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24/12/2017

Macron et le triomphe du "what aboutism"

Le rebond dans l'opinion, inédit par son ampleur, ne peut être ignoré : Macron finit l'année en triomphant. La révolte sociale n'aura pas lieu. Après les ordonnances sur la loi travail (dont on voit les effets délétères ce matin, les salarié(e)s de Pimikie qui vont être licenciés massivement via cette procédure devront payer des impôts sur leurs indemnités à t'on appris ce matin. Et joyeux Noël les derniers de cordée, hein.), celles sur la formation, l'assurance-chômage ou les retraites passeront. Les acteurs classiques de la contestation sont essorés et ne hurleront pas. L'indignation massive face à notre politique migratoire honteuse, saluée et soutenue cette semaine par plusieurs cadres du FN, ne viendra pas. Les vertueux agissent et n'ont pas le temps de bloquer. De toutes façons, dans une France à qui l'on serine que tous nos maux viennent des "autres" la cause des migrants est perdue pour l'opinion... 

La contestation et l'opposition ne seront pas majoritaires avant un certain temps, il faut s'y habituer. Pourtant, les décisions gouvernementales sont aujourd'hui toutes minoritaires. Et cette improbable quadrature de la popularité force, si ce n'est le respect, du moins l'attention. Les ordonnances sur la loi travail n'avaient pas les faveurs des français, principalement de ceux qui sont en âge de travailler (qu'ils aient un emploi ou en cherchent un) ; eux qui les jugent "injustes". Un qualificatif qui revient systématiquement pour qualifier la politique fiscale du gouvernement où l'on s'indigne à la lecture des journaux pour une raison simple. Promesse de ne pas augmenter les impôts sur les ménages oubliée : hausse de 4,5 milliards soit exactement ce qui est ôté su l'ISF. Les ultra riches, les ploutocrates se gavent comme jamais : flat Tax (mesure Reaganienne s'il en est) exemption de tous ordres pour les investissements financiers, open bar MEDEF... 

L'injustice écologique également est prégnante. Le mirage Hulot ne tient pas. Pas seulement parce qu'il a six bagnoles, mais parce qu'on voit bien que Stéphane Travert gagne systématiquement leurs bras de fer et qu'il semble urgent de ne rien changer fors un #... Et pourtant, en dépit de toutes ces injustices mesure par mesure, l'ensemble est populaire. Schizophrénie de l'opinion ou habileté suprême de Jupiter ? 

On concède une chose à Macron : la cohérence. Les mesures prises par Macron sont peu ou prou celle de la campagne. L'exemption ultra massive des plus riches et les reniements écologiques sont à la marge. Grosso modo, il fait ce qu'il a dit, flat tax et exemption de l'ISF inclus. La campagne relevait bien du télévangélisme et l'immense majorité des électeurs de Macron ne soutenait pas un programme, mais une posture, une attitude. Jeune, présentant bien, parlant anglais et en même temps le français de Vauvenargues, Macron nous a évité la droite corrompue et l'extrême droite raciste. Raison pour laquelle nous fermons les yeux sur une politique sécuritaire saluée par l'extrême droite et une politique économique et fiscale qui fait jubiler les milieux d'affaires comme jamais et où le déontologue de l'Assemblée dit ne pas pouvoir faire son travail... 

Peut être cela pourrait changer avec des réformes non annoncées comme le SMIC où le président entend cesser d'augmenter le SMIC au niveau de la croissance (comme c'est le cas aux Etats-Unis où le salaire minimal a décroché très fortement depuis 30 ans avec des pauvres beaucoup plus pauvres qu'avant) et même, régionaliser le SMIC avec un bordel inommable à venir... Mais pour l'heure, Macron c'est le triomphe du what aboutism, comme Donald Trump, mais avec plus de talent et de succès. Attaqué sur ses remarques, ses tweets, ses décisions, Trump répond systématiquement "what about Hillary Clinton / Barack Obama..." et cela fonctionnait, par enfumage. Tump et Macron ont ceci de commun de servir une politique pour oligarques, pour ploutocrates, une politique post politique, post démocratie parlementaire, post clivage. Trump a conquis la maison Blanche grâce à ça, grâce à la fatigue montante contre des Démocrates corrompus et inagissant. Macron a pris l'Elysée à la hussarde face à une droite corrompue et divisée et une gauche en lambeaux après 5 années de sociale traîtrise permanente. La France ayant bien mieux que d'autres pays résisté à la dérégulation libérale, les réformes de Macron auront des effets connus d'avance, là où la révolution libérale est achevée : hausse de la "croissance" au sens PIB mais avec augmentation des inégalités et dégradation écologique ; baisse de façade du chômage avec radiations et jobs précaires (rappelons que nos chiffres reprennent la base du BIT pour lequel un salarié qui travaille une heure par semaine n'est pas chômeur...), bref, transformer la France en Allemagne. 

Le what aboutism de Macron a de beaux jours devant lui. Le FN n'a pas de chef, celui de la droite est trop clivant, comme celui de la France Insoumise (jetons un voile pudique sur le cadavre du PS) et alors que l'écologie préoccupe tout le monde, il n'y a plus de figure écolo... Bref, dans une logique uniquement présidentielle, Macron a un boulevard. En Espagne Podemos a remporté des mairies importantes (Barcelone, Madrid), le mouvement Our Revolution de Sanders à peine né remporte déjà des batailles locales et de petites municipalités. Il faut repartir par le bas. Lancer la remontada par la base, car en ce qui concerne l'Olympe présidentiel, Jupiter règne pépère... 

18/12/2017

Pro européen, mais encore ?

De tous les débats politiques actuels, le plus escamoté, le plus biaisé, le plus honteux, est sans conteste celui sur l'Europe. Ce qui s'est passé ce week-end est consternant, catastrophique, accablant pour quiquonque aime la démocratie et ça n'est malheureusement pas une surprise. Il ne s'est rien passé. Rien. Le nouveau chancelier autrichien, Sebastian Kurz, a délégué toutes les fonctions régaliennes de son gouvernement (notamment l'immigration, mais aussi les affaires étrangères à des membres d'extrême-droite), dont certains ont milité dans les jeunesses néo nazis. Personne n'a menacé l'Autriche. Personne n'a émis ne serait-ce que l'idée de sanctions, de remontrances. Attendu qu'on nous vend un gouvernement continental comme avenir, cela signifie qu'on pourrait inoculer (à dessein..) des Commissaires Européens issus des nostalgiques du Reich et que personne n'y trouve rien à redire. L'important, c'est que l'Europe avance, qu'elle abaisse ses impôts, ses barrières douanières, ses normes environnementales, le reste...

Au plus profond que je pousse mon introspection, je ne suis plus capable de dire si je suis "européen" tant ce vocable est vide, politiquement. Je l'ai été avec assurance, j'étais sûr que tout de même un grand ensemble dans un grand monde, c'était cohérent. Ca n'est plus le cas. Ma tradition politique est internationaliste, tous les arguments sur Erasmus, la paix, les grands chantiers à venir, OK, pourquoi pas, mais si je prenais une feuille et que j'inscrivais des "++" et des "--" en face le résultat serait aussi déficitaire que la holding de Patrick Drahi...

Depuis 2005, l'Europe a cessé d'être un espace démocratique. Une consultation colossale pour le projet de Constitution, un rejet massif et hocus pocus le texte repasse à l'authentique en 2008. Electeurs européens, vous reprendrez bien un peu de salade de couleuvres ? Elle a été livré en 2010 depuis la Hongrie. La Hongrie, à peine 10 millions d'habitants, une économie précaire : pas exactement la puissance politique nécessaire pour faire vaciller l'édifice continental. Et pourtant si. Depuis 2010, Orban bafoue allègrement tous les principes supposément fondateurs de l'Union, défonce la liberté de la presse, d'expression, de conscience, entretient un climat raciste, islamophobe, homophobe, antisémite et a même fait passer une loi autorisant la police à tirer sur les migrants qui tentent de sauter par dessus les barbelés. Des lois ouvertement fascistes, ouvertement incompatibles avec la démocratie la plus précaire, la plus faible. Dopés par cette ordure d'Orban, d'autres pays de l'est européen se sont largement brunis depuis. D'autres pays modestes (Bulgarie, Slovaquie) un autre plus compliqué avec un épigone de Trump (République Tchèque) et surtout la menace polonaise. La Pologne et ses 39 millions d'habitants désormais dirigés par les ultras réacs du PIS. J'espère sincèrement que toute cette note sera caduque demain, que l'ultimatum lancé par Juncker sera suivi de sanctions. Mais rien qu'à écrire que le garant de la justice européenne est celui là même qui a couvert un gigantesque système de fraude fiscale dans son pays, je suis saisi d'un doute. Là bas, saccage de la presse, limitation des droits des femmes, des homos, des migrants, casse sociale, état policier. Voyant cela partout en Europe, que signifie réellement être "pro européen" ? 

L'an prochain, la présidence tournante du conseil de l'Union Européenne sera confiée à la Bulgarie puis l'Autriche, deux pays où fleurit l'extrême-droite. Une bien belle vitrine sur le monde. On peut déplorer le Brexit, le départ des Catalans et de tous les autres, mais qui prend encore le temps de dépeindre les horreurs qui se passent parmi ceux qui restent ? Les critiques contre "les souverainismes" ne sont tout bonnement plus audibles quand le fédéralisme est inhumain et accepte sans mal le fascisme car ce dernier a toujours bien cohabité avec les marchés. En 2019, nous aurons à nouveau de grandes élections européennes. Le premier qui me fait chier avec un vote anti-européen, je l'oblige à regarder les journaux autrichiens, polonais, bulgares, hongrois, slovaques, tchèques... 

13/12/2017

Mal aimé, isolé, extrémiste, Wauquiez ? You cannot be serious

La synthèse des titres de presse sur l'élection du Président LR donnerait quelque chose comme "le plus dur commence pour le mal aimé de la droite qui va voir sa famille se décomposer". Hier, la Une des éditions matinales était ainsi consacrée au départ de Xavier Bertrand comme un nouveau signe de l'Armageddon qui pointerait à droite. Après la défection de Christophe Béchu et le refus d'accord de Jean-Christophe Lagarde, on ne présente plus Wauquiez que comme un avion sans ailes, un type à la tête d'un tas de ruines, un sectaire qui fonce vers la défaite en klaxonnant. Je suis peu susceptible de fascination ou d'admiration pour Wauquiez, mais ne pas voir que ce monsieur sait parfaitement ce qu'il fait est un peu navrant...

Wauquiez a deux modèles, Sarkozy et Trump, et la synthèse des deux pourrait l'emmener très loin. Grâce au premier, la désaffection de son camp, il s'en cogne royalement. Résumer Sarko au chef sans contestation de son parti que les médias encensaient est un non sens historique, une méconnaissance crasse, une amnésie douteuse. Avant de laisser l'usure du pouvoir présidentiel éroder sa popularité, Sarko, a connu les affres de la figure du traître avec une puissance incomparable à ce qui touche aujourd'hui Wauquiez. Il faut lire les mémoires de politiques lorsque Jacques Chirac l'emporte en 1995. Le rassemblement du RPR triomphant pour fêter son président, les acclamations bruyantes pour tous les membres de la famille le soir de la victoire. Tous ? Non, l'un a avancé sous les lazzis, les huées et même les crachats alors qu'il se frayait un chemin vers l'estrade des officiels. Mâchoire serrée, ne lâchant pas la main de Cécilia, le Sarkozy de 1995 a subi un walk of shame plus violent que celui de Cersei Lannister. C'est même dans la détestation de son camp qu'il a trouvé le carburant de la reconquista de la droite. Un quarteron de fidèles (Guéant, Hortefeux), quelques jeunes (Solly, Martinon) et une tête pensante dans la dernière ligne droite (Emmanuelle Mignon) il n'en a pas fallu plus à Sarkozy pour s'imposer à toute la droite où il était unanimement détesté. Haï. Et isolé. A côté, Wauquiez est un angelot à la tête d'une armée.

De Trump, Wauquiez a retenu que dans une période de passions chaudes, les faits et la rigueur n'étaient pas nécessaires pour emporter une élection. 78% des propos prononcés par Trump lors de la campagne 2016 étaient des mensonges. Pas des opinions, des points de vues forcés, des jugements à l'emporte pièce ou des exagérations. Non, des purs mensonges, des faits erronés... 78%. Y a de la marge. Alors, certes, nous ne sommes pas les US, mais le complexe de supériorité qui nous anime par rapport aux Etats-Unis n'a pas lieu d'être. Ici aussi, on peut désorienter (pour éviter le trop connoté "manipuler") les foules avec des pelletés de bobards et Wauquiez l'a bien compris. Il a parfaitement appris à désapprendre, depuis des années. Le normalien agrégé a appris patiemment à disloquer sa syntaxe, sa grammaire, son vocabulaire pour "faire peuple". De ses cheveux gris à sa parka rouge, de sa grosse montre à ses fautes d'accord, tout est fake chez Wauquiez. Ca n'est plus une fake news, mais un fake candidat. Dans une époque où la vérité est malmenée, pas sûr que ça soit un handicap...  

Or, toutes les analyses ce matin convergent pour dire l'erreur stratégique de la droitisation de Wauquiez. Ce matin, Thomas Legrand nous explique en somme qu'il y a deux droites en France, une modérée et une réactionnaire. La modérée finirait par aimer le mariage pour tous, l'écologie et les immigrés, la réactionnaire serait bonne aux orties... Les 2 millions de personnes descendues pour manifester contre le mariage pour tous ? Gommées. La même erreur n'a pas voulu voir le triomphe de Fillon, l'an passé. Et sans Pénélope, il était évidemment élu, attention à ne pas refaire l'histoire... Ce sont les mêmes analyses qui n'ont pas vu la montée des populistes en Pologne, en Hongrie et évidemment, de Trump. Car Obama puis Hillary Clinton ont fait des propositions tout à fait semblable à ce que fait Macron aujourd'hui. Résumer la victoire de Trump au surmoi raciste et misogyne des Etats-Unis est une bourde lourde. Partout dans le monde, le progressisme engrange des adversaires farouches. Wauquiez l'a bien compris. On peut (c'est mon cas) mépriser, détester, déplorer Wauquiez, c'est sans doute une marque de salubrité intellectuelle. Mais le sous-estimer, en revanche, l'histoire nous apprend qu'il ne faut pas.