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05/02/2012

Guéant ne se lepenise pas, le FN n'a pas le monopole du racisme ordinaire

racisme_ordinaire.jpgMon amoureuse s'énervait contre le réflexe pavlovien poussant tous les journalistes à parler de lepénisation du discours de Claude Guéant. Je ne pouvais que lui donner parfaitement raison. Passée l'admiration devant l'analyse au scalpel de celle qui partage ma vie, je me posais la question du grand pourquoi. 

La réponse, malheureusement, est confondante d'évidence : notre doxa médiatique, dénoncée à très juste titre par le livre et le film "les nouveaux chiens de garde", n'aime pas regarder la vérité en face et quand cela la gêne. Elle met la poussière sous le tapis ou dans une case, c'est selon. En l'occurrence, il s'agit de celle de l'oncle Tom. Pour tout bon éditocrate qui se respecte, impossible d'admettre qu'en France, le racisme ordinaire est prégnant et dans tous les coins de l'échiquier politique. Alors, on parle du FN. Dès qu'un élu "Républicain" dérape, on parle de lepénisation du discours. Dernière exemple en date, Claude Guéant a balancé dans une réunion de l'UNI "toutes les civilisations ne se valent pas". Repris bêtement par tous les médias : il se lepénise. Mais bordel, tous les racistes de France ne sont pas lepénistes ! Pire, une grosse part des électeurs de le Pen ne sont pas racistes. On le voit bien avec le sondage JDD de ce matin sans Marine le Pen au premier tour: les reports sont assez massivement sur Sarkozy mais également beaucoup sur Bayrou ou Hollande, ils veulent dire merde au système, pas nécessairement "dehors les nègres".

Parler de lepénisation du discours c'est dédramatiser, stigmatiser encore plus un électorat populaire souvent désorienté. En revanche, il serait temps de reconnaître le racisme ordinaire d'un Guéant, d'un Hortefeux ou d'un Eric Besson, mais aussi bien souvent en face d'un Manuel Valls et de sa volonté de "javeliser" les quartiers devant les caméras. Il y a aussi une homophobie ordinaire inacceptable chez Douillet ou Vanneste, des propos douteux de Balkany, limite de Morano, Brunel ou Copé sur les musulmans. Des propos prolophobes plein les colonnes de Terra Nova, et tout ça, tous ces tristes renoncements devant l'égalité, me semble infiniment plus dangereux pour la République que les éructations tribuniciennes de Marine le Pen. Car l'ennemi de l'extérieur peut se contrer, le cancer de l'intérieur en revanche est infiniment plus pernicieux et à ce titre plus dangereux...

Bon, sur ce laissons ceux qui veulent fêter la naissance de Mahomet aujourd'hui, controns ceux qui veulent les empêcher de le faire en France au titre qu'ils seraient inférieurs et relisons des livres d'histoire pour empêcher que le 6 février 2012 ressemble à son homologue de 1934... 

04/02/2012

Panser l'entreprise

9782021064285.gifA force de voir s'aligner les volumes de la collection dans ma bibliothèque, je vais finir par envisager "la République des Idées" (le Seuil) comme mon précepteur. Ce que j'aime dans chacun de ces livres, c'est leur tentative (souvent réussie) de faire renaître une sorte de bibliothèque du gentilhomme. Un esprit renaissance, une curiosité de tout et une capacité à synthétiser les grands enjeux pour le grand public avec une exigence jamais reniée. Pas demain qu'on verra Compte Sponville ou Ferry y traîner leurs guêtres. Dignitas e gravitas comme dirait Jean-Luc (pas Delarue...). 

Ici, il s'agit à chaque fois de dresser un portrait d'un grand problème en 120 pages. Après la pauvreté (Duflot) la corruption (Lascoumes) l'éducation et les classes moyennes (Maurin) et évidemment l'impôt (Piketty, Saez, Landais), mais aussi l'éliltisme, le capitalisme d'héritier, l'insécurité sociale et autres, (la liste complète est sur leur site: http://www.repid.com/) j'ai découvert la dernière production de Blanche Segrestin et Armand Hatchuel "Refonder l'entreprise". Ne connaissant rien des auteurs, c'est uniquement la confiance dans la collection qui m'y menait. Grand bien m'en pris.

Plutôt que de proposer un énième "code de bonne conduite" qui correspond souvent à un permis de tuer l'emploi ou, au contraire, à prôner des mesures administrées, qui sont souvent annonciateurs d'effet d'aubaines, les auteurs se sont interrogés sur les mutations profondes de l'entreprise. Les constantes, bien sûr, mais aussi les changements et leur nature pour proposer des pistes de refondations. Nous parlons là, bien sûr, d'entreprises d'une certaine taille. En français, le même vocable désigne tout, mais on ne peut mettre sur le même plan la boulangerie et Total, sont concernées par ce livre les sociétés souhaitant s'étendre avec pour cela des soutiens capitalistiques.

Primo, ils rendent justice à l'entreprise de s'être imposée fin XIXème/début XXème comme un moyen d'encadrer un libéralisme effréné (sounds familiar ?) qui ne reconnaissait pas suffisamment la valeur travail. Avant l'instauration de grands groupes encadrés avec des syndicats exigeant des accords cadres sur les salaires et la formation, l'inflation gréviste était incommensurable. De 500 000 jours de grève par an, les Etats Unis étaient passés à 3 millions de journées en 10 ans. Id est la genèse de l'entreprise moderne. Les auteurs l'aiment et ce livre a pour but de la faire revenir à la vie, car ils expliquent qu'elle est proche de disparaître sous sa forme originelle. Il y a un siècle, nous avions des vrais dirigeants d'entreprise. Lorsque la business school d'Harvard se fondait en 1908, elle donnait pour but à ses diplômés de poursuivre le bien de l'entreprise, quand les capitalistes ne sont là que pour leur bien personnel (le mot est du fondateur même de la Harvard Business School).

L'histoire de l'entreprise qui suit montre comment l'enfer étant pavé de bonnes intentions. A la fin des années 60, ce modèle devint trop bureaucratique. L'avantage était de brider l'influence néfaste et court termiste des actionnaires: leurs décisions n'auraient pas produit suffisamment de valeurs en dur pour inverser le cours de l'entreprise, donc on ne les écoutait pas plus que ce qu'ils pesaient vraiment. Ouf. Problème, ce pied sur le frein mettait l'innovation sous l'éteignoir et ce n'est pas envisageable dans une économie ouverte où le critère innovation croissant en importance. Nous vivons donc une période en sens inverse qui a marché quoi ? 5 ans, et donne depuis des résultats catastrophiques extrêmement bien disséqués dans l'opus.

Aujourd'hui, les managers n'ont plus le pouvoir. D'ailleurs, entre 1998 et 2006 ils ont été trois plus viré par les actionnaires. Pour incompétence ? Loin s'en faut. Pour manquement à la rentabilité immédiate. De ce point de vue, l'exemple de Carrefour est éclairant : le démantèlement du groupe décidé par Olfsonn (PDG) en 2010 ne résiste pas à l'analyse. A terme, cela fera perdre de l'argent, mais à court terme, ça a fait monter le cours de bourse. In fine, Olfson a été viré comme les autres. Dans ces boîtes, les PDG sont des marionnettes car les vrais leviers ne sont plus entre leurs mains, mais ils sont les complices d'une logique qui fonctionne sans garde-fou: lire notamment les quelques pages consacrées au secteur financier qui sacralise le risque sans capacité ou plutôt volonté d'assumer les conséquences.

La partie analytique est aussi convaincante dans les contre modèles qu'elle propose, que ce soit les SCOP, l'autogestion ou la responsabilité sociale des entreprises (RSE). On voit que d'externe ou d'interne, les contre-pouvoirs tentent d'arrêter une matrice trop puissante pour eux. Les SCOP sont victimes d'une image vieillotte, l'auto-gestion n'est plus adaptée à une économie de l'adaptation. Les auteurs sont à juste titre plus nuancés sur la RSE qui a souvent permis des avancées, mais demeurent malheureusement trop fréquemment un permis pour le reste de l'entreprise, à ne pas être responsable, justement.

Alors, que faire ? Ca c'est les 20 dernière pages de l'entreprise et j'admets qu'elle appelle à creuser, non pas sa tombe, mais le sujet. Car les auteurs ont le réalisme chevillé à l'analyse et pas la prétention de tout changer d'un coup : ils expliquent que le changement ne peut être que systémique et juridique à la fois. Juridique pour désenclaver l'entreprise de l'influence abusive des actionnaires. Désherber tout ça pour remettre l'innovation et le progrès social et environnemental au coeur du barnum. Il semblerait qu'un décret de 2011 de Californie ouvre la voie à ces entreprises qui s'engagent à doing good while doing well. La blague a été faite 100 fois mais s'applique vraiment à ce livre : merci aux auteurs d'avoir pensé le changement (c'est maintenant...) plutôt que de changer le pansement comme le propose François Hollande avec son truc débile de notation sociale...

Demain, c'est dimanche et nous remercierons l'électricité nucléaire de nous empêcher de crever de froid...

01/02/2012

Benchmark contre ton camp, camarade

jan-lecjaks-fabuleux-buteur-contre-son-camp-12862.jpgSoirée à l'Institut du Monde Arabe hier, thème "emploi et diversité". La diversité de points de vue est dans la salle: méfiance, un militant CGT affilié à cette assoc' qui avance sous couvert d'union nationale quand les objectifs communautaristes sont apparents comme les coutures d'un costume bon marché, les Indivisibles. Ferraille propre et nette. Par ailleurs, il faut panacher entre les entreprises présentes, les assocs, les personnes présentes dans la salle et victime de discrimination ordinaire à l'adresse, au patronyme, au sexe et au beaufisme ordinaire... Mais les coups les plus étranges sont venus de mon voisin qui n'avait de gauche que la position qu'il occupait par rapport à moi sur la table : Olivier Ferrand, président de la Fondation Terra Nova. Il venait défendre son texte paru en partenariat avec Respect Mag, 16 propositions pour une France métissée.Comme dirait Laurent Bouvet, je ne dis rien, je vous laisse juge, le texte est là

http://www.tnova.fr/note/france-m-tiss-e-2012-lappel-aux-...

Hier, donc, Olivier Ferrand était venu avec ses propositions pour la diversité. J'avance évidemment que le but est de lutter contre les inégalités en restaurant l'égalité des chances d'accès à l'éducation, à l'emploi et demande à Ferrand quelles propositions il veut pousser sur le thème de l'emploi. Et là, il s'embarque dans des propos émerveillés sur trois solutions après voyage d'étude au Canada, aux Etats Unis en Australie et que sais-je. La lutte est plus bankable quand elle se mue en struggle I suppose... Personne n'entrave que pouic à son salmigondis où l'on sent poindre de toute part le ethic washing ou les carabistouilles pour parler plus trivialement. Parlent alors Thibault Guilluy, directeur d'Arès, entreprise d'insertion qui crée trop d'emplois pour être agréer par l'Etat - Ferrand l'ignorait - puis Saïd Hammouche, qui avance le CV vidéo, le coaching des jeunes où l'incitation des entreprises à recruter par d'autres canaux. Ferrand ne prend pas de notes, pianote sur son Iphone. Dans ces cas là, le tacle est inutile, je me contente d'un neutre et perfide: "on va prendre les questions de la salle, mais cher monsieur Ferrand, vous qui avez rédigé 16 propositions que pensez vous de vos voisins ?". Benoîtement, il confesse: "Le vrai changement, les propositions fortes, sont chez eux". Voilà voilà voilà... Il ne restera pas, croisera un troisième entrepreneur social, Jean-Michel Ricard, dont la Fondation Terra Nova dit le plus grand bien mais dont il ignorait l'existence. La gym des vieux n'est pas télégénique, ne vient pas des Etats-Unis, quel intérêt ?

En 68, des militants proposaient une solution naturelle et écologique "cours camarade, l'ancien monde est derrière toi". Ferrand profite de ce que sa fondation touche des fonds de Total et de Microsoft pour aller beaucoup plus vite qu'une simple course et prend l'avion pour aller voir là où le nouveau monde s'ébroue, commentant inlassablement les vertes prairies qui le sont car peintes à la bombe aérosol, sans voir ce qui se passe à deux pas de chez lui. Dans le fond, Olivier Ferrand est à la gauche ce que Yann Arthus Bertrand est à l'écologie : un traître.