09/01/2021
Qui donne la liberté de s'exprimer ?
"En URSS aussi, il y a la télé dans toutes les chambres, sauf que c'est elle qui vous regarde" remarquait Coluche avec un mot qui n'a pas pris une ride. L'URSS s'est racorni, mais Poutine traque toujours très bien le périmètre de sa grande Russie et malheur à celles et ceux qui s'expriment contre lui, d'Anna Politkovskaïa à Alexeï Navalny. Ce qui a changé, peut être, c'est l'émergence de réseaux sociaux permettant à des voix individuelles de contourner les médias traditionnels pour obtenir des audiences démentielles.
Mais à l'Est, ce nouveau paramètre ne déstabilise pas les régimes : Weibo, le Twitter chinois, censure au préalable tous les mots qui peuvent ennuyer le régime, interdit la publication de messages visant à promouvoir des manifestations ou de la contestation. Et la terreur ne règne que par sur les humbles citoyens ; le richissime Jack Ma, fondateur d'Alibaba, le Amazon local, a cru bon de se moquer du régime dans des vidéos vues par ses millions d'abonnés. Il a disparu publiquement depuis plus de deux mois, alors qu'il communiquait quotidiennement. Le temps de réapprendre les bonnes manières, en somme. A l'est, rien de nouveau, la liberté d'expression s'arrête là où décident Poutine ou Xi Jinping, ou Erdogan...
A l'Ouest, c'est pas l'Eden non plus... Hier, Twitter a définitivement clos le compte de Donald Trump "pour protéger la sûreté de l'État et éviter des messages qui pouvaient appeler des violences". Après quatre années au cours desquelles la plateforme a engrangé des profits colossaux grâce aux fake news adressées multi quotidiennement par le compte de Donald Trump à ses 89 millions d'abonnées (89 millions, l'équivalent de l'Allemagne, quand même...), se couchant devant des milliers de messages racistes, misogynes, homophobes, factieux, s'est couché devant le locataire de la Maison Blanche. Les deux tweets incriminés hier n'ont rien, mais alors rien de plus répugnant que les autres, mais ils sont émis au moment où il est établi que Trump ne peut plus nuire. C'est d'une couardise folle. C'est un geste de laquais, destiné à rassurer les Dems qui arrivent. Qui va inévitablement galvaniser les fascistes soutiens de Trump qui le suivront pour lancer sa prochaine plateforme. Trump a désavoué Fox News, trop timorée, pour aller vers une chaîne beaucoup plus droitière One America Network. Laquelle chaîne a une conception très évanescente de l'éthique, de la vérité, des faits. C'est ce genre de forum et plateforme qui agrègent les types qui sont rentrés dans le Capitole et qui ne seront pas jugés ou inquiétés pour leur tentative de putsch. Ça n'est pas parce que leur action fut au final plus grotesque que violente qu'il ne faut pas sanctionner très violemment ce crachat à l'essence de la démocratie, cet appel au fascisme. Et ils ont le droit de s'exprimer, donc.
Il doit bien exister une troisième voie entre la liberté de s'exprimer interdite par des dictateurs, et une vision libertarienne où on laisse tout faire pour ne pas contredire le capital (encore une fois, on laisse faire au nom du libre marché). Le modèle européen diront les enthousiastes et j'aimerais en être, mais tant qu'on laissera Orban, Kaczyński et autres censurer et museler tant et tant, on ne sera pas crédibles.
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07/01/2021
L'éléphant religieux dans la Maison Blanche
« Dieu, des Armes et Trump » disaient les T-Shirts de l'armée d'opérette rentrée dans le Capitole, hier. "Dieu nous donne le pouvoir, pas le gouvernement" pouvait-on entendre de la bouche de ces mêmes manifestants. Le motif religieux ne fait pas l'ombre d'un doute et pourtant ce matin, il est en sourdine dans le commentaire sur l'action des factieux.
Depuis sa campagne victorieuse de 2016, la base la plus solide de soutiens de Donald Trump ne sont ni les financiers, ni les magnats du pétrole, mais les fous de Dieu. C'est documenté, consigné, chiffré. Au cours de ses quatre années de mandats, il a fait des reculades sur le terrain économique ou social, sur le champ international comme migratoire, jamais sur les convictions religieuses, que ça soit au sujet de l'avortement ou de la reconnaissance des droits des LGBT. Ceux qui soutiennent l'action armée, illégale, qui s'assoient sur la légalité de la Constitution, ça sont des milices d'extrême-droite, d'accord, mais dont un très très grand nombre sont poussés dans leur croisade par des motifs religieux.
Imaginons qu'une intervention semblable ait eu lieu hier par des personnes animées d'une foi différente, tout le monde parlerait de terrorisme, de fondamentalisme et ils auraient raison. La timidité à dénoncer ça pour les soutiens de Trump, ne pas parler du séparatisme religieux qui a gagné dangereusement du terrain en quatre ans, c'est un silence coupable.
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06/01/2021
Sans déconner
Dans une chronique savoureuse dont il a le secret, François Morel racontait qu'un jour en loges avec Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle, une télé allumée montrait Frédéric Mitterrand qui discourait.
Marielle : qu'est-ce qu'il fout là, celui-là ?
Rochefort : bah, c'est notre ministre ! Le nouveau ministre de la culture.
Marielle : Sans déconner !
Et Morel de gloser sur les registres de "sans déconner", ni outrancier ni feint, simplement une forme de sidération redoutant d'être bientôt dépassée par une blague plus grosse encore. Et bien c'est exactement ce que j'ai ressenti, hier, en apprenant qu'Agnès Buzyn était nommée au cabinet du directeur de l'OMS. Agnès Buzyn, celle la même qui a quitté le ministère de la santé pour la mairie de Paris en février, pensant que la pandémie n'arriverait pas en France, promue au sein d'une instance mondiale. Agnès Buzyn n'est évidemment pas dépourvue de qualités professionnelles, mais pourquoi diantre ne redevient-elle pas médecin ? Pourquoi ne va-t-elle pas diriger une clinique privée, faire profil bas, retourner au contact de malades ?
D'ici quelques mois, nous retrouverons bien Benjamin Griveaux dans ce genre de poste trop copieux eu égard à son bilan, j'en suis certain. On ne compte plus celles et ceux de nos responsables politiques qui, après des échecs incroyables (je ne parle pas de défaite électorale, mais de gestion désastreuse des affaires dont elles et ils avaient la charge), vont directement à la case planque dorée sans passer par le retour à la base : parfois à la Commission Européenne, ou d'autres postes bruxellois (comme Harlem Désir, représentant pour la liberté des médias à 10 000 euros par mois non imposables après 3 années ectoplasmiques aux affaires européennes) parfois au CESE, ou dans des comités Théodule, aux rémunérations et avantages souvent replets qui finissent toujours par faire l'objet d'un article dans le Canard Enchaîné.
Chacune de ces nominations, chacune de ces promotions matérielles (à défaut de symbolique) est un clou de plus sur le cercueil de la démocratie. Ces navrantes prébendes sont évidemment le meilleur carburant des autocrates et autres candidats "anti système", de Donald Trump à Boris Johnson en passant par Beppe Grillo, tous visaient la corruption "d'élites" auxquelles ils appartiennent bien sûr, mais peu importe, ça passe. Quand on est élu.e publique, quand on exerce une fonction publique, d'intérêt général, on ne peut plus se permettre ça, faute de quoi on déballe le tapis rouge à pire régime encore.
Pourtant, le problème n'est pas lié au "politique", ce n'est pas un mal public, loin s'en faut. Ça, c'est ce que serine la fable libérale qui voudrait faire croire que "dans le privé, on prend des risques et quand on se plante, on se plante cash et on recommence en partant de la base, en vendant des hot dogs". Le regretté David Graeber dans "Bureaucratie" explosait cette bulle de mensonge pour montrer que c'est un problème d'endogamie des élites et que le privé recyclait tout autant celles et ceux qui ont échoué avec des émoluments hallucinants.
On ne compte plus les PDG qui sont appelés à la rescousse pour prendre la tête de multinationales après en avoir planté d'autres, avoir licencié en masse, brisé des milliers de familles. Pour eux (rarement "d'elles" dans les patrons), aucune opprobre au motif, très raccourci, que ça n'est pas de l'argent public. Le vrai problème c'est l'incommensurable sévérité des élites privées comme publics pour l'échec des autres et l'incroyable douceur, voire légèreté, avec laquelle ils jugent leurs propres fautes.
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