23/06/2012
42 ans, toujours d'actu, 42 jours, périmé avant que d'avoir paru
Vide-grenier 1 / Librairie 0, triste constat. Récemment, un ami (Denis Bénévent pour ne pas le nommer) très grand libraire parti se réfugier à Figeac me disait que la crise était liée en partie à l'abrutissement, mais surtout à la médiocrité de la production actuelle. En matière d'essais, où l'actualité est foisonnante, la question du tri éditorial s'impose et mon expérience de ces deux derniers jours donne raison à Denis.
Etrange impression de lire un livre hors temps. Pas un livre d'actualité, bien sûr, pas un classique fondateur de la sociologie fin XIXème et pourtant pas un livre daté. Suranné par la parution, mais pas forcément par les références de l'époque au "Franc", au Minitel, à la Renault Alpine ou à Jean Lecanuet. Bien sûr, ce livre parle des blocs, communiste et capitaliste, mais l'auteur n'étant ni l'un ni l'autre, on passe outre. Finalement, si ce livre n'a pas la portée prophétique d'un "la fin de l'histoire" de Fukuyama, il reste d'une redoutable actualité en tant qu'analyse des blocages de la société française pour cause d'excès de phénomènes bureaucratiques, de mandarinat, d'excès de centralisation grandécolière, tous phénomènes concourant à la mort de l'innovation.
Crozier fait sans doute parti des auteurs les plus cités et fort peu lus. Dans une vie antérieure, j'avais lu "l'acteur et le système" comme ça, parce que je suis bien élevé et que c'est ce que font les étudiants qui se piquent d'aimer la sociologie. Bon. Dans un vide-grenier, je tombais sur "la société bloquée", outre que le titre m'amusait en sachant que le livre avait été écrit en 1970, je n'en pouvais mais des bouquins actuels pensant la crise avec le même logiciel que celui qui nous as mené là. Là, l'auteur montre déjà une critique de 68 (qui l'encourageaient de ses voeux mais n'accompagnât pas car il critiquait la méthode qui serait retourné; Crozier 1 point) limpide et une annonce des limites du politique et les limites innovantes des métas structures privées particulièrement opérante lorsque l'on songe à la faible utilité sociale des membres du CAC 40. Les pensées contenues dans ce livre, mises en application 42 ans après, débloqueraient toujours des noeuds, ça s'appelle une pensée.
D'un autre côté, au détour du bureau d'un ami truffé de nouveautés, je déniche un livre de Christian Salmon. L'auteur fait se pâmer tous les communicants avec un livre, Storytelling. Fort loin d'être inintéressant, le livre présentait les ficelles apparentes ou invisibles qui poussent les stratèges à raconter le monde en histoires pour vendre des politiques, des entreprises, des sports ou des pays. Invisbles et parfois inconscientes, selon le mot génial de Cocteau "puisque ces mystères nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs". Bon, voilà qu'il récidive sans avoir rien de neuf à dire, mais il voulait le dire. Il a changé le casting pour rajouter beaucoup de Sarkozy. Et après ?
Après, ne demeurent que quelques formules plaisantes, "Sarkozy est un Richard Clayderman qui importe pour un public européen les grands classiques des néoconservateurs", ou encore, à la fin du livre "ce qu'il faudrait, ce serait des agences de dénotation, chargées d'évaluer le contenu des discours publics et ainsi de voir à quelle point nos politiques décrédibilise le langage commun". Bon, quand on le referme, on ne comprend pas plus ces histoires de grandes narrations qui nous entoure, on a lu un homme intelligent divagué agréablement, nous montrer des choses que nous savons déjà et déplorer ce qui fait déjà notre indignation quotidiennes. A l'heure où le numérique nous interroge sur l'objet livre, sans doute n'était il pas opportun de venir encombrer les rayonnages des librairies avec ces chroniques déjà parues dans le Monde.
Demain, je me réveillerai aux côtés d'une docteur ès lettres, ce qui ne changera rien pour nous, mais beaucoup pour elle. Alors bravo !
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20/06/2012
L'inquiétante main aveugle des régulateurs de marché
Alors que les lycéens de filière ES passent aujourd'hui l'épreuve d'économie et trufferont sans doute leurs copies de références à la célèbre "main invisible du marché" chère à Adam Smith, quid de la main du politique chargée de la retenir ? Si je devais plancher sur le rapport entre ces deux mains, je crois que j'évoquerais aussi une parole religieuse (je crois que c'est Saint Augustin, mais j'ai beaucoup raté le catéchisme...) "Mais toi, quand tu fais l'aumône de la main gauche, ignore ce que donne ta main droite" qui traduit mieux que beaucoup d'analystes contemporains les injonctions contradictoires qui traversent les politiques en termes de finances.
Que le marché soit mû par une main invisible, cela ne fait plus guère de doutes depuis que les crises éclatent les unes après les autres depuis 1973. Mais quid de celle du politique qui doit aller chercher cette main pour mieux la guider ? Agit-elle elle aussi à l'aveugle dans un marigot de technicité où il n'est plus possible d'avancer avec clairvoyance ?
De ce point de vue, la création de l'ONG Financewatch (http://www.finance-watch.org/) m'avait mis la puce à l'oreille. Initiative portée par plusieurs responsables politiques dont l'eurodéputé d'alors, depuis devenu ministre du développement (Pascal Canfin), elle consistait à demander aux experts de venir apporter des éclairages aux politiques sur les évolutions de la finance mondiales. Celle ci devient trop complexes, avec plus d'un tiers des décisions entièrement automatisées, portées par des algorithmes informatiques, pour qu'une vigie humaine y comprenne quelque chose.
Le contexte n'est pas neutre dans lequel Financewatch est née: jamais l'humanité n'a produit autant de richesses et jamais les Etats n'ont été aussi endettés. Face à ce constat plus qu'ennuyeux pour les politiques, l'impératif de traque des abus, injustices et inégalités en tout genre fait figure de programme politique commun. En France, la gauche est passée, il lui faut donc montrer instamment des signes forts à la nation en quête de justice. "Mon adversaire n'a pas de nom, pas de visage, mon adversaire c'est la finance", disait le candidat depuis élu au Bourget. La finance, charge donc à Bercy d'aller redresser les torts, de jouer les snipers de l'égalité en tirant sur les abus. Problème, et si le sniper devait passer la visite médicale pour vérifier sa vue avant de tirer ?
En effet, la première cible visée par quelques hauts fonctionnaires de Bercy a de quoi inquiéter. Ils veulent diminuer de moitié l'avantage fiscal apporté au mécénat d'entreprise. D'après ADMICAL, l'association représentante des entreprises mécènes, ce secteur représenterait 2 milliards d'euros. Pas même une TVA sur la restauration, 1/30ème de la fraude fiscale... Même d'un ordre quantitatif, cette mesure n'avait rien de prioritaire, chers snipers fiscaux. Mais surtout, surtout, la décision de ces quelques têtes dites bien faites de Bercy relève du scandale dans la mesure où ils assimilent le mécénat d'entreprise à une niche fiscale. Or, le mécénat est régi par une loi du 1er août 2003 (dite loi Aillagon) stipulant que l'avantage fiscal accordé aux mécènes l'est dans la mesure où le don relève de l'intérêt général. C'est à dire, garde fou solide, que les bénéficiaires de ces dons soient en mesure d'apporter des rescrits fiscaux montrant qu'elles relèvent bien dudit intérêt général. Dans cette mesure comment continuer à parler de niche fiscal ? Sans doute trois crétins qui ont entendu qu'il y a 20 ou 30 ans, le mécénat était "la danseuse du président" et permettait à des chefs d'entreprise de verser dans l'abus de bien social. Un déni de réalité pur et simple dans la mesure où les dons d'entreprises vont aujourd'hui à des milliers de petites ou grosses associations, que les comités chargés des dons comportent souvent des personnalités qualifiés issus de ce secteur de la solidarité... Que ces entreprises aient des finalités internes et externes, de cohésion des équipes ou de communication, c'est entendu. Mais sont-elles fautives pour autant ?
Au-delà de l'erreur politique manifeste, cette décision choque dans la mesure où elle illustre tristement la déconnexion du politique avec la société. Comment peut on assimiler ces mesures salutaires à une niche fiscale. Si cette cartouche part, les dégâts seront pour les finances publiques : les deniers qui n'iront pas à la Croix Rouge, aux épiceries solidaires, aux associations d'insertions, au tutorat d'élèves méritants, aux personnes âgées et handicapées, au soutien d'associations luttant contre l'illétrisme, on les oublie ? Evidemment que non, un Etat comme la France ne peut laisser ce tissu mourir et devra payer lui même ce qui pour l'heure est pris en charge par des acteurs privés, ce qui permet de tisser des liens au delà du chèque. Détruire cela relève d'une intelligence plus que discrète... Espérons que l'infatué à la tête de Bercy ait un éclair de lucidité...
PS: la photo en miniature est du Castor, c'est une oeuvre d'art aperçue au musée de la Reina Sofia, non loin de Guernica... Le rapprochement des deux m'avait clairement décroché un sourire.
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18/06/2012
Combien de temps faut-il pour vraiment déconnecter ?
Les conférences organisées par Ted sont pleines d'étrangetés, en tout cas souvent des conférenciers empruntant des chemins de traverse. Là, j'ai un peu scotché sur le fond d'une vidéo où un baba cool vient nous exposer sa conception du temps libre.
La forme laisse un peu à désirer. L'homme n'est pas un grand orateur, il fait un peu dans le chamallow et les 17 minutes de sa prestation s'étirent assez mollement, poncutées parfois de quelques rires bon public. Néanmoins le fond interpelle : arrêter de bosser une année tous les sept ans pour prendre du champ et mieux réinvestir sa vie professionnelle.
Dans un graph' inutile (pléonasme ?), il inscrit le temps de l'éducation jusqu'à 25 ans (ce qui est déjà une conception un peu nombriliste yuppie de l'existence, mais la suite n'est pas inintéressante) le temps du travail jusqu'à 65 et la mort à 80. Il propose donc de substituer 5 années de la retraite et de parsemer la période de travail d'années de coupures à raison d'une tous les sept ans. La vidéo en entier est visible là:
http://www.ted.com/talks/lang/fr/stefan_sagmeister_the_po...
Evidemment, il y a des limites à sa théorie : l'écrasante majorité des habitants de cette planète ne peut se permettre d'essayer cette méthode. Pour des raisons financières, évidemment, et pour des motifs de concurrence également. Que la clientèle du baba revienne plus nombreuse chaque fois un an après, ou celle du restaurant El Bulli, tant mieux pour eux. M'enfin, on imagine pas un pharmacien ou un serrurier revenir un an après et que ce soit la guinguette. Tout cela ne peut fonctionner que si votre activité est donc financièrement très sereine (tous les salariés de l'agence du design du monsieur s'arrêtent aussi pendant un an) et que tout chez vous se fonde sur la valeur ajoutée créative. Après, les exemples montrés dans la vidéo nous interpellent dans la mesure où effectivement, il semblerait que ces longs breaks dans des pays étrangers fonctionnent. Le fait d'aller s'aérer en Inde, de sortir de ses codes quotidiens, lui inspire de nouvelles collections, de nouveaux objets, nouveaux courants. Puisque son chiffre d'affaires s'envole, difficile de contester l'efficience particulière. Tant mieux pour lui.
Là où cela me happe particulièrement, c'est quand j'imagine l'application de ces théories à la politique et à l'économie. Le problème insoluble de nos économies actuelles relève de la paralysie. Guère étonnant attendu que ceux qui prennent les décisions monétaires aujourd'hui, sont ceux qui n'ont rien vu (ou voulu voir) des éclatements successifs de bulles depuis 2000 avec une accélération très forte depuis 2008. Pas grand chose à attendre des élections, donc, en termes de changement de système (même si j'ai voté pour le changementounet dans mon XIVème redécoupé avec le VIè mais qui n'a pas rompu pour autant), le grand soir ne pourra passer que par ceux qui n'étaient pas là à la surboum de l'après midi... Or, nos dirigeants nous pressant toujours de prendre en compte la gravité extrême de la situation, ils nous enkystent plus encore dans une conception catastrophiste au temps ultra court. Guère conciliable avec le fait de nous relancer, mais bon.
Si l'on redescend d'un cran, à l'échelle individuelle, l'idée de la coupure s'impose avec plus d'évidence. En effet, dans le cercle restreint des gagnants de la présidentielle, ils sont plusieurs à avoir pris une année sabbatique, même si contre leur gré le plus souvent. De Gaulle, Mitterrand ou encore Sarkozy et Hollande... Après des revers électoraux importants, ils ont toujours su rebondir par la suite. Après les revers législatifs d'hier soir, quelques personnalités vont connaître cette déconnexion inattendue. Là, on comprend mieux les déclarations du conférencier sur le fait de le faire tout au long de sa vie pour repousser l'âge de la retraite sur des données plus cohérentes avec la nouvelle espérance de vie. Pour ceux qui n'ont jamais cessé de truster des places et des honneurs en politique, plus dure sera la chute : à plus de 65, voire 70 ans, quel avenir pour Jack Lang, Claude Guéant ou Michèle-Alliot Marie ? Sans doute plus grand chose à espérer, les médias n'aiment pas les perdants et ne vous rappelle que rarement pour amuser la galerie (exception faite de Roland Dumas).
Mais pour ceux qui prennent des vacances prolongées plus jeunes en n'ayant que la politique dans leur vie ? Quid de Nadine Morano ou Valérie Rosso Debord ? Que font des quadras sans mandats ? Elles ne vont pas attendre cinq ans sans revenus pour retenter leurs chances ? Même les européennes sont dans deux ans. Obligées, donc, de retrouver le chemin de la fameuse "société civile". Deux solutions : couper, réfléchir et faire autre chose (Rama Yade fait du conseil en recrutement, cette femme a vraiment le sens de la dérision...) ou sauter sur l'occasion procurée par sa petite notoriété et mener des missions de conseils, jamais bien définies... Eu égard au caractère des deux, il est à fort à redouter que ce soit la seconde solution retenue. Idem, voir pire pour Guillaume Peltier, le monsieur sondage de l'Elysée, transfuge de chez Villiers, qui s'est pris une rouste hier et continuera donc fort logiquement à faire fructifier ses conseils aux officines. Plus dure encore sera la remise en route pour François Bayrou. Refaire des bios historiques ? Napoléon III après Henri IV ? Pour lui qu'une carrière riches en mandats et l'approche de la soixantaine ont mis à l'abri du besoin, je prendrais vraiment le temps de la coupure. Je note d'ailleurs que sa première déclaration du soir allait en ce sens... Chacun déconnecte en une durée variable, mais à l'évidence, plus de 48h s'imposent...
Demain, quand même, je m'attarderais quelques instants pour réfléchir au sens des stats puisque celles qui s'affichent quand je veux écrire une note sur ce blog m'indiquent que la présente est déjà la 500ème. Il y en aura une 501ème à l'évidence, et je ne la dédierai pas aux Jeans, laissant la persuasion clandestine s'exercer par ailleurs sur la toile...
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