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29/10/2017

Inverser notre regard sur les pauvres : moins de potence, plus de pitié.

 

Selon une étude IPSOS Sopra Stéria, 71% des français estiment que la lutte contre « l’assistanat » est une priorité. Un acharnement motivé par la supposée dangerosité des assistés (on peut moquer les propos de Trump sur les mexicains, mais Valls ou Wauquiez ne sont guère loin lorsqu’ils parlent des roms ou des immigrés si ceux-ci sont musulmans) et leur passivité puisque la même étude nous apprend que 36% des français estiment que les personnes pauvres « ne font d’efforts pour en sortir ».

La défiance endémique vis à vis des plus pauvres n’a rien de neuf. L’historien Bronislaw Geremek a très bien comment, face à la pauvreté, le monde médiéval ­oscille entre la potence et la pitié : les vieillards, les veuves, les malades et les femmes en ­couches bénéficient de la charité chrétienne alors que les vagabonds sont durement persécutés. Or, les chiffres aujourd’hui montrent que des deux plateaux de la balance, l’opinion publique penche fortement en faveur de la potence…

Une haine des plus faibles qui s’expliquent sans doute par un matraquage permanent d’un discours anxiogène sur le déclassement à venir et d’une compétition économique âpre poussant chacun à détester son voisin pour éviter que la noire prophétie n’advienne… Jusqu’à en perdre toute rationalité : les signes sont là, preuves irréfutables, qu’il est de plus en plus dur de subsister, de survivre même, pour les plus pauvres, en France. En termes de logements, d’abord. Entre le nombre croissant de personnes mourant dans la rue (501 en 2016 selon le collectif « les morts de la rue » dont 46 femmes et 11 enfants), l’explosion de personnes à la rue (+50% entre 2006 et 2016, selon la Fondation Abbé Pierre), de mal logés (3,8 millions selon la même source) et la résurgence de bidonvilles, c’est peu de dire que le mythe des allocations permettant de pavaner en pavillon relève de la flûte. En termes de santé, les descriptions apocalyptiques des soins dentaires ou ophtalmiques (moins remboursés), les inégalités face à l’espérance de vie en bonne santé ou face à l’obésité en fonction des classes sociales sont pourtant publiques. Idem pour le chiffrage des inégalités scolaires qui met fin à toute discussion avec un pénible arguant que « quand on veut on peut ».  

Enfin, sur l’emploi, entendre le porte-parole du gouvernement reprendre les éléments de langage de Wauquiez et Gattaz sur les chômeurs de longue durée qui préféreraient « faire des vacances autour du monde pendant deux ans » plutôt que de chercher un emploi quand toutes les statistiques publiques montrent les énormes difficultés rencontrées par les chercheurs d’emplois de longue durée, on hésite entre soupir et appel à l’insurrection. Le budget voté la semaine dernière a enregistré des baisses d’impôts de 5 à 7 milliards par an (soit 30 milliards sur la mandature) pour les plus ultra fortunés, entre l’ISF, l’abandon de la taxe financière et la flat taxe sur le capital moins taxé que le travail. On ne parle pas d’une opposition entre 50/50 de droite et de gauche, ni de des deux français sur trois chers à Giscard. Non, on parle de mesures folles, votées pour complaire aux 0,1% des plus fortunées et pour faire passer la pilule on monte les classes moyennes contre les plus fragilisées… Y a des potences qui se perdent, et pas pour ceux qui tentent de survivre en bas de la pyramide.

27/10/2017

La tyrannie de la simplicité

Après le coca sans sucre, la bière sans alcool et les cigarettes sans tabac, voilà qu'on réclame des intellos sans intellects. A quelques semaines d'intervalle, plusieurs clients m'ont demandé de faire venir des intellectuels à leurs conférences afin de "donner de la hauteur" à leurs propos. Notez que personne ne leur a demandé, c'est eux tous seuls qui se sont dit que cela serait du dernier chic. Et à chaque fois que j'ai listé quelques propositions un peu sérieuses, on m'a rétorqué  la même chose : "attention, ça risque d'être compliqué, il faut que ça parle à tout le monde dans l'entreprise, des dirigeants jusqu'aux personnes ayant des postes plus basiques".

Et là, c'est une consternation sans nom devant la cécité de mes interlocuteurs : depuis quand sont-ce les dirigeants qui ont le plus de curiosité intellectuelle ? D'où sort une navrante assertion pareille ? J'en connais, j'en ai rencontré des incollables sur Rothko et Ensor, d'autres qui peuvent vous fredonner tout Hayden ou Mozart, des névrotiques de Truffaut et des amoureux de romans du dix neuvième. J'en connais. Mais je dois bien reconnaître que dans la grande (l'immense, pour être honnête) majorité des cas, pour éviter les silences trop pesants, soit on parle politique quand on y est invité, soit ma lecture assidue de l'Equipe depuis ma tendre enfance est un bien précieux... Au fond, le refus d'amener de la complexité dans l'entreprise est justement pour ne pas emmerder ceux qui se passionnent surtout pour la lecture des Echos et les histoires de montages de boîtes. Eux, ce qu'un(e) philosophe, un(e) sociologue, un(e) économiste et autres peuvent dire pour les inviter à un pas de côté sur leur activité, ils s'en cognent. Mais ça, ça n'est pas politiquement correct à dire, alors on préfère raconter que ça va causer des tracasseries aux pauvres agents chargés de la logistiques ou aux secrétaires. Comprenez, quand on est à ce poste là, c'est bien qu'il y a une raison, on peut pas comprendre un raisonnement... Alors, pour trouver un compromis acceptable, on amène des penseurs sans pensées, façon Compte-Sponville et tout le monde fait semblant d'être content.

Cette tyrannie de la simplicité est exaspérante et contre-productive. Je me souviens d'un congrès animé l'an passé où le président de l'UMIH, un syndicats d'hôteliers restaurateurs, avait invité Michel Serres. L'angoisse face à la complexité des propos du philosophe avait aussi été soulevé en réunion, mais le président avait tenu bon, arguant que lorsque ses ouailles seraient face à quelque chose d'intelligent, ils s'en rendraient compte d'eux mêmes. L'heure d'échanges prévue s'était muée en presque deux, une qualité d'écoute à faire pâlir d'envie nombre de professeurs et des questions des congressistes remarquables. Ils avaient élevé le niveau, conscients qu'on leur proposait cela. Quelqu'un avait refusé la tyrannie de la simplicité et ça avait fonctionné. Le service public audiovisuel ferait bien de s'en inspirer et de tenter de jouer son rôle en diffusant des oeuvres exigeantes. Ceci histoire de relancer une dynamique où l'on cherche d'abord l'élitisme pour tous cher à Vittez plutôt que des cons promis... 

19/10/2017

#Balancetanuance

Depuis dimanche, mon fil Facebook entier est rempli de #porcs et de #Metoo. On peut, on doit, saluer cette libération de la parole des femmes face aux violences dont elle sont victimes, attendu que le silence ne peut en rien être une solution. Malgré tout, un truc me chiffone et ça n’est pas le verbe « balancer » derrière lequel il n’y a aucun subconscient vichyste (bises Enthoven). Non ce qui m’ennuie au plus haut point c’est l’absolue indifférenciation de tout ce qui est raconté. Un regard visqueux, une parole déplacée, côtoie en parfaite égalité une intimidation manifeste, une agression sexuelle et un viol. Or, tout cela ne relève pas de la même condamnation juridique et à ne pas distinguer les coupables on leur donne la possibilité de ne pas se sentir concernés. Et c’est la le hic. L’écart abyssal entre ce que les femmes éprouvent comme violences et le nombre d’hommes conscients d’en exercer. A tout mettre sur le même plan après l’abominable affaire Weinstein, dont il semblerait qu’il soit violeur récidiviste, on prend le risque qu’aucun mec ne fasse son examen de conscience.

Lequel est sans doute douloureux pour tous. Une récente interview dans le Monde rappelait que le harcèlement touche tous les milieux, a fortiori ceux où la hiérarchie est forte et marquée. Personnellement, je me considère féministe, résolument féministe et écœuré par les violences faites aux femmes. Mais dans ma vie post puberté (foutons la paix aux petits garçons), n’ai-je jamais, alors que j’étais imbibé, été insistant à outrance face à une femme m’ayant clairement fait comprendre l’absence de réciprocité du désir ? N’ai-je jamais tenu des propos mal interprétables ? Et allez, en huit ans de professorat, n’ai-je jamais abusé de cette supériorité hiérarchique pour faire rougir des étudiantes ? Je crains que cela ait pu m’arriver et je n’en suis pas fier. Pour autant, et j’ai des témoins, je ne suis pas Weinstein et plus sérieusement, je n’ai jamais outrepassé de limites légales, très loin s’en faut. Mais si toute cette affaire me fait cogiter quand je ne suis jamais pas en première ligne de responsabilité, je crains que le brouhaha ne permette aux vrais coupables d’ignorer soigneusement en montrant Weinstein du doigt. La libération de la parole ne sert que si elle est suivie des faits : la peur ne peut changer de camp tant que nous n’aurons qu’une plainte sur dix pour violence sexuelle suivie de condamnation. So, #Injusticewetrust et #Donnezdesmoyensauxassosetalajustice