02/12/2013
Faire ses devoirs de mémoire
Week-end Lillois avec notamment, la visite de l'expo au Tri Postal du galeriste Emmanuel Perrotin. Une expo immense, très inégale avec de vraies belles surprises, des choses plus contestables et du bon gros foutage de gueule : l'art contemporain, quoi. Comme de plus en plus souvent dans les musées, j'étais amusé par le ballet incessant de jeunes photographiant systématiquement TOUTES les oeuvres. J'en ai vu faire cela au Guggeheim ou à Orsay, à la Maison Rouge comme à la Tate. Partout. Une espèce de non sens total ou les audaces picturales les plus absolues, les plus grands chefs d'oeuvres sont traités rigoureusement de la même manière que des oeuvres banales ou mineures. Je sais par avance pour avoir discuté avec certains de ces maniaques du déclencheur qu'ils n'en auront pas nécessairement retiré quelques oeuvres fortes. Rien filtré ou tamisé, mais tout capturé. Ce n'est pas là que je veuille faire mon Finkielkraut, mais tout de même : une telle incapacité à hiérarchiser, à mémoriser, à chercher à s'accaparer les connaissances, est inquiétante. On voit bien au contraire comment, pour certains, la culture et les connaissances se limitent désormais à une conception acquisitrice ou consumériste : stocker la beauté, accumuler les savoirs dans sa poche ou son ordinateur. Tout à portée de main est l'argument sans cesse invoqué. Fort bien, mais concrètement, qu'en font ils ? Tout existe sur le web comme archives sur la seconde guerre mondiale et pourtant de nombreux événements restent trop inconnus. Près de 5 siècles après Rabelais, nous ne méditons toujours pas assez son "science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Le phénomène de saturation de l'espace mémorielle imminent et le risque qu'il y a à ne pas faire vivre ces connaissances accumulées a été très bien analysé par l'ancien patron de l'INA, Emmanuel Hoog, dans son livre Mémoire année zéro.
Il existe évidemment des raisons d'espérer en la matière et parfois elle vous viennent de la façon la plus inattendue. En milieu de semaine, j'ai pris un café avec quelqu'un que je connais peu, pour l'heure. Nous nous sommes rencontrés par des hasards numériques et pour des raisons qui dépassent mon entendement, à la seconde de nos entrevues, il m'a offert un livre. Pas n'importe quel livre. Un livre que je ne pouvais m'offrir, hors de prix au sens propre puisqu'hors commerce. Le récit de la vie d'engagements de ses grands parents, commençant lors de la seconde guerre mondiale. Humbles, ils ne prétendent jamais avoir été des héros ou avoir été du côté du bien. Militants communistes, ils ont suivi ce qui leur semblait juste et cela ne correspondait pas à Pétain. Pour eux, "l'engagement dans la résistance de nombreux français, c'était d'écouter Radio Londres". C'est dit sans acrimonie, plutôt en rigolant, l'oeil pétillant. Le livre est construit de façon chronologique et avant la seconde guerre mondiale, s'attarde de façon très opportune sur la révolution qu'a constitué pour des millions de travailleurs, le Front Populaire. Idem pour la suite de l'histoire, ils ne maugréent pas, mais garde intacte leur foi dans le progrès. Bien sûr, internationalistes, ils déplorent la façon dont l'Europe des marchés s'est constituée. Idem pour l'alliance avec les socialistes où ils servirent parfois plus de cache-sexe de gauche que de véritable force de co-construction programmatique.
C'est un livre rare, donc. Il a dû être diffusé dans la famille des aïeux et un peu au-delà. On ne souhaiterait pas nécessairement qu'il connut une diffusion plus large mais plutôt que des centaines, des milliers d'autres jeunes gens aillent interroger leurs grands parents. Qu'ils leur demandent d'accoucher ce que furent leurs rêves, leurs espoirs, leurs aspirations. Ca aiderait non seulement les intervieweurs, mais par effet de pollinisation, leurs proches, leurs voisins et leurs entourage, à mieux s'approprier le récit national et ainsi à vouloir lui donner de plus souriantes perspectives. Aussi, je crois qu'il faudrait parmi toutes les réformes en cours à l'Education Nationale, trouver un peu de temps pour apprendre aux jeunes à faire leurs devoirs de mémoire.
07:41 | Lien permanent | Commentaires (0)
26/11/2013
Mathieu Larnaudie, une plume française
Disons le d'emblée tant il est aujourd'hui délicat d'émettre des critiques sur une oeuvre sans être caricaturé et que l'on vous accuse d'avoir tout rejeté en bloc : Mathieu Larnaudie écrit très bien. Il y a chez cet écrivain une aisance évidente, mais aussi une recherche d'une phrase. Qu'il a trouvé ; il a une phrase comme Enard en a une. Longue, obséquieuse, mais précise car travaillée à l'excès. Voilà, de même que bien manger c'est le début du bonheur, bien écrire c'est le début de la vie d'écrivain.
Mais ce qui m'interpelle, c'est cette passion française pour le véhicule du roman. Ca ne va pas à tout le monde, le roman. Comme le motif prince de Galles ou le violet épiscopal pour les costumes. Sur certains c'est chic, sur d'autres, ridicule. On peut être un écrivain à nouvelles et avoir le Nobel (hello Alice Munro) un politique écrivain et nous emporter dans des récits (Churchill, Bruno le Maire) ou plus classiquement, un diariste. Il semblerait que ce soit tombé en désuétude, mais le journal de Jules Renard est un monument littéraire. Alors que son roman L'écornifleur, bah... (il y aussi Poil de carotte, mais c'est plutôt l'exception qui confirme la règle, à mon sens). Au pire, l'autofiction peut être un bon compromis pour les écrivains sans imagination, mais en quête d'un format de texte long.
Mais aucune de ces formes pourtant nobles d'objets littéraires ne semble trouver grâce aux yeux de Larnaudie qui continue à faire du roman en dépit du bon sens. J'avais lu Strangulation où l'auteur prouvait qu'il savait tout intégrer du vocabulaire animalier pour en tirer un récit aux phrases ourlées dont pas un adjectif ne manquait. Mais d'où pas une émotion ne ressortait, non plus. Je ne pourrai en dire plus aujourd'hui, car justement il ne m'en est rien resté. Je m'attarderai plus sur Acharnement, que je viens d'achever. On m'avait recommandé ce roman pour le sujet : une ex plume de ministre se retire dans un phalanstère champêtre en essayant d'écrire le discours parfait, mais voit son oeuvre perturbée par d'étranges suicides dans son jardin. Tadam !
Le premier chapitre vous prend, bien trop hélas. Larnaudie a lu ses classiques et sait reproduire un incipit, camper deux personnages avec des détails vestimentaires et quelques tics (le jardinier fume des cigarettes roulées, le héros boit de la chartreuse). Hélas, on en sort jamais, les tics tournent à l'infini comme seul preuve de la vitalité des personnages et l'intrigue ne bouge que de façon artificielle (j'éviterai le spoiler mais la fin est révélatrice à ce propos : l'auteur se débarrasse de ses sujets pour terminer un propos qu'il ne maîtrise pas). Difficile d'écrire un roman quand on aime pas ces personnages, quand on ne les façonne pas pour être autre chose qu'un prétexte. Sinon le roman parle d'un sujet casse gueule dans un roman : la politique. Stendhal disait que c'est comme un coup de pistolet dans une église. Ici, c'est une fusillade. Le cynisme en politique, c'est à manier avec précaution car revu. Larnaudie n'en tire rien : beaucoup rêve de grandeurs, de grands discours et font de petites manoeuvres. Bon. Ces idées neuves ne sont pas justes et ses idées justes ne sont pas neuves... S'il tient une chronique de l'époque, je la lirai volontiers, mais je ne me ferai plus prendre à la prochaine fiction...
17:51 | Lien permanent | Commentaires (3)
24/11/2013
Copéiné pour la droite
Sur un réseau social bien connu, un lien m'indiquait une vidéo de JF Copé sur le thème du progrès. Pas d'intervieweurs, plan fixe, 12 minutes devant soi : l'occasion rêvée de déployer une vision. Je ne fus pas déçu. Si votre week-end vous laisse le loisir de ce temps libre, vous pouvez la voir vous aussi, ici.
J'ai commencé par rire beaucoup, par me réjouir aussi. Après tout, avec un chef aussi consternant que ça, comment la droite pourrait-elle jamais revenir au pouvoir ? Et puis, j'ai pris quelques secondes pour me demander s'il était bien raisonnable de laisser à la tête du premier parti d'opposition du pays, un imbécile pareil. J'ai cessé de rire. Regardez moi cette tête avec un regard d'aigle, perçant l'horizon. Une photo volée, facilité de l'époque ? Même pas, je l'ai chopé sur son Wikipédia officiel : ça correspond à l'idée que cet Homais du XXIè égaré en politique se fait de lui même. Plus j'écoute Copé moins je comprends la droite. Comment ce technocrate incarnant la médiocrité à l'état pur a t'il pu se hisser à la tête de leur parti, être plusieurs fois ministre et avoir l'oreille de l'ancien Président, celui là même qui le traitait jadis de "minable" ? Ne nous y trompons pas, si Sarkozy devait l'emporter (je ne dis pas "revenir", cela semble -hors décision de justice- acquis) Copé jouerait un rôle central dans le futur pouvoir en place. Et ça a de quoi navrer...
Si vous n'avez pas écouter l'aigle meldois donner sa vision du progrès (je vous comprends), il donne dans l'idéologie la plus primitive. Il faut écouter les arguments de l'adversaire, chercher à le comprendre. Cette antienne je la répète à tous mes étudiants prompts à dénigrer les responsables socialistes sans les écouter. Mais là... Il avance benoîtement une énormité comme "le problème c'est qu'on a accolé les thèmes de "progrès" et social" au XIXème siècle ce ce qui nous renvoi à la lutte des classes, laquelle nous a mené là où nous sommes". Franchement, lui qui se pique d'aimer l'histoire, comment peut-on oser contester la logique de lutte des classes au XIXème siècle ? Comment remettre en cause la notion de progrès social en ce qui concerne l'esclavage, le travail des enfants, l'interdiction des métiers trop dangereux puis les congés payés... Il ne se borne pas aux 35h mais remet en cause toute l'idéologie du progrès social ! Et il enchaîne une minute après sur le progrès sociétal. Là encore, plutôt que de se borner à une remise en cause de la PMA, de la GPA, il fait remonter les maux au XIXème siècle... Déduisons donc qu'il est contre le droit de vote aux femmes, au fait que les bougresses ait le droit d'avoir un compte en banque, à l'avortement, la peine de mort...
Pour finir, deux phrases sublimes qui m'ont marqué et me font dire que si jamais ce nain politique était aux manettes, il y aurait de quoi se barrer (mais pour ou ? Pas la réponse) :
"L'idéologie de la gauche, c'est l'égalitarisme absolu. Ils veulent guillotiner méticuleusement les têtes qui dépassent et les jeter à la vindicte populaire". Si faible qu'on ne commentera pas, mais rajoutons en une seconde en clôture : "Le rôle de l'Etat c'est de gérer les glissières des autoroutes". Voilà la conception de celui qui se fend de tribunes sur "La Grandeur du politique". Puisqu'il aime l'argent, il semblerait qu'un poste à hautes responsabilités s'offre à lui chez Vinci...
09:56 | Lien permanent | Commentaires (0)