08/05/2017
La France ne sait pas ce qu'elle veut, mais sait ce qu'elle ne veut pas.
Quel étrange sentiment ce matin. Le président avec la base d'adhésion la plus faible de la Vè essaye de nous faire le coup du plébiscite giscardien du 2 français sur 3. Au lieu de la jouer profil bas, Bayrou, Griveaux, Ferrand et autres spadassins de la Grande Marche bombent le torse et tentent un rapt de l'opinion. Pas sérieux... Déjà, au premier tour près d'un électeur sur deux de Macron n'avait pas voté pour lui, mais uniquement pour éviter Fillon / Le Pen. 45% avouent avoir voté uniquement utile et pas par adhésion. Au second tour, toutes les voix s'ajoutèrent à contre coeur sur Macron, pour s'éviter le cauchemar le Pen. Et encore, fait unique dans l'histoire électorale, 16 millions d'électeurs n'ont pas choisi entre les deux, s'abstenant ou votant blanc. 16 millions, 50% de plus que le Pen... Ca eut mérité quelques mots. Mais non, Macron a confondu sa base adhésive, objective (10/12%) avec le résultat final. Ca ressemble à s'y méprendre à la fable de la grenouille qui voulait se faire grosse comme le boeuf... A quand l'éclatement ?
Un enseignement paradoxal de cette campagne, tout de même : le triomphe du débat et la mort des idées. Toutes les études donnaient une légère érosion de Macron à 60% et un peu en dessous, jusqu'au débat. Alors, les sondages décollèrent de 3 points au minimum pour finir hier à 66%. Macron a amplifié son score sur la seule base de ce débat où le Pen est apparue sans solution, sans idées, sans autre chose que des invectives. Ca a réveillé nombre de démocrates qui se sont dit qu'il ne fallait pas qu'elle arrive à l'Elysée. La France sait ce qu'elle ne veut pas. Mais sait-elle ce qu'elle veut ? Sans remonter en 81 et la 5ème semaine, les nationalisations et autres promesses de Mitterrand, Jospin remporta les législatives de 1997 sur les 35 heures et la CMU, Sarkozy l'emporta en 2007 sur la revalorisation du travail avec les heures supplémentaires défiscalisées, le bouclier fiscal et autres. Même Hollande, en 2012, l'emporte avec ses 60 000 professeurs en renforts, sa grande réforme fiscale. Mais Macron ? Rien.
Les idées innovantes dans cette campagne furent chez Hamon (taxe robots, revenu universel, lutte contre les perturbateurs endocriniens, 49/3 citoyen) et Mélenchon (révolution agricole et énergétique, Constituante). Les idées de Fillon étaient plus réactionnaires -retour sur le mariage pour tous, 500 000 fonctionnaires au moins- et celles de le Pen plus folles, mais au moins, elles surplombaient. Chez Macron, rien. Et d'ailleurs, ça convient parfaitement à sa base : 16% seulement de ses électeurs ont voté pour son programme. 16%. Reprenant la logorhée et la dialectique de l'entreprise, j'ai rencontré nombre de soutiens de Macron m'affirmant avec un naturel confondant qu'ils se "foutaient du programme". Arguant qu'on ne sait pas de quoi l'avenir sera fait, ils font donc de la gestion prévisionnelle par trimestre pour satisfaire le cours de bourse...
Si la Corée du Sud s'est développée malgré des atouts naturels faibles, si les pays scandinaves sont devenus ce qu'ils sont, si l'Equateur est sorti de la pauvreté, ça n'est pas avec de la gestion prévisionnelle mais avec un projet de société. Une ampleur programmatique qui engageaient les générations suivantes. Un investissement sans équivalent dans l'éducation et l'économie de la connaissance, souvent, de grands travaux pour aider les plus démunis dans l'immédiat, souvent, et une manière de repenser la protection sociale. Macron a beaucoup employé le mot de protection, hier. Mais c'est un appel powerpoint, un mot sans substance. Ses sbires appellent à "débloquer le pays" visant très explicitement les syndicats. La priorité de Macron président va être d'amplifier ce qu'il ne put faire comme ministre : la dérégulation du code du travail. Cela mérite-t-il vraiment que l'on accorde un état de grâce à l'élu hier au nom "qu'un peu d'optimisme ferait du bien à la France" ? Au fond, c'est ça Macron, c'est Sisyphe heureux, tout content de continuer à rouler son rocher. Et nous avec...
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05/05/2017
Jamais autant votés, jamais autant de frustrés. Repensons l'équation
On pourrait quand même s'interroger sur cette évidence : avec le suivi très important des primaires LR puis PS, cette campagne dure depuis 9 mois, nous en sommes à notre sixième tour et cela va déboucher sur le président le plus mal élu de la Vème, en termes d'adhésion (pas du nombre de voix, hein). Ce disant, il ne s'agit pas de jouer les mauvais joueurs contre Macron (en espérant que ça soit bien lui...) juste de réitérer le fait que plus que les idées politiques, ce sont nos institutions qui sont obsolètes et en crise avancée.
Les primaires sont des machines à fanatiser les bases, elles nous ont de ce point de vue causé du tort. Des deux côtés. Pour les perdants, l'amertume post illusions vire à la colère. Ce sont les juppéistes qui ont rallié Macron en détestant Fillon le réac et les vallsistes qui ont rallié Macron aussi en haïssant cet archaïque d'Hamon. Pour les vainqueurs, l'illusion de victoire fait perdre pied : c'est Fillon qui proclame que la légitimité d'une élection partisane est plus forte qu'une enquête judiciaire. C'est Hamon qui oublie l'extrême faiblesse du PS après un quinquennat de défaites et qui pense qu'un beau programme peut faire oublier ce boulet partisan... Un double aveuglement qui va beaucoup compter dans l'hystérisation de la campagne. Ca, et l'affluence de sondages dont le nombre a quasi doublé par rapport à 2012. On peut penser ce qu'on veut du Front National, mais leurs militants et leurs élus n'ont pas particulièrement contribué à l'emballement. Ils sont arrivés au second tour, hélas comme prévu. Mais sans faire de vagues, sans prendre la main sur la campagne. Ils ont fait le dos rond et le verbe bas pour ne pas trop répondre aux affaires qui s'accumulent : les assistants européens, le financement kremlinois, la collaboration d'une de leurs têtes de listes avec Daech... Tout ça, ils l'ont subi, mais n'ont pas riposté. Ca n'est que depuis le 24 avril que le FN éructe et attaque Macron à tout va. Les sondages, en revanche, et les oscillations de l'opinion nous ont rendu fous.
Une étude paru hier dans les Echos montre que 45% des électeurs de Macron au premier tour l'ont fait en regardant ce seul outil. Pour éviter Le Pen/Fillon, en somme. 45%. Je connais nombre de macronistes et beaucoup votèrent pour lui par dépit, sans envie, avec désespérance même, mais sans hésitation. Le second principal bénéficiaire de ces aspirations sondagières sont Fillon et Mélenchon (27% ont voté pour eux sur la seule foi des sondages). Méluche a aspiré les hamonistes dans la dernière ligne droite. Des soit disant Insoumis j'en connais des tas et tant et tant qui ont voté pour lui avec nombre de réserves, mais pour tenter le coup historique de mettre la gauche au second tour. Pour les hamonistes, l'amertume est immense car les sondages les ont tué. Pour les fillonistes, même s'ils mettent en avant la colère est le maître mot puisqu'ils ont été abattu par "un complot, un coup d'état institutionnel", en réalité nombre d'électeurs du sarthois l'ont fait de mauvaise grâce devant un archi corrompu, juste pour éviter Macron...
Au lendemain du premier tour, cette fanatisation chiffrée a laissé place à des réactions ineptes. Mélenchon a rassemblé plus de 7 millions de voix, plus de 3 millions de nouveaux électeurs, quand le Pen n'engrangeait "que" 1,2 millions de nouveaux électeurs. Au lieu de s'en réjouir, il éructe sans fin sur les 600 000 voix restantes et, comble du grotesque, insulte les électeurs de Benoît Hamon. Hier, Alexis Corbière porte parole de la FI a osé qualifier leur défaite d'injuste à cause du maintien d'une candidature inutile". Non mais on se pince...
Nous voilà bien, neuf mois de campagne, six tours et nous n'avons au final, jamais autant départagé les candidats sur la base d'indices aussi ténues, menus. Climax du débat, 2h30 de débat d'entre deux tours mercredi et pas un mot sur l'écologie. Pas un. 27% des électeurs (Hamon et Mélenchon) ont souligné leur envie d'un changement radical de notre modèle énergétique et agricole. Pas un sujet. Prenons plutôt dix minutes pour parler voile à l'école. Soupir... Les aspirations programmatiques les plus profondes ne sont pas prises en compte, ce barnum nous sommes de prendre un paquet sans nuance. Et l'emprise de l'élection rend cette sommation d'autant plus violente. Nombre d'électeurs de Mélenchon ont tremblé en glissant son bulletin dans l'urne, redoutant son autoritarisme ou ses alliances troubles à l'international, mais pas le choix, il FAllAIT tout prendre. Nombre de votants pour Macron voulaient avant tout éviter Fillon mais n'appréciait pas le programme d'En Marche sur les aspects sociaux, fiscaux ou écologiques...
Aujourd'hui, nombre de propositions fleurissent aujourd'hui pour permettre de voter avec des gradations, des variantes allant de "un peu" à "complètement" des systèmes de notes, de démocraties en continu. De l'émergence du mouvement démocratie OS qui triomphe en Argentine à des alternatives françaises comme #MAVOIX, nombre de mouvements font vivre une démocratie mature, posée. Jugées avec un amusement qui peut confiner au mépris par nombre de commentateurs, ces initiatives brillent d'autant plus par contraste avec la noirceur de cette folle élection. A titre personnel, pour les législatives, c'est certain #MAVOIX aura la mienne et je scruterai demain le tirage au sort qui déterminera celui ou celle qui sera chargé de me représenter, en me consultant avec tous les autres, sur chaque proposition de texte.
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30/04/2017
Plus que villes et champs : France qui vit et France qui meurt
Plus encore que la France du Oui" et du "Non" au référendum de 2005 sur la Constitution Européenne, la France du premier tour est vraiment fracturée territorialement entre centres villes, périphéries et campagnes. A Macron les premiers, Mélenchon les secondes et le Pen les troisièmes (et Fillon se glisse dans les interstices). L'analyse majoritaire synthétise cette coupure entre "gagnants" et "perdants" de la mondialisation. Ca n'est pas faux, mais ce disant, on euphémise la douleur et l'angoisse des seconds. Pour comprendre ce qu'ils ressentent et agir en conséquence, il faudrait plutôt parler de la France qui vit et celle qui meurt. Une alerte sémantique, quelque chose comme un coup de pied au cul qui fasse comprendre l'urgence. Quand Raffarin parlait des France du haut et du bas, ma foi, à part une certaine condescendance qui peut vous faire mépriser ceux qui s'estiment en haut, on n'entend pas un appel à aider ceux du bas. Or il le faut.
Prenons l'emblème de la mondialisation triomphante, Paris. Quand Bertrand Delanoé se rengorge en disant qu'il a récupéré une ville de Paris où le FN faisait 15 à 20% en 2001 et que le parti d'extrême droite n'a pas dépassé 5% au premier tour de 2017 parce qu'il a mis des services publics et en a fait une ville socialement résiliente, il se trompe. Et il le sait, d'ailleurs. La ville a vu ses prix immobiliers tripler en 15 ans, et à 8 300 euros le m2 et un taux de chômage à 5%, le mécontentement est moins prégnant. Pour autant, on aurait tort de résumer l'absence du vote FN à une question de richesses. Dans certaines petites villes de l'est de la France, prospères, le FN lui aussi, prospère, sans que l'on ait envie de dire youp la boum. A Paris, le cosmopolitisme se passe sans (trop) de heurts, y compris dans les quartiers de l'est où les habitants de HLM voient débarquer des cadres moyens qui font flamber les prix des commerces de quartier. A Paris, ceux qui ont un peu moins savent qu'ils pourraient faire, demain. Le dynamisme, l'élan vital de la capitale les éloigne d'une spirale dépressive : à Paris on peut se former, trouver des -petits- boulots, il se passe des choses. Ca n'arase pas les inégalités, ça ne fait pas disparaître les injustices, mais on peut se projeter. La même chose à Lille, Lyon, Bordeaux, presque partout, les universités sont là, les grands travaux, les annonces de projets et l'afflux de nouveaux arrivants. Ca donne le moral, quand vous voyez cette noria créatrice, ce manège de nouveautés, vous vous dites qu'il y a bien un moment où vous arriverez à monter dedans.
Les périphéries, elles, ont les transports pour les relier aux métropoles. Le flot d'opportunités ne leur est pas inaccessible. C'est plus dur, c'est moins riant au quotidien, mais il y a de l'espoir. Les banlieues rouges parisiennes de la petite ceinture voient leurs usines réaffectées, réhabilitées. Parfois en lofts, parfois en restaurants, parfois en "makers place". C'est Ivry la bobo, Fives près de Lille où la cité du textile est devenue un paradis de start uppers, Darwin sur la rive délaissée de la Garonne à Bordeaux et ainsi de suite à Lyon et Marseille où l'usine Lu de Nantes réinventée en lieu culturel. Dans tous ces lieux, Mélenchon cartonne avec son espérance en des lendemains rouges et verts. La encore, la France vit, se transforme, voit demain. Même l'usine PSA d'Aulnay sera transformée, peut être en potager ou en usine textile responsable.
La France de Le Pen ne voit pas de demain, elle se voit mourir et pense que tout le monde s'en fout. Dans un reportage au Monde, une anecdote résumait bien la mort de cette France, celle du "Edge" là où le réseau internet se fait rare. Des jeunes, mi hilares, mi désespérés montraient leur smartphone au journaliste avec leur profil Tinder "il n'y a personne". Quelle allégorie morbide... Mais parlante.
Le grand malentendu vient d'un rapport à la destruction et à la transformation. La France de Macron idolâtre Schumpeter et sa destruction créatrice. Pour eux, dès que des emplois sont détruits, d'autres repousseront comme par magie. Plus de télégraphistes, vive les community managers. Et, objectivement, dans leurs centres villes, c'est ce qui se produit. Mais dans la France de le Pen, on sait bien que la destruction ne sera pas suivie d'une renaissance. Les boutiques qui ferment dans les petites villes ne sont pas remplacées. La rage des ouvriers de Whirlpool vient de là : il n'y aura rien pour eux. Amazon va bien ouvrir un entrepôt dans le coin, mais moins consommatrice de main d'oeuvre, avec des emplois moins payés et plus flexibles, avec des horaires impossibles... Tu parles d'une destinée. Marine le Pen est arrivée en tête dans plus de 17 000 communes, contre un peu plus de 3 000 pour Macron, mais évidemment la taille d'icelles diverge. Et c'est à ces toutes ces villes qu'il faut adresser des signaux d'espoir : des réouvertures de transports de proximité, de structure de santé, d'écoles... Les réformes Sarkozy avec destruction d'hôpitaux, de casernes, de tribunaux ont dévitalisé certains territoires. Certaines villes comme Joigny ont pris les trois, une triple peine impossible à compenser en quelques années. Cela prendra des années pour inverser cette spirale d'inégalités territoriales folles. Alors autant s'y mettre...
De ce point de vue, la décision de Macron d'exempter la taxe d'habitation de 80% des français est une hérésie. Pour une ville riche, l'affaire sera quasi indolore, mais pour les petites villes, la crainte -fondée- d'une non compensation fait redouter le pire. Les habitants de ces villes sont lassés de promesses inopérantes, le pacte de responsabilité a baissé les dotations aux collectivités, après les réformes Sarkozy, cette raréfaction a encore retiré aux petites villes un peu de rêve. Pour la première fois depuis les années 80, il y a eu plus de fermetures de festivals culturels que de créations. Et là encore, Paris peut survivre à la mort de We Love Green ou Lyon au départ des Nuits Sonores, mais Belfort souffrirait trop de la perte des Eurockéennes, Cahraix de ses vieilles Charrues etc... Ces disparitions possibles seraient autant de morts symboliques.
Dans le débat de l'entre deux tours, les concessions, les réactions et propositions de Macron seront scrutées. Tout le monde attend qu'il fasse un geste, qu'il comprenne la gravité de l'inégalité. A lui de nous montrer qu'il a compris qu'il ne devait pas aider les perdants de la mondialisation, mais plutôt réanimer une France au bord de l'apoplexie.
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