de septembre. Chaque année, un jeune premier a ce privilège, c'est ainsi que l'on eut récemment Marien Defalvard (en attendant le second) ou Tristan Garcia (dont les fictions successives sont bigrement décevantes mais qui est, paraît il, un philosophe lu et commenté en Russie à tout juste 30 ans).
Toujours des hommes, jamais de femmes (je pourrais faire un très long post sur la mysoginie de la critique après que ce que j'ai lu de mieux en cette rentrée sont deux femmes, Cécile Guilbert et Claudie Huntziger et que si la première a un peu la faveur des gazettes, l'autre...) jeunes et ambitieux par le propos de leur livre. Ce ne sont pas des romans mettant en scène l'amour d'un jeune pompier pour une boulangère à Chateauroux, alors même qu'un écrivain de belle trempe doit pouvoir faire un superbe livre avec cette trame. Garcia narrait les années 80, musique, sexe et maladie. Deflavard voulait imaginer une vie d'un homme déménageant sans cesse pour montrer la France éternelle. Bellanger, lui, ambitionne de brosser trois décennies de changement perpétuel en matière de communication. Cette accélération souvent dénoncée qui a vu les relations entre les hommes augmenter de façon exponentielle à mesure que, paradoxalement, nous nous éloignions les uns des autres. Cette contradiction est toute entière contenue dans la figure du protagoniste, Pascal Etranger - clone à peine grimé de Xavier Niel - qui s'impose comme un tycoon de l'univers de la communication tout en menant une vie d'anachorète.
Hier après-midi, j'ai ouvert ce livre de près de 500 pages (m'enfin écrit gros) et une petite insomnie aidant, l'ait fini ce matin. Autant dire que la lecture ne rebute pas, les yankees diraient que c'est "page turner". Je concède une dilection forte pour un sujet qui se rappelle à moi au quotidien, mais pas seulement, l'histoire coule d'elle même, on veut connaître la suite. Et puis, l'auteur a le sens de la mise en scène. Il y a, notamment, une scène ou l'avatar de Niel prend l'avion avec Sarkozy et ou notre ex-président lui sort une tirade plus vraie que nature. Bien. C'est intelligent, érudit à souhait, bien construit et pourtant sans faire la fine bouche, impossible de crier au chef d'oeuvre avec la meute.
La meute s'est passé le mot, d'ailleurs : Bellanger est Houellebecquien. Un qualificatif attribué grégairement au motif que l'auteur a consacré un essai au grand dépressif des lettres et que le romand parle beaucoup de cul de façon glauque. Bon, mais le parallèle est idiot. Bellanger n'a pas 124 mots de vocabulaire et il n'érige pas sa misanthropie en diable. Il vaut beaucoup mieux que ça. En refermant le livre, un parallèle s'impose par rapport à la rentrée précédente s'impose : Bellanger a traversé l'Atlantique. Ce n'est pas de Houellebecq, ou même Defalvard & co qu'il faut le rapprocher mais bien de Johnatan Franzen, qui avec "Freedom" avait retracé la chronique des années Clinton/Bush/Obama 1... Comme Franzen, Bellanger écrit comme on conduit sur l'autoroute : en ligne droite, sans temps morts, sans modulation de paysages non plus et donc sans surprise. Avec un grand éditeur, "la théorie de l'information" ferait 200 pages de moins et il trouverait un sens à sa fin : exactement comme pour Franzen, il ne savait pas comment trouver une sortie à son autoroute et explose la barrière de sécurité pour une sortie de piste absurde. L'auteur ayant l'air d'être malin en diable, peut être se relira t'il comme cela: ayant bluffé tout le milieu avec son "roman monde", peut être reviendra t'il avec un roman village, mais l'ambition démesuré d'émouvoir son lecteur.
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31/08/2012
Cette presse là mérite de mourir...
Parmi tous les plans sociaux et toutes les mauvaises nouvelles sur le front économique et de l'emploi, les quelques possibles pertes de postes dans le secteur de la presse ne sont à l'évidence pas ceux qui feront le plus pleurer dans les chaumières. A tort, autant les tops managers qui sont évacués sont interchangeables et bénéficient de douillets matelas, autant les soutiers de la ligne, de la correction, de la maquette et autres de la fabrication appelés à monter dans les charrettes peuvent avoir des sueurs froides tant les possibilités de retrouver dans leur secteur sont minces.
La crise de la presse s'explique par une pluralité de facteurs plus ou moins légitimes, Internet (toujours pratique comme coupable) la publicité moribonde, le faible intérêt des français (quels nuls) ou encore le manque de soutien d'investisseurs et enfin, évidemment, l'action néfaste des syndicats. Soit. Pas forcément faux, mais mon propos du jour n'est pas celui là : quid de l'autocritique de la presse papier elle même ? Elle qui monte des assises de sa profession, signe des codes d'éthiques et s'interroge à longueur de colonnes et d'ondes sur les limites de la déontologie le matin avant de faire le poirier devant chez DSK l'après-midi. Nos contradictions sont énoncées, mais les dirigeants de nos médias font semblant de ne pas entendre la lassitude et continue de nous déverser des tombereaux de merde.
Dernier exemple en date, paru en librairie, mais on ne peut décemment qualifier ce morceau de papier cartonné de "livre". Il s'agit d'"entre deux feux" coécrit (elles s'y sont mises à deux...) par une grande reporter du Point et une rédactrice en chef de Marianne. Le point de départ du livre est : pourquoi Valérie T a t-elle écrit ce tweet de 137 signes aussi dur pour Ségolène R ?
Commençons par le commencement à propos de ce machin édité : il m'a été envoyé pour raisons professionnelles, autrement jamais je n'aurais dépensé de l'argent pour acheter une telle fadaise et pas perdu de temps à le lire, mais je lis ce qu'on m'envois, je suis un garçon poli. Con aussi, car même si cela se lit d'un derrière distrait en une grosse demie heure, c'est toujours cela de perdu. Car il n'y a rien à sauver dans ce livre. L'indigence du style amène une question : "peut-on écrire plus mal ?". Pas sûr. Car si les auteurs ont ce truc très français de recopier quelques lignes clichés de Bérénice ou une allusion à Goethe, fors cela c'est le désert du style, l'assèchement de l'image, le Waterloo de la tournure. Mon Dieu, quelle désolation de langue... Ensuite, sur le propos, je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'insister, si ? "Bouh, l'autre elle a dit que tu l'aimais plus que moi; non c'est moi la plus belle; mais réagis, sois un homme; je me vengerai ; dégage, t'approches pas de François !; bonne chance à O. Falorni; the END"... Indigent...
Quelque part, la nullité absolue du livre s'explique dès la lecture de la fin : les remerciements. FOG, Domenach, toute la rédaction du Point et autres chroniqueurs remerciés dans un déluge de miel et de flagorneries... Une enquête ? Des sources croisés ? Une recherche ? Ce livre s'est écrit en quelques semaines en collectant des anecdotes, bons mots (enfin, "mots") et autres propos de fins de dîners en ville.
Bon, maintenant qu'il est entendu que ce poids sur les tables de librairie n'a pas une once d'intérêt, pourquoi diable s'entêter à en parler ? Mais à cause de la personnalité des auteurs ! Journalistes en vue dans des hebdos courus, elles squattent l'agenda médiatique et font que le petit mundillo de l'enternainement informatif use salive, encre ou pixels à commenter ce néant. Ils pratiquent ainsi joyeusement une intense séance d'onanisme verbal. Puis, dégrisés, ils iront voir leurs chiffres de vente et se lamenteront que les français sont des veaux et ne veulent plus s'informer... Cherchez l'erreur, elle est très mal cachée. Si l'on veut conserver notre spécificité hexagonale d'être les plus gros lecteurs de presse mag, peut être faudrait-elle que celle s'auto-procalmant, "d'information" se distingue des titres concurrents assumant crânement de faire les poubelles...
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30/08/2012
Réanimation
En septembre, les lettres se conjuguent à l'impératif de chiffres. Ils mentent tous, comme disent anecdotes ou bons mots à l'appui, Alfred Sauvy, Mark twain ou Churchill (citations sur commande...). Tout ce que l'on sait c'est qu'il en sort trop: 600, 700 ? Bref, une tonne de nouveaux romans en septembre comme chaque année sur des tables de librairies qui rapetissent à cause du foncier galopant. Allez vous retrouver là dedans quand la presse vous aiguille sans cesse vers les 20 mêmes titres...
Alors, il faut se déplacer, soupeser les carcasses de papiers comme d'autres les palourdes ou les huitres, voir ce qu'il y a dedans, renifler, chercher. Perle ou pas ? Là, le livre ne précisait rien. Ni "roman" ni "récit" tout juste la collection permettait-elle d'avancer qu'il s'agissait d'un texte de fiction. Mais rien de plus, pas même un léger avertissement au lecteur pour lui indiquer que la narratrice pourrait, détails de bios furieusement recoupants, ressembler à l'auteur. Qu'importe. J'avais beaucoup aimé tout ce que j'avais de lu de l'auteur, le thème semblait dur, mais qu'importe, banco.
Dès les premières pages, exit les questions sur la nature du texte. Ce récit magnétique est bien au-delà de tous ces débats sur l'auto-fiction et autres querelles germanopratines. Il vous emporte car cela pourrait vous arriver. Heureusement, ce n'est pas le cas. Enfin je vous le souhaite, car après 20 ans d'idylle fiévreuse avec Blaise, la narratrice suffoque un matin de voir son bien aimé commencer à se déformer littéralement. Son bel amant se mue peu à peu en Elephant Man. Passé l'étonnement, la consternation, l'inquiétude, le dégoût et l'énorme trouille, elle atterrit aux urgences. Le diagnostic est aussi implacable qu'incompréhensible : cellulite cervical. Quoi ? Une peau d'orange vers la lulibérine ? Sauf qu'il n'est pas de régime prescrit par ELLE pour réchapper à cette cellulite là. Seule une plongée dans le coma artificiel peut vous sauver. Et prolongée la plongée, inutile de vous dire que Jacques Mayol est un aimable plaisantin avec sa dizaine de minutes. Ici, on compte en jours. Jours pendant lesquels l'être aimé depuis deux décennies n'est plus. Pas plus vivant qu'une grande algue, pas vraiment mort non plus.
Pendant plus de 200 pages, Cécile Guilbert s'aventure sur ce filin narratif avec un brio inouï. L'auteur d'essais sur Guy Debord et Laurence Sterne ou d'un très beau roman ("le musée national") s'est aussi apparemment hasardé à un livre sur Wharol qui revient souvent dans le présent livre. Bon. Personnellement, ces histoires de soupes en boîte ou de Marylin en croûte me navrent un peu mais passons. Dans cette histoire, foin de Wharol, d'éruditions de tout siècles, de tous horizons, Guilbert se met à nu avec une rare impudeur et nous tournons les pages avec avidité. Cette absence, ces cheveux sur l'oreiller, ces amis qui ne sont plus là quand ils devraient pourtant l'être, nous pouvons tous les voir. Elle parle d'une maladie qui ne concerne personne ou presque, orpheline absolu. Si la maladie est inconnue, la douleur ressentie parle à tous. La douleur est un langage commun, l'espérance et les souvenirs aussi. Guilbert est polyglotte absolue, elle parle le dialecte de ces sentiments sans édulcorants et nous inhalons cela en grandes bouffées jusqu'à la suffocation, jusqu'à la fin du récit. Quand nous l'atteignons, un peu exténué, le doute n'est plus permis : nous venons d'explorer un grand texte.
Peu importe le qualificatif que l'on met dessus, peu importe que l'auteur ait choisi un "happy" ou sad" ending, en refermant "Réanimation", on se rappelle que la mission des écrivains est de nous rappeler leur futilité dans un univers où les images disent souvent tout mieux qu'eux. Je ne regarderais pas un film tiré de "Réanimation", ce serait pompeux, tire larme et pénible. Je ne suis pas allé voir "le scaphandre et le papillon" ou "mar adentro", en lire les synopsis m'ont suffit. Trop évident, j'imagine par avance les plans rapprochés ou distants et je baille devant la facilité du procédé...
Mais en livre, cela confine à la très soutenable (plus que cela) légèreté du récit. Un ange de la création est passé par là, qu'on ne cherche pas à l'attraper. Bernard Frank écrivait que l'on ne progresse pas en littérature, relançant le débat lancinant sur les inégalités. Je ne sais pas où était la ligne de départ de Cécile Guilbert, mais elle est montée très très haut avec ce livre. Sans doute la questionnera t'on sur ce qu'elle a mis d'elle même dans ce livre ou sur la morale qu'elle a voulu distiller. Vastes questions... Sans importance, ce qui compte c'est le reste, ces 250 et quelques pages de littérature.
Demain, nous reprendrons notre souffle en avançant un peu plus dans le journal de Jules Renard.
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