22/11/2013
Le premier pas, ça va, c'est le deuxième qui compte
Commencer la semaine avec Sardou en tête, la finir avec Claude-Michel Schönberg. Je crains qu'une telle pensée en escalier musical ne me mène directement à la cave de la mélomanie, là où nulle morceau décent ne survit. Bref. Schönberg nous apprend qu'il aimerait qu'elle fasse le premier pas car lui n'ose pas. Si vous réécoutez les 4,30 minutes où notre ami brame (note pour plus tard, Sagan a écrit Aimez vous Brahms ? penser à écrire Aimer vous ceux qui brament ?) vous serez touché par la naïveté confondante de l'interprète pour qui, une fois ce premier pas franchi, tout est dans la poche.
Bah voilà, un pas et l'histoire d'amour roule. Plus à se prendre la tête, une fois qu'on s'est pris la main ou embrasser, c'est parti. Emballé, c'est pesé. Le mythe initial a la peau dure et ne concerne pas que les marivaudages. Ne parle t'on pas avec emphase 45 ans après du premier pas sur la lune ? Si et pourtant, c'est une litote de dire que les progrès en près d'un demi-siècle sont faibles...
Je note que la méfiance profonde de l'époque sacralise encore plus les premiers pas. Car les autres sont systématiquement déçus. Dans un champ que je connais un petit peu, il est aisé de réussir une première pour un forum, un événement ou un colloque. Pour toute première, vous trouverez des interlocuteurs enthousiastes, des partenaires et même des médias prêts à venir dégainer pour surtout, happer la nouveauté. Il est assez amusant de se rendre aux secondes éditions, là c'est autre chose... L'obsolescence non programmée, mais quasi systématique des "concepts" c'est la maladie infantile du consumérisme étendue au champ des idées. Regardez Bayrou et Borloo, ils ont tout donné pour annoncer avec trompettes et fanfares leur union, mais depuis. Je ne sais plus quelle marque avait comme signature publicitaire "les vrais réussites sont celles qui durent", mais dieu que c'est vrai...
D'après Wikipédia, Claude Michel Schönberg approche les 70 ans et sa dernière production est une comédie musicale intitulée Cléopatra. La sagesse rentre, on peut parler là d'une référence qui a duré au-delà du premier pas... Je ne sais où me mèneront désormais ces déambulations philosophico-mélomanes après une soirée à massacrer Dylan, les Eagles, Brassens, Ferré, et évidemment Johnny... Philosophe en chef de nos brameurs français.
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18/11/2013
Si les Ricains n'étaient pas là, nous serions tous en Germanie (edit 2013)
Edit 2013, donc. Pas 1970, avec cette vision guerrière, où il s'agissait de choisir les Yankees contre les Popovs... Sortir une connerie pareille m'aura valu une recherche iconographique de toute beauté. Ha, qu'il a la mèche frondeuse, la moue boudeuse et l'oeil enfiévré, Michel. 43 ans plus tard, ce réac absolu et pro peine de mort déclare quand même que s'il faut payer ses 75%, il le fait puisque "tout le monde est dans la mouise, autant filer un coup de main". Ca ne change pas sa conception des inégalités, le fait qu'il soit pour la peine de mort ou qu'il ait écrit des atrocités colonialistes. Mais il y a une admiration pour l'envie, la vie et la volonté de créer des Yankees qui pourrait être plus partagée. Je veux dire au-delà du cas de Sardou, parce qu'avec un étendard pareil, il est délicat d'obtenir un rassemblement des plus progressistes...
Toute la journée, on nous explique sondages à l'appui que la France est moins douée pour le bonheur que les autres (Claudia Sénik) que nous avons moins confiance en l'avenir que les irakiens ou les afghans (Algan et Cahuc). Ces penseurs on ne peut plus sérieux, montrent dans leurs travaux qu'un retour à plus de confiance en nous et d'envie suffiraient à capter un nombre incommensurable de contrats (Algan cite 2 à 3% de PIB, ne nous attardons pas sur ce chiffrage, mais disons que ça ne peut pas faire de mal). Pour l'heure, ce discours reste muselé où du moins pas suffisamment répandu. J'ai la chance de diriger les programmes de forums économiques et sociaux fondés sur l'empowerment à la française. Je m'interroge parfois sur l'utilité de ce que je fais, mais en sortant la réponse me revient aux oreilles par des dizaines de participants qui pourtant ne se connaissent pas entre eux : "Merci pour ce que vous faites, ça fait tellement bien de sentir cette énergie créatrice". S'ils le disent, je ne vais pas les démentir... Et d'ailleurs, une anecdote personnelle m'a fait abonder dans le sens des participants ; quand on fait le con sur l'estrade, on se rend moins compte.
Samedi soir, nous étions réunis à égalité entre coqs français et aigles ricains. Le match vraiment amical était équilibré à 10 contre 10 et si nous nous sommes séparés à égalité d'estime, impensable pour autant de parler d'un match nul. Nous bûmes tout autant, mangeâmes en quantité respectables, mais si l'est un point sur lequel la comparaison tourna franchement en notre défaveur, ce fut au décibelomètre. La vache, nous prîmes cher. We took very expensive comme diraient les élèves de mon Titcheure. Pourtant, ceux qui me connaissent dans la vraie vie savent que je n'ai pas des cordes vocales effacées, mais rien à faire. Ils ne hurlaient pas pour le principe, mais par naturel. Et ils riaient à faire trembler les murs. Je me suis entretenu avec certain d'eux, mais de choses futiles au possible (les beautés de Paris et New York, la splendeur de la gastronomie ou des vins). Loin de moi, donc, l'idée de savoir de quoi leur quotidien se compose. Impossible, pour autant, d'imaginer que ces dix personnes connaissent une trajectoire parfaite, personnelle et professionnelle, qui les pousse à rire à gorge déployée. Mais ils préfèrent ne pas s'appesantir, rire, mordre la vie et repartir de l'avant. D'un point de vue amical, leur enthousiasme de façade s'avère souvent décevant : on vous tape dans le dos, on promet de se revoir, on se kiffe à mort et la réalité du temps long est mise à mal. Mais parfois ça prend. Dans tous les cas, le fait de maintenir l'étincelle ne peut pas avoir que des défauts. En tout cas, ça fait plus rêver que le modèle allemand...
08:17 | Lien permanent | Commentaires (5)
16/11/2013
L'éducation, c'est plus que de l'éducation
Et au milieu des analyses coule une rivière de désespoir. Alors que l'impossibilité de la sieste m'est apparue avec évidence en raison de la proximité de gens riant sous mon toit, je cogitais. Notamment sur mon absence de volonté de les rejoindre en feignant le sommeil. Pas envie de rire. C'est rare chez moi. Mais l'actualité de la semaine a momentanément crispé mes zygomatiques.
La xénophobie se répand partout en Europe dans des proportions ubuesques. Au-delà des chiffres, du nombre de bulletins de vote et des nouveaux élus, c'est la nature même de leurs arguments qui me laisse pantois. La "Guenon Taubira", c'est Gringoire, c'est Je suis partout, c'est purement immonde et sans autre forme de commentaire que l'appel au procès. Or, il se trouve des cuistres pour vouloir commenter le possible procès. Je me souviens d'un imbécile de journaliste de la Croix (Laurent de Boissieu, pour ne pas le citer) nous expliquer que "la une de Minute est immonde MAIS (erreur camarade, il n'y a pas de mais) le discours sur la diversité nous a conduit là avec sa vision racialiste du monde". Bon, les bras vous en tombe. Et ce sont ces gens là qui veulent nous donner des leçons de morale...
En théorie, on nous raconte que l'éducation sauvera le monde. Je ne suis pas loin de penser que c'est vrai, d'où mon immense joie depuis cinq ans de pouvoir me livrer au plaisir de la transmission et de l'échange avec les étudiants. Mais tout de même, pourquoi ne pas revenir à une vérité élémentaire, crue, et s'interroger une seconde sur l'échec : dans la France de 1945, au lendemain des désastres que l'on sait, 3% d'une classe d'âge était bachelière, en 2011 nous étions à 71,6%. On peut écouter les récriminations de Finkielkraut et autres néo réacs sur le fait que "le niveau baisse" et que l'on ne pourrait comparer les détenteurs des baccalauréats d'hier et ceux d'aujourd'hui. Soit, mais avec une multiplication par 24 de ce nombre, nul ne peut contester que le niveau éducatif du pays a considérablement augmenté. La population étudiante a suivi, dans des proportions un peu plus faible, une hausse similaire.
Or, "l'explosion" de l'éducation n'a pas endigué la prolifération d'idées nauséabondes, la persistance de rumeurs folles, de théories du complot et autres débilités en tous genres, jusqu'à l'adhésion stupide à toutes formes d'églises et autres chapelles. La massification de l'éducation devrait, en théorie, favoriser une certaine diversité -jusqu'au risque de l'atomisation- de l'offre idéologique. Tous ceux qui ont pu bénéficier de plus de dix années d'apprentissage, ont du acquérir les bases d'une réflexion par elles mêmes. La pensée critique devrait dominer tout. La critique n'est pas le vomissement, mais le fait d'émettre des doutes, de contester, d'opposer et, in fine, de proposer. Rien de tout cela avec ce qui se passe actuellement. Jacqueries, mises à sac, rassemblements hétéroclites sans mot d'ordre autres que : y en marre, ras le bol, nique sa mère, retrait, annulation. Les deux derniers cris sont relativement intéressant : si l'on veut à tout prix retirer toutes les tentatives de changement, c'est donc qu'il y avait matière à se réjouir auparavant. Sophismes. Ce qui est à mon sens véritablement angoissant dans ce qui se passe, c'est le manque de perspectives de salut par l'individu.
Si l'on espérait que la lumière viendrait des salles de classe, force est de constater que l'éducation c'est plus que l'éducation nationale. L'atomisation sociale, la compétition permanente, l'accélération des changements technologiques, les mutations du marché de l'emploi, tous ces signes extérieurs de la modernité angoissent une part croissante de citoyens et les pousse à chercher des solutions aussi hâtives que stériles. L'époque est en panne de héros politiques au sens prométhéens et encense les prédicateurs en tous genres. Télévangélistes, gourous des régimes sans peine, de la pensée sans mal, du succès sans travail, le terrain était mur pour ce très vaste rassemblement contestataire, les benêts rouges : la politique sans politique. La haine et la bêtise comme seul programme avec comme unique promesse, se venger de la dureté du monde en châtiant plus faible que soi. "Ne pas rire, ne pas pleurer, comprendre", Baruch encore et toujours. Désolé cher Spinoza, mais s'il m'est facile de ne pas rire, en revanche je n'arrive pas à comprendre non plus et c'est à en pleurer.
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