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20/03/2017

Variations sur les normes

timthumb.jpgEn démocratie, l'autoritarisme se cache dans les normes. Ce sont elles qui illustrent le mieux le caractère obsolète de nos institutions : l'absence de débats pour nous imposer des décisions dont nous ne voulons pas.

La justification des normes peut prendre plusieurs tournures, mais le "on nous a dit que c'était comme ça" passant mal, on brandit de l'urgence mondiale, la catastrophe imminente a tort et à travers. Essayez de fumer à moins de vingt mètres d'un non-fumeur, vous aurez bientôt une amende. Oubliez votre sac 30 secondes quelque part, il sera pulvérisé. "Normes sanitaires/sécuritaires". Circulez. Dans le même temps, les mêmes responsables oublient le glyphosate, autorisent de la vaisselle plastique et lavable dans les cantines scolaires même si l'on ignore le devenir toxique de ladite vaisselle après lavage, massacrent la planète avec la bénédiction de ceux qui changent les normes du jeu pour rendre le massacre si ça n'est acceptable, du moins légal. L'avenir de la démocratie, c'est reprendre la main sur ces directives qui changent concrètement la vie de tous et qui sont décidées par une poignée.

Hier avec l'amoureuse nous finissions notre week-end et arrivons au cinéma pour voir une merveille de Kaurismaki, le film finissait 20 minutes avant notre train, le pied. Refus de la caissière du cinéma "normes de sécurité" dans ce petit cinéma d'art et d'essai. Je propose d'ouvrir les valises. Elle ne veut rien entendre. Nous filons à la gare, tant pis on payera une consigne "l'etat d'urgence a fait supprimer les consignes dans les gares pour cause de terrorisme" me dit l'agent sncf devant la gare déserte... il reste 10 minutes avant le film, nous croisons un hôtel Mercure. Et fonçons. La préposée écoute notre requête et nous fait la même réponse navrée "valises = terrorisme". Nous faisons alors la tête dépitée du chat dans Shrek et soudain elle dit "pour 2h seulement hein? Venez laissez les moi". A quoi ça tient, la désobéissance civile. (Et merci madame)

12/03/2017

Culture et accélération, piège à cons

20160506000735_Auto_acceleration_3.jpgLe temps est le seul actif incompressible, non modifiable et égal pour tous. Une minute de Bill Gates passe à la même vitesse qu'une minute pour un quidam. On peut jouer un peu sur le sommeil, vieillir en meilleure santé et obtenir, grâce à sa fortune, que d'autres fassent pour vous un certains nombre de tâches domestiques. On peut, mais même en étirant au maximum les inégalités de temps libre n'ont rien à voir avec celles de richesses. Au fond, on est toujours face à soi même dans son rapport au temps, nos choix, nos contraintes ou envies.

Dans une société fondée sur la consommation, le temps est l'ennemi, la limite. Dans "le capitalisme à l'assaut du sommeil", Johnatan Crarry montre les avancées marketing pour essayer d'optimiser, de traquer, de débusquer des consommateurs y compris la nuit, mais nous arrivons au bout. Nous ne pouvons guère réveiller davantage, interpeller ou harceler davantage, alors l'autre solution c'est d'accélérer. Après tout, le temps c'est de l'argent, adage bien connu pour les transports : le TGV c'est mieux que les cars, mais c'est plus cher, aussi. L'argent vous permet des accès privilégiés, premium, avec moins de monde. Avoir une prise plus rapide avec le savoir. C'est là où le solutionnisme entre en scène : le mythe du savoir infini à portée de smartphone. "Cultivez-vous à l'infini. Maintenant !", vous hurle le petit lutin messianique...  Après cela, il y a le temps qu'il faut pour découvrir des oeuvres et celui-ci est incompressible. Pas de pot. 

Dans le film "bande à part", les 3 héros de Godard traverse le Louvre en 9 minutes 43. Fort bien. On peut. Qu'en aura t'on retenu à une célérité où Vermeer, Vinci et Rembrandt sont identiques ? De même qu'on peut acheter des tas de livres pour tapisser ses murs et impressionner ses hôtes. Mais quel temps s'accorde-t-on pour les lire ? C'est là le hic. 2,4% des acheteurs du pavé sur le Capital de Thomas Piketty en sont venus à bout (le Castor fait partie de cette minorité, avec, concédons le, une certaine opiniâtreté car le plaisir de lecture n'est pas présent de bout en bout des 1000 pages... ), classique des pavés livresques aux auteurs affables en promotion, mais au propos moins emballants : Sarte avait fait le coup avec "l'idiot de la famille" et Johnatan Littel itou avec son roman fleuve "les bienveillantes".

La start up Koober s'engouffre dans cette brèche avec une proposition moisie : résumer les livres pour vous permettre de les lire plus vite. Et donc d'en lire plus. D'augmenter son savoir. Lire Proust en moins de deux heures, c'est bien une idée de génie, non ? Quelle misère... Quelle incommensurable misère humaine, à quel point faut-il être malheureux, complexé, dégoûté et peu curieux pour s'abaisser à faire sans contrainte ce que les cossards lycéens faisaient sous la contrainte de la dissertation à venir avec la collection "le profil d'une oeuvre". 

Cette tendance au speed, que ce soit reading, watching, seeing a quelque chose de navrant et d'un peu désespérant, c'est une négation de l'existence. Vivre, c'est choisir. Notamment pour les adultes. Connaître nos limites, connaître nos envies et nos goûts et ne pas nous contraindre à suivre la voie du reader digest. Ma première tendance quand je songe aux utilisateurs de Koober, comme pour ceux qui regardent les films de Fellini c'est d'éprouver beaucoup de commisération, presque de la pitié. Et puis, quand j'y réfléchis, ça ne tient pas : je ne peux pas ne pas les mépriser.

Quand je lis toutes ces ruses, stratagèmes et autres innovations visant à libérer du temps pour le savoir, je me dis que l'on détourne la seule question qui vaille : pourquoi tous ces acheteurs, ces utilisateurs, ces consommateurs culturels ont-ils si peu de temps ? Car ce ne sont pas les gros lecteurs qui ont besoin de davantage de temps pour lire. Ceux qui sanctuarisent des soirées pour aller au concert, au théâtre ou autres spectacles vivants ne s'abaissent à consommer ces ersatz culturels. Savoir déconnecter pour se plonger dans une oeuvre n'est pas une obligation, s'ils ne veulent pas le faire, pourquoi avoir besoin du vernis ? Je vois des newsletters et des starts ups se créer sur ce marché de la peur du vide culturel : en 2 minutes par jour, ils vous promettent de vous fournir le nécéssaire pour briller en société. Ceux qui y croient valent les gogos qui appellent les médiums promettant le retour de l'être aimé...

Encore une fois, retournons la question contre eux ? Pourquoi ont ils si peu de temps à consacrer à la culture si elle leur importe tant que ça ? A quelles si nobles activités consacrent ils les 23h58 quotidiennes qu'ils ne peuvent consacrer à la culture ? Tout cela n'est guère sérieux et la proposition de Macron de chèque culture de 500 euros va dans le même sens, du gavage d'industries culturelles. Tout cela est à la curiosité culturelle ce que la prostitution est à l'amour. Tristesse ultra moderne, en somme... 

 

 

 

11/03/2017

Pensons à la Culture pour réhabiliter le protectionnisme

S'il est bien un mot épouvantail pour l'establishment, c'est bien "protectionnisme". Dans un monde global, ouvert, moderne, comment certains osent-ils vouloir remettre des murs, des barrières, des protections ? Voilà le piège rhétorique des libéraux : décrédibiliser, ringardiser, poujadiser systématiquement ceux qui veulent élever des protections. Il faut dire qu'entre la politique inhumaine d'Orban à celle tout aussi folle de Trump avec son mur mexicain, le protectionnisme a mauvaise presse. En 2011 Montebourg avait essayé de le relancer avec une trouvaille mercatique "le protectionnisme intelligent". Mais le discours qui en découlait ne l'était pas et sa "démondialisation" a coulé avec lui... Dire qu'on va taxer fièrement les marchandises extérieures quand votre consommation en dépend grandement est plus qu'épineux, suicidaire. Comment expliquer à des personnes dont les revenus mensuels sont faibles, comment dire à ces 12 millions de français qui sont à 50 euros près à la fin du mois et pour qui le meilleur produit est celui qui est le moins cher, qu'il va falloir payer double ? Si nombre d'entre nous sont près à payer plus cher pour des produits fabriqués en France, il faut voir l'ordre de grandeur et surtout les familles de produits en questions. Le problème de Montebourg était qu'il proposait un protectionnisme aveugle comme celui du FN et donc, s'exposait à doubler le prix des produits qui viennent de Chine : bon courage pour aller expliquer les bienfaits de la mesure lorsque les écrans plats et smartphones seront devenus inabordables pour l'écrasante majorité de la population mais que le prix du kilo de tomates françaises concurrencera enfin celles du Maroc. La bataille du cheval de l'alouette connaît son issue avant de débuter... 

Faut-il pour autant jeter toutes idée de protectionnisme ? Non. Je ne comprends pas le manque de volontarisme ou d'extension de mécanismes qui ont fait leurs preuves en plein et en creux. L'intermittence est aux yeux de Bruxelles une aberration, du chômage maquillé. Le prix du livre unique est aux yeux de Bruxelles et des Etats Unis une loi stalinienne, une insupportable entrave à la liberté du marché. Nous les avons maintenus pourtant, et à raison. L'intermittence ? Nous avons un dynamisme culturel envié par le monde entier avec une extension sans égal du nombre de manifestations culturelles qui font vivre les territoires, des emplois non délocalisables, des emplois qui ruissellent plus sûrement que le trickle down : la culture déclenche toujours un boom pour la restauration, l'hôtellerie, les commerces... Nous avons une vitalité indéniable du spectacle vivant, doublé du cinéma le plus dynamique d'Europe, non pas par "tradition" (l'Italie en a aussi et le cinéma italien s'est écroulé) mais bien par des mécanismes d'aides bien pensé. Le prix du livre unique ? Lors de mon dernier séjour en Californie, mes amis me faisaient visiter les librairies comme des musées tant elles ont toutes fermées ces dix dernières années. Nous, non. Quelques unes ont bien disparu, bien sûr et la situation est souvent préoccupante, mais en ayant pas distordu la concurrence avec Amazon, en soutenant fortement l'implantation de ces commerces en soulignant leur spécificité et en leur accordant un avantage comparatif sur les boutiques de fringues, la France compte encore le plus grand réseau de librairies au monde et les auteurs qui peuvent y signer, lire et rencontrer leurs lecteurs, remercie cette loi de Lang jamais détricotée. 

Ces mécanismes agacent donc, et pourtant ils marchent. Comme les clauses sociales dans les marchés publics qui font regimber ceux qui voudraient un marché entièrement dérégulé avec possibilités de généraliser le recours aux travailleurs détachés... La commande publique peut et doit aller plus beaucoup plus loin dans le protectionnisme. Il y a un exemple évident, sous nos yeux, d'utilité publique et de salubrité pour les générations à venir : généraliser le recours à 100% de nourritures locales dans les cantines, si possible bio. Aux Etats-Unis et au Canada, nombre d'élus locaux imposent désormais ce genre de clauses socialement et écologiquement vertueuses. Avec les rentrées fiscales induites par les travailleurs locaux, les départements pourraient compenser l'écart de prix en versant une aide aux établissements scolaires directement. L'équation gagnante pour les petits et leur santé, et pour les grands, avec l'emploi en local. Ne laissons pas le monopole du volontarisme aux populistes, bordel.