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20/12/2011

Et soudain l'opéra de Prague résonna des sanglots

Vaclav-Havel.jpgNous cheminions ce soir-là vers l'Opéra. Vaclav Havel était mort et nous l'avions appris par Internet. Rien dans la ville où il avait du être un héros ne pouvait laisser supposer que les habitants souffraient. Sur la grand place, les gaufres, marrons chauds et vins chauds s'échangeaient dans un concert de rires. Les boutiques ne désemplissaient pas ; dans une semaine, Noël, et rien de plus sacré que la plus grande fête du Dieu de la consommation. Que ce fut à Budapest, à St Pétersbourg, à Bucarest, Sofia ou Riga, jamais je n'ai vu un tel appétit de consommation, une telle soif d'avoir que dans les villes qui connurent le communisme jusqu'en 1989 (ou 1991, ça dépend). Ecoeurés à la limite de l'épouvante par cette foule grouillante, nous délaissions les artères pour emprunter les venelles pavées sous une pluie neigeuse. Nous arrivions à l'opéra empreints d'une mélancolie ouatée (ça réchauffe).

Là, nous fûmes saisis par le respect du protocole et par notre propre manque de mise en pli. Nous nous étions décidés sur place, pour une représentation de Rusalka. Un opéra d'autant plus lourd de symbole qu'il est écrit en langue tchèque, par Dvorak, et fut joué pour la première fois dans ce même opéra de Prague. Peut-être est-ce cette singularité qui donnait un supplément d'âme et de fierté aux spectateurs qui jouaient le jeu: les robes du soir se mêlaient aux smokings. Même les plus jeunes semblaient avoir loué des habits surannés pour la soirée. L'atmosphère s'emplissait de XIXème siècle et nous étions grotesquement anachroniques avec nos jeans. Une minute avant le début de la représentation, une voix en tchèque puis en anglais nous enjoint de bien vouloir couper nos téléphones portatifs. L'orchestre s'éclairait et se tint prêt alors que le lourd rideau rouge restait fermé. Un micro trônait au milieu de la scène comme un poteau rose.

Soudain, un homme en smoking apparu la mine grave comme un jour sans pain. Il tenait un papier à la main et se tourna vers la loge présidentielle. C'est en observant la vacuité de celle-ci et les roses blanches posées sur le rebord que nous comprîmes. L'homme se mit à parler et dans cette langue hermétique pour nous, nous ne reconnûmes que "Vaclav Havel" "Dramaturge" "Culture". Autour de nous, les yeux rougis, les tchèques pleuraient leur Grand Homme. L'homme en noir reprit son souffle et repartit une seconde fois dans sa sombre mélopée, en anglais cette fois. Sans doute cela le peinait, mais il n'en laissa rien paraître et s'acquitta de cela avec une élégance digne du prince Salina. Cette fois, toute la salle pleurait. S'ensuivit une minute de silence infiniment mieux respectée que dans les stades. Puis, toujours comme dans les grands messes sportives, retentit l'hymne tchèque que nous ne connaissions pas mais qui nous touchait par contagion.

L'opéra débuta comme si de rien n'était, plus bel hommage à un homme de culture qui aurait forcément souhaité que le spectacle continuât. Aux entractes, nous nous mêlions aux smokings et robes longues pour boire une coupe qui avait un parfum de dernier verre, avec un délicieux arrière goût de catharsis. 

Après les 3h de représentation, nous partîmes dîner dans une pizzeria estudiantine où la mort d'Havel semblait à nouveau lointaine. Que la mort de leur de Gaulle où quelque chose d'approchant se limitât à l'opéra nous peinait. Nous rentrions donc vers notre hôtel un peu désappointés, empruntant l'avenue Narodni quand, vers minuit, nous fûmes alertés par une foule imposante et un puits de lumière. Quelques policiers débonnaires encadraient un cortège d'inconnus qui apportaient des bougies et venaient se recueillir prêt de la plaque commémorant la révolution de velours. Le lendemain, avant de reprendre l'avion, nous repassâmes au même endroit et la foule était deux fois plus nombreuse. Me vînt à l'idée que la dernière fois qu'un tel rassemblement lacrymal eut lieu à Paris, c'était pour Lady di. 

Demain, nous déplorerons la rudesse de ce mercredi qui rentrera dans l'hiver sans frapper, mais nous consolerons car dès le lendemain, les jours rallongeront.

18/12/2011

Carte postale de Prague

260px-Prague_Castle_as_seen_at_night.jpgDepuis que les voyages sont morts et que même Levi-Strauss a déclaré leur fin pour laisser la place au tourisme, industrie de masse, les vacanciers glorifient le check. Pour les non anglicisants, check, c'est une vérification. Une check list résume les tâches restant à accomplir.

Dans une vie antérieure, avant Junior Castor, soit avant JC, il m'est arrivé de partir en vacances avec ces nouveaux conquérants qui avancent vers les aéroports l'allure déterminée, la carte bleue prête à frémir et les guides de voyages déjà stabilotés. Car leurs vacances ne laissent pas de place à la flânerie. Surtout les longs week-end: 4 jours, pas de droit à l'erreur, il faut foncer, baliser les 46 points à voir de la villle tout en se prenant une cuite règlementaire. 4 jours, c'est infiniment court quand on veut pouvoir y faire rentrer des anecdotes pour ses dîners à venir en étant persuadé de ne jamais y revenir car d'autres check lists avec des villes accrochées dessus attendent de par le vaste monde.

La capitale Tchèque ne se prête pas aux check. Surtout lorsqu'elle vous a été présenté par des amoureux de la ville. Ils ne vous parlent pas d'un musée ou d'un autre, mais de restos, de café, de pause billard. Perdre deux heures à boire des bières en jouant aux billards au Café Louvre est la hantise du checkeur. Quand les heures sont prises entre 16h et 18h, le sacrilège confine au blasphème. C'est pourtant ce que nous fimes vendredi sans une once de mauvaise conscience. Pas plus que nous n'en eûmes samedi en snobant les files d'attentes devant le château. Regarder la relève de la garde pour rire, certes, entrée dans les cathédrales, bien sûr. Mais poireauter dans le froid ou payer pour que l'on vous donne l'accès à certaines rues, non merci. L'après-midi, après une incursion au musée Mucha, partir avant la fin du documentaire, reporter au lendemain une hypothétique visite de plus et finir la soirée à écouter du modern jazz en se disant là aussi après le deuxième set que le troisième et dernier sera superfétatoire. Ce n'est pas de l'inachevé, de l'inabouti ou un manque de caractère bien au contraire, l'affirmation de l'émancipation des commandements du touriste. La logique est simple: le touriste discipliné revient toujours épuisé de week-end, alors que se profile le couloir des fêtes, cela ne nous paraît pas bien oppportun.

Prague est la plus belle femme du monde ravagée par deux maladies honteuses: le tourisme de masse et le capitalisme agressif. La première lui obstrue les artères jusqu'à la suffocation à certaines heures, mais le tout reste respirable. Contrairement au corps humain, il faut donc éviter les grosses artères en les considérant pas comme vitales pour aller respirer vers les quartiers périphériques. Le capitalisme agressif, en revanche, est un mal plus insidieux, c'est un cancer qui ronge la peau de la ville. Comme ces demeures majestueuses, ces rues bigarrées d'où surgissent tout à coup d'hideuses réclames pour de la bière de mauvaise qualité ou des rappels pour des concerts à la qualité suspecte. En marge de cela, sur l'île de Kampa, on trouve un musée d'art moderne désert avec une enfilade de pingouins jaunes en plastique du plus comique, une galerie photo très cosy avec d'épatants lauréats d'un concours Nikon que nous ignorions. Même malade, la plus belle femme du monde garde une prestance à nulle autre pareille et quand vient la nuit, en ce moment c'est à 16h, elle se pare de ses plus beaux éclairages pour laisser éclater son insolent sourire d'éclairage. On redécouvre alors tout ses édifices aux enluminures hésitantes toujours entre un luxe raffiné et une surcharge rococo. Ce soir, ce sera Rusalka à l'Opéra. A ce propos vive le caractère universel de la danse et de la musique, parce que la langue tchèque, c'est complexe dès le premier mot et la bière moins chère que l'eau ou les whiskys nécessaires à se réchauffer n'y changent goutte, on ne comprend pas tout. Ca doit être ça, la poésie.

 

13/12/2011

L'art du Larzac

Unknown.jpegMettons nous d'accord d'emblée, la lutte des paysans du Larzac m'émeut, me touche et m'inspire un infini respect ; ce n'est pas pour autant que je vais m'installer dans une zone où l'on est perdu sans moteur, moi qui n'ai toujours pas mon permis. Des vacances entre amis en revanche, je suis très tenté.

Il est des luttes qui méritent plus que de l'admiration pour leur ténacité. Dix ans d'opposition farouche à des pus gros qu'eux, des plus roublards qu'eux et pas un début de fendillement de l'unité. 103 paysans du plateau du Larzac qui restent ensemble malgré les tentatives de divisions habilement instillées par les négociateurs de l'armée, ça force le respect. 

103 paysans, donc. Des natifs du plateau, rejoints dans la lutte par des étudiants ou objecteurs de conscience. Tout les oppose et ils restent ensemble. Il faut voir les "natifs" dire "moi j'étais paysan, de droite, catholique et je vois débarquer ces barbus prônant l'amour libre, j'étais pas bien sûr d'être trop pour". Et l'armée aura bien compris cela qui proposera un nouveau partage des terres lésant les nouveaux arrivés et confortant les anciens. Scellée, la fin ? Vote à bulletin secret et 99% contre le compromis... C'est pour ce miracle de solidarité qu'il faut aller voir le film. 

Au fond, "tous au Larzac" est un film qui lutte contre les préjugés et les stéréotypes. On y voit des paysans d'une ouverture d'esprit incommensurable. Des étudiants plus travailleurs que jamais, même avec leurs mains carrées, pendant deux ans, ils vont aller sur le chantier d'une bergerie tous les matins à 6h du matin. On y croise aussi des paysans publicitaires de génie, créant le buzz bien avant l'heure avec des brebis sous la terre Eiffel, un journal à 10 000 exemplaires qui ne parle que du Larzac ou encore une marche sur Paris sans slogan où l'on entend que le bruit de leurs bâtons de berger dont le bruit mat galvanisait les riverains plus que des sonos saturées. Respect.

"Tous au Larzac" est un film bon pour la santé : on y croise des septuagénaires et octogénaires plus fringuants que jamais, sans Botox, sans billards, sans même une crème blanche. Tout avec des bons produits, "du bon manger" et de la chaleur de vivre.

Un film antidote aux maux de l'époque, enfin. A l'heure où les storytellers veulent nous vendre de l'opposition entre générations, avec les tenants de la Y qui seraient triomphants et ouverts contre d'improbables séniors dépassés ; à l'heure plus triste aussi où l'empowerment s'étiole et s'essouffle quand il tombe dans le piège du festif et a du mal à recruter sur la durée, au-delà du happening et autres flashs mobs... Je sais, il y a trois termes anglais ci dessus, mais cette fameuse "encapacitation" nous vient d'Outre-Atlantique, et ses dérives d'associations en voie d'atonie aussi. Pour voir les dérives possibles de telles mouvements, un article éclairant sur un livre de Princeton Press, c'est là : http://www.laviedesidees.fr/L-essentiel-n-est-pas-de.html 

Ca fait beaucoup de qualités pour un seul film, beaucoup de bonnes raisons de prendre 2h et en dernier lieu, les paysages superbes filmés avec une admiration non ostentatoire donne envie de voyager et de respirer à pleins poumons pour oublier ces journées qui raccourcissent bien au-delà de l'acceptable. Là où le miracle s'arrête c'est qu'il a moins de salles qu'Intouchables, alors faut se dépêcher...