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04/03/2018

Plutôt Mediapart que Le Media à part

Depuis quelques jours, Le Media vit une période que l'on qualifiera de "compliquée" laissant les termes de "purge stalinienne" aux médias appartenant à des milliardaires. C'était couru d'avance, cousu de fil blanc, inévitable et ça ne va pas contribuer à une réconciliation entre citoyens et producteurs d'information.

Fils de communistes, électeur de gauche dite à tort "radicale" (je dirais "gauche tout court", mais je ne vais pas relancer une guerre picrocholine avec ceux qui voient en Stéphane le Foll l'homme du renouveau à gauche....), gros consommateur de médias et exaspéré par le traitement social dans nombre de médias, j'avais tout pour devenir Socio du Média. A 5 euros la part, pour quiconque croit que la gratuité ne peut être un modèle pour l'information, il fallait se lancer. Nombre de journalistes respectables rejoignaient la rédaction, certains amis y tenaient chronique. Je regimbais. L'évidence d'une fermeture idéologique surplombait. Pourtant, je soutiens à 100% leur constat de départ. Quand je vois le traitement quasi unanime du conflit à venir à la SNCF où le terme de "privilège" précède toujours celui de "cheminot", j'ai envie de hurler. Surtout quand dans le même journal, on justifiera les suppressions d'emplois à venir chez Carrefour au nom de la sacro-sainte "modernisation", sans évoquer une seconde que depuis 5 ans, le groupe a touché environ 700 millions d'euros au titre du CICE et en a profité pour distribuer de coquets dividendes aux actionnaires tout en piétinant proprement leur obligation de préserver l'emploi...

Bien sûr, l'écrasante majorité des titres parlent de "charges" patronales plutôt que de "cotisations", évoquent "l'émancipation et les créations d'emplois chez Amazon et Uber" sans développer plus longuement la nature de ces emplois. Il faut voir comme on nous parle mal, comme des consommateurs uniquement. Le constat d'Alain Souchon en 1993 n'a pas pris une ride, il s'est botoxé, amplifié et déformé en pire...

Alors face à cela oui, 100 fois oui, j'aimerais pouvoir trouver des titres à la tonalité un peu discordante, mettant sur un pied d'égalité des économistes attérés face aux autres et pas une caution de gauche entre six experts libéraux et néo libéraux comme c'est toujours le cas... Mais ce titre ne sera pas Le Média. Pour reprendre la formule de Fabius à propos de Jean-Marie le Pen "Le Media apporte de mauvaises réponses à de bonnes questions".

En inversant la hiérarchie de l'info, en se dégageant de cette dictature des faits divers et autres turpitudes, Le Media met des principes louables en avant. Mais il y a deux mais pénible. D'abord ce site est, littéralement, in-regardable. Là où le Media ne dispose pas des moyens d'une radio de qualité, ils s'obstinent à vouloir faire une télé... Le résultat est plus que low cost et dégoûte le plus fidèle amateur d'image. Mais laissons cette critique formelle de côté en espérant qu'ils comprennent un jour la nécessité de rompre avec l'image et de revenir au son et texte pour aller au bout de la démarche... Sur le fondn cette semaine a marqué la mort du Media. Qu'une chronique infamante soit diffusée n'est pas un drame, les bidonnages sont légion ailleurs aussi. Mais soutenir mordicus le journaliste Claude El Khal depuis est une hérésie. On ne parle plus d'information, mais de bras de fer. On va mettre en avant le fait que le journaliste vomit le régime de Bachar et à ce titre, n'est pas suspect de complotisme de Poutinophilie et autres. Les types défendent un indéfendable avec la fougue d'avocat en procès d'assise... Problème, les écrits restent.

Passons sur un tweet où Claude El Khal arborait fièrement "ISISRAEL" truc bien dégueulasse, d'un antisémitisme fou. Mettons qu'il ait eu une pulsion et qu'il ne soit pas une ordure mais ait voulu manifester une opposition à Netanyahou. Je n'y crois pas, mais accordons lui le bénéfice du doute. En revanche, comment expliquer ce très long texte, sur son blog ( https://claudeelkhal.blogspot.fr/2014/08/the-daesh-conspiracy-fact-or-fiction.html?m=1 ) où il explique que Daech est une création d'Israël pour mettre le chaos dans la région et pousser les musulmans à s'affronter entre eux...  Défendre ça, c'est défendre l'indéfendable absolu. D'où l'évidente vague de désolidarisation de personnalités sympathisantes (Filipetti, François Morel, Noël Mamère) et autres départs de la rédaction. Je ne sais pas combien de temps Le Média va tenir, mais une chose est sûre : la tournure actuelle des événements pousse à un renfermement comme un huître de ce qui devrait être un média libre. Le Media passe désormais le plus clair de son temps à expliquer pourquoi il est une source d'attaque de la part des médias dominants, comment l'Elysée serait ennuyé par l'existence... Bref, le syndrome de l'enfermement dans un bocal. Quel gâchis de talents...    

Dans 10 jours, Mediapart fête ses 10 ans. Dix années d'enquêtes exigeantes, de découvertes différentes. 10 ans sans plainte et diffamation, en propos volés et autres méthodes douteuses. Dix années de journalisme exigeant. Songeons aux tweets infamants de Jean-Michel Apathie expliquant que "l'acharnement" de Mediapart contre Jérôme Cahuzac relevait de l'idéologie plus que du journalisme. RIP Apathie. Dix années de dégagements, de reportages longs et exigeants sur les réformes agraires qui marchent, les révolutions énergétiques qui fonctionnent. Une déconstruction des faux nez progressistes comme Justin Trudeau. La mise en avant du tissu associatif, de ceux qui promeuvent l'accueil des migrants et se rendent "coupables" de délit de solidarité. Dix années d'échanges avec les gauches allemandes, espagnoles, italiennes ou grecques, dix années à tendre le micro à ceux qui n'ont pas assez la parole. Des abonnements en hausse, un succès d'estime toujours là. Voilà la voie à suivre. Amitiés à mes amis restant proches du Media, je connais les affres de la vilénie (Plenel n'en est pas exempt, lui qu'on dit à tort "soutien de Tariq Ramadan... mieux vaut en rire), il n'est jamais trop tard pour se rassembler.  

 

 

22/02/2018

Comment marketer la décence ?

Il faisait froid, ce sont les vacances scolaires, l'appel fut peu relayé, la loi passera de toutes façons... La litanie des bonnes excuses pour ne pas être à la manifestation de soutien aux migrants, hier, étaient légion (et pas seulement étrangère). Il n'empêche, après une année 2017 marquée par une hausse de 29% des expulsions et un texte de loi qui entend encore durcir très largement les conditions d'accueil (avec un triplement de la durée de détention en centre de rétention, de 45 à 135 jours) nous aurions dû être une marée humaine à manifester notre opposition à un projet de loi infâme. Et pourtant nous étions quelques centaines, un millier tout au plus, à nous époumoner contre Gérard Collomb et Emmanuel Macron. Quelle gifle, quelle éclatante victoire pour une politique sécuritaire digne de l'extrême droite, grimée en progressiste.

Il faudra qu'on fasse le bilan, sans concession, de notre nullité collective. Pourquoi personne ne répond à nos appels ? Pourquoi si peu de monde pour soutenir ceux qui sont démunis à tous égard ? Dans le cortège, les slogans qui berçaient déjà mon enfance (tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir des parents communistes, mon enfance fut jalonnée de manifs) "so so solidarité, avec les sans papiers" auxquels s'ajoutaient des vociférations dans un anglais approximatif (pour faire chic ?) sur le thème "no borders"... Alors que le cortège remontait la rue Saint André des Arts puis la rue Jacob, un mélange d'accablement et d'exaspération montait en moi. 15 à 20 000 euros le m2 dans ces rues et l'étrange impression de déranger l'happy hour des riverains avec nos revendications, accueillies aussi fraîchement que l'air. Plus tôt dans la journée, le comptage de la nuit de la Solidarité avait fait état de 3 624 personnes dormant dehors, à Paris. Un chiffre trop élevé pour compter les "seuls" SDF, un grand nombre de migrants dorment dehors dans cette vague de froid. Le matin j'étais parti courir le long du Canal et j'avais vu la triste étendue des tentes... Vertigineux contraste entre la ville la plus riche d'Europe (avec Londres), incapable de réquisitionner quelques immeubles pour mettre à l'abri ceux qui fuient la misère et la guerre. 

A peine un millier, donc, hier pour réclamer à ce que notre devise républicaine soit appliquée. De la liberté, il y en a trop quand il y a celle d'expulser et de ne pas accueillir, l'égalité est en berne et la fraternité aux abonnés absents. Voilà ce sur quoi nous n'arrivons pas à mobiliser : la décence, l'humanité sans concession. Lors du quinquennat précédent, 2 millions de personnes ont convergé dans les rues pour s'opposer à l'égalité des droits entre homosexuels et hétéros. Des centaines d'élus étaient descendus battre le pavé, ceints de leurs ceintures tricolores. Hier, j'ai vu la sénatrice Esther Benbassa et deux trois inconnues apporter un soutien feutré et gêné d'une assemblée si clairsemée. Demain, le mouvement appelle à manifester place de la République. C'est David sans fronde qui défie Goliath. La gigantesque place résonnera bien creux. Sale temps pour la décence. 

 

19/02/2018

Lettre à mon ami qui fut la droite

Depuis maintenant cinq ans, j'ai la joie et même le privilège de donner mon cours de rhétorique politique à deux voix. Et quelle voix à mes côtés ! Mon ami de droite. Ex assistant parlementaire, ex membre de cabinet ministériel UMP, aux manettes dans des commissions, conseiller de personnalités politiques, mon ami de droite respire la politique. Une droite érudite et consciente d'elle même. Non pas ataviquement acquise à la haine des impôts ou des fonctionnaires, pas réfractaire au service public par essence, pas uniquement une droite en défense. Non, mon ami croit réellement aux vertus de l'individu et fait la moue devant Bourdieu, il croit en l'égalité des chances plus qu'en l'égalité, aux vertus de la méritocratie, à la liberté individuelle économique, à la concurrence libre et non faussée et autres vertus du marché... Conséquent en diable, il n'a aucune opposition au flux de populations et à la liberté de moeurs tant qu'elle n'est pas ostentatoire. La droite, quoi. Je n'étais d'accord avec lui sur quasiment rien, mais je n'aimais rien qu'être en désaccord avec lui sur quasiment tout. 

Cet ami me quitte. Comme dans toutes les ruptures, celui qui est quitté tente de retenir, mais je ne pouvais rien faire eu égard aux motifs à l'origine de son départ. Mon ami refuse de continuer à incarner la droite, rôle dans lequel il ne s'estime plus légitime. Après avoir regimbé, je suis bien obligé de constater qu'il n'a pas tort. Macron a eu l'immense mérite de clarifier la situation : baisse de l'impôt sur les plus fortunés, baisse du nombre de fonctionnaires et attaques contre eux (salaires, statut, SNCF...) baisse des droits du travail et sur le front régalien, Gérard Collomb se félicitait récemment sur France Inter de ce que l'année 2017 a été marqué par un record d'expulsions de migrants ; +29%. N'en jetez plus : tous les électeurs de gauche ayant choisi Macron et ne regrettant pas leur choix sont bien de droite. Tous les électeurs de droite ayant dédaigné Macron et continuant à ne pas vouloir en faire leur champion sont inquiétants...

Un programme d'inspiration économique thatchérienne, avec un conservateur à l'éducation et un tenant de la ligne dure en matière sécuritaire, tout cela ne suffit pas ? D'un point de vue classique, de Friedman à Hayek, toute la pensée de droite peut pleurer de joie avec le nouveau président. Mais ces classiques ont été battus en brèche par Huntington et son choc des civilisations qui fait des émules un peu partout. A gauche, et c'est heureux, les amateurs d'Huntington comme Valls ou Bouvet sont ridiculisés. Leur défense jusque boutiste d'une "laïcité républicaine intégrale" n'a rien d'intégrale et masque mal une islamophobie pathologique, névrotique qui irrite profondément un électorat de gauche en attente d'un discours sur égalité et discriminations. Problème, le même discours à droite trouve des échos très favorables. On y a l'islamophobie décomplexée. Il suffit de regarder les meilleures ventes en librairie ou en presse. La bataille identitaire, la chimérique castagne gauloise, on adore et tout est prétexte à réinventer des rixes. Comme me disait mon ami : "La jeune droite ne veut plus parler code du travail. Elle veut parler de Mennel pour dire que c'est un scandale qu'une femme voilée apparaisse à la télévision. Je ne serais pas l'avocat de cette droite là ". Alors, rassures-toi mon ami, ça n'est pas toi qui n'est plus de droite, c'est la droite qui se perd. Une page se tourne et je n'ai que modérément envie de lire le chapitre suivant...