28/09/2011
Prenez y garde frères communicants, la publiphobie gronde au sein des masses...
Les sondages sont imparfaits, c'est entendu. Les baromètres, eux, présentent l'avantage non négligeable de transporter les mêmes imperfections au travers des années, rendant ces mêmes résultats, si ce n'est scientifiques, du moins, moins imparfaits. Le dernier baromètre sur l'attraction des français pour la publicité, que l'on trouve là : http://www.e-marketing.fr/Breves/Australie-TNS-Sofres-33-... est proprement alarmant.
Tous les indicateurs sont au rouge : ceux qui aiment la pub sont de moins en moins nombreux, ceux qui la rejettent augmentent inversement. Surtout, les sondés jugent la publicité de plus en plus intrusive et agressive. De moins en moins drôle et distrayante, enfin.
Qui est responsable de cette dégradation accélérée, et est-ce grave ?
A la première question, la réponse est simple : les communicants. Ils n'ont pas su s'entendre entre eux et ont dangereusement saturé l'espace mental des individus. La réclame qui vous pourchasse jusque dans votre espace intime, à n'importe quelle heure, c'est trop. Deuxièmement, ils ont eu le melon qui a trop enflé : s'entre décernant un nombre aberrant de satisfecit et de grands prix où les discours d'auto-célébration rivalisent de dithyrambes au point d'atteindre des sommets de déconnexion avec la réalité : la pub aurait ringardisé le cinéma, elle diffuserait des messages oniriques qui font société... Le pubard à voulu tuer le philosophe. Il a pu le faire matériellement, mais de là à dire qu'il l'a remplacé en termes de signifiant, il y a un Océan. On dégonfle les mollets, le but n'est pas de battre Kubrick et Bergson.
Enfin, les communicants n'ont pas fait le ménage : trop de publicité bas de gamme, de créations pitoyables sont autorisées à être diffusées et à venir polluer nos oreilles et nos yeux. Que celui qui n'a pas éteint sa radio en écoutant les pubs de France Inter m'offre la première bière (sans faux col, merci). Certains communicants ont pris conscience de l'ampleur des dégâts et ont essayé d'en faire un livre, http://www.communication-transformative.fr/ Le constat est bien dressé mais la personnalité de l'auteur le décrédibilise. Laurent Habib, gourou de la comm', expliquant qu'il faut arrêter la pub à outrance est aussi crédible que Jean-Louis Boorlo vantant l'eau d'Evian où DSK l'abstinence prolongée...
Bien, les coupables étant désignés, seconde question : est-ce grave ? Oui et non. Non, dans la mesure où jamais un coup de dés n'abolira le hasard, pas plus qu'une bonne pub ne résoudra la faim dans le monde. Certes. Néanmoins, rejeter la communication en soi ne vaut rien de bon. On entend toujours Le Lay et le temps de cerveau disponible, ou "Juvabien, Juvamine", mais il y a de bonnes publicités. Certaines commerciales qui ont au moins le mérite de distraire et d'amuser, d'autres institutionnelles qui font passer des messages et aide à faire avancer des causes. La communication sur le SIDA a aidé la prévention, la communication sur les femmes battues a sans doute encouragé le fait de briser le silence, la communication sur l'appel au don sert les associations. La communication politique, quand elle ne vire pas au mensonge caractérisé (ha ! les pubs sur la réforme des retraites) peut jouer un rôle citoyen.
D'une certaine manière, adorer la publicité comme un veau d'or n'a pas de sens, mais lorsque le rejet devient massif, l'inquiétude gagne. Ce n'est pas nouveau, les Français sont les champions du monde: ils n'aiment pas le capitalisme, les politiques, les communicants, encensent de plus en plus les théories complotistes et même les astrologues ont le vent en poupe. Algan et Cahuc ont magistralement synthétisé ce mal dans un opus gratuit en ligne, la société de défiance http://www.cepremap.ens.fr/depot/opus/OPUS09.pdf
Lire ce livre sérieusement peut déprimer. Mais il y a pire. Il y a le monde qui vient. A l'instar de l'émergence du développement durable qui s'inscrit dans une urgence de ne pas laisser une planète pourrie aux générations futures, une communication durable va devoir s'imposer si l'on ne veut pas rajouter de la défiance à la défiance. L'enjeu n'est pas seulement commercial, mais civique. La puissance de la communication outrancière détourne les citoyens de croyance en tout et encourage l'irrésistible ascension du sentiment nihiliste. 1% de nihiliste est complètement soluble dans une société avancée, mais pourrions nous nous gouverner à 100 % de sceptiques ? J'en doute moi même... Un dernier baromètre, celui de la FONDAPOL, souligne que pour la première fois depuis qu'on sonde, les jeunes du monde d'aujourd'hui sont moins optimistes que leurs aînés, http://www.fondapol.org/etude/2011-la-jeunesse-du-monde/ , ça n'est pas rien quand même...
Ces livres et études soulignent tous la déconnexion croissante avec les élites y compris communicantes, depuis 2008 qui a fait de Stéphane Hessel une nouvelle idole dans 34 pays (le Monde d'hier) et les indignés de toutes les langues s'unissent dans un même rejet. L'étude initiale de TNS souligne que la publicité a perdu sa capacité à distraire, si l'humour est la politesse du désespoir, sans doute faudra t'il (stimulant challenge) que les nouvelles générations de ceux qui veulent parler au monde réapprennent à envisager les choses avec optimisme. Espérons qu'ils s'inspireront de ce chef d'oeuvre créatif des Monthy Python : http://www.youtube.com/watch?v=LxQgXgS5G3c&feature=re...
Demain, je mettrai la théorie en pratique devant de jeunes communicants qui me rappelleront mon âge en me demandant si "Life of Brian" est tiré de la vie d'un candidat de Koh Lanta 3. M'en fous, je les aime quand même.
11:02 | Lien permanent | Commentaires (2)
26/09/2011
Russie, 24 années chrono
Que faut-il retenir de l'info du week-end ? Quelques sorties salées d'une couronne yougoslave qui donne des caries à tous les chicots de l'UMP ? La prise du Palais d'Hiver du Luxembourg par le centre droit (le PS) qui va vraiment rétablir l'égalité des chances pour tous les français ce week-end ? Voilà ce qui fait la une des journaux. Sur 6 pages... Et au milieu des journaux coule une rivière de larmes, celle des opposants russes.
Dans une indifférence feutrée, une des principales puissances mondiales, l'un des deux empires du XXème a été le théâtre d'une pantalonnade, d'une parodie de démocratie plus navrante que dans les potentats africains qui déchaînent invariablement nos parlementaires les plus vertueux. Vous les avez entendus, là, hurler à la mort ? Ou sont-ils avec les trémolos dans la voix, les Kouchner, les BHL, et autres Juppé, Longuet et tous ceux qui ont de la démocratie plein la bouche dès que les caméras affleurent ?
Rappelons le pitch : Vladimir, ex agent du KGB au pouvoir depuis 2000 après avoir considérablement aidé Boris a se fatiguer en le resservant en vodka est resté deux fois 4 ans au pouvoir. En 2008, il devait donc se retirer, mais cela le navre un peu. Alors, il met Dimitri à sa place mais en exigeant d'être premier ministre. En Russie, le premier ministre n'avait aucun pouvoir sous Vladimir (moins que Fillon chez nous, c'est dire) mais miracle constitutionnel, depuis que c'est Vladimir, il a à nouveau suffisamment d'influence pour briller au G8, G20 et autres... Entre temps, il demande à Dimitri de changer la constitution pour que le mandat passe de 4 à 6 ans. Des journalistes occidentaux en sont sûrs, "Dimitri n'est pas celui qu'on croit, en 2012 il se représentera face à Vladimir". Blague.
Vladimir lui ayant fait comprendre qu'une velléité d'opposition vaudrait à toute sa famille éloignée et à lui même un sort comparable aux déchets envoyés vers l'incinérateur, Dimitri s'est effacé avec toute la discrétion d'un sénateur MODEM. Et là, ça devient beau : les duettistes de l'exécutif ont dévoilé leurs plans pour la Russie jusqu'en 2024. 2-0-2-4. Soit 24 ans de règne. Rappelons que les opposants (Kasparov, Limonov, Bogdanov, rayer la mention inutile) ont à peu près autant de chances d'être élu que Philippe Poutou (c'est le leader du NPA, je crains qu'en notoriété spontanée, il soit assez bas...) d'être appelé à remplacer François Baroin à Bercy d'ici avril prochain. Ce n'est donc pas impossible, maintenant...
24 ans. Une génération entière, à peine moins que Ben Ali, dix ou quinze de moins que Moubarak ou Khadafi, mais on reparle en 2023 : il peut le faire... Quand il annonce au peuple russe qu'il en reprend pour 13 ans par anticipation, pas plus de 200 manifestants sur la Place Rouge, tu parles d'une démocratie.... Et vous entendu Sarkozy, le nouveau hérault des droit de l'homme, s'élever contre cela ? Obama ? Cameron, Merkel, Zapatero, allo ? Bon.
Quand j'étais à St Pétersbourg il y a 2 ans (qui ne s'appelle malheureusement plus Léningrad), le fait même de prononcer le nom de Poutine entraînait une vague de soupirs. Pas des yeux écarquillés comme si nous étions en danger, pas des hourras non plus, non. Des soupirs. La dictature larvée. Celle qui a gagné car, après 70 ans de régime autoritaire, le peuple n'en peut mais de la politique. Alors, tant qu'on leur laisse un peu de liberté économique, ils sourient. Bien sûr, le nombre de nostalgique du communisme augmente chaque année, mais pas au point de se soulever contre Poutine. L'idée même de se lever n'existe plus chez les russes. Vous pourriez bien envoyer 2000 émissaires pour les booster via Facebook, la Place Rouge serait vide, devant nous marcherait Vladimir, il avait un joli nom notre guide, Vla-di-mir...
Demain, nous irons courir dans les allées de ce jardin progressiste, le Luxembourg
09:03 | Lien permanent | Commentaires (2)
23/09/2011
Prix des livres, vente de livres à tout prix et méfiance à tout prix...
Au fond, une des questions fondamentales à poser aux chroniqueurs littéraires (les critiques, c'est différent, mais ils ne sont pas légion) serait celle-ci : ce livre dont vous dites tant de bien, en diriez-vous la même chose si vous l'aviez payé ? Oui, comme cela, ça paraît anodin, mais je crois que cette question du prix n'est pas du tout assez étudié par les professionnels de l'édition quand ceux du disque savent qu'ils en ont crevé. Le problème lié à cette assertion initiale c'est un désaveu croissant vis-à-vis de la presse littéraire (ou prétendue telle), comme un écho sadique au désamour pour la classe politique: trop d'affaires, on ne leur fait plus confiance et ils ne sont plus prescripteur. La désertion des librairies est leur abstention et les critiques réagissent comme les gouvernants : tant qu'ils gagnent ou que leur poulain vend quand même, ils ne pensent pas à un aggiornamento.
Un constat d'abord: ce disant, je ne parle évidemment que de la création et des nouveaux auteurs. Le catalogue de poche est immense; et les nouveautés se transforment en poche 9 mois à un an après leur sortie en grand format. Par ailleurs, Internet et les revendeurs d'occas' permettent à qui veut de trouver des livres peu onéreux. Soit. Mais c'est un autre débat. Ce qui m'interroge est la question suivante: qu'est-ce qui pousse un être normal à mettre le prix d'un livre neuf ? Pour répondre à cette question, on peut proposer une typologie, forcément incomplète, mais qui tente de brosser un honnête portrait 4 ans après le superbe panorama de l'ami Guillot,
http://secondflore.hautetfort.com/archive/2007/07/30/la-p...
L'idée à chaque fois est de voir comment on parle de ces livres et comment cela se répercute sur les ventes (subjectif, les ventes des livres sont aussi opaques que les comptes de Balladur en 1993, les classements la FNAC valent que pouic).
Les livres à chouchous : ils sont légions et causent sans nul doute le plus grand discrédit de la part de la critique. Romain Gary s'était ému de voir dans les critiques des journaux un nombre de preuve flagrante qu'il n'était plus lu. On connaît la suite, Ajar, Goncourt, Gary et critique à nouveau fâchés... Rien n'a changé depuis, quand les critiques ont connu un emballement et accordé du talent à quelqu'un, impossible de revenir sur ce jugement premier. Même en dépit de l'entendement. N'accablons pas Foenkinos, objet de la haine de cette hyène de Yann Moix (le lancer est interdit, mais reste le combat de nains...) mais si son premier opus, inversion de l'idiotie, faisait montre d'originalité et de style, depuis qu'est-ce qu'on s'ennuie, qu'est ce que c'est bête... Pourtant, nombre de papiers parlent de "l'écrivain de la fragilité" soit ils n'ont pas lu ses livres, soit je ne vois pas... Idem pour Dantzig, son Dictionnaire était étourdissant et chapeau bas, mais ses romans "nos vies hatives" et "avion pour Caracas" sont si consternants qu'on en vient à subodorer qu'il a pris les Bogdanov comme nègres...
On pourrait continuer la liste, elle est infinie, mais juste un dernier : Bégaudeau. Reconnaissons beaucoup de qualités à "entre les murs" mais "la blessure" son dernier opus est si mal écrit, si bête, si bâclé, qu'envoyé par la Poste il ne serait pris nulle part ce qui n'empêche pas Arnaud Viviant et autre de déclarer, tranquille "c'est un authentique chef d'oeuvre".... La politique, je vous dis : à entendre toujours "il n'y a pas d'affaires" les électeurs se lassent et délaissent les bureaux de vote, cela ne veut pas dire qu'ils n'aiment plus la politique. Idem, les gros lecteurs se lassent de parutions survendus et relisent Gorki, Garcia Marquez et Victor Hugo...
Les livres à phénomènes: là, ce n'est pas une oeuvre que l'on vend mais un auteur. Un cas d'école à la rentrée : Marien Defalvard. "19 ans, il écrit comme s'il en avait 1000" nous apprend la 4ème de couv'. Tu parles d'un argument... Depuis Minou Drouet toutes les rentrées connaissent leur wunderkind mais rares sont les vrais élus : Radiguet, Sagan, Jean-Marc Roberts (ça baisse quand même...). Chaque fois, seule la personnalité de l'auteur est mise en avant. Soit sa jeunesse, sa vieillesse, son passé de taulard... et on ne parle pas du livre. Là, il suffit dans le cas de Defalvard de l'ouvrir au hasard l'impression est immédiate: du toc. Une cascade puissante et sans fin de phrases trop ourlées pour être honnêtes, une avalanche lassante d'adjectifs à la suite "il règnait une atmosphère poivrée, vinaigrée". Choisit, les deux ensemble ce n'est bon qu'en salade... Si je reviens à mon point de départ, qui, à part trois types qui l'on reçu gratos sont prêt à mettre 20,5 euros pour lire cette enfilade d'exercice d'auto admiration ? On se fait avoir une fois et on y revient pas... Le prochain génie, même si Alexis Genni, ou Tristan Garcia. On y revient pas.
Les livres à pitch: là c'est "Ticket d'entrée" de Macé Scaron, le "Britney Spears" de Jean Rolin ou les livres d'Eric Reinhardt. On ne parle pas du livre, mais les auteurs savent en parler en un pitch séduisant. Mon curé au Figaro Magazine dans le premier cas, un piéton cultivé dans le Los Angeles barbare dans le second pas, les ravages de la sexualisation du monde dans le troisième cas... Dans les trois cas, on ne parle pas des livres, de leur style (absence de dans le premier cas...) du mordant de l'histoire de ce qui nous captive ou pas... Des livres de parfois 500 pages réduit à un pitch séduisant, le lecteur qui a acheté le bouquin est écoeuré. Comme ces mensonges l'an dernier sur "l'odyssée aérienne" de Philippe Forrest, 500 pages où il règle ses complexes phalliques avec des métaphores avionesques oiseuses, pardon, mais qu'est-ce qu'on s'ennuie. Que des critiques en mal de prostate se soient reconnus, tant mieux, de là à crier au Proust d'Air France...
On pourrait continuer la liste avec les livres faits pour avoir des prix, les livres des fils de, des mères de (Houellbecq) et autres, mais le constat serait toujours le même. La critique continue, ronronnante, à ne pas parler des livres alors que les pages consacrées à l'actualité littéraire se multiplie mais l'on parle d'autre chose... Du coup, cela produit deux phénomènes nocifs pour les amateurs de livre : d'une part bien fait pour eux (mais en ont-ils quelque chose à cirer ?) la presse est de moins en moins prescripteur, ce qui est ennuyeux pour les nombreux auteurs peu diffusés qui compte sur elle. D'autre part, la méfiance du public le pousse de plus en plus vers un nombre restreints d'auteurs et à force d'avoir fait passer des mystificateurs pour les nouveaux Chateaubriand, les ventes moyennes des premiers romans ne cessent de s'étioler, de quelques milliers il y a 40 ans, elles s'établissent désormais à 617 en moyenne... Pas de quoi nourrir son homme et tout le monde n'est pas Orwell prêt à vivre dans la dèche à Paris et à Londres ou tout le monde n'est pas rentier comme Proust....
Tous les grands auteurs ont commencé par un premier roman qui n'a pas forcément marché (tout le monde n'est pas Laurent Binet) mais reste la question de savoir si on leur laissera le choix d'ne produire d'autre ou si comme André Blanchard, ils devront se contenter d'éditeurs périphériques (pas le Dilettante, ses autres éditeurs...).
Pour revenir au point de départ, que les éditeurs se préoccupent un peu plus du prix du livre et que les critiques parlent du livre : s'il y aura toujours 50 000 types pour donner 20 euros à d'Ormesson ou à Modiano, pour faire éclore les futurs le Clézio, un premier roman à 15 voire 10 euros serait pas mal, surtout si les commentateurs le vendent pour ce qu'il est...
07:50 | Lien permanent | Commentaires (8)