27/01/2017
Revenu universel : le problème c'est la fortune de Mme Bettencourt, pas sa grippe
Le grand mérite de la primaire à gauche, nous dit-on, aura été de faire émerger le débat sur le revenu universel. Sauf que ce projet est si vaste, si flou, que si l'on ne prend pas quelques précautions d'usage, on peut rapidement se retrouver enflés comme jamais. Aussi, le fait de seulement "le mettre sur la table" n'est pas un progrès. Comme ça ne l'est d'aucun débat : on pourrait très bien remettre le sujet de l'esclavage sur la table et réaliser, en fait, que c'est un vrai bienfait pour la compétitivité de notre pays et que si on veut une France forte dans une Europe forte, il faut savoir s'adapter et ainsi réintroduire, même temporairement dans un premier temps, l'esclavage. Voyez le topo ? Il faut vraiment être d'une naïveté confondante (ou d'une connerie rare) pour se réjouir que l'on débatte aussi vaguement du revenu universel.
Car ce projet a des thuriféraires de toutes parts et ça n'est pas la conception d'André Gorz qui est majoritaire dans le débat. Quand un ultra libéral comme Gaspard Koenig en fait l'apologie, on est à même de s'interroger deux secondes. Après tout, quand il voulait défier Sarkozy en 2007, Dominique de Villepin avait lancé l'idée d'un revenu citoyen universel qui était exactement une prolongation de l'aumône de sortie de messe. Et on avait eu les mêmes cris d'orfraie, les mêmes procès en irréalisme qu'aujourd'hui. Le problème était que la proposition sortait de nulle part : on ne change rien à l'ordre établi, on prélève une dîme qu'on pense renforcer la "cohésion sociale" (oui, on peut rigoler) et zou on teste l'opinion. 10 ans plus tard, on n'a pas tellement évolué. Pour l'heure, la conception qui fait son chemin est une espèce de RSA premium, mais avec casse des autres outils de protection sociale et l'avancée est compliqué à distinguer.
On nous explique que ce revenu va devenir incontournable parce que "l'emploi va disparaître". Mais pas le travail. On aura toujours besoin de millions de personnes pour s'occuper d'aider, de soigner, de créer et de faire à manger. Toutes choses que les robots ne feront pas. Alors si l'idée c'est de donner un revenu universel et quelques euros pour faire ça et que la finance ou le phishing publicitaire rapportent toujours des millions, ça sert à rien. A rien. Un milliardaire américain avocat de l'augmentation du salaire minimum aux USA avait fait une conférence au titre volontairement provocateur "attention mes amis ploutocrates, les pauvres arrivent avec des fourches et ils veulent nos têtes". Ce qu'il disait était que l'histoire économique est faite de mouvements de balancier et que nous sommes allés beaucoup beaucoup beaucoup trop loin du côté des baisses d'impôts et de l'explosion de rémunération indécentes. Et que parallèlement des tas de profession à l'utilité sociale maximale ont vu leur rémunération chuter drastiquement quand d'autres à l'utilité sociale négative, nuisible, se sont envolées.
Face à cette dérégulation folle, il faut une vague aussi forte, aussi violente, radicale et sans compromis : le revenu universel sans revenu maximum n'a aucun sens. Le problème n'est pas de soigner à égalité la grippe d'un SDF et de Madame Bettencourt, le problème c'est la fortune de Madame Bettencourt. Le problème c'est l'économie de marché dérégulé, la finance aveugle et son bras armé du trading haute fréquence. Le problème c'est bien de capter les centaines de milliards d'euros capturés par un capitalisme glouton et de s'assurer que la production de richesses de demain prendra en compte l'utilité sociale et les besoins de la collectivité (et de la planète). Fors cela, toute réforme allocataire n'est qu'un enfumage libéral supplémentaire. Et ça, ça appelle une violence législative et verbale dont n'est pas tenant l'ancien patron du MJS qui pousse une vision sympathique, mais éminemment naïve, s'arrêtant au début du chemin. Allez camarade Hamon, encore un petit effort pour être véritablement socialiste !
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22/01/2017
Raison avec Macron plutôt que tort avec Mélenchon ? Try harder, guys
Suite au flop annoncée de la primaire PS (Camba peut parader ce soir, faire le fiérot, moins de 2 millions d'électeurs ça fait la moitié du camp d'en face), le ton change, chez les éditorialistes. Lesquels prennent un plaisir évident à décrire une bataille entre deux lignes politiques :la radicalité sociale et écologique de Mélenchon et le mondialisme ouvert et dérégulé mais joyeux de Macron. Reprenant le triptyque "lèche, lâche, lynche", ce combat leur permet de passer à une 4ème étape, on élude. Le PS n'existe même plus, pour le récit médiatique que cette primaire fait mourir d'ennui. On peut les comprendre, puisque le vainqueur est promis à être très loin des autres, à quoi bon s'attarder. On ne sera évidemment pas étonné que le traitement soit ultra favorable à la ligne de Macron.
Candidat chouchou des médias puisque nouvelle bouille, moeurs nouvelles avec une femme de vingt ans son aînée, Macron accumule les soutiens qui vont bientôt se transformer en baisers de la mort. Pour faire la couv' de Match, du Monde, de l'Express (ad lib, ad nauseam) le soutien de Pierre Gattaz et d'Alain Minc (officiel depuis hier) sont des bons points, mais à moyen terme, ça patine, ça coince. La dernière fois que le Paris d'affaires a connu un tel emballement, c'était pour Balladur. C'est la même France de yuppies moisis, aveugles à la souffrance sociale, qui soutient Macron. Après, je me garderai bien de prédire à Manu le même sort qu'à Doudou, je ne prends pas mes rêves pour des réalités. Balladur est un communicant déplorable, un tribun plus que médiocre et au fond, il y avait un hiatus entre la personnalité et le programme, la forme et le fond. Macron n'a pas ce problème. Avec ses costards cintrés et son envie débordante de pouvoir, il incarne bien le libéralisme décomplexé qu'il revendique à corps et à cris (de fin de meetings). Bien que ça me navre et me désespère sur le niveau de conscience politique des français, ce programme ringard et rétrograde, ripoliné et lavé à grands coups de modernité entreprenariale peut l'emporter.
Ce qui m'intéresse, c'est le champ sémantique emprunté par les commentateurs pour arbitrer ce match dans le match de la présidentielle. Ils ne dissèquent pas deux lignes (chiant, pas vendeur), n'analysent pas la force des propositions sur l'emploi, les révolutions énergétiques, agricoles ou écologiques (pas un clic pour ça), non, ils déplacent le match sur le terrain boueux du "réalisme". Boueux, car en trente secondes, à l'emporte pièce, l'aplomb et l'audace l'emporte. Avec des commentateurs qui sont tous répartis entre sociaux libéraux et libéraux pas sociaux, le truc est vite vu : la France a un problème de compétitivité, de coût du travail, les impôts sont trop hauts, la dette est un boulet, 57% de dette publique, bla bla bla...
Le cercle éclairé de la raison, celui là même qui se plante systématiquement depuis 2005 avec le référendum, nous explique ce qu'il faut voter, ce qu'il faut penser et ce qui est raisonnable, nous dit donc de voter Macron. Malins, les participants du cercle voient bien la vague populaire qui porte Mélenchon et la maladresse qu'il y aurait à regarder avec dédain, mépris ou violence, le programme de Mélenchon. Non, ils gardent leurs philippiques pour Le Pen. Pour Mélenchon, la nouvelle attitude consiste à le trouver sympathique, patelin, plein de belles utopies, mais... Pas réaliste. Sans autre forme de procès, une sorte de mauvais remix de Sartre et Aron. En même temps, en retenant cette comparaison, les faits sont têtus : Nicolas Baverez comme avocat de Raymond Aron, ça vous en dit long sur le camp de la raison... Le piège rhétorique est grossier, ne nous laissons pas intimider pour si peu. On disait la même chose de Correa, ça ne l'a pas empêché d'emporter la présidentielle et de changer le visage de l'Equateur. Si, se puede, bordel !
19:24 | Lien permanent | Commentaires (0)
21/01/2017
1001 mauvaises raisons de voter à la primaire et pas une seule de bonne...
Demain, je ne vois qu'une inspiration de Pascal pour sortir de chez soi : "voter à la primaire a ses raisons que la raison ignore". Pour rester chez le même auteur, il y a l'idée que ce pari n'engage à rien. Sauf qu'on sera bien vivants (enfin, faut espérer) après le 29 janvier et on s'en voudrait d'avoir contribué à faire grossir le chiffre des participants à cette mascarade électorale.
Assurément, il faut prendre beaucoup de pincettes avec les sondages, mais quand l'ensemble d'entre eux donnent le candidat PS en 5ème position du 1er tour de la présidentielle derrière le Pen, Fillon, Macron et Mélenchon (dans des ordres très variables pour le coup, prudence de mise), on peut les croire. C'est assez logique, que le résultat de ce quinquennat soit ultra massivement rejeté. Le principal responsable du bilan de ce quinquennat a lui même pris la poudre d'escampette et regarde, guilleret, sa courbe de popularité croître depuis. C'est tout de même bien le signe que ce bilan n'est pas défendable. D'où les contorsions des candidats à la primaire pour se désolidariser d'un bilan dont ils sont quasi tous (seuls Benhamias et De Rugy n'ont pas été membres des gouvernements Ayrault ou Valls) très largement comptables.
Valls explose le déconomètre en la matière puisqu'ils fustige sa propre politique en même temps qu'il s'en fait l'avocat. Aujourd'hui, qui peut vouloir voter pour lui ? Sincèrement, pour lui ? Personne. Enfin, Anne Gravoin, les cénacles de courtisans, les sociaux traîtres assumés et... des courants extérieurs au PS. La droite a besoin de Valls pour contenir Macron, la France Insoumise se ravirait d'avoir le principal responsable du naufrage actuel pour pouvoir cogner. Dans la même veine tactique, Macron rêve d'Hamon pour pouvoir se démarquer et rallier tous les sociaux-libéraux dont il a besoin pour dépasser Fillon et contenir la vague de Mélenchon qui menace de le dépasser. Montebourg est si inconstant (et inconsistant) que bien malin qui pourrait dire à qui il servirait vraiment, mais pas à la réconciliation avec la politique, tant les soutiens de ce dernier sont à vous désespérer de la politique : des frondeurs, des strauss khaniens, des humoristes (professionnels) des humoristes (amateurs...).
Les débats, dont ils disaient qu'ils susciteraient peut être un intérêt, ont au contraire achevé de désespérer Billancourt : Benhamias a quelques fulgurances (la Syrie, Areva) au milieu d'un océan d'attitudes WTF, De Rugy et Pinel ont suscité des transferts de honte chez la plupart des téléspectateurs (qui souffraient devant tant de naïveté), Peillon a montré qu'il était au dessus du lot intellectuellement... laquelle supériorité s'est retournée contre lui puisqu'elle traduisait une suffisance et une morgue vis à vis de ses compétiteurs, morgue d'autant plus incompréhensible que sa campagne fut mauvaise, émaillée de phrases malheureuses et de tâtonnements idéologiques permanents. Le grand vainqueur quel que soit le résultat est Hamon. Les débats ont tourné autour de ses propositions (revenu universel, cannabis) et on lui a prêté une envergure étonnante eu égard à la modestie de son bilan comme ministre. Voter Hamon, demain, c'est sans doute dire merde au PS actuel, c'est donc s'exposer à renforcer En Marche ou à minorer Mélenchon. Mais voter Hamon, est-ce voter pour Benoît Hamon ? Pour la ligne poussée par Benoît Hamon ? Qu'il soit permis d'en douter. On en revient donc au pari pascalien, lequel ne peut s'entendre que si l'on est moribond. Pour eux, je comprends qu'ils se déplacent demain vers un bureau de vote. Un dernier sursaut avant un premier tour de la présidentielle pour lequel ils pensent qu'ils ne seront plus de ce monde. Une ultime bravade. Ca, je peux l'entendre. Pour les autres, soyez sérieux : restez au chaud à lire, votre temps sera mieux employé.
12:21 | Lien permanent | Commentaires (30)