23/02/2016
La gauche de la haine de soi
"Ceux qui s'opposent à ce texte sont bloqués au XIXème siècle" ; "ils ne l'ont pas lu, sinon ils ne s'opposeraient pas, il y a plein d'avancées dans ce texte". Manuel Valls est un poème et un délice pour les amateurs de rhétorique. Alors que le MEDEF rosit quand on l'interroge sur la réforme El Khomri, que ce qui reste de gauche à Solférino éructe qu'il faut rééquilibrer le texte, Matignon nous gratifie d'un superbe "ceux qui s'opposent sont des connards archaïques" (en substance).
C'est toujours la même chose, avec Valls. Aucune référence au fond, aucune envie de débat sur des arguments, juste une rhétorique purement terroriste "avec nous ou contre nous", "le camp des modernes ou des passéistes". Cette volonté farouche de ne pas débattre, d'être persuadé d'avoir la vérité incarnée au point que toute opposition serait forcément hérétique, mènera la gauche dans le mur (évidence) et n'augure rien de bon pour l'état démocratique du pays (évidence, bis).
Mais le plus étonnant, c'est l'entêtement de notre premier ministre à adopter une vision fermée du monde sur les thématiques sociales. Passe encore (non que je le soutienne, mais je comprends la logique), de prendre la gauche à témoin sur les problématiques sécuritaires en affolant des menaces extérieures. Ca passe car la gauche n'a plus, depuis un siècle, de discours sur l'ordre Républicain et le calme. Elle s'est laissé débordé par une idéologie, un surmoi libertarien qui pousse Valls a joué sur du velours, sur le thème "je suis le seul à pouvoir vous protéger". Mais sur des problématiques de justice sociale, qui croit-il pouvoir venir bousculer ? D'où pense-t-il pouvoir trouver une légitimité dans le débat public ?
En l'espèce, outre le contentement du MEDEF, il suffit de lire les réactions de tous les commentateurs pour mesurer le délire de cette loi. La droite attaque l'amateurisme législatif du gouvernement, ou sa cacophonie dans la communication, mais pas le fond avec lequel elle est plus qu'en accord ; à la rigueur la droite a t'elle honte de n'avoir pas su proposer une telle loi. Les économistes sont atterrés et pas seulement ceux du collectif éponyme. En quoi aller au-delà du libéralisme d'un pays comme la Pologne en matière d'heures de travail relèvera t'elle la France ? Jacques Attali, peu taxable de vouloir déplaire au gouvernement en place ou de vouloir le déborder sur sa gauche, a même parlé pour la loi de "propositions folles". On ne reprendra pas ici la litanie de mesures dégueulasses, sur le travail de nuit, l'astreinte, les indemnités en cas de licenciements abusifs, mais disons que l'esprit est fait précisément pour faciliter la vie non pas de patrons, mais d'investisseurs. Hier paraissait le total des dividendes distribués en 2015, nous sommes à 1,15 billion. Soit une augmentation de 9% par rapport à l'année passée quand le PIB mondial croit de 2%... Comment arrive t'on à une équation pareille ? Avec des gouvernements dociles et le notre fait du zèle...
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18/02/2016
Bygmalion, small responsables : l'équation insoluble
Comme le veut la palanquée d'expressions consacrées et ressorties depuis quelques jours : on ne peut pas commenter une enquête en cours, il faut respecter la présomption d'innocence et laissons la justice faire son travail. Voilà. Mais tout de même, il y a déjà, sans viser personne, certaines choses que l'on sait dans ce dossier Bygmalion. Il y a eu un système de double facturation portant sur environ 20 millions d'euros, lesquelles sont allés nourrir la campagne à la Présidence de Nicolas Sarkozy en 2012. Bon. L'agence de com' a été dissoute depuis et les fondateurs ont quitté les écrans radars.
Cette affaire remonte à moins de 4 ans, mais l'implosion du système a été instantanée : les coupables ne peuvent être loin. Les protagonistes sont tous à disposition de la justice. On devrait pouvoir classer cette histoire dont la spécificité tient surtout pour la notoriété des accusés principaux. Copé et Sarkozy et une armée de lampistes.
On voit remonter des noms, comme dans n'importe quel système mafieux, tout le monde sait qui est le commanditaire mais on cherche des fusibles. Combien de fois a-t-on vu le film ? Les frais de bouche de la mairie de Paris, les HLM de la ville de Paris, la gestion des lycées d'Ile de France. Nombre de dossiers pourris de la chiraquie où le nom de Chirac planait partout. Qui a payé ? Alain Juppé, qui aura le droit de se présenter cette année et Michel Roussin qui a depuis eu nombre de gros hochets dans la galaxie Bolloré qui viennent largement compenser l'amende de 50 000 euros à laquelle il a été condamné... Il y en a d'autres, hein, et toutes ne sont pas au RPR ou à l'UMP. Le financement de la MNEF, la formation chez EELV (où l'on retrouve l'ami JV Placé, entre temps devenu Secrétaire d'Etat), les exemples ne manquent pas... Une seule question surplombe tout : quelle leçon en avons-nous tiré ? Par excès de modestie, j'emplois un singulier, mais même cela est de trop car la réalité est que nous n'avons tiré aucun enseignement...
Un ancien haut fonctionnaire qui avait la particularité d'avoir également été un grand industriel, me montrait les courbes d'accidents du travail dans les usines. Celles-ci connurent une chute vertigineuse au moment même où la responsabilité pénale des dirigeants était mise en cause. La possibilité d'aller en taule si on trouvait un mort dans l'usine en a alerté plus d'un. Et ils se sont mis à faire très attention. Très. On peut réfléchir à nombre de sujets où la responsabilité des dirigeants d'entreprises est mise en cause et où leur départ, leur retrait, la mise à l'amende, est immédiate. Leurs incarcérations restent rares, soyons honnêtes. Un patron voyou n'est pas encore un voyou comme les autres et les arrangements financiers demeurent légions. Mais tout de même, ils se retirent. Disparaissent de l'écran. Dans le sport, les patrons de fédérations fous avec pratiques de nababs sont épinglés et foutent le camp. Le président de la FFT, Jean Gachassin, va disparaître dans quelques semaines, comme nombre d'autres avant lui. Cela ne suffit pas encore à prévenir de tels dévoiement, à prévenir des pratiques indues, mais tout de même, de montrer que la sanction passera fait baisser le nombre de méfaits. On pourrait étendre ces dispositifs : si les optimisateurs fiscaux étaient visés par de la taule, je vous jure que les immatriculations dans le Delaware et les Caïmans chuteraient avec une célérité vertigineuse....
Mais revenons à notre affaire de base : la classe politique est discréditée notamment, en grande partie, pour leur manque de responsabilité devant les affaires. La foule veut des têtes sur des piques, symboliquement parlant, s'entend. Celle de Copé, celle de Sarkozy, mais des têtes de notables, pas des inconnus, faute de quoi ils s'estimeront floués. Et ils n'auront pas tort...
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15/02/2016
Baron Noir, c'est trop noir ?
La retape qui a accompagné la sortie de la nouvelle série de Canal +, Baron Noir, est sans doute mérité. C'est une excellente série parfaitement renseignée, ce d'autant plus que la plume fut celle de Mélenchon et de Dray dans "la vraie vie" comme le veut étrangement l'expression consacrée. Une découverte des premiers épisodes de la série nous aimante en même temps qu'elle nous met terriblement mal à l'aise. Je comprends le besoin d'attirer le spectateur et, ce faisant, d'en rajouter, mais tout de même... L'audimat justifie-t-il les moyens ? C'est cette question, aussi bateau que biaisée, que l'on ressasse après avoir vu la série.
Dès le premier épisode (je n'irai pas au delà pour pas gâcher...), dès les premières minutes, on a un trou dans la caisse, des dizaines de milliers d'euros en liquide qui disparaissent et un suicide sur la conscience. Pourquoi tant de fascination pour la surenchère dans le dégueulasse chez les politiques ? Il manque juste le meurtre à mains nues et pour ça, pas besoin de chercher des masses, juste de traverser l'Océan et de regarder House of Cards, série qui fascine nombre de journalistes politiques. Ceux qui ont vu cette saga grand guignolesque le savent (et pardon pour les autres) celui qui deviendra le Président des Etats-Unis tue, de ses mains (!!!) un député et une journaliste politique. La lecture de ce scénario sous la plume de n'importe quel inconnu vaudrait à leurs auteurs un renvoi devant le premier cours de création fictionnelle pour incompétence notoire. Pour autant, la série a récolté de nombreux prix et moult laudes chez nombre d'observateurs et de critiques. Des amis travaillant avec ce margoulin inculte de Michaël Darmon l'imitait déambulant dans les couloirs de rédaction en singeant Kevin Spacey, poings crispés et hurlant "no conviction, no conviction !". Nous sommes là typiquement dans un cas de prophétie auto-réalisatrice où l'appétence des commentateurs pour le suintant vient être confirmé par des créations fictives... Le problème de cette déviance intellectuelle est qu'elle pousse à la fuite en avant : quand bien même en ouverture vous souhaitiez juste un peu de poncifs pour mieux camper l'intrigue, après vous êtes pris dedans et contraint à surenchérir. Alors tout y passe, des histoires de coucheries entre meilleurs ennemis à la fille du héros qui se découvre - forcément - lesbienne. Vous comprenez bien qu'une ado de 15 ans bêtement hétéro, ça n'apporte aucune plus-value à la série. Et ainsi de suite, ad nauseam...
On nous dira que c'est la loi du genre, qu'on est obligé de faire cela pour faire de l'audience. sornettes. La réalité politique quotidienne peut suffire à dresser de beaux portraits, comme c'est le cas dans un film tel que L'exercice de l'Etat. De très belles séries beaucoup plus nuancées et subtiles comme The West Wing ou Borgen avaient, elles aussi, de très beaux succès d'estime, mais rencontraient un public si ce n'est confidentiel, disons beaucoup moins large... L'empreinte mentale des séries à clichés déformants excède celle des autres et le mal est fait. Mais je maintiens que les autres séries, pour peu qu'elles aient connu la moitié du soutien (du battage ?) entourant la sortie des autres, auraient pu faire largement aussi bien en termes d'audience. Et cela ferait du bien au delà des écrans.
En effet, outre le rapport à la morale, à l'argent, les séries aux clichés déformants tuent également le rapport que les responsables politiques entretiennent avec le temps : celui de la réflexion, de la concertation, des discussions et des doutes est systématiquement gommé de l'écran car pas assez télégénique. On n'y voit uniquement les actions, les coups bas, les coups de fils et les coups de pression. Comme si l'action publique se résumait à une inextinguible litanie morbide. On a tous notre responsabilité et dans un moment où notre croyance dans le commun par le politique est si faible, cela n'aide pas. Inutile d'incriminer les créateurs, les artistes ont tous les droits. Mais s'ils ont eu cette idée, c'est qu'ils ont pensé que le public attendait cela. Et c'est ainsi que le cercle vicieux est grand. Bien trop grand.
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