01/07/2012
Quelle société post déservicisation ?
On peut se moquer de l'intitulé, il a au moins le mérite d'être clair: en termes d'emplois, la France ne bande plus. Il lui faut du viagra politique et elle a confié ce rôle d'adjuvant à Montebourg, chargé de "redresser productivement" le pays. Pour cela, il cherche à l'infini dans son bureau, se démène pour trouver des boulots inconnus de nos temps, avec un dilemme de fond: sauver l'existant ou créer le neuf ? Symbole de cette ambiguité ministérielle, saluer les 500 emplois crées par Amazon qui, mécaniquement puisque les ventes de livres stagnent voire baissent, va détruire de l'emploi en librairie. Quand ça sent les rendez vous chez Sapin pour certains, ça sent le sapin pour d'autres. Et toc. La question de ce débat, si ce n'est éternel au moins séculaire est : est-il infini ?
En effet, tous nos amis du MEDEF aiment à nous rappeler l'archaïsme des syndicats qui ne comprennent rien à la marche de l'histoire avec des épisodes du XIXème siècle où des ouvriers se révoltaient et fracassaient les machines victimes selon eux de leur chômage de demain. Qui déplore encore aujourd'hui des pertes d'emploi liés à la mécanisation est aussi simplet qu'un Canut lyonnais. Circulez, y a plus rien à défendre. J'avoue que la chose me fait sourire. Les films sur les usines du début du siècle font froid dans le dos: ces milliers d'homme y ont laissé leur peau pour construire des bagnoles dans des conditions effroyables. Idem pour qui a vu "la bête humaine", on se dit que les progrès ferroviaires sont plus que louables, et il est heureux que les charbonniers disparaissent. J'ai eu entre les mains un très instructif "dictionnaire des métiers perdus" recensant plus de 1200 activités qui n'ont plus cours. C'est la marche du destin. Mais de la même façon que certaines ressources naturelles ne sont pas infinies, gare à la croyance en l'inventivité de métiers dans une société post servicielle: ça n'existe pas.
L'industrie peut se déplacer et les produits manufacturés nous revenir, bon. Mais dans une économie de service, comment penser que l'on peut substituer quoi que ce soit à l'humain ? Ou alors la notion même de "service" est caduque. Si, vraiment, nous sommes comme tout le monde nous le serine à longueur de journée, une économie de service, alors ou sont les services ? Ou est l'apport humain de ce que nous payons pour avoir un téléphone portable, un compte en banque et que l'on nous renvois vers un site internet, une boîte aux lettres ou déposer un chèque ou un forum en ligne pour poster des insultes de désespoir ? Pire, car c'est l'emblème de nos nouvelles luttes que nous ne voulons pas voir : de nos caissières. En allant faire des courses un samedi soir, je suis tombé sur une grande enseigne, Monoprix pour ne pas le nommer où une grosse part des clients grommelaient devant des caisses automatisées, robotisées, qui avaient l'air assez défectueuses. La sédition consistant à aller voir des caisses tenus par des êtres humains est extrêmement faible, pourtant, la queue devant la machine était largement aussi longue que l'autre. Tristesse. Ce d'autant que ceux qui désertent la relation humaine gueulent sans doute le lendemain devant leur Libé.
Je partais de cette idée pour imaginer ce que nous deviendrions, au milieu des machines. Commandant un café à la machine avant d'aller dans un magasin sans caissiers, achetant un costume où nous aurions sélectionné la juste taille sur un écran avant de monter dans un bus automatisé qui s'arrête au feu rouge seul. Là, nous nous rendrions chez nous, les espaces pôle emplois ayant été supprimé par besoin d'efficacité et nous aurions ouvert l'espace e-learning sur notre écran qui nous aurait indiqué les postes à pourvoir dans notre secteur, "aucun nouveau contact". Pendant ce temps, les mails de factures (le courrier avait lui aussi été supprimé pour causes de frais) s'amoncellent. Les ventes d'armes prospérant depuis quelques années, restait la satisfaction de pouvoir se tirer une balle bien réelle.
Demain nous entamerons juillet avec énergie et ne nous énerverons même pas au son des "non, mais on en reparle à mon retour dans 3 semaines" ou "je peux pas te parler suis à la plage.
09:09 | Lien permanent | Commentaires (5)
29/06/2012
5 ans d'opposition Copé/Collard
L'alphabet est taquin. Cet outil merveilleux, censé par ailleurs être le juge parfait car le plus neutre, le plus objectif, réserve décidément des plaisirs de fin gourmet. Comme le fait de placer côté à côté au premier jour de la rentrée du Palais Bourbon new look Jean-François Copé à côté de Gilbert Collard. J'admets que de voir leur photo ensemble, je me goberge. Collard fera sans doute comme tous les élus FN -de l'absentéisme parlementaire à outrance pour aller pérorer dans les fêtes vinicoles gardoises -, donc puisque le cliché sera rare, saisissons le !
On parle souvent, à propos de la droite parlementaire (j'emplois à dessein l'expression puisqu'elle est désormais désuète, ou alors on y inclut le FN qui je sache, n'est pas de gauche et que je sache aussi, siège bien au parlement) de "glissement sécuritaire". C'est très étonnant, car le glissement, à part pour les patineurs artistiques, relève de l'accident. Or, chez nos amis de l'Union pour un Mouvement Populaire, tout cela relève de quelque chose de très calculé. Surtout chez l'aigle meldois. Conviction ? Je n'irai pas jusque là. C'est là limite du personnage. Homme de dossiers, la vision n'est pas son fort. On pourrait sans mal jouer à la liste des 7 différences entre JF Copé et Gilbert Collard, mais profondément, on atteindrait pas un score tellement plus important. Et c'est là que le bât blesse. Collard a soutenu Sarkozy très fortement en 2007 et est entré au FN sans souci, il symbolise ses passerelles de plus en plus fortes, ces défricheurs de droite qui enjambent les barrières politiques habituelles. Avec la Droite Populaire et un troupeau croissant de moutons noirs. Enfin, de moutons pas dans le droit chemin. Et c'est eux que Copé veut fédérer pour prendre toute la droite par son aile droite droite. S'il parvient à diriger l'UMP en fin d'année, nous sommes parti pour cinq années d'opposition Copé/Collard avec charger sur l'insécurité et l'immigré ?
Pourquoi l'insécurité et l'immigré à ce point ? Parce que ça se vend à la télé et parce que ça se voit. Dans l'économie, on y voit goutte. Le meilleur symbole de tout cela c'est l'extraordinaire vacuité, nullité, faiblesse, du discours économique par les politiques depuis 4 ans. En période de crise, plus personnes ne parle de vision économique pour un pays, mais emploie un certain nombre de mots clés comme des appeaux à électeurs. "Réduction de la dépense publique" contre "relance par la consommation", "responsabilité devant la dette" vs "ne pas céder au diktat de la troïka". Désormais qu'il incombe à tous d'avoir une conception de l'économie du pays, même pour ceux qui n'ont pas fait leurs humanités économiques, on assiste à ce balais de phrases toutes faites. Pire, je dois admettre que si serais bien incapable de conseiller économiquement des responsables ayant vraiment les manettes au niveau macro, je pourrais sans mal passer sur n'importe quelle radio ou télé pour commenter en tant que ministre ou opposant les rencontres de l'UE et du G20. Mots clés dans un sens ou un autre, on atteint une vacuité de sens jamais vue...
Dans ce brouillard informatif, le discours du FN se distingue, et Copé veut s'engouffrer dans le sillon ouvert: haro sur la fraude sociale (qui représente grosso modo 1/30ème de son homologue financière, on a les défis que l'on peut), sur le faux travail, lien entre immigration et délinquance et autres discours islamophobes. Le tout quand, en sous main, on salue quand même l'arrivée de ces migrants qui prennent les boulots dont personne ne veut.
Ce qui va être amusant (ou triste à mourir) à observer pendant les 5 années à venir, sera l'opposition sémantique féroce sur une ligne politique aux écarts ténus vu l'actuel locataire de Beauvau : certes, Valls n'est pas Guéant. Pas de déclaration à l'emporte pièce, de formules faciles ou de circulaires idiotes sur les étudiants étrangers. Certes. Mais sur le fond ? Sur la question de la délinquance, du trafic de drogue, des flux d'immigrés, je mets au défi quiquonque ayant lu l'interview de Valls dans le Monde d'avant hier de me donner un iota de différence avec Nicolas Sarkozy. D'ailleurs, quel sens faut-il donner à cette pluie de compliments qui tombe sur Manuel Valls de la part de tout l'UMP. Sans doute un gage de modernité...
Pour autant, pour les mêmes raisons débiles d'affichages, la gauche devra désavouer Valls en répétant que l'immigration est une chance et que l'universalime prime. On prendra des mesures symboliques (interdire aux flics de tutoyer...) mais l'opposition à Copé/Collard ne peut se payer que de mots; il faut un renversement de perspective sur les questions identitaires pour que le changement promis advienne vraiment.
Demain, nous entamerons l'été en pente douce en faisant des sushis maison (pas gagné).
07:42 | Lien permanent | Commentaires (3)
27/06/2012
Indéniablement, ça mérite la lecture
Voilà une question qui fait sens, comme disent les gazettes. Outre l'interrogation posée, l'auteur me poussait à me saisir du livre. J'aime Michaud, au moins le politologue. Matois au possible, roué, il demeure insaisissable, hors des écrans radars des chroniqueurs politiques. Dans ses réflexions sur la violence ou plus récemment, la jet set, il est souvent moins bon, mais loin d'être dénué d'intérêt. Je croyais que ses essais sur le langage politique resteraient ce que je préférerai de lui, la lecture de qu'est ce que le mérite?, m'inclina à changer d'avis. Je dévorais le Michaud philosophe. Et pourtant, le pari était loin d'être gagné car je ne voulais pas de ce livre pour des raisons évidentes tenant à l'auto-analyse.
Loin de moi l'idée de me livrer à une séance d'auto-flagelation à la Nourrissier. Juste, la notion de "mérite" n'est pas nécessairement celle avec laquelle je suis le plus à l'aise. Sans doute est-ce pour cela que je me suis précipité sur le livre et que j'ai préféré lire deux trois romans (dont l'excellent "ballade de Lila K de Blandine le Callet) avant d'avaler l'essai.
Pourtant, le mérite c'est le fondement de la République universelle, du III ème siècle, ce qui fait qu'une fois que l'on est né libres et égaux, on peut avancer. Le mérite est donc souvent scolaire (avec médailles et parchemins à l'appui) puis professionnel où vos aptitudes vous distingue des autres. Le propre du livre de Michaud est de nous montrer qu'aujourd'hui le mérite tourne trop autour de ce qu'il faut payer et à ce titre, c'est un chapitre de plus dans l'encyclopédie navrante des valeurs avalées par le libéralisme. Avant de revenir sur le livre, donc, ce qu'il m'a suggéré de moi n'est guère réjouissant.
Après une scolarité plus que chaotique, je me suis retrouvé dans un champ professionnel où les codes de naissances, les livres et références servent de passe partout pour les portes invisibles quand on s'est planté sur la porte d'entrée. Exit le mérite, donc, la naissance étant l'anti mérite, comme l'illustre Beaumarchais juste avant 1789 dans la tirade d'Almaviva où il fustige ceux qui n'ont comme mérite que d'être nés. Deuxième couac au niveau professionnel quand, s'il est méritoire de se lancer en indépendant dans un microcosme aux contours incertains, la gloire est moindre quand on a un toit assuré et pas de loyer à aller chercher. Au pire, on mange des pâtes (j'adore ça) et on cesse d'acheter costumes et chemises (j'avais de la marge...). Là encore, le mérite professionnel atténué par la naissance. Je n'irais évidemment pas jusqu'à dire que c'est minant, il y a des limites à l'indécence, mais toujours est-il que ce cadre autobiographique explique ma crainte naturelle à l'égard du mérite.
En cela, le mérite est une notion déprimante, car elle est aveugle au talent où autre, vous renvoyant inexorablement vers la naissance pour mesurer à quel point vous vous êtes élevé par vous même. Le mérite, c'est un peu l'aigle qui bouffe le foie de Prométhée ad vitam eternam. Un supplice qui rappelle ses limites à une société trop inégalitaire, en somme.
Parmi les étudiants à qui je donne des cours, nombre d'entre eux sont privilégiés. J'admets que l'objectivité de mise du professeur s'estompe parfois avec un caractère délicieusement émollient, lorsque s'opère sous mon crâne une ligne de fracture entre ceux qui partagent ma mauvaise conscience de bonne classe et ceux qui croient dur comme fer qu'ils sont sur la même place que les autres sur la ligne de départ. Ils sont plus nombreux à être titillés par leur conscience que ne l'affirment les hebdos sur les enfants dorés. Ce qui est étonnant, c'est de voir ces doutes, ces interrogations initiales s'estomper lorsqu'ils commencent à travailler. Comme si le fait de travailler du soir au matin valait obligatoirement viatique vers ce fameux mérite. Etrange, mais bon...
Pour revenir au livre, Michaud confie en introduction qu'il a glissé malgré lui vers une lecture cynique de la réalité et lentement changer le cadre de son étude. Je crois en avoir décelé un bon exemple vers le tiers du livre lorsqu'il écrit "l'idéal est celui du mérite, mais la réalité est celle des avantages acquis et des statuts protégés, y compris quand ils sont défavorables à ceux qu'ils protègent en les maintenant dans leur trappe". Sur ce point, difficile de donner tort à Michaud. Après une première année d'indépendant où je m'escrimais à envoyer des CV avec des résultats pas même contrastés (aucune réponse) il est vrai qu'aujourd'hui, je me contente de décrocher mon téléphone ou de répondre à mes mails et ne suis pas certain de vouloir retourner en arrière car j'aurais trop de doute sur le fait que sans cesse, d'autres ne joueront pas le jeu.
Michaud explore le mérite sous de nombreux angles comme le fait que la réputation précède le mérite: on veut être opéré par tel médecin, défendu par tel avocat, dépanné par tel serrurier et non leurs cousins. Là où cela devient coton, c'est encore et toujours dans la valorisation de ces mérites et leur reconnaissance trop précoce en France. En cela, la lecture de Michaud succède idéalement à celle de Crozier, il souligne que le grand mal Français est de donner un blanc seing à une caste de jeunes gens : au prétexte qu'ils étaient bons élèves à 18 ou 19 ans, leur avenir est tout tracé jusqu'à 60 ans et pour eux, le mérite s'arrête à cet âge tendre.
Au fond, le livre de Michaud interroge parfaitement ce que nous traversons aujourd'hui. Le mérite se quantifie en numéraire, jamais au regard de l'utilité sociale. Il est désormais indissociable de son corollaire moral, la décence, au sens où Orwell l'entendait dans sa common decency. Patrons aux velléités de quitter la France, joueur de foot insultant à tout va, où parachutés artistiques de naissance, tous ceux qui suscitent chez nous un sentiment d'indécence sont avant tout ceux qui s'éloignent de l'ordre du mérite. Pour mieux penser tout ce qui part en vrille de nos jours, l'opus de Michaud mérite indéniablement le détour par une librairie (n'en déplaise au sieur Montebourg qui veut redresser la France avec l'Amazonie).
08:19 | Lien permanent | Commentaires (0)