14/03/2014
Fête des maires
Combien de meetings socialistes ont commencés ou se sont achevés avec la chanson de JJ Goldman, il changeait le vie ? Et combien de fois ce refrain avait-il des accents amers, lorsqu'on compare le ronflant de la campagne et le feulement à peine audible de l'exercice du pouvoir. Depuis les 35 heures et la CMU, quelle loi à concrètement changé la vie de millions de français ? L'autoentrepreneur, sous Sarkozy. Avec des effets pervers en cascade, bien sûr, mais cela ne doit pas obérer que cette réforme discrète fut une révolution dans la mesure où elle a permis a des dizaines (centaines?) de milliers de personnes de se lancer sans crainte, ou de retrouver un chemin vers l'emploi immédiat. Point barre. La réforme des temps scolaires de Peillon porte cette ambition de changer la vie, mais lassé de recevoir des cailloux dès que je la mentionne, je ne commenterai pas plus avant.
Qui a vu sa vie changer par la loi HPST sur l'hôpital ? L'attente empire aux urgences et les déremboursements continuent. Par l'autonomie des universités ou les réformes "indispensables, incroyables, phénoménales" des retraites qui, grosso modo, changent d'un trimestre de cotisation ce qui est demandé aux travailleurs ? Qui peut croire que le "pacte de responsabilité" modifiera l'alpha et l'omega des employeurs et employés ? Sans déconner...
Dans quelques jours nous allons être un certain nombre, forcément insuffisant (l'abstention, ce cancer démocratique) à aller choisir nos 36 000 et des brouettes maires. Et, pour des raisons culturelles très puissantes, nous avons tendance à plaquer des enjeux nationaux voire mondiaux, sur ces élections. Pas tout le monde, bien sûr. Mais de même que nous avons trop de sélectionneurs de l'équipe de France de foot dans les bistrots, nous avons trop de candidats aux municipales qui se rêvent en Président de la République. On entend certains pérorer sur la répartition capital/travail, la place des femmes dans les sociétés du CAC, la taxe carbone, la dérégulation des marchés, l'inpatriation des travailleurs roumains... Une tendance à l'enflure de l'ego navrante dans la mesure où les maires, pour le coup, changent la vie. Surtout quand ils bossent en intercommunalités, dépassent des clivages, oublient les conflits d'intérêts ou trafic d'influence, mais arrivent à se poser avec toutes les parties prenantes de leur territoire pour savoir s'il faut une piscine, un théâtre, les 2. Des choix concrets, tangibles, qui changent la vie de millions de personnes, mais moqués par des éditorialistes qui aiment Tartarin.
Votant à Paris, je suis moins concerné car le Louvre, Orsay et les cinés existeront sans maire... Après, les dizaines de milliers d'HLM crées par l'équipe sortante permettent à des dizaines de milliers de personnes de ne pas être éloignées de la capitale où elles veulent vivre. C'est plus que défendable. Ca me suffit en tout cas amplement pour voter pour eux. Hier soir j'ai lu tout le programme de NKM, je note qu'elle veut faire des piscines dans les stations de métro désertes, couvrir le périphérique ou encore "ouvrir le 104 sur le monde". Encore une que Paris ennuie et qui n'aime que le destin des nations. Libérons là des bassesses municipales...
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09/03/2014
La politique de l'individu
La France des années 2000 souffre au moins de deux injonctions contradictoires fortes : la demande de la prise en compte des individus est de plus en plus forte, mais on vomit l'individualisme. Le fonctionnement des réseaux est de plus en fort, s'appuyant sur les formes associatives, les clubs et encouragé par Internet. Tout vous encourage à animer votre communauté et pour autant le communautarisme est le terme tabou et honni de tous. C'est en partant de ce double postulat que la philosophe Fabienne Brugère tisse ses réflexions toniques et éclairantes.
Eclairantes sur les failles de la gauche actuelle qui n'a pas su reconfigurer son logiciel. Dans l'idéal de gauche, l'individu, la communauté sont les ennemis. Seuls prévalent la République, l'Ecole, l'Hôpital, les Travailleurs, les Chômeurs... Dans la doxa de la gauche française, l'individu n'existe pas, il est écrasé par un collectif. En cent pages à peine, Fabienne Brugère esquisse les contours de ce que serait un programme de gauche radicale sur l'économie (ce qui n'est plus le cas depuis des lustres) et libérale sur le reste, dans le sens où elle libère l'individu de pesanteurs, lui redonne confiance et lui permet de se prendre par la main. Cela signifie passer moins de temps à cajoler les élites qui n'en ont pas besoin et être plus dans le care pour tout ceux qui ne peuvent se passer d'état.
L'exemple des discriminations et des inégalités est un bon symbole. La gauche était mal à l'aise avec ces thèmes car la discrimination est perçue comme positive, réclamant une rupture dans une égalité qui n'est aujourd'hui observable qu'en théorie. En commençant à se saisir de ces questions, en reconnaissant que tous ne sont pas égaux devant la scolarité, l'orientation, l'emploi, mais aussi le logement (big up au juge qui a condamné un office HLM pour discrimination ethnique cette semaine) ce n'est pas faire du misérabilisme ou protéger "toujours les mêmes", mais au contraire rétablir une égalité de fait, seule condition possible à l'épanouissements de tous les individus dans une vaste communauté nationale.
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05/03/2014
Le supplice de la grille
Après avoir lu le livre coordonné par Barbara Cassin, on est tenté de se dire que l'humanité a progressé. Nous sommes passés en quelques siècles du supplice du grill à celui de la grille, d'évaluation. Le second fait sans conteste moins de morts. Néanmoins, dans un monde largement pacifié (je lis les journaux, hein, je vois la Crimée et l'Ukraine, mais allez voir la rétrospective Goya, vomissez. Songez une seconde au XXème siècle, et relativisez Maidan) pourquoi s'infliger pareil non sens ?
De quelle atrocité sans nom le livre dirigé par Barbara Cassin parle-t-il ? De l'évaluation. Dit comme cela, on ne frémit même pas. On devrait. Le psychiatre Roland Gori qui co-signe la préface, aime à rappeler qu'en démocratie, ce qu'il y a de plus dictatorial, c'est la norme. Erigée de façon arbitraire et technocratique, non démocratique, elle s'impose à tous. Et l'évaluation est son bras armé.
Ceci n'est pas un livre pour spécialiste. Pas un manuel concernant ceux qui sont en contacts avec lesdites pratiques d'évaluation. Mais un livre pour tout ceux qui sont dotés d'un tant soit peu de consience citoyenne et qui se demande légitimement si les instruments avec lesquels on mesure leurs mérites, vérifie leur travail et soupèse leurs compétences ne sont pas un brin biaisés. La réponse est non. Pas un brin... Les auteurs réunis en collectif devaient craindre de ne pas être pris au sérieux, c'est pourquoi ils ont inséré dans l'ouvrage un certain nombre d'authentiques grilles d'évaluation, afin que le lecteur lambda puisse se forger son opinion. Et là, tout n'est qu'enfer, damnation et consternation. De la santé mentale aux diagnostics de violence sur enfants aux enfants potentiellement violents jusqu'aux professeurs, on se demande de quels cerveaux malades de misanthropie ces grilles sortent. Tout ce que je puis affirmer sans risque de me tromper c'est que les auteurs de ces monstres technocratiques n'ont jamais vu l'un des sujets dont ils parlent. 73 questions inopérantes dans la vie de tous les jours pour connaître les antécédents d'un gosse violent et chercher à comprendre s'il peut se muer en un délinquant et savoir par anticipation s'il récidivera (belle confiance affichée dans le travail de réinsertion)... Non mais, sans déconner...
Le New Public Management a ses raisons que la raison ignore. La raison humaine, à l'évidence, la raison sociale tant le fait d'affecter moins de moyens au service public ne peut déboucher systématiquement sur une augmentation de la qualité de service. Par ailleurs, puisqu'il convient souvent de parler aux banquiers comme à des banquiers, les auteurs montrent l'absurdité économique de cette emprise évaluatrice. Pour deux raisons. D'abord, pour celles évoquées précédemment : les indicateurs biaisés confortent une vision biaisé. En gros, comme dans la prophétie auto-réalisatrice, façonner vous même les questions permet d'aboutir aux conclusions que vous souhaitez, vous. Ensuite, le temps passé à se mirer peut atteindre parfois la moitié du temps de certains salariés. On se gausse encore de Narcisse, mais d'une certaine manière, cette obsession évaluatrice est du même ordre. Rappelons que l'ivre de lui même n'a guère bien fini. A bons lecteurs...
07:10 | Lien permanent | Commentaires (3)