18/01/2017
Faut-il résusciter le clivage gauche-droite ?
Hier, lors du Tribunal pour les Générations Futures, conférence spectacle organisée par le magasine Usbek & Rica, j'étais appelé à me faire l'avocat de la résurrection du clivage gauche droite. Après avoir entendu 4 témoins : Valentin Chaput (Démocratie OS), Alexis Corbière (porte-parole de Jean-Luc Mélenchon), Benjamin Griveaux (porte-parole d'En Marche) et Aurore Bergé (élue LR) le jury a tranché sans bavure : 4-1 en faveur d'une résurgence du clivage.
Ma plaidoirie finale ici :
Voilà bien un titre de macroniste. Donc de droite… Que ça arrange bien de faire croire qu’il serait mort, ce clivage. Elle le répète partout à l’envi pour semer le doute et on le sait, les fake news répétées en boucle peuvent finir par être crues… Toutefois, comme disait le philosophe Alain, « Quand on me demande si la division entre partis de droite et de gauche, entre gens de gauche ou de droite, a encore une quelconque signification, la première chose qui me vient à l’esprit est que quiconque pose la question n’est certainement pas de la gauche ». À part Jean-François Copé, personne ne pense que le manque de lisibilité de ce clivage viendrait aujourd’hui d’une droite trop complexée et trop de gauche… Si on se pose la question aujourd’hui c’est parce que la gauche a trahi comme jamais et que c’est l’ensemble de la classe politique qui en paye les frais, qui est discréditée. Est-ce que pour autant on a plus besoin de gauche ? Maître Keller a essayé de vous dire qu’elle avait gagné la bataille des idées. Pense-t-il a l’explosion des inégalités passant de 1 à 30 pour 1 à 400 sur le rapport entre revenus des salariés et des patrons, explosion qui culmine avec 8 milliardaires gagnent autant que 3,5 milliards de personnes (depuis hier, nous en sommes là…), que les droits sociaux régressent, que l’environnement se dégrade ? De même que souffler n’est pas jouer, liker n’est pas légiférer, monsieur Keller. Le progressisme, le droit de l’hommisme prospère peut être, mais les faits, mesdames et messieurs les jurés, les faits appellent à une renaissance du clivage. Ce clivage profitera à tous, sauf à l’extrême droite, j’y reviendrai en conclusion.
La prétendue mort du clivage remonte à 1989. Chute du mur et ascension de l’angoisse de s’avouer encore de gauche. Peur d’être traité de stalinien passéiste. Alors, nous nous sommes bercés dans le mythe de la fin de l’histoire et le triomphe de la démocratie libérale… Une connerie sans nom, mais surtout une horreur comme l’a magistralement démontré la philosophe Chantal Mouffe dans son essai « l’illusion du consensus ». Elle montre qu’au lieu d’apaiser la démocratie, ce consensus libéral nous pousse à de la surenchère verbale : puisque je ne peux me démarquer de mon adversaire par mes idées, j’en fais mon ennemi et j’hystérise le verbe, je fais de la démagogie. Franchement, vous les avez entendus les débats à l’Assemblée sur deux textes de droite, El Khomri et Macron, portés par un gouvernement dit de gauche ? Le MEDEF applaudissait à tout rompre, la droite saluait dans un premier temps - forcément c’étaient leurs mots – et puis le calendrier électoral reprenant ses droits, ils s’insultaient violemment. Des Bruno le Maire, NKM, Asparu, ont perdu leur honneur en conspuant un texte « qui va dans la bonne direction, beaucoup plus que ce qu’on a fait, MAIS moins qu’il faudrait… ». Incompréhenisble…
La République crève de cela et est très abîmée. Pourquoi ? Parce qu’ayant vidé de leur substance toute opposition idéologique sur l’économique où il faut un microscope pour déceler leurs différences, ayant déserté le terrain social, ils déportent le champ de batailles les questions identitaires et sociétales. Mais c’est du catch… Si j’étais de droite, je voudrais que le clivage réapparaisse dans le débat pour cesser d’avoir à prendre des postures ridicules et dire n’importe quoi (500 000 fonctionnaires en moins, mort à la Sécu) soit des horreurs (les pédés au bûcher, l’IVG de confort, l’islamo nazisme a un ancrage historique… Ça c’est dans le bouquin de Fillon, page 87…).
Vous l’avez entendu ce soir, ils veulent nous proposer des ersatz d’oppositions, des clivages factices entre progressistes et conservateurs. Mais ils s’arrêtent en bon chemin et profitent d’une droite débilement réac, apeurée par deux hommes ou deux femmes qui se prennent la main ou quelques syriens qui fuient l’horreur de la guerre. Les Marcheurs progressistes au moins sont non homophobes et pas racistes. Dont acte, mais Aurore Bergé aussi, et elle est bien de droite. Ça n’a rien à voir, le progrès si on est cohérent, c’est diminuer le temps de travail quand ils proposent l’esclavage numérique, c’est protéger la planète et donc mettre des normes, casser les lobbys des énergies carbones celui de la promotion immobilière. Eux, ils se prétendent « progressistes », qu’ils incarnent une « 3ème voie ». Les amateurs de parties fines le savent, ça a l’air tentant, mais c’est toujours le plus douloureux… Et puis surtout ça n’a rien de neuf : l’OPA sur le progressisme on connaît, c’est Schröder en Allemagne avec des jobs à 1euro et la retraite à 67 ans comme politique et aujourd’hui il gagne des millions de dollars en conseillant Gazprom. C’est Tony Blair en Angleterre, qui a fracassé le NHS, l’école publique, privatisé les transports et fait pleuvoir les dividendes sur la City. Et aujourd’hui ? Il est payé en tant qu’ambassadeur de Goldman Sachs et de Pfizer. Le progressisme c’est Hillary Clinton avec une campagne payée les GAFA et Wall Street… Alors, le progressisme, on connaît, c’est la version honteuse de la droite et ça nous a donné quoi les excès du progressisme ? Le BREXIT, l’Allemagne championne d’Europe de la pauvreté et Donald Trump. Renzi l’a fait en Italie et les 5 étoiles ont gagné Rome et menacent de prendre le pouvoir total. Super…
La réalité c’est que sur les enjeux même les plus contemporains, il y a toujours une réponse de droite et de gauche, car il y a toujours des dominants et des dominés. La nature a horreur du vide : les idioties, les vieilles lunes à propos de « il faut être pragmatique », ça suffit. Les sujets sont là, mettons-les sur la table et nous aurons des débats plus dignes que le mariage pour tous, l’identité nationale ou le Burkini, thèmes qui ont animé la primaire de droite… Laquelle primaire a réussi l’exploit de passer 3 débats sans jamais parler de la fraude fiscale qui nous coûte chaque année 60 milliards… (Un petit indice pour situer l’ami Macron, il est muet sur le sujet. Par pudeur pour son passage chez Rothschild où il a réalisé une fusion entre Nestlé et Pfizer, des thuriféraires de l’impôt, comme chacun sait).
Pour finir, je voudrais vous montrer que le clivage est bien vivant, il y a toujours deux visions :
Sur Uber et l’économie des plate-formes, à droite (et donc En Marche !) on y voit une manière de bien flexibiliser le travail, obliger l’armée de réserve des prolétariens des banlieues populaires à accepter des jobs sans aucune assurance de revenus ou de protection sociale, avec la possibilité d’être viré suite à deux mauvaises notes… A gauche, on n’est pas contre Uber, on veut que l’appli les salarie et payent ses impôts en France. On veut que tous ces nouveaux boulots d’indépendants qui se créent et vont se créer bénéficient de protection sociale tout au long de la vie, de formation, un bouclier social qui pourrait s’inspirer de l’intermittence pour tous.
Sur le revenu de base, voulez-vous uniquement une logique d’allocations pour éviter que les gueux ne fassent la révolution ? Où voulons nous vraiment redistribuer l’ensemble des gains de productivité pour aller vers une société du partage où l’on requalifie l’utilité sociale des métiers de chacun, pour montrer qu’il y a plus de noblesse à être à la tête d’un centre de recyclage des déchets que directeur Marketing de Critéo qui fait du phishing publicitaire et pousse à consommer ce dont on n’a pas besoin ?
Et puisque nous sommes dans un tribunal pour les générations futures, la mère des batailles pour l’avenir, l’écologie, sur laquelle on voudrait nous dire qu’elle fait consensus ? Il y a une vision de droite qui dit « laissons faire les entreprises responsables, sponsors des COP, elles sauront être raisonnables et libres, s’arrêter d’elles mêmes de polluer comme le renard libre dans le poulailler libre ne touche pas les poulets ? ». Connerie, le renard s’arrête quand il n’y a plus de poules et Total et Exxon s’arrêteront de polluer quand il n’y aura plus d’humains pour activer les forages… La vision de gauche dit qu’on ne négocie pas avec le climat car il n’y a pas de planète B alors on accepte les règles de base de la planification agricole et énergétique et on retrouve des occupations pour tous.
Cessons ce consensus mou qui, de tous temps, a amené le pire, l’extrême droite.
Il y a deux visions du monde, acceptons-le. Faite votre coming out, M. Griveaux, ça n’est pas si grave d’être de droite, Aurore Bergé va vous aider à vous accepter. Cessons de nous mentir avec cette infantile concorde factice, nous valons mieux que ça : ce n’est qu’un début, acceptons le débat !
14:03 | Lien permanent | Commentaires (46)
07/01/2017
S'abstenir à la primaire : le PS doit mourir, pas le socialisme.
Pendant encore trois semaines, nous allons manger de la primaire du PS, comme si c'était l'alpha et l'omega de la vie politique française. Ce pour nous urger à trancher parmi 50 nuances de rose fané. Les règles du CSA étant ce qu'elles sont, nous aurons une déferlante de responsables FN à l'écran à partir de fin janvier, mais pour l'heure, nous sommes abreuvés de Valls, Montebourg, Hamon, Peillon et les 3 lutins... Est-ce bien raisonnable ?
A l'évidence, ce qui ne l'est pas, ce sont les sondages. Eu égard au caractère absolument incertain du corps électoral, Harris Interactive est fortement coupable d'avoir osé publié quelque chose. Les 43% de Manuel Valls ont de quoi déconcerter. Ce, pour rester poli. Le bilan assez navrant socialement d'Hollande ? Il en est le premier comptable. Sa percée sondagière ne peut tout de même pas résulter d'une déplorable campagne qui le voit conspuer le 49/3, les cadeaux au patronat, la défiscalisation des heures supplémentaires et globalement toutes les décisions prises par un certain Valls Manuel. Consternant...
Au-delà de l'ex premier ministre, on pourrait passer en revue tous les candidats (ou presque) à l'aune de ce seul argument : ça n'est pas sérieux. Peillon ? Il sort de sa retraite et découvre son programme alors même qu'il le lit. J'ai beaucoup, beaucoup de respect pour l'exégète de Ferdinand Buisson, mais sur ce coup-là, il est ridicule. Montebourg ? Son comité de soutien le résume bien : le républicano-brun sénile Chevènement, quelques ultra libéraux de chez DSK comme Kalfon et un frondeur (Guedj) en porte-parole. Un ersatz de synthèse à la Hollande avec les troisièmes couteaux encore disponibles...
Le seul, le seul à être sérieux avec un programme social, une vision de la France dans l'Europe, une demande sociale, c'est Hamon. Si le droit de vote était obligatoire pour les électeurs de gauche, il n'y a pas à transiger, c'est vraiment le seul. Mais avec nos institutions et notre organisation partisane à la française, voter Hamon ça n'est pas avoir le programme de Hamon.
En effet, le problème est que nous ne sommes pas les Etats-Unis. Là-bas, c'est la règle du winner takes all qui s'impose. Clinton l'a emporté et n'a, qu'à l'extrême marge, socialisé son programme comme le très gros score de Sanders aurait dû l'inciter à le faire. On peut s'interroger sur l'intelligence tactique eu égard au résultat final. De l'autre côté, Trump n'a pas fait bougé son programme pour l'aligner sur les lignes plus modérées de Paul Ryan ou Jeb Bush. Il a joué le chamboule tout jusqu'au bout et force est de constater que ça ne fut pas un choix perdant.
En France, nos primaires poussent les synthèses. A peine élu sur une ligne radicale, Fillon s'adoucit, dans son programme comme dans ses équipes. Les laïcs arrivent à côté des cathos tradis, les gaullistes arrivent à côté des nervis madelinistes. Pour l'heure, sacré trou d'air dans la campagne... A gauche, ça sera pareil. Pour éviter d'être mangé par Mélenchon, un Valls vainqueur devra donner des gages à son aile gauche ; et vice-versa, pour éviter la fuite massive vers Macron, un Hamon victorieux devrait fortement tempérer ses propositions sociales ambitieuses, garder le sociétal et appeler l'aile droite à la rescousse. Et au final, c'est eux qui l'emporteront...
Car c'est ça le drame du PS : quand on mélange du blanc et du jaune d'oeuf, c'est le jaune qui gagne. Quand on mélange l'aile gauche et droite du PS, c'est la droite qui l'emporte. Toujours. Ce parti produit des notables avec des propositions de notables. Il y a, à l'évidence, nombre de responsables de gauche dans ce parti, mais ils n'auront jamais les manettes. Ils tentent de remonter sur le manège mais ne le feront jamais tourner dans le bon sens. Aussi, seule un flop monumental de cette primaire, le fait d'être sous le million de votants, pourra forcer une reconfiguration à gauche. Le programme de la France Insoumise est compatible avec tous les socialistes de gauche, qu'ils sachent qu'ils seront les bienvenus au lendemain d'une primaire qui n'aurait pas couronné leur champion.
10:07 | Lien permanent | Commentaires (39)
03/01/2017
Réformiste et contestataire sont dans un bateau.
Les nécrologies se suivent et se ressemblent pour François Chérèque, parti en prenant trop au pied de la lettre l'aspiration à la retraite à 60 ans. Paix à son âme, et surtout mort au cancer, putain... "Un grand syndicaliste réformiste nous a quitté", pleurent les journaux de Libération au Figaro (qui ajoute qu'il était "courageux") et l'éloge funèbre le plus troublant vient de Laurence Parisot, qui parle de "la perte d'un ami cher, d'un homme d'état". Avec ça, on sent vraiment que "le réformiste" soupesait toutes ses décisions en repensant à la Sociale... Toutes les nécros reprennent évidemment le tournant de la réforme des retraites de 2003, où le leader de la CFDT fit une pirouette déconcertante pour sa base : embrasser le projet de Jean-Pierre Raffarin, contrairement à la "protestataire" CGT. Des dizaines de milliers de départs de la centrale pour une autre, ça appelle peut être un autre commentaire que ces deux mots valises, non ?
Faut-il offrir un dictionnaire des synonymes aux éditorialistes économiques ? Dans "les nouveaux chiens de garde", documentaire tiré du livre de Serge Halimi, Frédéric Lordon évoquait avec gourmandise le caractère profondément estropié du vocabulaire des journalistes économiques les plus invités sur les plateaux. La verve de Lordon est jubilatoire, mais elle est rare dans le commentaire, lequel ronronne donc avec une demie douzaine de verbes et d'adjectifs...
A la rigueur, quand le Figaro dit que Chérèque est "courageux" on rigole, la ficelle est grosse. Ca vaut Libé vantant le caractère "fonceur" de Patrick Drahi, quoi. Mais "réformiste" vs "contestataire" c'est plus sournois, ça fige, ça biaise et ça occulte. Car "réformiste" ça signifie qui accompagne les politiques actuelles, avec des lois dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles aggravent les inégalités et renforce la précarité. Si vous regardez la loi El Khomri, ou la loi Macron dans le détail, vous aurez peut être quelques avancées sociales (les travailleurs du Printemps vont vraiment être payés double plus dédommagement pour garde d'enfant) mais la majorité des articles visent surtout à faciliter les licenciements, protéger le secret des affaires, déréguler et détricoter le code du travail pour faciliter les contrats de margoulins, à horaires flexibles, moins protégés. Si vous le présentez ainsi, articles et exemples à l'appui le fameux "réformisme" est tout de suite moins glorieux. Je suis persuadé qu'il y a plein de gens de valeurs, et progressistes, à la CFDT, force est de constater que ces quinze dernières années, leurs dirigeants nationaux, à commencer par le défunt Chérèque, ont systématiquement fait 98 pas vers le MEDEF quand l'organisation patronale faisait les deux derniers... Le "réformisme", ce cache-sexe pour ne pas dire résigné... La CFDT pourrait devenir la 1ère centrale syndicale de France à l'occasion des prochaines élections : il paraît que nous sommes un peuple dépressifs, fort logiquement les salariés inquiets votent un organisme de défense à l'avenant. CQFD.
Quand à "contestataire" c'est encore plus con, pour rester poli. Contestataire sur ces mêmes lois Macron et El Khomri, c'est avant tout une révolte, une envie de protection, une dénonciation de régressions sociales. A côté de cette colère, n'importe quel éditorialiste peut en deux clics trouver l'ensemble des contre-propositions de la CGT pour notre économie. Temps de travail, conditions de travail, formation, partage des connaissances et des richesses, les propositions de la CGT sont plus que faciles à trouver. On peut les qualifier de "trop chères", "non adaptées à toutes les entreprises" ou que sais-je, mais au moins reconnaître leur existence. "Contestataire" c'est résumer le monde aux petites lois, avec le même petit scope idéologique des néos libéraux, tout ce qui en dépasse, tout ce qui propose des alternatives, c'est "contestataire". Tout ce qui l'accepte, c'est "réformiste". Bah avec ça...
Pour combattre l'emprise néolibérale, il faut rapidement se réarmer en vocabulaire qualifié et ça implique d'avoir plus que ces deux mots... Espérons que le Père Nöel aura apporté des dictionnaires aux éditorialistes, c'est un peu notre dernier espoir. Ouais, on en est là...
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