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28/12/2013

L'interdiction sans fin

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Même sur un sujet qui devrait rassembler tout le monde, Manuel Valls trouve encore le moyen de décevoir... Interdire Dieudonné ? Mais quelle imbécilité, quelle décision hâtive, contre-productive, dangereuse pour la cohésion du pays ! C'est si stupide que je me demande si Valls ne cherche pas à renforcer Dieudonné comme Mitterrand avec le Pen, une démarche de pompier pyromane pour mieux s'ériger en héros de l'anti-racisme.

Je n'aime pas l'humoriste Dieudonné, il ne me fait pas rire depuis des années. Mais alors pas du tout. Je ne marque évidemment pas la césure à sa rupture avec Elie Semoun, ses spectacles post-divorce m'amusaient encore. Mais, depuis quelques années, il ne crée plus. Il est devenu un bouffon triste et offensé qui répond à ceux qui lui crachent à la gueule en guise de spectacle. Et il leur crie dessus en retour. On ne fait pas d'humour de qualité avec du ressentiment. Par curiosité intellectuelle, un soir d'insomnie, j'ai regardé ses sketchs les plus récents qu'on trouve en intégralité sur Youtube (faut-il interdire Youtube, Manuel?). C'est navrant...

Sa revue de presse partisane est un ersatz de ce que faisait Bedos, ses attaques sur Taubira, Valls et autres sont au mieux lamentables et parfois pire. Bien pire. Si je n'aime pas Dieudonné humoriste, je vomis le politiste. Sa dernière sortie sur Patrick Cohen ? Elle est évidemment immonde. Inacceptable. Radio France attaque en justice ? Mais évidemment ! Ce n'est pas parce que les tribunaux sont encombrés, qu'il faut laisser passer ce genre d'attaque ad hominem sur scène..."Si les chambres à gaz existaient encore... dommage". On peut ergoter jusqu'à après demain, mais ça s'appelle un appel au meurtre. Qu'aurait-on dit si Gad Elmaleh avait fait un sketch où il disait "vous vous souvenez de Maurice Papon qui avait donné ordre aux flics d'apprendre aux arabes à nager ?" avant de rajouter "dommage qu'il n'est pas aussi jeté Malek Boutih, même s'ils en ont en balancé un dans la Seine en 1995. De toutes façons ils se ressemblent tous", on demanderait la saisie de ses comptes, de ses biens, son exil et autres. Ne pas voir ça me paraît relever de la folie et je crois que les spectateurs de Dieudonné doivent se rendre compte qu'ils cautionnent ça. Ils cautionnent un Robin des Bois en Toc qui s'enrichit sur leur dos en défendant les gentils opprimés contre les vilains juifs.

Dieudonné a perdu tout humour depuis qu'il ne consacre plus son talent -il est indéniable- et son énergie -elle est grande- a vouloir faire rire. Dieudonné est un politique. Il veut convaincre, il veut emmener les gens avec lui et pour ce faire met un masque plus ambigu que la seule outrance. Sa quenelle symbolise cela. Tel Beppe Grillo et son "Vafanculo day" il crie à la foule "on leur met dans le cul !". La quenelle antisémite ? Plus complexe que ça. Oui, mais pas seulement. Il y a nombre d'antisémites au sein des quenelliers, mais aussi des milliers de désoeuvrés, d'excédés du politiquement correct qui veulent se défouler. Ils veulent mettre un coup de corne au système et Dieudonné est leur taureau. On peut lire la une interview d'un fin connaisseur de Dieudonné qui montre qu'effectivement tous les quenelliers ne sont pas antisémites, que ce geste n'est pas nazi, mais ce n'est pas une raison pour se méprendre. Il faut expliquer à tous ces malheureux qu'ils se rendent complices d'atrocités verbales et d'escalade de haine.

Dieudonné antisémite ? Sans doute. Au sens ou le doute n'est pas permis... Du tout. Il cache mal sous l'alibi mille fois rabâché de l'antisionisme, un antisémitisme à l'ancienne avec thèses complotistes et autre. Après tout, il a présenté en France des listes politiques du parti antisioniste, ce qui n'a aucun sens. En Israël, dire que l'on est opposé à une logique de colon, d'extension des territoires, des thèses de Théodore Hertzl réactivées, s'entend. Mais en France ? Non, à l'évidence, monsieur M'Bala Bala qui prétend "faire rentrer la quenelle dans le petit cul du sionisme" a des problèmes de l'ordre psychiatrique avec les représentants du peuple élu. Il martèle partout que ce peuple domine le monde, qu'il s'arrange entre eux, qu'ils ont l'argent et les médias. Il s'est même épanché, lors d'un voyage en Algérie à ce commentaire superbe "le mariage pour tous est un projet sioniste qui vise à diviser". Atroce... Arrêtons là.

Voilà, je ne déborde d'amour pour Dieudonné. Je crois que sa place est dans un asile et que le fait qu'il ait une telle audience pose problème sur l'Etat du pays. Maintenant la réponse... Quand Manuel Valls propose d'interdire ses spectacles, il méconnaît le droit et plus ennuyeux, la société française. Il réactive une bien inopportune fatwa. Inopportune en ce qu'elle érige encore plus Dieudonné au rang de martyr, renforce ses troupes - Dieudonné trouve tout de même chaque soir près de 200 gogos différents qui paient 38 euros leur place - et alimente les thèses défendues par Dieudonné. Comment ne pas penser avec Dieudonné au deux poids deux mesures ? Il suffit de chercher 1 minute avec des requêtes comme "Manuel Valls Israël" et vous voyez notre vibrionnant ministre déclarer sa flamme aux thèses les plus radicales d'auto-défense... 

Manuel Valls a décidé de traquer l'antisémitisme ? Encore heureux, il est ministre de l'intérieur !  Alors il faut interdire de parole Jean-Luc Mélenchon. Bah si, il a répliqué au sujet de la sortie malheureuse d'Hollande sur le voyage du ministre de l'intérieur en Algérie que le Président "grisé par l'ivresse communautariste s'est emporté". Le porte-parole du Front de Gauche faisait une allusion lamentable (une déception de plus) au dîner du CRIF. C'est bien là une déclaration antisémite, non ? Alors il faut l'interdire de parole. De même que tout ceux qui osent s'en prendre à BHL, à Finkielkraut ou à Elisabeth Lévy. On voit bien que ce n'est pas le sujet et que la réponse tombe à plat.  

Imagine t'on la même sévérité de la part de Valls à l'égard de ceux qui dérapent à longueur de journée sur des goys ? Goys musulmans, goys chinois, goys roms... On ne va pas catégoriser. Tous les évêques qui ont balancé des ignominies lors des débats sur le mariage pour tous, les hystéros de Civitas, en taule ? Tous les politiques, les Raoult, les Morano, les Vanneste, on les empêche de parler ? Non, on les pourchasse, on les condamne, on les traîne devant les tribunaux, mais empêcher les rassemblements ne fait que renforcer la colère.

Depuis que le ministre a décidé de lancer son interdiction, de nombreuses voix au PS abondent pour le soutenir. Il faut interdire. Très bien les gars, vous comptez dans votre parti des tonnes de parasites qui ont fait de l'anti-racisme un fond de commerce et savent fort bien agiter les bras en moulinant en prétextant incarner le bien. En soutien à Valls, que diriez vous d'une marche ? Mais oui une Anti-Dieudonné Pride ! Mieux, un concert "tous unis contre Dieudonné" ! Comme ça, on montrerait bien nos forces... Crétins. Non content d'être férocement de droite, d'enterrer méthodiquement tous les symboles et tous les idéaux de gauche, Manuel Valls poursuit ici tristement la funèbre entreprise d'hystérisation de la société française chère à Sarkozy. Nous sommes des millions à avoir voté Hollande sans illusion sur son libéralisme patenté, mais en se disant qu'au moins, il ne chercherait pas à réactiver des tensions inutiles en traquant les rappeurs, les racailles patentés et autres. Raté, toujours raté. Ouvrir la boîte à interdiction fera comme Pandore, mais Valls n'en a cure, il se prend pour Hercule. Mais dans la mythologie, il serait plutôt un mix de Narcisse et d'Achille voué à l'échec à force de se mirer sans penser à son talon. Monsieur le ministre, laissez Dieudonné se produire partout en le mettant face à ses responsabilités : un appel au meurtre vous mène devant les tribunaux avec amendes colossales. Dites bien à tous les directeurs de salles qui lui ouvre leurs portes qu'ils sont complices. Merci par avance.

27/12/2013

La vie n'est pas un long fleuve tranquille

Tel-pere-tel-fils_portrait_w858.jpgLe doute s'est instillé en regardant la bande-annonce. En sortant de la séance, il n'était plus de mise : Tel père, tel fils est bien librement inspiré de La vie est un long fleuve tranquille. Même point de départ : des enfants échangés à la naissance, l'un chez des riches, l'autre chez des plus modestes. Je spoilerai de trop si je révélais les autres indices qui laissent voir qu'à l'évidence, le réalisateur japonais a vu la comédie française. Enfin, la comédie... La satyre burlesque. Avec des riches très riches, et nobles, et vieux jeu, réac et autres. Et des pauvres très pauvres, roublards, sales, bruyants... La morale française était que les enfants s'accommode bien mieux des inégalités que les aînés. Bon. On rigolait bien. Enfin, je l'ai pas vu depuis une plombe mais j'avais beaucoup ri.

Dans Tel père, tel fils en revanche, on aurait plutôt envie de se faire les veines en sortant. De pleurer à torrents, à tout le moins. Les riches le sont sans ostentation, mais avec méticulosité (voiture, costumes et intérieurs d'appartement impeccables) ; les pauvres, c'était pas la misère. Ils prennent leur bain tous ensemble, vivent dans une banlieue lointaine et ne peuvent s'offrir une belle voiture. Au-delà des différences, quand le film pose la question de l'échange des enfants, c'est toute la différence culturelle qui saute aux yeux : la société japonaise est infiniment plus codifiée, plus dure que la nôtre. On dirait Gattaca. L'hôpital s'excuse et paye pour faute grave, dit que l'échange doit avoir lieu car les liens du sang renversent tout. Du côté des pauvres on prend les mômes comme ils sont, on pense surtout à leur accorder du temps. Chez les riches, l'interrogation cède face à l'introspection: la mère se renie en tant que mère puisqu'elle n'a pas détecté la présence d'un bâtard dans ces murs. Le père se rassure, ce fils qui grandit avec eux n'avait pas son penchant pour l'abnégation au travail, ce n'était donc pas son fils ; bon sang ne saurait tirer au flan...

Pendant 2h, on est ainsi pris dans une bouleversante réflexion sur ce qui fait filiation, ce qui fait famille. Tout y passe : l'influence de la société, le poids du sang, de l'éducation, l'inné et l'acquis. Passionnant mais plombant jusqu'au bout. Jusqu'au bout !  Même à la fin des deux films, sans rien gâcher, la différence est criante entre les deux films. Chez les français, Bouchitey prend sa guitare et entonne joyeusement "Jésus revient" quand les nippons terminent (pas de souci avec l'intrigue) avec les variations de Goldberg (de Bach) par Glenn Gould. Comme une belle envie de chopines d'un côté, de whisky sans glace, de l'autre.

Ces différences fortes m'évoque une très vieille blague juive. Un rabbin sur le point de mourir dit à sa famille réunie autour de lui "la vie elle est une flèche". Affolés, les petits enfants sillonnent la planète pour comprendre le sens de l'aphorisme. Personne ne se risque à une exégèse. Finalement, un rabbin à l'autre bout du monde leur dit avec certitude : "la vie elle est pas une flèche". Catastrophe. Les enfants reviennent dare dare voir leur aïeul sur le point d'expirer et lui confie leurs troubles devant la différence. L'aïeul de répondre : "la vie elle est pas une flèche ? Hé... on peut aussi le voir comme ça !". Je m'en voudrais de faire mentir ce beau relativisme talmudique, peut être la vie elle est pas un flong fleuve tranquille, mais elle est très belle quand même.

26/12/2013

Crier au loup, son admiration

19539456_20131030082652861.jpg-c_640_360_x-f_jpg-q_x-xxyxx.jpgJe m'attendais a minima à trouver un très bon film du 25 décembre. J'ai trouvé un très bon film tout court. Le Scorsese que j'aime, celui de Taxi Driver, des Affranchis, de Gangs of New York et bien sûr, de Casino. Je dis biens sûr, parce qu'en sortant, on est tenté de dresser une liste de points communs entre les deux films. Ils durent 3h, avec un acteur central qui crève l'écran, une narration assez classique (très haut, on repart de la base, on atteint le sommet, chute), mais fort bien tournée, des plans nerveux et une débauche de moyens. Bon. Le Loup de Wall Street vient quinze ans plus tard, c'est encore plus rapide, plus fou, plus de débauche et de rythme. Tant mieux.

Je ne suis pas fan de cela dans l'absolu, mais ici la vitesse sert un propos sur la folie. Je lis dans beaucoup de critiques sur le film (lues a posteriori, évidemment) qu'il s'agit d'un film sur l'Hubris. Ce à quoi je n'abonde qu'à moitié. Car l'hubris est proche de la mégalomanie, c'est autour de vous que ça se passe et il vous en faut plus. Jordan Belfort (di Caprio dans le film) veut la place de n°1, le plus gros yahct, la plus grande maison et la plus belle femme, c'est entendu. Mais ce que montre très bien le film, c'est qu'il est complètement drogué. Au sens ou l'entend la médecine puisqu'il boit plus que d'entendement et se met dans le nez (et beaucoup de pilules, également) de quoi faire blêmir une équipe complète d'addictologues. Jamais il ne peut voir qu'il a gagné, qu'il peut s'arrêter et continue ses arnaques alors même que contrairement à Madoff, il n'est pas embarqué dans une arnaque sans fin à la Madoff avec une pyramide de Ponzi. Non, Belfort aurait pu s'arrêter, mais il était trop drogué.      

Par rapport à l'argent, toujours, le film montre magistralement trois choses. D'abord, le fait que vous n'en avez jamais assez quand bien même vous ne savez absolument pas comment le dépenser. Le type rentre chez lui en hélicoptère, emploi une armée de domestique, à bien plus que tous les signes extérieurs de richesse et pourtant il panique à l'idée de perdre une partie de sa fortune qu'il enfouit en Suisse sans savoir ce qu'il en fera. Ensuite, et c'est la morale (laïque pour une fois chez Scorsese) l'argent rend fou les pauvres. Le propos commence par montrer que l'on arnaque bien plus facilement les pauvres hères que les autres, fait connu. Mais là où cela devient retors et fascinant c'est de voir ces mêmes ploucs, ces mêmes relégués du système se venger en étant prêt à dépouiller les riches. Ils n'ont pas de morale, pas de limite, pas de borne. Ils sont prêt à tout, littéralement et le film le montre jusqu'à la nausée. La métaphore est longuement filée sur le surnom du protagoniste, le loup affame ses troupes pour qu'il continue de vouloir déchirer le magot. Dernier point rarement aussi bien montré qu'ici, l'argent est une fable. Une fable qui nous anime en permanence, bouge tout le monde et pousse aux pires vilénies. Une fable au sens où les dettes publiques sont une fable (les gens sensés savent qu'elles ne seront jamais remboursées car cela reviendrait à susciter des révolutions dans tous les pays qui se mettraient à vouloir entrerprendre pareille hérésie politique) comme les grandes fortunes. Il n'y a pas d'économie derrière les bourses, mais cela ne veut pas dire que les boursiers ne gagnent pas des fortunes ; ça, le film le souligne parfaitement.

En ressortant, une interrogation demeure lorsqu'on resonge à Casino. Pourquoi condamne t'on autant les uns et pas assez les autres ? Les sommes en jeu sont évidemment dérisoires chez les mafieux en comparaison. Scorsese pousse évidemment le parallèle en filmant de la même manière les rails de coke avec billets de 100 $, machine à compter les billets (les mêmes chez les banquiers suisses et dans The Wire) putes à gogos, monde ultra masculin, d'une mysoginie sans nom et d'une homophobie aussi crasse que très suspecte (tous ces mecs n'ont pas résolu des trucs, quand même) et archi violence verbale permanente. Pire, alors que l'on en vient à comprendre les gangsters et à les aimer un peu, tous les mecs ici sont détestables, vomitifs. Bien sûr, il y a le pardon par le don, problématique classique, mais chez Belfort ce n'est même pas le don de wise guy qui donne à l'opéra, aux hôpitaux, orphelinats, école ou église, non c'est une aide à des pauvres hères comme lui pour qu'ils deviennent des hyènes et le servent encore plus. Donc pas du don. Des ordures pures et simples. L'autre différence entre les escrocs tient dans la religion. Pas de curé, de pardon, de sanctuaire ou de limite chez les boursicoteurs. De toutes façons, ils ne croient en rien et n'espèrent rien. Peut être parce que pour eux, contrairement aux mafieux, ne voient jamais leurs victimes. D'où leur inhumanité totale. Glaçant, vomitif, révoltant. Le cocktail brutal à consommer dès que possible quand même.