18/04/2020
Notre responsabilité individuelle, ne pas alimenter la psychose
La tonalité du récit collectif est une chose très étudiée en ce qui concerne le réchauffement climatique. A être trop léger, à vanter une "croissance verte" aisée, on encourage l'inaction. A contrario, à rabâcher que tout est foutu et qu'il faut être prêt pour le survivalisme, on encourage aussi l'inaction, car foutu pour foutu autant faire des tours de périph en SUV...
Il n'en va de même avec le coronavirus. La surprotection ne vaut pas l'exposition à tout va, mais les deux ont des effets délétères. On constate, effarés, le caractère criminel des discours de Trump et surtout Bolsonaro, lequel licencie son ministre de la santé qui prônait la distanciation sociale et révise les chiffres de morts à la baisse avec plus de zèle que les dirigeants chinois. Les criminels, ce sont eux. Pour autant, je note qu'à mesure que le confinement se prolonge, des discours de plus en plus effrayés se répandent et ça ne peut faire du bien à personne.
Nous sommes, globalement, très responsables. Depuis un mois, je n'ai jamais, jamais, vu une accolade, une embrassade, pas de troupeau.. Je vois des gens qui sortent en se tenant à distance, se lavent les mains, toussent dans leur coude dans leur écrasante majorité. Quand un homme, isolé, crache par terre, dois-je hurler, en venir à le haïr ? Evidemment, non. Je me tiens à distance et je me rappelle que l'écrasante majorité fait bien. Ainsi, je souris aux gens que je croise parce qu'on est tous dans la même galère et qu'en rajouter dans la haine de l'autre ne nous aidera pas à en sortir.
Relayer des images apocalyptiques, mettre en avant des cas graves "alors qu'ils étaient en bonne santé", c'est alimenter l'idée d'un chaos potentiel à venir. Pourtant, à mesure que l'épidémie avance dans le monde, on a des données qui confirment bien que le covid, n'est certes pas "une gripette", mais vraiment pas le choléra, ou Ebola pour prendre une pandémie plus récente dont tout le monde se foutait tant elle n'a pas atteint les pays riches...
Plus de 2 millions de cas recensés dans le monde, c'est à dire suffisamment lourds pour être testés, "seulement" 150 000 morts. 7% de morts parmi les cas déjà graves... 7%, pas 50%. Respirons. Et parmi ces cas graves, une surmortalité très forte de personnes âgées, immuno déficientes, aux difficultés respiratoires, obèses, diabétiques. Et une archi sous mortalité des gens en bonne santé. C'est capital de le rappeler, faute de virer dans une psychose collective.
Nous vivons au rythme des décomptes macabres et des courbes, cela devient une obsession, mais on en vient à oublier que personne sur cette planète, à part Chuck Norris, n'est immortel. Les 750 personnes mortes en France hier ne sont pas 750 victimes d'homicides, d'attentats, 750 morts que nous aurions pu éviter sans souci... Non, les gens meurent, les personnes fragiles peuvent être emportées par des gros rhumes, la grippe tue chaque année au moins 10 000 personnes, la pollution achève des personnes aux difficultés respiratoires lourdes et Michel Berger, non buvant, non fumant, bouffant macrobiotique est mort à 40 ans etc...
Quand 2020 s'achèvera et que nous prendrons une grosse caisse (avec masques ?), nous regarderons la surmortalité mondiale sur l'année. Sera-t-elle due au COVID ? Sans doute, mais pas du tout certain. Il y aura une sous mortalité des morts sur la route et beaucoup plus de morts d'accidents domestiques, des morts de faim, hélas, des tas de morts par incurie, littéralement, on ne compte plus les personnes aux symptômes d'AVC qui ne vont pas à l'hôpital pour ne pas engorger les services... Et évidemment un surcroît de suicides. Quid des morts du palu qui ne peuvent être traités à cause de l'engorgement et ces mille autres situations auxquelles je ne ne pense pas ?
On n'a pas cette comptabilité morbide là, chaque nuit. C'est heureux, nous n'en dormirions pas. Personnellement, et contrairement à Trump et Bolsonaro, je ne compte pas sur le ciel pour m'aider. Je compte d'abord sur la science, qui bosse, qui cherche un traitement et un vaccin et qui a l'honnêteté de reconnaître (elle...) qu'on ne sait pas tout sur cette saloperie, mais qu'on sait comment limiter au maximum les chances de la choper. Donc on continue à faire gaffe, mais notre responsabilité, c'est quand même de sourire aux autres, sinon on accepte tout. On accepte des injonctions infantilisantes, on accepte le tracing quand bien même on a aucune assurance, aucune garantie scientifique sur son efficacité. On accepte la "délation du bien" ? Evidemment, non. Le jour où on me distribuera un masque grand public, j'y dessinerai un sourire radieux et indélébile.
08:26 | Lien permanent | Commentaires (9)
16/04/2020
Et l'info publique, quoi qu'il en coûte ?
Comme l'écrivait l'historien américain Timothy Snyder dans "de la tyrannie" : "Nous jugeons naturel de payer un plombier ou un mécanicien, mais nous réclamons la gratuité de l'information. Pourquoi former notre jugement politique sur la base d'un investissement zéro ? Nous recevons ce que nous payons".
Cette maxime essentielle est trop peu partagée et nous en payons collectivement le prix avec l'élection des favoris de Fox News, ou de BFM. L'info offerte par des pubs pour les SUV, les téléphones portables, les voyagistes et les chips au paprika vaut ce que valent ces produits...
Les propriétaires de Fox News et BFM (Rupert Murdoch et Patrick Drahi) placent leurs hommes de confiance à la tête des rédactions et rares sont les journalistes qui peuvent y produire de la qualité et de la critique. Ces chaînes sont conçues pour matraquer une ligne et pas donner de l'info. Dans l'excellente série "The loudest voice" on voit comment Roger Hailes, ex conseiller de Nixon, Reagan et Bush père, fera de Fox News une machine de guerre, d'abord anti-Obama puis pro-Trump. Les voix modérées, tentant de lutter à l'intérieur, sont balayées, virées. Les médias financés par la pub sont hélas ultra dominants et le marché du journalisme ayant depuis des années beaucoup plus de demandes que d'offres, vous avez nécessairement des journalistes de qualité dans ces chaînes, mais pas tout en haut. Et le fonctionnement pyramidal de ces médias implique qu'ils et elles ne pèsent pas sur la ligne.
Tout le monde ne peut pas payer pour de l'info de qualité, c'est vrai. Mais il y a aussi une hiérarchie des besoins. Je connais nombre de foyers où l'on combine l'abonnement à Netflix et Canal, mais rechigne à verser le moindre écot à des entreprises de presse. Nombre de ces bonnes âmes qui m'envoient des messages privés pour me demander de leur copier/coller des articles de Médiapart ou du Monde qui, bizarrement, suscitent plus d'intérêt que les télés citées précédemment où les tribunes du Huff Post... Le débat sur le coût de l'information est trop biaisé, comme pour l'alimentation. Ça n'est pas un "luxe de bobo" mais une exigence vis à vis de soi qu'on ne met pas dans des babioles et gadgets dont tout le monde se passe totalement depuis un mois et pourtant le monde tourne. La qualité, ça se paye. Soit directement, avec l'abonnement, soit collectivement avec une redevance pour offrir à ceux qui ne le peuvent pas, une info de qualité.
Ce matin, France Inter a vécu un gros moment de dissonance cognitive : à 7h15, un billet rappelait qu'aux US, le biais financier vis à vis de l'info crée des inégalités gigantesques. Les médias payants donnent accès à de longues enquêtes, du décryptage, la parole aux médecins et scientifiques. Les médias gratuits répandent des fake news grossières (le coronavrius est une invention des lobbys xxx) ou de fake news socialement acceptables (les propos de Trump différents à 180° de la veille à chaque fois). Les États-Unis ont un pôle de média public famélique en poids même si de grande qualité (NPR), l'avis de nombre d'américains sur la gestion de la crise est donc conditionné par l'argent qu'ils investissent pour s'informer. Peu rassurant...
A contrario, nous avons en France la chance d'avoir un pôle public conséquent, puissant, couvrant tous les domaines avec des rédactions importantes. L'information de qualité à un coût et notamment un coût humain. Les petites rédactions, aussi talentueuses soient-elles, informent moins globalement. Mediapart excelle dans l'investigation, a d'excellentes analyses sociales et économiques, mais ses pages internationales sont plus que minimales, comme les pages société. Il faut du peuple pour parler aux foules et vice versa. On a tout ça, chez Radio France. Et le public suit, les audiences sont au zénith et en pleine crise, les antennes se mobilisent pour continuer à démultiplier les formats plus longs en donnant beaucoup (trop... mais personne n'est parfait) la parole aux auditeurs pour calmer les angoisses, souvent liées à des infos non vérifiées lues ailleurs.
A 8h20, Nicolas Demorand recevait un ficus au sujet duquel on me glisse dans l'oreillette qu'il serait aussi ministre de la Culture et de la communication. Vérification faite, et aussi étonnant que ça soit, il semblerait bien que ce Franck Riester est bien la personne en charge de mener la réforme de l'audiovisuel public. Et alors même que Demorand avait tous les arguments dans les mains à 7h15 pour dire l'absolue supériorité d'un modèle français permettant à ceux qui ne payent pas d'infos d'être bien informés et d'échapper aux avalanches de conneries, il ne le dit pas. Il ne dit pas qu'on ne peut pas faire plus avec moins. Qu'on ne fera pas aussi bien avec 300 postes en moins. Et que le "quoi qu'il en coûte" de Macron vaut aussi, évidemment, pour l'info publique de qualité.
16:09 | Lien permanent | Commentaires (0)
15/04/2020
Il n’y a plus de bonnes solutions
Depuis lundi, 20h15, le débat sur la légitimité de la réouverture des écoles le 11 mai éclipse la question de savoir si le professeur Raoult mérite un Nobel au carré ou est un charlatan... Et les arguments de la fermeture des écoles "jusqu'à ce qu'on ait trouvé un vaccin" me navrent. Ceux qui disent "'c'est criminel, on peut rester confinés des mois sans problème" me navrent.
Précision avant de me faire agonir d'injures : ma soeur est instit, mon frère est éducateur scolaire, j'ai des ami.e.s en pagaille profs dans le primaire et le secondaire. Et je les aime fort. Je n'en veux pas à leur santé, ne veux pas qu'ils reprennent n'importe comment. Evidemment. Mais ça ne m'empêche pas de me poser les questions dans le bon ordre et la première qui compte est : le confinement est-il un projet de société viable ? La réponse est non.
Est-ce que la réouverture des écoles est une bonne solution ? Non. Mais, il n'y a plus de bonnes solutions, seulement la moins mauvaises à choisir. Si on remonte la chronologie, nous pourrions ne pas en être là. Nous pourrions être la Corée du Sud. Ni oubli ni pardon, nous aurions pu être la Corée avoir masques et tests et encore des usines. La disparition de 700 millions de masques, les fermetures d'usines de gel, de bouteilles, la faiblesse de nos stocks de respirateurs, le manque de lits... Tout ça est évidemment vrai. Le mea culpa présidentiel de lundi est beaucoup trop faible eu égard à sa responsabilité. Tout n'est pas de son fait, évidemment, mais il a commis plus d'erreurs qu'il n'en a concédé, à commencer par le criminel (au sens propre) maintien du premier tour des municipales. Tout ceci est vrai. Tout cela devra être jugé, dans les urnes, dans les tribunaux. Pour le passé, pour l'avenir, que ça ne se reproduise plus. Certes. Mais l'heure n'est plus à pleurer sur le lait renversé mais à voir comment composer avec l'épidémie, puisqu'elle est là.
Elle est dans l'air, sur les objets et dans les miasmes de quelques millions de français.e.s. Et elle est invisible. Il faut cesser de se regarder avec haine, parce qu'on croise des passants qui marchent sur un quai ou flâne sur une place. Cette culture de la délation, de la haine de celui ou celle qui sort est insane, et nous monte les uns contre les autres, quand on a besoin de cohésion.
Pour les écoles, avant de hurler à l'assassinat, on a besoin d'intelligence collective. Les écoles ont fermé du jour au lendemain, elles vont rouvrir dans un mois. Un mois pour s'organiser au cas par cas. Je comprends qu'on insulte Blanquer (je m'en prive peu), mais eu égard à sa tête depuis mardi, la décision ne fut pas la sienne et surtout il n'a pas les clés de la réouverture. Ca se fera différemment dans chaque ville, dans chaque établissement, mais il faut se donner une chance. Un mois pour cela et des masques et tests qui arrivent bien plus qu'il y a un mois (même si, pas assez).
Le confinement n'est pas un projet de société. Dans un manoir, avec des revenus qui tombent et sans enfants, on peut peut être tenir quelques mois sans sombrer dans la folie, mais hormis cela, ça n'est pas tenable. N'oublions pas que les inégalités extrêmes de confinement se détendront avec le déconfinement. Si on est pour la justice, on doit aussi se réjouir pour toutes celles et ceux qui vivent dans des tout petits espaces et pourront ressortir. En faisant gaffe, à distance, mais ressortir. On peut rouvrir les parcs sans qu'on s'agglutine forcément. Je pense à mes copines mères célibataires (j'ai pas de potes pères célibataires, désolé) et qui devenaient folles à l'idée de n'avoir aucun répit, aucun petit temps libre jusqu'à septembre. Les enfants ne reprendront pas à 100% tout le temps, mais un peu de répit est plus que bon à prendre. Tous les artisans, coiffeurs, libraires, fleuristes, dépanneurs, qui voyaient leurs maigres éconocroques fondre comme neige au soleil, vont pouvoir retravailler. Toutes celles et ceux qui télétravaillent avec leurs enfants et deviennent fou au point que la première angoisse des DRH de boîtes de service concerne le burn out et l'épuisement. Et les profs eux mêmes qui se sacrifient pour maintenir la continuité pédagogique dans des conditions acrobatiques... C'est humain de se réjouir que tout le monde n'aille pas mal avec le déconfinement.
En isolant les plus fragiles, les très vieux, déficients respiratoires, diabétiques sévères, obèses morbides, on s'évitera un second engorgement hospitalier. Bien sûr, en rouvrant les écoles, plus de personnes attraperont le COVID. Mais c'est inévitable. C'est une épidémie. Autour de moi, beaucoup l'ont eu. Certains s'en sont remis en 8, 10 jours, d'autres trois semaines, un mois. Comme une épidémie d'une belle saloperie. Quelques morts aussi, pas proches, mais on est tous à six contacts (on a plus le droit aux poignées de main...) de tout le monde. Oui, des morts, mais très fragiles. On ne peut agiter le spectre de la mort d'une adolescente pour demander à tout fermer, tout claquemurer, quand l'immense majorité des morts sont des personnes fragiles. On doit se protéger, faire gaffe à nous pour les autres et vice versa, mais la peur n'est pas une vision du monde. Le confinement non plus.
13:57 | Lien permanent | Commentaires (3)