02/02/2021
Économie à 92%, mon cul
“Un statisticien est une personne qui peut avoir la tête dans un four et les pieds pris dans la glace et dire qu’en moyenne il se sent bien.”. J'ai repensé à cette plaisanterie éculée en entendant l'économiste de l'OFCE Eric Heyer vanter la résilience de l'économie française car "après un premier confinement où l'activité s'était contracté de 30%, elle ne s'est contracté que de 8% lors du confinement de novembre. Donc, elle tourne à presque plein régime". Et les intervieweurs et lui de deviser sur ces 92% avant, heureusement que la spécialiste de la dette Anne-Laure Kiechel ne rappelle que cela ne veut rien dire car les boutiques alimentaires, de bricolages ou de jeux vidéos font des années records, quand le monde de la culture et les restaurateurs en sont à envisager la corde comme seule issue...
L'anecdote est assez révélatrice du traitement trop souvent global de l'actualité sociale et économique par temps de Covid. En 2008, les banques étant à terre, toute la chaîne de financement de l'économie souffrait et, fatalement, tous les secteurs étaient plus ou moins touchés (sauf le recouvrement et les entreprises d'expulsions de logements avec impayés...), on pouvait regarder des grands indicateurs avec intérêt. Mais là, cette année, c'est une crise déclenchée où l'on décide de qui peut continuer, qui ne peut pas ; qui est "essentiel" ou "superflu" pour reprendre un distinguo précédent... Regarder la contraction économique du pays à un sens pour l'INSEE, pour les personnes chargées de calculer les rentrées fiscales ou, au contraire, les dépenses et prestations sociales qu'il faudra sortir, c'est tout.
Pour le reste, du sectoriel, du sectoriel, encore du sectoriel. 92% dans un pays riche, c'est mieux loti que nombre de cas, il n'y a pas de quoi s'alarmer. On n'est pas malheureux quand on est à 92%... C'est très rassurant, 92%. Mais alors que le chômage partiel commence à refluer en termes d'indemnisation, que nombre de personnes jettent l'éponge devant des PGE irréalisables, l'évidence est là : quand on va arrêter le respirateur artificiel des aides, le coeur de nombre d'entreprises culturelles, touristiques, industrielles, ne repartiront pas. Faut arrêter de dire 92% comme on rassure des malades de cancer en stade terminal avec des statistiques positives sur leur maladie en général sans parler de l'irrémédiable évolution de leurs tumeurs en particulier...
15:42 | Lien permanent | Commentaires (0)
01/02/2021
Privé de tout, y compris de vie privée
On parle beaucoup des "restrictions" ou des "limitations" sanitaires. Des termes empreints de raison, de rationalité. À table, quand on a la chance de pouvoir la garnir, il est de bon ton de savoir s'imposer des limites, faute de quoi on ne rentre plus dans nos vêtements et on roule sous la table. Aussi, on nous présente les mesures actuelles comme raisonnables, comme un peu moins d'hédonisme, à peine un sacrifice. En réalité, on est privé de tout, y compris de vie privée et ça a de de quoi rendre, littéralement, fou.
Au premier rang des privations, celle de travail. Je pense aux centaines de milliers de personnes, peut être plus littéralement empêchées de faire leur travail et de gagner leur vie avec cela. Dans le lot, il y en a sans doute qui n'aimait pas leur poste, leur chef et autre, même elles et eux, à choisir, préféreraient reprendre, retrouver la sociabilité du quotidien, des repères et une justification sociale dans un monde où notre rapport au monde est surdéterminé par notre profession. Et puis il y a la majorité, celles et ceux qui aiment, qui adorent leur job et qui ne comptent pas leurs heures. Ironie sombre, dans les entrepôts Amazon où la haine du taff est forte et l'emploi souvent subi, on est à 100% de présent.es, chez les ami.es du spectacle ou de la table, métiers choisis, privé de dessert, de plat, et même d'entrée. Et évidemment, à cette déprime profonde, s'ajoute la détresse sociale, chaque mois plus prégnante : même dans un État comme le nôtre où les amortisseurs sociaux sont puissants, le compte n'y est pas. Le maintien de l'intermittence ça ne sont pas les cachets, le chômage partiel ne compte ni les pourboires ni les extras qui représentent des sommes importantes pour toutes ces professions. Misère.
Du côté de celles et ceux qui travaillent, le premier flic de France a bien rappelé que la priorité c'est le télétravail. Un rapport de 2017 des Nations Unis disaient que 25% des travailleurs sur place éprouvaient du stress au travail contre... 41% pour les travailleurs à distance. Et pour cause... Personnellement, je me sens très libre à distance, mais 1/ Personne n'a de prise hiérarchique sur moi 2/ Je n'ai aucune pression financière 3/ j'ai été formé à ce que je dois faire donc je n'ai pas besoin d'interactions pour rendre mes travaux... C'est le cas de 1% des gens. Le complexe du petit.e chef.fe est évidemment exacerbé par ses situations, où la frontière vie pro vie perso n'existent plus avec des mails à heures délirantes, indues, week-end inclus et les subordonné.es se sentent obligé.es de répondre presta. Pour celles et ceux qui ont encore un travail, la vie se limite à ça. Misère bis, pas financière, mais misère quand même.
A part les soignant.es, (et encore...) et on les comprend, personne n'a intérêt aux privations que l'on subit. Les vieux veulent pouvoir vivre leurs dernières années en profitant des derniers plaisirs qui leur reste ; emmener des petits enfants goûter dans un café, aller à un spectacle. Les jeunes veulent vivre leur jeunesse à plein poumons et quoi de ne plus normal et nous voulons une vie plus étendue que travail, famille, patrie, puisque la dernière astuce pour limiter le virus, c'est de fermer les frontières. A défaut de Pétain, on pète un câble.
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30/01/2021
Y a commun manque
Dans un débat sur l'avancée de la recherche vaccinale, l'économiste Nathalie Coutinet de rappeler que les brevets sur les médicaments sont une invention de 1960. Auparavant, c'étaient des biens communs et on ne lésinait pas sur la recherche pour autant. On a trouvé des tas de nouveaux médicaments, des tas de nouveaux traitements, des nouveaux vaccins, le tout sans enrichir plus que de raison des labos qui n'étaient pas à plaindre pour autant, puisqu'ils vendaient leurs découvertes quand même. Ce simple rappel est une gigantesque gifle, un KO technique et absolu à toute la rhétorique de big pharma justifiant leurs marges indécentes, leurs profits colossaux et les salaires en millions d'euros des dirigeants de ces boîtes. Rien ne justifie ça. Gagner des millions n'est jamais justifiable, mais c'est bien plus révoltant quand on oeuvre pour la santé plutôt que pour des sacs, des voitures et autres biens superfétatoires...
Aussi, les arguments égoïstes de Pfizer et les autres ne tiennent pas, mais alors pas une seconde. D'ailleurs, le silence d'anges suspendus qui s'en suivit fut celui de la honte devant l'abandon des Communs. Face à elle, le dirigeant de Truffle company et fondateur de biotech voyait tous ses arguments sur "le coût de l'innovation" tomber... Sanofi est la 2ème entreprise du CAC qui reverse le plus de dividendes aux actionnaires, derrière Total et loin devant BNP Paribas. Les profits massifs ne profitent pas à la recherche, à l'innovation, ni même à l'emploi. Uniquement aux actionnaires. Les producteurs de biens communs sont plus rapaces que les banquiers privés...
Dire qu'il suffirait que Pfizer, Astrazeneca et consorts abandonnent leurs brevets pour que les usines des autres labos tournent à plein régime et permettent de passer la surmultiplié et de vacciner toutes celles et tous ceux qui le veulent. Ils ont quoi aujourd'hui ? 20% de marge, et bah ça se rachète ou ça se rackette. La disparition de Jack Ma en Chine a rappelé qui domine le rapport de force entre politique et privé. Non que ça soit un modèle de société, évidemment, que cette violentisation des rapports, mais on se pince tout de même face à l'angélisme et l'apathie de dirigeants politiques face aux caprices de labos avares et âpres au gain devant le hold up du millénaire. Sans aller jusqu'à envoyer l'armée récupérer les brevets dans les coffres forts des labos, on pourrait imaginer une compensation, un remboursement du minimum mémorandum de ce qui a été investi dans la recherche et hop, abandon des brevets.
Encore une fois, jusqu'à 1960, ça n'existait pas. Ça n'est pas une folle utopie, une illumination baba cool, mais le petit minimum a exiger en temps de guerre sanitaire... Nous avons les inconvénients de dirigeants de plus en plus autoritaires et même pas les avantages.
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