09/04/2017
Une fin de campagne irréelle
"Je voulais vraiment voter Hamon, mais comme il s'effondre dans les sondages, je pensais voter Mélenchon pour faire entendre la vraie gauche. Mais maintenant que Mélenchon est presque au 2ème tour, j'ai peur qu'il perde contre Marine le Pen alors du coup je vais voter Macron au 1er tour. Ce qui m'ennuie quand même un peu parce que j'aime pas du tout Macron, mais bon il nous protège mieux de le Pen que Mélenchon. Ou que Fillon". Ces propos n'ont rien de fictif, ils sont un des scenarii entendus en terrasse de café illustrant au mieux ce que les commentateurs ont appelés "électeurs stratèges" façon un brin pompeuse d'appeler des électeurs déboussolés. Que l'on change d'intention de vote une fois, bien sûr, c'est le propre des campagnes, mais trois, quatre, cinq fois, en vue de putatifs second tour...
On pourrait avancer que c'est la démocratie en continue, de la fluidité, la chance de ne plus être tenu par des consignes de vote ou des appartenances partisanes. Argument joyeux littéralement torpillé par les études qualitatives qui font toutes ressortir que les stratégies de vote sont mues par le dépit : le vote de conviction est tripal, dès qu'on se fie aux sondages, c'est le fruit de compromissions. Et cette emprise sondagière, qui a toujours existé est rendue plus forte par les chaînes d'info en continu et les réseaux sociaux, double caisse de résonance.
Encore une fois, comme pour les primaires, on colle aux moeurs américaines qui ne peuvent nous convenir et ce pour deux raisons. D'abord, parce que là où la logique bipartisane américaine tend surtout à observer des dynamiques particulières : dans les swing states, les votes par catégories (latinos, noirs, LGBT, femmes, hommes blancs, diplômés/non....) et le degré d'abstention, notre représentation à onze candidats biaise le jugement de l'électeur militant pour aller vers le turfiste amateur de quinté +. Ainsi, l'électeur de Clinton pouvait juste se dire qu'il fallait davantage mobiliser et celui de Trump passait d'une certaine apathie à la croyance dans une possible victoire. Mais ce, sans jamais changer leur bulletin de vote en fonction de cela. Notre multipartisme pousse à des résultats différents. On le voit avec les électeurs de Hamon : quand les sondages le donnait très haut, ils exigeaient le retrait de Mélenchon pour une candidature unique ; quand les courbes se sont rapprochées, ils voulaient une discussion pour envisager lequel des deux devait se maintenir et depuis vendredi où le candidat Insoumis est crédité de plus du double de Hamon, on ne les entend plus guère évoquer le sujet. Et, il y a fort à penser que les deux dernières semaines de la campagne vont aller dans le même sens : les plus à gauche voteront Mélenchon pour propulser "une vraie gauche" au deuxième tour, les plus réformistes voteront Macron pour contenir une insoumission trop radicale à leurs yeux...
On peut faire le décalque à droite. On voit bien que Fillon a cessé de perdre car nombre d'électeurs trop énervés par cette défaite impossible de la droite française se résignent à voter pour lui malgré les affaires, à cause de sondages le donnant perdant au premier tour. Camouflet impensable D'autres iront voter Dupont Aignan pour marquer leur désapprobation morale, mais sans mettre le Pen trop haut. Des électeurs de le Pen se rabattront Fillon pour éviter que Macron ne soit élu... Ad nauseam.
Et donc, autre étage de la fusée sondagière, l'élection à deux tours qui n'existe pas aux Etats-Unis. Depuis quelques temps, une petite musique a décrété que "Macron est le plus à même de battre le Pen, 60/40, c'est sûr et certain, signez ici ma bonne dame". Je ne dis pas que c'est faux, personne ne peux affirmer ni infirmer, je dis que c'est exactement, au mot près, les arguments employés par le staff de Clinton pour décrédibiliser Sanders. "On adore Bernie, il a un super programme, mais là, on parle de la Maison Blanche, il ne faut plus être sympathique mais capable de gouverner". Ad nauseam. On connaît la suite. La suite, c'est que les peuples d'un nombre croissant de pays ne veulent plus se faire dicter leurs votes par une doxa et des sondages outrancière à sa façon. Incapables de se remettre en cause, rappelant aux candidats comment il faut se vêtir ou se comporter sur un plateau télé, voilà que les éditocrates veulent nous pourrir nos envies de vote quand ils devraient nous féliciter de participer à cette mascarade qui a réussi à écoeurer 1/3 des français. A cause de tout cela, cette fin de campagne est irréelle et il y a autant de rationalité à parier sur l'un des quatre candidats en tête qu'à miser à la roulette...
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06/04/2017
Chassez l'establishment, il revient au galop
Rien ne se passe comme prévu dans cette élection, mais tout se commente comme d'habitude. Le décalage est patent entre un fond de la campagne plus que frénétique et le récit bonhomme, patelin, qui en est tiré. Jamais une campagne n'a été autant couverte, autant suivie, mais on ne peut pas dire que la qualité soit au rendez-vous de cette emprise totale. D'abord, l'abstention mesurée (la seule abstention qui comptera sera celle vraiment observée les 23 avril et 7 mai) semble dépasser des records historiques et force est de constater que ça n'est tout bonnement pas un sujet.
Un tiers d'abstentionnistes déclarés n'empêchent pas nos éditorialistes et autres de finir leurs analyses sans en tenir compte autrement que "on note un gros niveau d'abstention, on la redoute, reste à savoir à qui elle va profiter". Et là, les bras vous en tombent. Admettons que l'on atteigne ce score de 35% d'abstention, plus du double de ce que l'on a eu en 2007, 15% de plus qu'en 2012, cela mériterait tout de même un traitement particulier. Pourquoi pas adapter les règles d'égalité du temps de parole avec l'abstention en organisant des grandes soirées électorales pour donner la parole à ceux qui ont décidé de s'abstenir, qui revendiquent un vote blanc, une abstention militante. Après tout, il y a de grandes chances que l'abstention finisse premier parti de France, il n'y aurait rien de choquant à ce que l'on consacre plusieurs grandes soirées électorales aux raisons du doublement de non mobilisation partisane alors même que l'offre est pléthorique. 11 candidats et autant de français qui se sentent non concernés, ça mériterait bien que l'on se prive d'Emmanuel et Brigitte Macron en couverture de quelques hebdomadaires, de quelques éditoriaux sur les ralliements de tels et tels du PS à un candidat ou d'émissions vibrantes d'ennui sur "que vont faire les sarkozystes ?". Le dégoût des partis traditionnels et des solutions néoclassiques n'interroge juste personne dans les grands médias. C'est hallucinant. L'indécision électorale, ça oui, ad nauseam parce que ça les affole le fait que la course de petits chevaux soit plus animée que d'habitude et ça occupe "vers qui se reporte les défections d'Hamon ?", "à qui profite le Pénelopgate" bla bla bla.... On adore commenter ces mouvements dans les marges, mais le ras de marée abstentionniste, que dalle. Malsain.
Ensuite, le niveau inouï de suspicion à l'encontre de deux candidats avec des affaires ne fait plus débat depuis environ un mois. Bien sûr, il est pénible de ne parler que des enquêtes en cours plutôt que de leurs programmes, m'enfin la responsabilité en revient à ceux qui se présentent malgré le tombereau de faits accablants qui arrivent chaque jour. Ce matin sur France Inter, Fillon expliquait tranquillement qu'il y avait nombre de questions auxquelles il ne souhaitait pas répondre. Sur ses économies, son patrimoine, son train de vie. Voilà un homme qui a gagné 24 000 euros par mois depuis 5 ans et qui n'a pas un euro de côté sur sa déclaration publique. Ca peut à minima intriguer. Ajoutez à cela qu'une part importante de ces subsides sont issus de conférences données pour des ploutocrates russes, ça mérite qu'on en cause. Que Fillon ne souhaite pas commenter ces révélations, on le comprend, que Patrick Cohen ce matin, comme Namias hier et sans doute Pujadas une autre fois, ne relancent pas à la manière de certains journalistes anglo saxons, ça n'est tout bonnement pas audible. Suite à l'algarade bien légitime de Philippe Poutou, nombre de commentateurs (tous ceux de C dans l'Air, Anna Cabana sur BFM et d'autres) ont trouvé le candidat ouvrier grossier. On se pince devant cette inversion de la réalité. Mais prière de ne pas déranger pendant la campagne, Fillon c'est la droite républicaine et donc on commente jusqu'au bout son programme et on ne parle plus de Pénélope et des enfants...
De même, les responsables du FN n'ont généralement qu'à balayer mollement d'un revers de main les questions concernant le détournement manifeste de fonds européens. Une question et puis s'en va... Pire, les commentateurs avancent, résignés, que "cela ne décourage pas les électeurs FN". Et alors ? Les dernières révélations du Canard montrant que David Rachline, directeur de campagne de le Pen, a touché des revenus de la Région Hauts de France alors même qu'il est maire de Fréjus, ça vaut bien quelques relances. Essayer au moins ! Mais non, abandon en rase campagne pour poser des questions sur le nombre de fonctionnaires ou le niveau de vie après la sortie de l'euro... Hors affaires, il y a d'autres questions à poser aux responsables FN : 76% des français sont opposés à la préférence nationale, proportion en hausse constante et là encore, avez vous entendu des questions là dessus ? Inouï... Inouï est d'ailleurs sans doute le terme qui désigne le mieux ce décalage entre la campagne à laquelle nous assistons tous et la glose qui nous est servie. Celle-ci nous dit juste, au fond, qu'alors même qu'ils sont idéologiquement et politiquement conspués de toutes parts, les membres de l'establishment sont tout bonnement incapables de l'admettre et d'en tirer des leçons. Navrant...
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31/03/2017
Et le Front Républicain, bordel ?
La seule certitude que nous avons pour le 7 mai, c'est que ça n'est pas joué. Il y a 5 ans, à la même époque, Hollande était à peu près assuré d'être président et il y a 10 ans, Sarkozy avait irrémédiablement dépassé Royal. Il faut remonter à 2002 pour ne pas avoir de vainqueur certain. Bien malin qui pouvait dire alors, qui l'emporterait de Chirac ou Jospin. Et vlan, ce fut Le Pen qui coiffa Jospin au premier tour, mais reflua en % avant le second tour grâce à un Front Républicain massif. 82/18. Quand on regarde ces chiffres aujourd'hui, on se pince. Même Poutine n'ose pas un truc aussi gros, il laisse ses opposants à plus de 30%, ça fait plus crédible... Ca tombe bien, ça n'arrivera plus. Pas 80/20, pas 70/30, et sans doute même pas 60/40. Or, une fois que nous sommes en dessous de cette barre, force est de reconnaître qu'on ne peut pas affirmer qui sera le vainqueur avec certitude. Comment avons nous pu dilapider une telle avance en quinze ans ? Comment avons nous pu perdre autant d'électeurs qui ont délaissé ce principe du Front Républicain en si peu de temps ? Voilà les questions que nous devrions nous poser, mais que nous éludons bien vite par crainte que cela ne renforce encore le FN. Nous en sommes venus à douter de la supériorité ontologique de la démocratie
Lundi, un ami politologue voulait me rassurer et tenta de me démontrer, chiffres en main, que la force de ceux qui ne veulent absolument pas du FN était encore supérieure à ceux qui pourraient se laisser tenter par un vote Bleu Marine. Et ce chercheur de s'appuyer sur les régionales 2015, pensant me calmer. Tu parles... Xavier Bertrand n'a battu Le Pen que 54/46 dans le Nord. La présence du FN n'a mobilisé personne au secours de la République attaquée : 38% d'abstention au second tour. Le double de 2002 où la présence de Jean-Marie le Pen avait mobilisé massivement. Ca non plus, ça n'arrivera pas en mai. Le FN n'est juste plus un repoussoir absolu pour nombre de nos compatriotes et 2017 s'annonce bien plus comme 2015 que 2002. Un électeur sur trois restera chez soi et refusera de choisir entre une fasciste et un démocrate. Une abstention militante, pour beaucoup, une abstention motivée, réfléchie. Une abstention semblable à ce que définit Antoine Peillon dans son livre, un ras le bol démocratique, une exigence de salubrité publique qui ne se retrouve dans aucun des bulletins de vote. Cette abstention résulte de 30 ans de politiques trop semblables, depuis que la gauche de 81 a renoncé à faire du 81, d'ailleurs, depuis la chute du mur, en tout cas. Je ne reviens pas sur leurs motivations, je peux les entendre et me hâterai bien de les juger.
En revanche, il y a une frange grandissante d'électeurs pour qui le barrage n'est plus évident du tout. Pour qui la ligne de démarcation entre la démocratie et l'autoritarisme pour être poli ou le fascisme pour être plus clair, n'a plus de sens. J'en ai entendu de toutes parts. Toutes les franges de l'électorat. Même si ça me coûte de le dire, une petite partie des électeurs de Mélenchon au premier tour veulent avant tout renverser la table et en cas de second tour sans lui, voteraient le Pen pour avoir vraiment "autre chose". Minoritaires, bien sûr, mais ils existent, j'en ai rencontré. Ainsi, un jeune électeur insoumis, un peu en échec scolaire et finançant ses sorties avec un job ultra précaire (livreur pour je ne sais plus quel start up) me disait son ras le bol en ces termes : "Macron/Le Pen, je vote contre l'uberisation de l'économie, je vote Le Pen". Alors bon, on peut discuter, lui montrer qu'il se trompe. Mais dans un premier temps, il faut entendre son écoeurement. La France a un problème de formation plus que de chômage des jeunes. Les biens formés, bien orientés, trouvent rapidement. En revanche, nous laissons 1/4 de nos jeunes sans solutions et ils sont de plus en plus nombreux à partir chaque année tenter leur chance à l'étranger. Voilà le genre de signes qui devraient nous alerter. A côté d'expatriations exotiques ou voulues, un nombre croissant d'expatriations contraintes, voire écoeurées par un marché du travail fermé, vicié, quand ça n'est pas discriminant....
A côté, j'ai entendu plusieurs macronistes me dire qu'en cas de second tour fictif Mélenchon / Le Pen, ils n'iraient pas. La peste brune n'est pas acceptable certes, mais ils ont peur des drapeaux rouges. Leur gourou peste contre "la gauche de 81", c'est dire s'ils sont cohérents... Eux qui nous donnent des leçons de réalisme et de pragmatisme républicain ne seraient plus capables de choisir ? Bah bravo... Que feront-ils si jamais, ce qui n'est pas si improbable, le second tour oppose Fillon à le Pen. Le programme économique de Fillon est si proche du leur qu'ils devraient logiquement le rallier, mais le résultat des projections sondagières montre que cela n'est pas si sûr. Et pour cause, les faits reprochés à Fillon sont si édifiants, le fait qu'il soit toujours candidat tellement improbable et nous rapprochant tellement d'une république bananière, qu'il est difficile de faire de Fillon le sauveur et le garant de la démocratie. Faire de Fillon un parangon de République c'est impensable, c'est le nom de son parti, mais c'est bien la seule chose qui le rapproche de ça...
Et puis il y a l'hypothèse pour l'heure majoritaire d'un second tour Macron/Le Pen, où l'on voit que le jeune maverick n'a pas encore partie gagnée, lui non plus. Sur le papier, un mec issu de la gauche avec un programme économique de droite devrait rassembler très large. Et beh non. Plus large que d'autres, certes, mais pas un ras de marée non plus. La moitié des électeurs de Fillon iront voter pour Marine le Pen pour faire une union des droites et un nombre très grand d'abstentionnistes du premier tour ne verront pas de raison de se déplacer. Un grand nombre d'électeurs de gauche du premier tour restera chez eux répondant à l'appel de Ruffin "plus jamais le PS" en oubliant que Macron, techniquement, n'est pas socialiste. Macron, pas plus que les autres, ne peut empêcher ce doublement de l'abstention qui nous pend au nez. Si jamais nous réchappons à une présidente FN, un Grenelle de la démocratie s'imposera. Je doute qu'il ait lieu au sens institutionnel, mais un Grenelle dans la rue, dans les amphis, dans les champs, pourquoi pas. Pas de raison qu'on invoque la modernisation partout et que l'on conserve des institutions archaïques.
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